7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
L. PIERQUIN, J. HENON, J. BAA, Dr L. MAHIER
Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
Laurent Pierquin1
Julie Henon2
Joëlle Baa3,
Dr Lionel Mahier4
AXE n°2 « DIVERSITE DES ENVELOPPES »
CA COMMENCE PAR UN « E », CA FINIT PAR UN « E »,
AVEC UNE LETTRE A L’INTERIEUR.
(Une typographie différenciée a été choisie afin de rendre à
chacun des intervenants leurs propos et leur forme)
Anthony est, actuellement, un jeune garçon âgé de 9 ans (né le 22/04/97). Nous
l’avons connu alors qu’il était âgé de 5 ans et demi. Sa mère avait sollicité le
CMPP, sur les conseils de l’éducatrice de l’AEMO, à cause des troubles du
comportement et de l’énurésie d’Anthony.
L’histoire de cet enfant est très chaotique et fait écho à l’histoire de la mère,
elle-même marquée par une suite de ruptures et de séparations intempestives.
Histoire d’Anthony :
Il vit ses premières années avec sa mère et son père, la famille étant hébergée
chez les grands-parents paternels. La mère d’Anthony rapporte de cette période
des souvenirs pénibles : elle dit avoir été quasi séquestrée dans sa chambre,
reléguée par sa belle-famille, vivant enfermée dans une petite chambre avec son
fils, sans communication avec l’extérieur.
Alors qu’Anthony est âgé de 2 ans et demi, la mère sollicite les services de l’aide
sociale à l’enfance. A la suite d’une altercation plus violente que d’habitude entre
la mère d’Anthony et le grand père paternel, une décision de placement, en
internat, dans une Maison d’enfant à caractère social de la région, est prise par
le Juge des enfants. Ce placement durera environ deux ans. La directrice du
1
Psychologue, Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial spécialisé et
thérapeutique de Creil.
2
Assistante sociale, , Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial spécialisé et
thérapeutique de Creil.
3
Directrice pédagogique, , Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial spécialisé et
thérapeutique de Creil.
4
Psychiatre, médecin directeur, , Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial
spécialisé et thérapeutique de Creil.
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centre se souvient d’un enfant agréable, bien intégré et facilement pris en
charge par les autres dans la mesure où il était le plus jeune pensionnaire de
l’institution. Elle note, cependant, les difficultés constantes d’Anthony au
moment de l’endormissement et son besoin d’être réassuré par la présence d’un
adulte. Elle se souvient de la relation d’Anthony à sa mère, relation marquée par
l’agressivité de l’enfant à l’encontre de sa maman. Cette période sera marquée,
durant le séjour de l’enfant dans l’établissement, par un abus sexuel dont
Anthony aurait été victime, de la part d’un enfant plus âgé (novembre 2000).
Anthony sortira de l’établissement, après mesure de main levée de l’OPP, en juin
2001.
A son retour, Anthony sera accueilli par sa mère, qui aura, depuis, quitté le père
pour vivre avec un Monsieur dont elle aura un autre fils (en février 01). Le retour
d’Anthony dans le foyer familial est difficile. Peu à peu, Anthony manifeste des
troubles du comportement, à type d’agitation, d’agressivité reprennent et c’est
dans ce contexte que la mère nous sollicite.
Histoire de la mère d’Anthony.
Mme D a développé avec nous une relation marquée par une confiance prudente.
Elle nous fera part de certains des éléments d’une vie qu’elle disait marquée par
la souffrance.
Orpheline dès la toute petite enfance (meurtre de la mère par le père), elle a
d’abord été placée en foyer avant d’être accueillie par une famille en vue d’une
adoption qui ne s’est jamais réalisée. D’après elle, la famille d’accueil la traitait
mal. Suit, à l’adolescence, une période d’instabilité et d’errance au cours de
laquelle elle a probablement contracté un comportement d’addiction (alcool,
tabac et peut-être substances stupéfiantes). Elle dit avoir toujours eu une très
mauvaise opinion d’elle-même, jusqu’à manifester une véritable phobie sociale.
Dans les premiers temps, elle ne pouvait se rendre aux consultations
qu’accompagnée d’une voisine ou de l’une de ses filles aînées.
Elle a eu 5 enfants de trois unions différentes :
D’une première union, 2 filles et un garçon : la plus jeune de ces filles
ayant été elle-même placée dans le même établissement qu’Anthony ;
D’une deuxième union, Anthony ;
D’une troisième, Jordan actuellement âgé de 5 ans (né le 02/02/01).
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PC au CMPP et évolution
Lors des premières consultations, Mme D se plaint de ne plus savoir faire face au
comportement d’Anthony : il se montre agressif, agité, pris de « crises » au
cours desquelles il peut avoir un comportement particulièrement brutal, tournant
sa violence vers les autres mais surtout sur lui-même (peut se mettre
brusquement à courir et à se jeter avec violence sur un mur, dans ces périodes
d’agitation non maîtrisable).
Nous avons été témoins à plusieurs reprises de ces manifestations
paroxystiques. Se joue alors entre Anthony et son interlocuteur une relation
extrêmement déstabilisante où l’autre est mis en demeure d’être le spectateur
captif de ses actes transgressifs, violents et fous. Toute intervention ne fait
qu’accroître la jouissance que semble prendre Anthony à cette perversion des
règles sociales.
Impossible de ne pas rapporter ce comportement à ce qui avait été perçu de
l’agressivité inhérente aux rapports d’Anthony à sa mère, et ce depuis son plus
jeune âge, comme en témoigne la mère, se disant elle-même mauvaise, incapable
d’amour, et comme en témoigne d’Anthony (« Quand tu mourras, j’irai chez ma
grande sœur, t’es une patate pourrie, maman pas belle, je t’aime pas »).
Il est alors décidé de mettre en place des soins associant aux consultations avec
la mère et l’enfant et participation à deux petits groupes thérapeutiques.
A partir de janvier 2005, le consultant proposera également de le rencontrer
seul, régulièrement, dans ce qui pourrait être qualifié d’accompagnement
psychothérapeutique puis de lui proposer un travail de psycho-pédagogie
individuel. On reviendra plus avant sur ces indications de soins qui feront suite à
des évènements particulièrement difficiles.
L’admission au service d’accueil familial
Depuis les premières consultations la mère d’Anthony se plaint du comportement
de ce dernier, symptôme qui avait motivé la demande de soins. L’amélioration
constatée durant quelques mois ne perdure pas et la mère d’Anthony finit par
demander elle-même une aide sous forme d’un hébergement de semaine de son
fils. Nous proposons l’accueil familial thérapeutique qu’elle accepte (juin 2004).
Son caractère partiel, le maintien des responsabilités parentales, l’assurance que
l’assistante maternelle ne pourra se substituer à elle, le fait qu’elle pourra y
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mettre fin dès qu’elle le décidera, sont autant d’arguments qui lèvent les
réserves que l’intense culpabilité d’une première mesure de placement avaient
fait naître.
Deux mots quant à notre pratique d’accueil familial
LE FONCTIONNEMENT DU SERVICE D’ACCUEIL FAMILIAL
Par JULIE Henon
Nous allons vous présenter plus largement le fonctionnement du Service
d’Accueil Familial afin de vous éclairer davantage sur nos pratiques mais également
pour comprendre ce qu’Anthony et sa mère ont accepté lorsqu’ils se sont engagés dans
cette démarche.
Notre équipe
Nous sommes un service constitué de techniciens d’Accueil Familial de diverses
professions. Ainsi, on y trouve :
Un éducateur spécialisé
Une secrétaire administrative
Deux psychologues
Deux assistantes de service social
Le Médecin Directeur du CMPP qui est également représentant de ce
service
Cette équipe a un rôle d’intermédiaire entre les parents et la famille d’accueil
afin d’assurer un lien entre les différents temps de vie de la personne accueillie.
Nous essayons donc, dans notre travail au quotidien, de garantir la circulation de
la parole.
Nous intervenons par binôme auprès des situations et, nous avons une réunion de
service qui se tient une fois par semaine où nous échangeons ensemble autour des
accueils en cours.
Ce lieu institutionnel indispensable nous permet aujourd’hui d’affirmer que dans
nos pratiques, la référence, c’est l’équipe !!!
L’Accueil Familial tels que nous le pratiquons
Pour nous, le caractère thérapeutique du placement passe avant tout par le fait
qu’il suppose l’engagement actif des parents (ou des responsables légaux) et de l’enfant,
et qu’il ne peut, par principe, se substituer à des parents perçus comme « défaillants ».
L’indication de l’accueil familial est une proposition de travail qui vise à
réaménager les relations familiales de la personne accueillie, s’inscrivant dans un projet
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plus global de traitement de ses difficultés psychiques et de l’élaboration de son
processus d’individuation.
L’objectif premier de ce mode de soins est donc de proposer à l’enfant un espace
nouveau dans lequel il puisse révéler d’autres aspects de lui-même et de faire que cet
espace s’articule de façon institutionnalisée avec les autres espaces que l’enfant
fréquente (domicile familial, école, institution médico-sociale ).
Dans ce sens, l’assistante familiale qui se voit proposer l’accueil d’un enfant
n’aura aucune information sur celui-ci si ce n’est son prénom et son âge.
L’accueil familial est également un soutien à la parentalité et un temps
d’éducation construit avec les parents. Les parents sont et restent les premiers
éducateurs de l’enfant. Ils restent à l’origine de toutes les décisions importantes
concernant la vie de leur enfant. Ils continuent d’assurer les soins réguliers, le suivi de la
scolarité
La partielisation des accueils que nous proposons et le fait que les parents
décident avec leur enfant de la fin de l’accueil, garanti ce principe de fonctionnement.
Au cours de l’accueil d’un enfant, l’équipe de l’accueil familial occupe donc une
place de tiers obligé de toutes les relations entre parents et famille d’accueil.
Il est ainsi demandé aux parents et à la famille d’accueil de se garder de contacts
directs et indirects en dehors des temps initiaux de rencontre. Une seule rencontre aura
lieu entre eux, avant le premier temps d’accueil de l’enfant chez l’assistante familiale et
ce, pour pouvoir poser un visage sur un nom, travailler à minima son angoisse, échanger
des informations dites pratiques.
Ce principe de soins se concrétise aussi dans la conduite de la cure par des
rencontres régulières et rythmées entre les uns et les autres. En effet, des entretiens sont
mis en place :
Entre la personne accueillie elle-même et les référents,
Entre les parents de la personne accueillie et les référents,
Entre l’assistante familiale et les référents,
Où chacun est invité au travers de ses récits à restituer ce qui s’y passe.
Le service dispose également d’une permanence d’écoute sous forme d’astreinte
téléphonique permettant la transmission d’informations utiles par le biais du service, en
dehors des heures d’ouverture de CMPP.
Ces conditions d’accueil dans le service, claires dans leur principe, ont été
favorablement perçues par la mère. On peut penser qu’elles respectaient
également la profonde ambivalence, en retour, des sentiments d’Anthony pour sa
mère, qu’on pourrait qualifier par ce quasi oxymore « d’attachement haineux ».
De fait, Anthony saura nous rappeler que sa mère restait sa mère, que
l’assistante maternelle ne pouvait prétendre à ce rôle, qu’il nous était échu, à
nous, les adultes de garantir les limites assignées aux différentes places, à la
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sienne en premier lieu mais également à celle des autres. La suite montrera à
quel point cette insistance était nécessaire.
De juin à septembre octobre 2004, l’accueil d’Anthony s’engage de façon
relativement satisfaisante. Au domicile de la famille d’accueil, les choses se
passent bien. L’entrée dans la nouvelle école se déroule relativement
correctement.
Nous recevons régulièrement Anthony et sa mère durant cette période. Celle-ci
se plaint que, si elle peut se réjouir du fait que les difficultés d’Anthony soient
moindres durant le séjour en famille d’accueil, elle constate qu’à la maison le
comportement d’Anthony reste toujours aussi difficile. Elle nous informe
également de l’aggravation de sa maladie qu’elle nous avait dit stabilisée quelques
mois auparavant.
De fait, très vite, l’état de Mme D va se détériorer : après une phase où elle
peut se déplacer très difficilement et seulement accompagnée d’une tierce
personne et durant laquelle elle ne peut plus s’exprimer oralement (extinction
totale de voix qui nous oblige à recourir, pendant les entretiens, au dialogue
écrit), Mme D doit être hospitalisée.
Nous maintiendrons le contact durant ce temps d’hospitalisation, en allant lui
rendre visite régulièrement ou en organisant les visites de son fils. Celles-ci se
passent mal. L’atmosphère de l’hôpital, une ambiance morbide (Mme D. ne cache
pas qu’elle va mourir) dans un lieu inaffectivé, provoque, chez Anthony, des
réactions d’agitation, de dérision. Les quelques visites à son jeune frère se
déroulent dans une ambiance tendue. Il est mal accueilli, tant les personnes de la
famille sont dans l’espoir d’une résolution heureuse, dans la crainte d’un
dénouement tragique.
Mme D. décède au début du mois de janvier 2005. Nous nous coordonnerons avec
les services sociaux afin qu’Anthony puisse assister aux funérailles de sa mère.
On notera que, durant toute cette période, Anthony ne fera preuve d’aucune
émotion marquée : pas de pleurs, pas de plainte, juste cette agitation critique,
cette dérision devant les « petites » douleurs de ce monde.
Après la mort
Dès l’annonce de la gravité de la maladie, nous nous étions concertés avec les
services sociaux de proximité pour envisager l’avenir d’Anthony en prévision de la
disparition probable de sa maman. Nous avions tenu à en informer les services de
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l’aide sociale à l’enfance afin qu’un relais puisse être préparé. Il s’agissait de ne
pas laisser Anthony seul, sans repère, face à ce manque. Il était important que
notre service d’accueil familial, que la famille d’accueil, elle-même, ne soit pas
amenée à jouer ce rôle de substitution affective, artificielle et sans avenir, que
nous avions jusqu’ici évité qu’elle soit. Nous regrettons de ne pas avoir été
suffisamment suivis dans notre projet. Il aura fallu des mois pour que les
responsables de l’ASE mettent en place le cadre législatif qui permette de
donner à Anthony les substituts institutionnels aux repères symboliques naturels
disparus. Les services sociaux de proximité ont été heureusement mis à
contribution : demande à l’AS de rencontrer le père d’Anthony afin d’évaluer son
souhait et ses capacités à assurer l’éducation de son fils, désignation d’une
éducatrice chargée d’assurer l’accompagnement éducatif et social de l’enfant.
Finalement, le père se déchargera de ses responsabilités en confiant à l’ASE la
délégation d’autorité parentale. Depuis, les choses ont évolué, la grande sœur,
récemment maman, s’est portée volontaire pour assurer la responsabilité
éducative de son frère, en demandant à être désignée tiers digne de confiance.
Ce qui a été décidé par le JDE en mai dernier.
Se raccrocher aux mailles du filet :
Nous intervenons dans ce congrès comme le coucou dans un nid, car, d’enveloppe,
cette histoire n’en parle que de façon « symbolique », comme on le verra en
conclusion de cette intervention.
Anthony est arrivé trop vieux déjà. Les enveloppes étaient bien déchirées, elles
ne protégeaient plus beaucoup, ou alors comme la tunique de Nessus, piège
brûlant et irritant jusqu’à ce qu’on ne voie plus la mort que comme une délivrance.
Quelque chose semble effectivement près de mourir dans la vie psychique de ce
petit garçon. Nous avons tenté de rattraper quelques germes, ou plutôt évité
qu’ils s’assèchent définitivement. Ce combat pour une vie psychique sera illustré
par :
Une chronique de l’AFT depuis les vacances d’été 2005
Une séance de consultation individuelle
Une séance de psycho-pédagogie
Retour de grandes vacances.
Par Laurent Pierquin
Anthony répond il devient insolent. Le matin il ne veut plus aller à l’école. Les
fourniture disparaissent très vite .La trousse est déchirée. Les vêtements idem. Et il a
dit : -je ne veux plus rester ici. Avant de partir, il n’était pas comme ça.
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Voici ce que rapporte l’assistante familiale en septembre 2006, et que nous reprenons
sous
Deux angles.
Le premier autour de la première rentrée scolaire pour Anthony depuis le décès de sa
maman. La première fois pour lui que face à cette nouveauté souvent angoissante que
constitue l’arrivée dans une nouvelle classe, il se retrouve seul, pas tout à fait bien sur
mais sans le soutient que sa mère avait pu lui apporter jusqu'à présent.
Le second angle de lecture, autour de l’expérience faite par Anthony, pour la première
fois depuis son arrivée chez l’assistante familiale et encore plus depuis le décès de sa
maman, d’avoir passé un temps, pendant les grandes vacances, chez une autre assistante
familiale. En effet, celle qui l’a reçu depuis son arrivée à l’accueil, a pris des congés, a
pris ses congés. Et c’est alors tout le cadre qui se rappelle à Anthony. Tous ce qui redit
qu’il n’est la «que » dans le contexte d’un travail, d’une situation transitoire. Qui
rappelle que la femme qui l’accueil, n’est « que » comme une maman, sans pouvoir
jamais la remplacer.
Quelques semaines plus tard, C’est Florence Langlois du CMS de Creil qui nous
informe que Anthony s’est plein auprès de sa sœur et de son beau père, de mauvais
traitements chez son assistante familiale.
Quelle réalité ? Quel danger ?
Nous proposons alors un rendez vous à Anthony seul afin qu’il puisse s’exprimer sur ce
sujet. Et pour se garder de créer une situation par trop étonnante, nous proposons à
l’assistante familiale de la recevoir la semaine suivante avec Anthony. Sans savoir à ce
moment ce que nous pourrons reprendre de la situation.
- Elle me tape quand je fais des bêtises. Elle est méchante avec moi mais pas
trop. Depuis que je suis chez Babette, mon faux papa il est gentil avec moi. Moi
j’aimerais aller dormir chez lui une fois.
- Babette elle m’a dit que si je le dis à quelqu’un, elle va me taper et si je
parle pas elle arrêtera. ( ?) C’est arrivé 6 fois car j’au 6 bleu. ( ?) Fessée, ou coup de pied
aux fesses, ou tirer les oreilles.
- Ce sera quel jour que je vais partir de chez Babette pour aller chez ma
sœur ? Comme ça je pourrai voir beaucoup mon petit frère. Ma sœur, elle dit que ça
serait bien car comme ça Babette me taperait plus.
Comme je lui explique que nous ne pouvons pas le laisser dans cette situation
dangereuse pour lui et que nous devons réfléchir à un accueil chez une autre assistante
familiale, Il reprend la parole.
- Mais c’est que si je fais des bêtises, et la j’en fais plus
Il souhaite rester chez Babette, ne veut pas que je parle avec elle de ses énonciations, et
est informé que je me dois d’en parler au docteur MAHIER qui est le directeur du
service d’accueil.
Une semaine plus tard, et conformément à l’organisation que nous nous étions donnés,
nous le recevons avec l’assistante familiale.
- Il y a des choses importantes que Babette veut dire.
- Anthony a fait la photo.
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- Moi j’ai envie de donner une photo à Babette et le reste à des personnes de ma
famille.
- Il fait bien ses devoirs. Il les copie et il me dit que à l’école il travail bien. Il n’y a
plus de rouge, il y a plus de vert et d’orange. Là il commence à faire attention à
ses fournitures scolaires.
Comment comprendre ce retour à la normal ? Sachant que par la suite aucune plainte
n’a été réitérée ni auprès de nous, ni auprès de sa sœur, de son beau père, de Madame
Langlois ?
Il me semble que plusieurs réponses coïncident avec cette question.
Parce que sa déclaration était peut-être plus destinée à sa sœur, en ce qu’elle
pouvait faire levier pour elle de démarche pour être reconnue tiers digne de confiance et
prendre ainsi pleinement une place de responsabilité auprès d’Anthony. « Ma sœur, elle
dit que ça serait bien car comme ça Babette me taperait plus. »
Parce que le cadre de la protection de sa personne lui a été rappelé et que son discourt à
été pris au sérieux, jusque dans l’expression de son sentiment de pouvoir gérer la
situation « c’est que si je fais des bêtises ».
Et parce qu’il a fait l’expérience à cette occasion du lien qui existe autour de lui, au
travers de cette chaîne crée par sa sœur, Madame LANGLOIS, les référents du service,
le docteur MAHIER, et l’assistante familiale. C'est-à-dire de quelqu’un du social, sa
sœur, qui pour l’instant n’occupe pas une place socialement repérer comme faisant
autorité légalement auprès de lui, active l’institution qui incarne pour l’heure cette
autorité afin que puisse se faire le lien avec le soin qui lui est proposé.
Nous savons que l’accueil familial est construit comme un espace transitionnel. Mais
c’est ici l’assistante familiale qui se fait objet transitionnel. Elle accompagne, permet
d’affronter la solitude, accepte d’être le support de jeu mettant en scène l’amour et de la
haine. Elle est tour à tour choyée, attaquée et à nouveau aimée, jusqu'à pouvoir être
laissée, désinvestie tel le doudou dont un jour l’enfant n’a plus besoin.
La séance de thérapie qui suit s’est déroulée en octobre dernier
Scène I : la crise
Anthony refuse de venir avec moi quand je viens le chercher dans la salle d’attente. Il se met à
courir en m’évitant, il monte à l’étage supérieur, se cache dans les bureaux. Je le suis
lentement, sans essayer de le maîtriser. Il est très excité et rigolard. Il semble prendre
beaucoup de plaisir à me voir l’attendre. Me fuyant, il se réfugie dans mon bureau et s’assoit
sur mon fauteuil (antérieurement, à plusieurs reprises, nous avions proposé un jeu d’inversion
des rôles).
Scène II : le retrait boudeur.
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Il me laisse mon fauteuil et s’assoit près de la caisse de jouets. Il met en scène des jeux avec
des petits personnages et des petits animaux qu’il joue à dévorer. Il verbalise son jeu mais ne
m’adresse pas la parole. Je reste silencieux pendant. Tout cela dure une dizaine de minutes.
Scène III : la reprise du contact
Il m’adresse la parole et me demande ce qu’est un trombone. Puis, il me demande quand il
pourra aller, en visite, chez sa grande sœur.
Scène IV : cause toujours
« Je vais te poser une question, mais je sais que tu vas dire non » me dit-il à trois reprises.
Me demande alors s’il peut utiliser l’ordinateur (ce qu’il faisait parfois lors des séances
précédentes).
Je réponds : « oui, si tu es capable de ne pas faire le fou »
A : « Je ne sais pas pourquoi je fais ça »
LM : « peut-être parce que tu es malheureux, mais comme tu ne sais pas le montrer en
pleurant, tu fais le fou. Peut-être es-tu encore plus comme ça depuis que ta mère est morte ? »
LM : je propose également qu’il y a des choses qu’il ne comprend pas et en particulier la
raison pour laquelle il est frappé par tant d’événements injustes : un père qui ne s’occupe pas
de lui, une mère qui meurt, Cette interprétation lui convient : « c’est vrai ce que tu viens de
dire ».
Scène V : les affaires reprennent
Anthony demande à changer de groupe. Il ne veut plus y aller. Je propose qu’il s’engage dans
un travail psycho-pédagogique, j’insiste sur le mot « travail ».
Il refuse et redevient boudeur « tu m’as mis en colère ! ». Se lève et va jouer, dit ne plus rien
vouloir entendre se bouche les oreilles.
Epilogue
Je remplis le carton de rendez-vous et fais, sans un mot, les photocopies destinées à sa
maîtresse et à l’assistante familiale. Je les lui tends, puis je lui tends la main pour lui dire au
revoir, toujours sans un mot.
Il comprend alors qu’il s’agit d’un jeu et veut alors ranger les jouets et feutres restés sur le
bureau avant de partir.
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Accueil Familial et psychopédagogie au CMPP de CREIL
Par Joëlle Baa
L’existence du service de Placement Familial au sein du CMPP de Creil
ne m’était pas inconnue Je connaissais son existence sans en avoir été
confrontée directement .
J’ai aussi connu l’existence d’Anthony avant même de partager avec lui
un travail de prise en charge direct
En effet Anthony « existe » au CMPP Il était parlé lors des
réunions d’équipe de l’Accueil Familial auxquelles je participais Mais aussi
lors des réunions cliniques du « parcours des enfants » et lors de rencontres
plus informelles entre cliniciens dans des lieux comme la cuisine ou les
couloirs .
Au cours d’une réunion clinique . Le consultant pose une indication de
psychopédagogie qu’il va proposer à Anthony lors de sa prochaine rencontre
.
Et je mets un visage sur le prénom de ce petit garçon alors qu’une
violente altercation l’oppose à une de mes collègues Une image de petit
garçon qui s’affronte à une jeune adulte .. Qui la frappe . Qui hurle
qui est tout colère et souffrance Qui ne peut entendre les paroles de
cette jeune femme qui essaie de mettre des mots sur ses actes, qui essaie
de rappeler le non passage à l’acte Qui essaie de le calmer En vain
.. !!!!!!
Je rencontre donc Anthony, petit garçon de 9 ans qui est scolarisé en
CE2, dans les semaines qui suivent et je pose le cadre de la prise en charge
psychopédagogique Dans ces séances les interdits posés sont : la non
destruction du matériel et la non agression physique de soi-même et de
l’autre L’utilisation des supports de travail comme l’ordinateur, le tableau,
les feuilles de papier et tous les outils scripteurs tout matériel étant dans
la salle de travail peut-être utilisé par Anthony
Il va utiliser plus particulièrement l’ordinateur, le tableau avec les
craies, et les livres de la bibliothèque des enfants du CMPP et les livres de
mon bureau
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Suite à un travail à partir d’une histoire « écoutée et lue » sur un cd
rom, je lui propose la création d’un livre retraçant cette histoire : « Ma
maîtresse est une sorcière » . L’objectif de ce travail étant de faire un
lien indirect avec le travail de sa classe où Anthony a de grandes difficultés
à accepter « l’enseignante partagée » avec les autres et où il pose des
difficultés d’adaptation relativement importantes.
A l’heure où j’écris ce texte nous en sommes à une quinzaine de
séances Le livre est presque terminé
Anthony a tout de suite mis en mot toutes les difficultés qu’il mettait
ensuite en actes « Je ne peux pas m’empêcher de bouger de ma chaise »
« c’est comme à l’école » Alors nous avons réfléchi ensemble sur le fait de
bouger tout le temps Comment pouvait-on écouter si on se levait toutes
les cinq secondes ? Et alors comment « on perdait le fil » de ce que l’on
était en train de faire .. Ce n’était pas un interdit, au cours de la
séance, de se lever toutes les cinq secondes mais comment pouvait il faire
pour « suivre le fil » de notre conversation, de la lecture et l’écoute de
l’histoire sur l’ordinateur ????? Je l’ai accompagné dans son interrogation et
nous avons partagé ensuite le clavier de l’ordinateur et le travail d’écriture
et de réécriture du livre Nous avons travaillé en « dictée à l’adulte »
j’étais très admirative du savoir d’Anthony pour le vocabulaire très approprié
aux contes Il parlait de « grimoire » et la structure des contes lui était
très familière En fin de séance il choisissait un livre de tout petit qui
parlait des sensations de « toucher-douceur » et maintenant il est capable
d’écouter une lecture de conte à épisodes Il peut différer son attente
Accepte plus une certaine frustration
Cela semble être un travail comme j’ai l’habitude de faire avec
les enfants Chaque séance est singulière comme avec chaque enfant
Avec Anthony j’ai commencé à m’interroger et éprouver un malaise quand il a
dans le déroulement de la séance abordé « les petites choses de la vie »
comme le font les enfants Un mot lui rappelait quand il était bébé A la
maison d’enfants Et puis il avait envie que l’assistante familiale lui lise un
conte comme je faisais en fin de séances et puis elle ne le faisait pas
« elle dit que je suis plus un bébé » « moi j’aurais envie qu’elle me lise une
histoire pour pouvoir m’endormir » et il était souvent dans la plainte Il
n’avait pas eu le temps de déjeuner et puis il avait mal à la tête et puis
finalement il a pu parler le conflit avec la jeune collègue et faire lien entre
sa colère à ce moment là (il ne peut aborder le terme de tristesse ) et le
fait qu’il ait appris à cet atelier le départ d’une stagiaire éducatrice
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L. PIERQUIN, J. HENON, J. BAA, Dr L. MAHIER
Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
Alors nous avons parlé de la réalité de ce départ De la souffrance quand
des personnes partent ailleurs Le droit de pleurer pour soulager « Pas
moi, dans ma famille les garçons ne pleurent pas » « Tu pleures toi ? Et tu
as déjà vu des garçons pleurer ?» ma réponse positive le laisse interrogateur
Et moi je me questionnais : je renvoie au consultant ????? Quelle est
la place des référents du PF ?????
Je savais qu’ils recevaient Anthony en entretien Anthony a une
histoire particulière avec beaucoup de souffrance et de deuil .
Les séances devaient l’amener à se construire mais comment faire lien
avec les autres .. Comment ne pas mélanger les places ?????? Enfin pour
moi ... Alors j’ai commencé à travailler avec les référents du placement
familial et avec le consultant . J’évoquais mes séances de travail avec
Anthony Ce qu’il disait quand il évoquait sa petite enfance, son lien
avec l’assistante familiale Ses interrogations quant à sa nouvelle vie au sein
de la famille de sa sœur et les places de chacun et puis finalement sa
mère qui existait pour lui par l’intermédiaire « des confitures de fraises
qu’elle avait faites et qui étaient bonnes jusqu’en 2008 » et un travail de
lien a pu commencer entre nous avec toute une élaboration autour de
l’enfant
Le consultant et les référents du placement familial m’apparaissent
comme les garants du cadre de vie physique mais surtout psychique
d’Anthony La parole recueillie et accueillie par eux fait exister ces
enveloppes autour d’Anthony autour du cadre que nous posons en tant que
cliniciens dans notre travail singulier avec cet enfant.
A mon avis le fait que le CMPP soit un lieu thérapeutique avec une
référence de psychothérapie institutionnelle ne me semble pas anodin au fait
que le placement familial soit une « enveloppe » permettant à cet enfant de
se construire dans le lien entre des intervenants diverses et nombreux qui le
prennent en charge Je ne peux m’empêcher de les comparer à la mère
suffisamment bonne de Winnicott5 Qui permet à son enfant de se
construire en lui permettant la rencontre avec l’extérieur tout en maintenant
5
Winniccott, jeu et réalité, Paris Gallimard 1971
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
un espace potentiel dans lequel il va pouvoir jouer sa créativité et devenir
autonome
Avant de conclure, nous poserons un dernier regard sur cette période d’accueil
familial en train de se terminer.
Suite à la décision du Juge
Par Julie Henon
Nous avons reçu Anthony suite à l’audience au tribunal où la sœur d’Anthony a été
nommé tiers digne de confiance. Ce nouveau statut et les responsabilités lui incombant, étant
effectif au 1° Juillet 2006.
Anthony sera reçu seul dans un premier temps puis avec l’assistante familiale.
Anthony dit être « très, très satisfait » de la décision du juge. Il ajoute même que c’est
ce qu’il attendait « je l’ai dit depuis le début que je voulais vivre chez ma sœur ».
Cet entretien nous permettra d’observer qu’Anthony a tout à fait mesuré ce qu’engage
ce nouveau statut dans sa vie. Le premier étant la modification de son accueil, à compter de
cette audience, il rentrera chez sa sœur tout les week end en attendant la date du 1 Juillet.
De même, Anthony définit le rôle de tiers digne de confiance, « c’est que ma sœur,
elle s’occupe de moi et prend toutes les décisions pour moi » et aussi « Bon, angélique, c’est
ma sœur et je suis son frère, mais quand elle achètera quelque chose à ma nièce et bien, elle
me l’achètera aussi, parce que c’est pareil ».
Effectivement, ce nouveau statut octroi des responsabilités parentales à Mme R. sans
être pour autant à une place de mère.
L’assistante familiale n’a pas occupé cette place, sa sœur ne l’occupera pas non plus,
Anthony peut continuer d’effectuer son travail de deuil.
Enfin, il évoquera les conséquences de cette décision au niveau de son accueil familial,
« on en a parlé avec ma sœur et elle a dit que j’irai chez l’assistante familiale les week end,
comme ma sœur elle a en ce moment ».
Le projet serait donc une inversion du temps d’accueil actuel.
Anthony vivrait chez sa sœur la semaine et serait accueilli chez l’assistante familiale le
week end afin de travailler progressivement sa sortie du service.
Nous finirons l’entretien en lui demandant si il a évoqué avec l’assistante familiale la
décision du juge et ces changements. Il nous répondra que non.
Alors qu’il n’a cessé de dire à l’assistante familiale pendant le déroulement de son
accueil qu’il allait vivre chez sa sœur, qu’il allait partir ; lorsque cela se présente, il s’avère
trop difficile pour lui de lui dire.
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
Dans un second temps, nous recevons donc l’assistante familiale et Anthony. Anthony
semble mal à l’aise et en attente de ce que nous allons dire et de comment va réagir
« Babette ».
Nous informons donc l’assistante familiale de la décision du juge et de ces
conséquences au niveau de l’accueil familial. Mme R. sera donc reçue par nous-même pour
décider ensemble de la suite du projet d’Accueil Familial ou non.
Même si cette annonce a été amené le plus délicatement possible, elle n’en reste pas
moins un choc pour l’assistante familiale qui répond assez vivement qu’elle aussi doit être
associée à la décision « parce que ça la concerne aussi ».
Même si la re-partielisation de l’accueil et sa fin était connue de tous depuis le départ
puisqu’elle est inévitable, cela n’en reste pas moins difficile à vivre pour eux deux.
Anthony fut très sensible à la réaction de l’assistante familiale.
Après cet entretien, nous prendrons régulièrement contact avec l’assistante familiale et
nous lui proposerons un entretien seul afin qu’elle sache que dans cette période de transition,
elle peut compter sur nous.
Rencontre entre les référents de l’Accueil Familial, Anthony et Mme R.
Quelques temps après, nous avons proposé à Anthony et à sa sœur un rendez-vous.
Anthony est arrivé en taxi au CMPP mais sa sœur n’est venue.
Nous avons donc décidé de maintenir un entretien avec Anthony.
Anthony a accepté de nous suivre dans le bureau mais une fois installé, il ne voulait
pas nous parler :
« Bon, bonne nuit »
« Vous n’avez qu’à parler entre vous »
« Moi, j’ai rien à dire donc vous n’avez rien à dire »
« Là, vous pouvez vous taire car je suis en train de faire un truc ».
Effectivement, Anthony était en train de nous montrer quelque chose.
Il a pris deux feuilles blanches qu’il a agrafé ensemble, tout le long de leurs bords.
Puis, il a essayé de retirer, une à une, les agrafes qui liées les deux feuilles.
« C’est dur ! Quelqu’un peut me le faire car je crois que je vais m’énerver ».
Cela nous a permis de reprendre la difficulté que l’on pouvait ressentir lorsqu’il faut se
séparer.
C’est difficile de séparer des choses qui ont beaucoup collés, comme lui et l’assistante
familiale.
Deux papiers agrafés restent difficile à dégrafer. Ce sur quoi, Anthony ajoute : « ça
prend des années et des années Surtout quand il y a mille feuilles collées, mille paquets de
feuilles collées ».
Nous avons donc répondu à Anthony qu’il est vrai que le travail de déccrochage prend
du temps et nous lui avons fait remarquer que ces deux feuilles, qu’il avait finalement réussit
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
à décoller, avaient des trous laissés par les agrafes Traces indélibiles, sorte de bons
souvenirs de quand elles étaient attachées.
N’est ce pas cela le plus important !?
A la fin de cet entretien, Anthony a décidé d’emporter avec lui les feuilles qui avait été
agrafé ensemble puis dégrafées.
Suite à cet entretien, nous avons contacté Mme R., celle-ci n’avait pas reçu le courrier
convenant de ce rendez-vous, nous avons donc repris une date.
CONCLUSION
A travers cette histoire, nous avons voulu montrer comment l’accueil d’un enfant
et la séparation d’avec son « milieu familial naturel » est quelque chose de
complexe, aussi complexe que les liens d’attachement mis en place dans sa propre
famille. Et ce d’autant que les sentiments de l’enfant, mais aussi de ses parents,
sont eux-mêmes marqués par l’ambivalence la plus forte. Eprouver de l’amour, et
a fortiori le montrer, est impossible et dangereux. On risque alors d’être à la
merci de l’autre : de sa violence, de son indifférence, de son rejet, de son
absence, de sa mort. L’agitation, la dérision, la fausse indifférence sont autant
d’enveloppes, ou plutôt de gangues, qui protègent contre le risque de blessure
affective.
Dans ces conditions, nous avons proposé une autre enveloppe qui ne puisse pas
donner l’illusion d’un amour de remplacement. Plutôt qu’une couverture, chaude,
bien tissée, mais risquant d’être étouffante, un filet à mailles lâches,
suffisamment élastique pour accepter que l’enfant puisse y tomber sans se
blesser, s’y mouvoir sans le déchirer, sans s’étouffer avec.
L’accueil familial n’est qu’une des mailles de ce filet, il ne peut avoir la prétention,
ni à lui seul, ni même prioritairement, de constituer l’essentiel des soins de
l’enfant. Il nous est apparu nécessaire d’inscrire ce mode de soin dans un réseau
plus complexe où pouvaient intervenir les acteurs du soin, les acteurs sociaux,
l’école, l’entourage familial.
A ce niveau, il nous semble important d’insister sur la dimension symbolique que
peut recouvrer ce mode de soins. A notre sens, Anthony, comme beaucoup
d’enfants malmenés par leur histoire familiale ne peuvent, par loyauté, admettre
l’absence ou la mauvaise qualité de leurs parents. Symétriquement, il leur est
inacceptable de constater que la société, qui leur renvoie systématiquement leur
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L. PIERQUIN, J. HENON, J. BAA, Dr L. MAHIER
Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
statut d’enfant, ne puisse pas leur désigner, nommément, celui ou celle qui devra
assurer la fonction parentale devenue vacante.
Ce travail de repérage, des places, des fonction, des personnes, est
indispensable à la définition d’un cadre suffisamment protecteur mais également
suffisamment ouvert pour que l’enfant puisse s’y mouvoir. C’est celui que nous
avons tenté de faire à travers, entre autres, notre service d’accueil familial.
Ah, au fait, l’énigme qui donne le titre « Ce qui commence par un « e », finit par
un « e », avec une lettre à l’intérieur », est une devinette qui nous a été posée
par Anthony lui-même au cours d’une de nos rencontres.
Vous avez trouvé la réponse ???
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
Dr M. REVEILLAUD, F. GUYOD, J. MAHE, J. MAZOUIN, JL. MUTSCHLER
L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
Dr Marie REVEILLAUD,
Psychiatre, Chef de service, CH Mazurelles, La Roche-Sur-Yon
Fabrice GUYOD,
Psychologue, CH Mazurelles, La Roche-Sur-Yon
Jacqueline MAHE,
Infirmière, CH Mazurelles, La Roche-Sur-Yon
Joël MAZOUIN,
Infirmier, CH Mazurelles, La Roche-Sur-Yon
Joëlle FRANÇOIS,
Infirmière, CH Mazurelles, La Roche-Sur-Yon
Jean-Luc MUSTCHLER
Infirmier, CH Mazurelles, La Roche-Sur-Yon
AXE n°2 « DIVERSITE DES ENVELOPPES »
L’AFT séquentiel pour soutenir le placement familial de l’ASE
dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstructions des liens affectifs.
Nous présenterons un cas d’enfant dont la pathologie se manifestait par une dangerosité, une
explosion de violences brutale et imprévisible : immotivée au premier abord mais pas sans
cause comme nous tenterons de le démontrer dans ce qui suit.
Plusieurs dispositifs thérapeutiques ont été déployés au cours de sa prise en charge en
réseau pluri-institutionnelle et pluri-partenariale,
Ces dispositifs sont capables, selon nous,de donner des réponses adéquates à la montée en
puissance des hospitalisations en pédopsychiatrie d’enfants présentant au premier chef du
tableau symptomatologique des passages à l’acte violents.
Dans cet ensemble, construit comme autant d’enveloppes contenantes emboîtées les unes
dans les autres, fermes et souples à la fois, centrées sur l’espace interne du sujet dans ses
rapports aux objets, nous voudrions mettre en relief l’accueil familial thérapeutique
séquentiel.
Bien que ne représentant qu’un des maillons de l’ensemble du projet thérapeutique, cet
élément du dispositif de soins n’en fût pas moins essentiel pour que cet ensemble résiste à la
destruction
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Dr M. REVEILLAUD, F. GUYOD, J. MAHE, J. MAZOUIN, JL. MUTSCHLER
L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
1- Histoire de Alan : un regard de loup.
Alan arrive à l’âge de onze ans et demi dans la structure temps plein en urgence après avoir
été exclu d’un Institut de Rééducation.Pédagogique. L’exclusion de cette institution est en
rapport avec ses comportements violents. C’est un enfant qui est pris en charge par les
services sociaux depuis l’âge de deux ans.
Nous connaissons le père de Alan, qui lui-même a été suivi depuis l’âge de douze ans en
pédopsychiatrie et qui continue à être suivi en psychiatrie adulte avec un traitement
neuroleptique très important. Sa mère, originaire des Dom Tom, et adoptée à l’âge de 7 ans
par une célibataire, est décédée lorsqu’il avait trois ans.
Cette grand-mère maternelle a toujours manifesté de l’intérêt pour son petit-fils, le prenant
en vacances fréquemment, contactant régulièrement les familles d’accueil. Pour autant, elle
tenait un discours très négatif sur sa propre fille, mère de l’enfant, et rejetait totalement le
père.
Les autres éléments traumatisants de son histoire sont liés aux placements successifs depuis
l’âge de trois ans dans cinq familles d’accueil différentes, avec à chaque fois des ruptures
difficiles dans des contextes de violences de l’enfant et/ou de maltraitances des parents
d’accueil.
Mais reprenons chronologiquement et dans les détails. La mère de Alan entreprend à la fin de
son adolescence des études d’aide-soignante. Suite à l’échec de ses examens, elle bascule
dans la délinquance et les amours vagabonds.
Le père de Alan, diagnostiqué psychopathe, est hospitalisé en psychiatrie dès sa petite
enfance, puis orienté en Institut Médico-Educatif. Il a été placé avec ses frères en famille
d’accueil et suivi par le service de L’Aide Sociale à l’Enfance.
Les deux premiers mois de son existence, Alan vit avec ses deux parents. Jusqu’à huit mois il
se retrouve avec sa mère dans un foyer maternel où s’est réfugiée sa mère pour fuir les
violences de son père. Les travailleurs sociaux relèvent la présence de violence de la mère sur
son fils. De huit mois à un an, il vit seul avec sa mère dans un appartement. A l’âge de deux
ans, tandis que la mère rompt sa collaboration avec les travailleurs sociaux, il est constaté
l’apparition de comportements violents chez Alan dans le même temps qu’il lui est prodigué un
câlin, il griffe et égratigne le cou.
A l’âge de trois ans, Alan est placé en famille d’accueil tandis que se déclare un cancer chez la
mère. Elle apprend alors à son fils que son père n’est pas mort, contrairement aux propos
qu’elle lui avait tenus jusqu’alors, et désire que la famille d’accueil adopte son fils à sa
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Dr M. REVEILLAUD, F. GUYOD, J. MAHE, J. MAZOUIN, JL. MUTSCHLER
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reconstruction des liens affectifs
disparition qui survient quelques mois plus tard. Mais très vite, il est établi une maltraitance
de la famille d’accueil sur Alan. La seconde famille d’accueil divorce. La troisième porte des
coups sur Alan et le mari est suspecté d’agressions sexuelles.
A l’âge de sept ans, alors qu’il est placé dans une nouvelle famille d’accueil, il est orienté dans
un Institut de Rééducation Pédagogique. Il y demeurera jusqu’à ses onze ans, où à la suite
d’une crise d’agitation, il sera hospitalisé d’abord en psychiatrie adulte, puis dans un service
de pédiatrie, et enfin dans notre service.
A son arrivée, le tableau symptomatologique est des plus préoccupant. L’angoisse, l’agressivité
et la colère de Alan s’expriment par des coups violents portés sur les soignants, hommes et
femmes.
Il bouscule et malmène volontiers les enfants plus jeunes ou les personnes fragiles. Lorsqu’il
frappe, il prend un regard noir que nous avons pris l’habitude de qualifier comme un regard de
loup. Son maintien psychomoteur se décompose, donnant l’impression d’un démantèlement, les
épaules montées, la tête baissée, tel un rugbyman, car il est d’une morphologie imposante, qui
aurait perdu toute consistance.
Il est très collé aux adultes, et présente toujours le besoin d’être touché, ou de toucher lui-
même : il touche les seins des infirmières surtout lorsqu’elles sont décolletées. Il ne supporte
pas que quelqu’un soit dans son dos.
Il recherche l’exclusivité de la relation duelle, vampirise l’attention et les affects du
soignant, monopolise et contrôle ce qui est fait et dit. Lorsqu’il y a plusieurs soignants, Dylan
opère d’emblée un clivage entre le bon soignant qu’il idéalise, et le mauvais auquel il voue une
haine destructrice.
Il parle sans arrêt, persévère, pose des questions, souvent les mêmes, trahissant une
angoisse envahissante. Il ne supporte absolument pas d’attendre avant qu’on ne lui réponde,
pas plus que les temps libres entre deux activités, tandis qu’il doit se retrouver seul avec lui-
même : le vide le terrifie.
D’une façon générale, ses capacités de tolérance à la frustration sont très faibles.
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reconstruction des liens affectifs
2- Les dispositifs de prise en charge : endiguer la répétition des ruptures abandonniques ;
supporter l’attaque systématique des liens ; injecter et restaurer l’appareil à penser les
pensées.
D’emblée, il nous apparaît que le tableau présenté par Alan évoque un ancrage dans la position
schizo-paranoïde et ses mécanismes de défenses spécifiques tels le clivage et le recours à
l’identification projective si minutieusement décrits par Mélanie Klein. Pour autant il nous
semble possible d’y isoler également le travail plus silencieux de l’identification adhésive
postulée par Esther Bick, et magistralement articulée dans les développements théorico-
cliniques de Geneviève Haag.
En ce début de prise en charge, Alan oscille ainsi de manière frappante entre
bidimensionnelle, caractérisée par la recherche de contacts sensuels avec les surfaces
(CICCONE Albert & LHOPITAL Marc, Naissance à la vie psychique. Modalité du lien précoce
à l'objet au regard de la psychanalyse, Paris, Bordas-Dunod, 1994), une relation au temps
essentiellement circulaire (éléments d’immuabilité), et tridimensionnalité (Donald Meltzer) où
le temps et l’espace deviennent discernables, les espaces internes du Moi et de l’objet se
différencient, tandis qu’apparaissent les premiers produits de l’appareil à penser les pensées
(Bion), racines de l’émergence d’une instance tierce à même de médiatiser l’immédiateté de la
chose en soi (éléments ). Nulle trace cependant du moindre signe d’une position dépressive :
les conflits en présence demeurent largement préœdipiens.
C’est selon ce référentiel, munis de cette boussole qu’émergent nos premières hypothèses de
travail puis l’ébauche de notre prise en charge.
a) Reconstruction du complexe familial.
Nous écartons d’abord un premier projet médical qui consistait à transférer l’enfant vers un
lieu de vie éloigné de 400 Kms de sa famille, et privilégions, en accord avec le service de
l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), le retissage des liens familiaux.
Nous mettons en place une prise en charge à l’Hôpital de Jour et un Accueil Familial
Thérapeutique (AFT) pour soutenir le nouveau placement de l’ASE. Ainsi le projet est
coordonné entre les deux institutions : Aide Sociale à l’Enfance et Pédopsychiatrie.
Nous oeuvrons de concert afin de reconstruire avec l’enfant son histoire et celle de ses
parents :
- Du côté paternel, par des rencontres avec le père en accord avec le service de psychiatrie
adulte qui le soigne, et par des rencontres avec les grands-parents paternels. Le père nous
apprenant qu’il ne voit plus sa famille depuis plusieurs années, nous l’incitons à reprendre
contact avec sa mère, son beau-père, ses frères et sœurs, ce qui enrichit nos points d’appui
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reconstruction des liens affectifs
familiaux car les frères du père sont des personnalités très solides et ont des professions
respectables.
- Du côté maternel, nous rencontrons la grand-mère tous les 15 jours avec l’enfant pour
reparler ensemble de l’évolution de Alan en profitant de relations chaleureuses, tout en
évitant de la laisser dénigrer les parents de l’enfant. Cette grand-mère apporte des photos
de sa fille et des objets qu’elle a aimés.
Nous mettons en place peu à peu, un filet qui va contenir les éléments éparpillés d’histoire de
l’enfant, de liens affectifs positifs ou négatifs pour les mettre en liens, les mettre en sens.
Nous rencontrons dans cette perspective les oncles paternels de l’enfant qui refusent tout
d’abord puis, comprenant le sens de notre démarche, acceptent de rencontrer l’enfant avec
nous en amenant une petite cousine.
Des rencontres sont également organisées chez la grand-mère paternelle que l’enfant n’a pas
vue depuis 5 ans. Des visites sont organisées chez la famille d’accueil qui a élevé le père et qui
transmettent à l’enfant les souvenirs d’enfance du père et des photos.
Il découvre peu à peu des personnes qu’il ne connaissait pas ayant un lien, soit familial, soit
affectif avec lui, sur lesquels il peut s’appuyer pour se construire dans un sens non négatif.
Les troubles du comportement qui ont nécessité son hospitalisation persistent dans les lieux
hospitaliers. L’enfant est maintenu en Hôpital de Jour, 4 fois par semaine et dans ses
moments d’hospitalisation de jour, il peut se montrer violent, dangereux. Il agresse à
plusieurs reprises des soignants infirmiers, éducateurs ou médecins.
Pour soutenir l’équipe soignante, les temps de réunion de synthèse et le travail régulier et
assidu des reprises des groupes thérapeutiques de l’hôpital de jour avec la psychiatre et le
psychologue s’avèrent incontournables et décisifs, que ce soit pour désintoxiquer les résidus
d’éléments générés dans la relation à Alan ou que ce soit pour mobiliser leur appétit de
savoir (mise en branle de la fonction )ou leur capacité de reverie, dans la résolution de
nouveaux problèmes émergeant dans sa prise en charge.
L’accueil familial thérapeutique
Pour contenir la violence de l’enfant, nous nous coordonnons avec l’Aide Sociale à l’Enfance
pour organiser la prise en charge de Alan dans la famille ASE d’une part et les 3jours par
semaine en famille d’accueil thérapeutique d’autre part.
Nous utilisons notre dispositif habituel de fonctionnement de la structure AFT en mettant la
famille d’accueil ASE à la place habituelle de la famille naturelle de l’enfant tout en ajoutant
le retissage des liens avec la famille naturelle.
Ce dispositif consiste en visites à domicile régulières dans les deux familles par un binôme
infirmier différent dans chaque famille et des étayages à l’école ou dans d’autres lieux de vie
ou d’accueil de l’enfant. C’est la mise en commun des éléments recueillis lors de ces
rencontres au cours de la réunion hebdomadaire d’une durée de trois heures de toute l’équipe
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Dr M. REVEILLAUD, F. GUYOD, J. MAHE, J. MAZOUIN, JL. MUTSCHLER
L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
d’AFT qui nous semble être le moment le plus important de notre dispositif. L’équipe d’AFT
comporte 10 soignants, un cadre de santé un médecin psychiatre. A ce personnel travaillant à
temps partiel (environ deux demi-journées par semaine) s’ajoutent ponctuellement à la
réunion hebdomadaire les soignants ayant l’enfant en psychothérapie, en soin à l’hôpital de
jour ou en groupe au CMP
Nous attribuons les effets de restauration psychique des enfants bénéficiant de cette
structure, d’une part aux possibilités d’identification croisées offertes par les rythmes
d’aller et retour dans l’une et l’autre famille, d’autre part à la reconstitution d’une enveloppe
psychique contenante solidifiée . Cette reconstitution se ferait, selon nous, grâce à la
superposition complémentaire et non contradictoire des enveloppes groupales offertes par
chacune des deux familles auxquelles s’ajoutent l’enveloppe groupale scolaire lorsque nous
avons réussi une intégration, puis s’ajoutent encore le travail des équipes de soins des
hôpitaux de jour ou des CMP et enfin celui essentiel de la grande réunion hebdomadaire
Cette réunion qui analyse les interactions de ces différents lieux et réajuste en permanence
le dispositif en fonction des nécessités dictées par tous les mini évènements rapportés en
réunion.
Les différentes enveloppes psychiques vont servir de contenant pour les évènements
corporels et psychiques de l’enfant, effectuant le tri des éléments négatifs et positifs et
l’aidant à s’appuyer sur ces enveloppes contenantes puis à s’approprier ce contenant dans son
propre psychisme. Nous verrons de manière magistrale Alan s’approprier progressivement la
fonction contenante de la superposition complémentaire des différentes enveloppes qui lui
sont offertes.
Les visites à domicile dans les deux familles ont lieu en règle générale deux fois par mois,
mais dans le cas de Alan nous avons augmenté ces visites au rythme hebdomadaire en y
ajoutant des appels téléphoniques quotidiens dans les moments plus difficiles.
Une règle de fonctionnement essentielle dans notre dispositif, est l’absence de contact entre
les deux familles. Dans le cas de Alan la règle s’est appliquée aux deux familles d’accueil ainsi
qu’à la famille naturelle. La grand-mère maternelle avait lors des placements ASE antérieurs
utilisé largement son droit à contacter la famille d’accueil et ces échanges avaient fragilisés
les compétences d’accueil de la famille. La grand mère de Alan se rebelle tout d’abord contre
notre règle de fonctionnement qui la surprend puis au fil des mois constate le confort que ce
fonctionnement permet dans ses relations avec son petit-fils.
Cette règle permet à l’enfant d’utiliser les apports de chaque famille sans être influencé par
les jugements de l’une sur l’autre liés à leur rivalité et nous évitons par ailleurs l’alliance des
deux familles contre l’enfant en ce qui concerne les symptômes difficiles à supporter. Ainsi la
famille d’accueil puise dans sa propre énergie et ses propres expériences ainsi que dans le
soutien que nous lui apportons et non sur l’expérience de la famille naturelle ou de l’autre
famille d’accueil pour supporter les moments difficiles.
Etonnement, Alan bénéficiant de deux accueils différents dans la semaine se révèle non
violent dans l’une et l’autre famille. Il tente cependant de les mettre en rivalité l’une contre
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Dr M. REVEILLAUD, F. GUYOD, J. MAHE, J. MAZOUIN, JL. MUTSCHLER
L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
l’autre. Notre règle de fonctionnement permet de surmonter cette rivalité qui aurait pu être
destructrice.
Nous comprenons que l’enfant, outre les traumatismes, a été prisonnier des discours toxiques
véhiculés sur lui, et sur ses parents. La grand-mère, très affectueuse avec l’enfant parle de
sa mère (sa fille adoptive), en termes assez péjoratifs et critique sans retenue le père qu’elle
n’a jamais accepté.
En évitant les contacts de la grand-mère auprès des deux familles d’accueil et des deux
familles d’accueil entre elles nous évitons que ces deux familles ne soient envahies par ces
représentations négatives et les laissons développer leurs propres stratégies tout en les
étayant dans leurs difficultés.
Le travail de l’équipe de soins se situe essentiellement dans le soutien apporté à la rencontre
de tous ces points d’appui et de ces parcelles d’enveloppes psychiques comblant les trous
laissés par les arrachages répétés et les maltraitances.
Pour Alan outre les visites à domicile faites dans les deux familles d’accueil, des rencontres
hebdomadaires sont organisées avec le père dans le cadre de la musicothérapie, des
rencontres bi-mensuelles avec la grand-mère maternelle, des rencontres avec la grand-mère
paternelle plusieurs fois par an, avec les oncles paternels une fois par an .
Ce tissage permet de parler avec l’enfant et de lui permettre de reconstruire son roman
familial avec tous ses éléments nouveaux dont beaucoup d’éléments positifs. Ce nouveau
roman va prendre une place importante et va combler les trous.
Nous allons relater quelques moments clés de ce montage fragile qui s’est révélé un succès
thérapeutique :
L’AFT chez Mr et Mme L mis en place pour soutenir et compléter le placement en famille ASE
dure deux années exactement et débute quelques semaines avant le placement ASE chez Mr
et Mme B.
Lors des premières semaines M. et Mme L. exigent de Alan qu’il dise « bonjour » »au revoir»
« merci » ce qu’il accepte, mais il préserve son intimité en ne montrant pas la photo de sa
mère, sa trousse offerte par la grand-mère etc. Lorsque Alan s’énerve, Mm L. reste ferme et
maintient le cadre.
Alan n’agresse pas la famille d’accueil alors qu’il frappe dans la journée des enfants ou des
soignants de l’hôpital de jour.
Alan commence à critiquer la famille L. deux semaines après son arrivée chez les B. mais
n’obtenant pas la déstabilisation du projet qu’il a connue lorsqu’il était jeune, il cesse ses
critiques mais les reprendra contre l’une ou l’autre famille de temps à autre. On décèle dans
ses critiques une tentative de manipulation et des éléments de perversité. Parallèlement, il
exprime beaucoup de douleurs somatiques.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 8
Dr M. REVEILLAUD, F. GUYOD, J. MAHE, J. MAZOUIN, JL. MUTSCHLER
L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
Pour exprimer sa colère en famille d’accueil, Alan s’attaque aux objets : il abîme la voiture de
la famille L., détruit des plantes dans la famille B, détruit des plantes également chez des
amis de la famille B.
Les deux familles essayent d’inculquer à Alan des mesures d’hygiène et nous soutenons ce
travail à l’hôpital de jour.
Dès le premier mois chez les deux familles, les rencontres en famille naturelle et les séances
de musicothérapie avec son père sont organisées et les effets de cette reconstruction sont
observés dans les deux familles d’accueil.
Pour le premier Noël de cette période, Alan demande à rester chez les B.
Une réflexion concernant les destructions matérielles de Alan nous mène à décider de lui
demander sa participation financière à l’indemnisation.
Le traitement neuroleptique très important qui a été prescrit avant l’arrivée de Alan est un
élément de discussion car il ne diminue pas vraiment le risque de violence ; Il aggrave par
contre le comportement boulimique et le surpoids qui menace de devenir de l’obésité. Chaque
tentative de diminution entraîne des réactions de protestation des personnes qui craignent sa
violence. Ce problème est la cause d’une perte de confiance d’une partie de l’équipe infirmière
qui porte plainte contre le médecin auprès de son syndicat.
C’est en maintenant coûte que coûte la diminution très progressive qu’on réussira en 18 mois à
changer ce traitement.
La réintégration scolaire est un difficile projet soutenu par tous les partenaires. Nous
réussissons à envoyer Alan à l’école une heure par jour en classe de CM1 où se révèle son
incapacité à l’effort. La fierté qu’il ressent d’être à nouveau un élève, l’aide à se contenir
pendant une heure et à effectuer le travail que lui demande sa maîtresse.
Pendant les vacances scolaires, le cahier de travail scolaire permet un maintien de l’effort
intellectuel de Alan dans ses trois lieux(l’hôpital de jour et les deux familles d’accueil)
L’année scolaire suivante est beaucoup plus compliquée à organiser puisque Alan a atteint l’âge
du collège ! Il est orienté en Segpa mais l’intégration partielle au collège se révèle très
difficile avec des exclusions répétées et peu de progression dans le comportement car Alan
est confronté à la violence des autres élèves et a du mal à contenir la sienne.
Les deux familles d’accueil soutiennent les déconvenues et comblent les temps d’exclusion et
un étayage au cours des récréations est organisé avec la participation des soignants de
l’hôpital de jour.
Au cours des huit premiers mois chez les B., éclatent des crises toujours en lien avec
l’agressivité de Alan envers les objets parfois envers les personnes. Ces crises entraînent des
synthèses avec les responsables de l’ASE. Le soutien que nous apportons à la famille B. (de
l’ASE )et l’augmentation des temps d’accueil dans la famille L( de notre structure)
permettent à chaque fois de surmonter les crises.
Alan participe progressivement aux petits travaux dans l’une et l’autre famille et en est fier.
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L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
Peu à peu Alan peut renoncer à ses attitudes toutes puissantes, parler de sa tristesse d’avoir
perdu sa mère. Après un an et demi, il pleure au lieu de recourir à la violence.
A l’âge de 13 ans, la rentrée scolaire est toujours un problème et l’intégration se fait
difficilement mais Alan peut s’exprimer de manière très élaborée, il n’a plus de
comportements dangereux, il a le soutien continue de sa famille naturelle et nous arrêtons
l’AFT. Alan reste uniquement chez les B.
b) Rencontres avec le père réel et sollicitation de la fonction paternelle symbolique.
Un espace thérapeutique père-fils est mis en place sous forme d’un atelier de
musicothérapie, une fois tous les quinze jours, et encadré par une infirmière de l’hôpital de
jour et un musicothérapeute. Trois moments peuvent être retenus afin de décrire la manière
dont Alan s’est peu à peu réapproprié son père réel et quelques bribes de la fonction
paternelle symbolique dans un tel bain musical.
D’abord, il doit être recadré et sécurisé constamment : il recherche le contact
physique avec son père, souvent avec insulte et violence. Il lui écrase les pieds, lui tire les
cheveux, les oreilles. Le père, en grande quête affective, cherche fréquemment à
l’embrasser, mais ne peut répondre à ses attaques. D’une manière générale, il devient
toujours plus insultant vis à vis de son père, et lui reproche d’avoir tué sa mère (discours tenu
par la grand-mère maternelle), de ne pas l’avoir aimé petit enfant. Le père reste sans
réaction. Ces épisodes conduisent à un resserrage strict du cadre. Les séances sont
interrompues dès qu’il y a violence, et les interdits sont nommés face à son père.
Toutefois, le travail de retissage de liens fait avec la famille paternelle et la famille
d’accueil où était placé son père, commence à porter ses fruits. Les rencontres de Alan avec
ces personnes permettent de modifier l’image de fou qu’il porte sur son père. Son père lui
même semble tirer bénéfice de la prise en charge : sa dernière hospitalisation remonte à plus
d’un an alors qu’il était hospitalisé à sa demande environ toutes les six semaines jusqu’alors.
Une bascule s’opère et inaugure le deuxième moment de la prise en charge : un certain
respect s’actualise entre le père et le fils autour du piano. C’est alors que Alan nomme pour la
première fois son père « papa ». De la même manière et toujours pour la première fois, le
père exprime son opposition à son fils quelques séances suivantes, lorsque Alan demande à
rester seul avec lui. Le départ est alors mouvementé : Alan se jette dans les bras de son
père, pleurant à chaudes larmes, et le supplie de le garder avec lui. Il s’ensuit une série
d’échange de cadeaux (montre, bague, argent placé sur un compte par le père pour Alan) et
une demande reconnaissance du père qui propose à son fils de se faire baptiser (inscription
dans une filiation).
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L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
Le troisième temps est alors le parfait envers du premier. Alan répète les contacts
physiques avec son père, mais avec mesure, sans exubérance ni intrusion. Il s’allonge sur ses
genoux, se laisse tomber sollicitant son père pour qu’il le soutienne et le rattrape. Le père se
prête sans difficultés à ce rapprochement. Alan dit au revoir à son père avec tendresse.
Désormais, les rencontres du père et du fils n’auront plus lieu seulement dans le cadre
thérapeutique de la musicothérapie, mais aussi autour de repas ou de sorties à partir de
l’hôpital de jour.
c) Psychothérapie : mobilisation de suppléances à la fonction paternelle.
Relevant l’intérêt que Alan manifeste pour comprendre son histoire, à élaborer des
éléments de pensées et à les mettre en lien, nous décidons de lui proposer une
psychothérapie avec le psychologue. Une règle lui est posée au principe de ce nouveau
dispositif thérapeutique : le seul acte autorisé dans cet espace est l’acte de dire.
Cette règle sera respectée mais au bout d’une dizaine de séances. Les premières
rencontres prennent la forme des psychothérapie kleiniennes, durant lesquelles Alan se livre
à une œuvre de destruction : il ouvre systématiquement les fenêtres avec violence et fracas ;
il envoie valdinguer le mobilier de la salle de séance, touchant comme sans faire exprès mes
jambes, mes pieds, venant se blottir sur mes genoux avec la volonté d’entrer dans mon corps ;
il demande régulièrement à fixer mon regard en tête à tête, silencieusement, sans aucun
geste, et de rester ainsi aussi longtemps que possible ; il m’assène des gifles magistrales,
propose régulièrement de se livrer à des bras de fer ou des jeux de barbichette.
Dès les premières séances, il lâche : « Je veux que ma mère ressuscite et vivre
éternellement avec elle Je veux que mon père meure, il a fait des choses ignobles, il m’a
battu et il a battu ma mère ». Plus tard il reprend : « Mon père a des yeux verts de vipère,
parfois il fait peur ».
En venant à une séance, il hurle de toutes ses forces, s’approche de mon oreille et me
tympanise. Il parle fort, « c’est pour marquer son territoire », précise-t’il. Il refuse
l’interruption de séance, me colle et me serre tandis que je le raccompagne à l’hôpital de
jour : subrepticement il me donne un coup dans les parties génitales.
La séance suivante et pour la première fois, Alan est détendu, mais aussi soucieux. Il
me demande de lui trouver l’idée d’un métier : je l’invite à y réfléchir aussi. Détective privé,
décidera-t-il.
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L’AFT séquentiel pour soutenir le placement famlial de l’ASE dans la prise en charge d’un enfant violent :
reconstruction des liens affectifs
Et les investigations démarrent. Alan ne cherchera plus à m’agresser, envahir mon
corps ou détruire la salle de séance. Désormais, il redouble d’efforts :
1) pour endiguer et transposer sur le plan des pensées la délocalisation des jouissances
de corps qui le traverse sur un mode hypocondriaque (« je ressens des choses dans mon corps
que tu ne peux pas comprendre ». Il poursuit : « Des fois j’ai mal dans tout le corps et je me
sens lourd. J’ai mal à la tête mais c’est pas comme quand j’ai de la fièvre (il me désigne l’arête
sur le sommet du crâne), j’ai mal partout, dans les genoux, dans tout le corps »);
2) pour donner sens au vécu paranoïde qui l’assaille, en empruntant à diverses sources
de quoi le métaphoriser (paléontologie, films (« Mars attack », « E.T. », « Stars War »),
ouvrages pour enfants (« Il y a un cauchemar dans mon placard »), religion ). Il exige que
j’écrive scrupuleusement le détail de ses chiffrages ;
3) et pour palier enfin la signification phallique qui lui fait défaut.
Voilà où en est Alan dans sa psychothérapie, avec une extension croissante de sa
capacité à penser les pensées. C’est en effet le problème relatif à la fonction paternelle qui
le préoccupe en ce moment, mais fait nouveau et d’importance, il cherche à présent à
construire un moyen pour se pacifier la haine vengeresse du père qui désirait sa perte ou sa
mort.
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ème
congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
1
Dr Martin PAVELKA
Pédopsychiatre, Unité d‟Accueil Familial Thérapeutique, E.P.S. Barthélémy Durand, Sainte
Geneviève-des-Bois
Sylvie DENIZET
Infirmière psychiatrique, Unité d‟Accueil Familial Thérapeutique, E.P.S. Barthélémy Durand,
Sainte Geneviève-des-Bois
AXE n°3 « IDENTITE ENTRE FAMILLE D’ORIGINE ET FAMILLE D’ACCUEIL »
« Le plongeon dans le sac »
L’enveloppe matérielle et humaine de la médiation
Dans notre Unité d‟Accueil Familial Thérapeutique, qui fait partie d‟un secteur public de
Pédopsychiatrie de l‟Essonne nous soignons majoritairement les enfants qui ont dû être
séparés par le Juge de leurs parents, qui en raison de leurs graves troubles de parentalité,
imposent à leurs enfants les carences ou maltraitances, qui sont nocives dès le développement
précoce. Face aux troubles mentaux et troubles de personnalité des parents, notre objectif
premier est le soin et la prévention chez leurs enfants d‟une évolution vers un trouble grave
de la personnalité, vers un trouble envahissant, voire le repli autistique.
Les enfants de notre service sont accueillis de manière permanente continue - souvent depuis
le jeune âge - en familles d‟accueil. Parallèlement au soutien du lien d‟attachement avec les
accueillants, notre équipe met l‟accent sur l‟accompagnement aménagé des liens des enfants
avec leurs parents. Non pas parce que c‟est le droit, mais parce que l‟expérience montre que
cela contribue à l‟évolution favorable des enfants séparés.
Notre dispositif de soins inclut, quand c‟est indiqué, la pratique de médiation des
rencontres enfant/parents. C‟est sur ce point que nous nous focaliserons, sur le cadre et les
mécanismes d‟action préventive et thérapeutique de la médiation, de ce que nous avons
rebaptisé pour les besoins de cet atelier l‟enveloppe matérielle et humaine de la médiation.
Nous nous appuierons sur une vignette clinique. Notre expérience se base sur une activité
annuelle d‟une centaine de rencontres parents-enfants qui sont médiatisées par les soignants.
BREVE HISTOIRE DE LA SITUATION
Jean et Nelly ont aujourd‟hui 16 et 18 ans. Ils ont une sœur âgée de 22 ans qui n‟a pas été
suivie par notre service. Ils ont été tous les trois brusquement séparés de leurs parents, plus
d‟1 an et ½ après le premier signalement, par l‟ordonnance du juge à l‟age de 4 et 6 ans car ils
ont fait l‟objet d‟agissements incestuels induits par les troubles de la personnalité du père.
Nelly les a révélés dans ses dessins à l‟école. La dysparentalité de la mère est également
sévère en raison de la psychose déficitaire qu‟elle présente associée à l‟époque à l‟alcoolisme.
L‟installation de Jean et Nelly en famille d‟accueil à l‟âge de 7 et 9 ans a été lente, suite à une
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congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 2
M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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série de changements d‟accueils institutionnels qui précédaient leur admission dans notre
unité.
Les liens avec leurs parents ont été maintenus. Avec le père, dans un centre de rencontres
« agrée justice ». Avec la mère, les rencontres sont assurées par notre équipe. Le mode
relationnel de Nelly et Jean a été marqué par l‟idéalisation de leurs parents, phénomène que
développe Maurice BERGER. En effet, les enfants sont à cette époque dans l‟illusion et
l‟attente du retour chez les bons parents. Cette idéalisation est fort connue et il ne faut pas
en négliger sa puissance. Comme si, après une rupture brutale, sans préparation ni
accompagnement, l‟élaboration de la séparation avait été gelée et les enfants s‟étaient figés
dans l‟attente du passé idéalisé.
A cette époque, Jean présentait un retard global du développement, son niveau
d‟apprentissage a retardé son entrée au C.P. et son comportement exprimait des troubles de
personnalité plus profonds. A partir de son accueil en milieu familial, ses difficultés ont
évolué favorablement.
Nelly a dû retourner en maternelle après une tentative de C.P. devant son manque de maturité
pour les apprentissages scolaires, puis elle a redoublé son C.P. avec un projet d‟entrée dans
une classe spécialisée. Finalement, après l‟accueil en milieu familial, elle a commencé à
développer sa curiosité et à suivre, même si laborieusement, une scolarité ordinaire.
Leur mère a été suivie par un service de psychiatrie et fréquentait un hôpital de jour. Les
agissement sexuels du père n‟ont pas fait l‟objet d‟un jugement. Seule la mesure de
séparation protectrice (OPP) a été effectuée.
Et c‟est donc dans ce contexte familial, qu‟il y a 8 ans, nous avons commencé à médiatiser les
rencontres des enfants avec leur mère sur le mode qu‟on va détailler.
Mais d‟abord quelques remarques théoriques sur le lien pathologique.
LIEN ENFANT/PARENTS ET LA DYSPARENTALITE
Les personnes gravement dysparentales, souvent souffrant d‟une pathologie psychique, sont
défaillantes, selon les repères de Didier Houzel, 1/dans leur capacité de soin parental
quotidien, 2/dans la manière de penser l‟enfant et soi même et 3/dans l‟aptitude à tenir le
rôle social de parent.
La relation avec leur enfant est de nature à créer un attachement hautement pathologique.
Leur lien se tisse déjà avant la décision de séparation, peu importe sa précocité. Le
développement postnatal du bébé est non seulement entravé par les interactions
dysfonctionnelles mais il serait marqué déjà intra-utéro, comme le postule Suzanne Maiello,
où le fœtus a été exposé aux manifestations du monde psychique de sa mère et les aurait
engrangées voire mémorisées.
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congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 3
M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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Notre conception d‟accompagnement et de soin part de l‟idée que le lien entre ce type de
parents et leur petit comporte schématiquement deux aspects intriqués :
D‟abord un aspect favorable, touchant à la conception et transmission de la vie, fondateur
de l‟affiliation et de l‟assise identitaire, touchant à la question d‟origines qui dépassent la
vie individuelle de l‟enfant comme du parent. Cet aspect est souvent masqué et saboté par
le deuxième.
Ce deuxième est l‟aspect nocif, générateur de la pathologie du lien, et des
dysfonctionnements psychiques du bébé et de l‟enfant. Ceux-ci se renforcent à chaque
exposition à cette dysparentalité. Ils compromettent le développement de l‟espace psychique
de l‟enfant.
C‟est ce deuxième, l‟aspect nocif de la dysparentalité, avec l‟incapacité du parent, malgré
l‟aide, d‟établir une interaction dyadique favorable, qui appelle et justifie la décision de
séparation, avec l‟accueil de l‟enfant dans la famille suppléante. Cette séparation évite à
l‟enfant l‟aggravation de la psychopathologiques voire assure sa survie.
Toutefois, l‟acte de séparation protectrice seul non seulement n‟est pas soignant, mais il a
des effets secondaires dus à la rupture du lien, même pathologique. C‟est pourquoi il faut que
le moment même de la séparation soit préparé, accompagnée et travaillée, ce qui a manqué
chez Nelly et Jean. Mais, dans ces dysparentalités graves, la distanciation reste le préalable
à tout soin
C‟est la considération du premier aspect favorable du lien (touchant à l‟affiliation, l‟identité,
les origines) qui répond à la question - pourquoi, malgré les dangers, le maintien des
rencontres dans des conditions aménagés après la séparation est favorable pour l‟enfant ? Le
matériel clinique rassemblé en France mais aussi aux Etats-Unis, témoignent dans ce sens.
C‟est forts de ces constatations théorico-cliniques que nous soutenons l‟hypothèse de l‟impact
préventif et thérapeutique de lenveloppe matérielle et humaine que constitue la médiation.
JEAN, NELLY ET LEUR MERE
Revenons à notre exemple. Les rencontres médiatisées entre Jean, Nelly et leur mère durent
1 heure au rythme de 2 fois par mois dans une pièce de notre Unité, située dans un pavillon
individuel.
Pendant ces rencontres, il y avait plusieurs atmosphères, plusieurs ambiances, qui pouvaient
alterner de l‟une à l‟autre, que je vais tenter de vous transmettre.
La maman pouvait avoir des moments d‟absence psychique. Elle était assise parmi nous sans
contact visuel ni verbal. Elle ne montrait aucune curiosité en ce qui concernait leur quotidien
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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et ils avaient beaucoup de mal à s‟écouter les uns les autres. Souvent dans ces moments-là,
Jean et Nelly étaient agités et se disputaient en tenant des propos blessants l‟un envers
l‟autre. Comme s‟ils cherchaient à faire réagir leur mère ou à la réanimer, Mais ces échanges
ne la faisaient pas changer de comportement.
A d‟autres moments, la mère et les enfants pouvaient avoir des mouvements de
revendication. Ils me disaient que je les dérangeais, que ça se passerait mieux si je n‟étais
pas là et qu‟ils n‟avaient pas besoin de moi. Qu‟1 heure de rencontre ce n‟était pas suffisant,
alors qu‟il arrivait à leur mère de montrer des signes d‟impatience au bout de quinze minutes.
Quant aux enfants, ils pouvaient dire qu‟ils ne savaient pas quoi faire, qu‟ils s‟ennuyaient. Dans
ces moments là je faisais l‟objet de projections hostiles, par exemple Jean et Nelly me
renvoyaient qu‟ils ne comprenaient pas mon métier, que je ne servais à rien et fréquemment
aussi ils me faisaient des remarques désagréables sur mon apparence physique et
vestimentaire ou encore me disaient que j‟étais folle.
Ces moments décrits ci-dessus alternaient avec des moments de « collage » sans mot entre
la mère et la fille. Par exemple, Nelly pouvait passer un long temps de la rencontre à coiffer
sa mère. Cela me surprenait toujours car Nelly ne semblait pas gênée et surtout ne semblait
pas s‟apercevoir de l‟aspect physique et vestimentaire très négligé de celle-ci. Cela semblait
être pour elles deux, un mode de relation familier et ancien qu‟elles remettaient en place à
chaque nouvelle rencontre. Le collage entre Nelly et sa mère semblait combler le vide de leur
relation. Nelly était comme « aspirée » par ce vide, comme si elle était incapable de penser et
d‟agir par elle-même.
Mais ce qui était très significatif, c‟était d‟autres moments où Madame ne montrait aucune
pudeur ni limite. Il lui arrivait de faire des confidences à ses enfants sur son intimité
(racontant son dernier rendez-vous amoureux) ou encore lorsqu‟on jouait aux petits chevaux,
elle pouvait érotiser ce jeu en insistant sur l‟expression « sauter » accompagné d‟une
excitation qui semblait la réveiller et la sortir de sa passivité. Ce climat, plus encore que les
autres, était source de sidération pour moi avec, on peut l‟imaginer, des effets similaires sur
les enfants.
Quant à Jean, son mode de relation avec sa mère était différent de celui de sa sœur. Il était
peu investi par elle. Il arrivait que Madame apporte un cadeau à Nelly sans en apporter à
Jean. Lors des premières rencontres médiatisées, Madame pouvait tourner le dos à Jean et
ne pas lui adresser la parole durant une longue période, comme si elle ne le voyait pas, qu‟il
n‟existait pas. Notons, que lors d‟un entretien, et probablement devant les enfants, Madame a
pu à la fois dire « je ne désirais pas de garçon » et « les garçons c‟est pas mon truc ».
Jean avait donc du mal à rester une heure entière dans la pièce. Il lui arrivait fréquemment
de sortir dans le couloir, il pouvait sauter au cou de la première personne qu‟il y rencontrait,
comme s‟il la connaissait depuis toujours. Jean avait aussi des difficultés pour se concentrer
et accepter les règles d‟un jeu. Il pouvait passer d‟une idée à l‟autre sans transition. Lors des
disputes, avec sa sœur, il se mettait très en colère et semblait débordé par ce qu‟il
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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ressentait.
L’ENVELOPPE DE LA MÉDIATION SON CADRE ET SES EFFETS
Nous tenons à vous parler de l‟organisation concrète des rencontres médiatisées, du
contenant auquel nous tenons pour son effet soignant préventif et curatif, et qui permet à
tous les intéressés de faire avec les ambiances qu‟on vient de décrire.
Chacune des séquences du déroulement de la rencontre est pensée pour favoriser le soin,
favoriser au mieux chez l‟enfant la capacité très progressive de faire face et de soutenir,
puis rendre conscients les affects et les pensées survenues avant, pendant et après sa
rencontre avec ses parents. Il les a vécu bien avant la séparation protectrice mais n‟a pas pu
les intégrer.
D’abord, la rencontre n’est pas faite pour être le lieu d’échanges entre les
parents et la Famille d’accueil. Ce n’est pas le moment. L’architecture et la
circulation dans les locaux y sont adaptés.
Cela permet d‟éviter l‟expérience confuse générée par un
face-à-face Parents/FA en présence de l‟enfant.
Paradoxalement, c‟est une prévention du clivage entre les
deux espaces relationnels spécifiques, FA & parents, qu‟a
crée la séparation protectrice.
Quand cela arrive quand même par ex. chez un bébé, son
regard « valse » confusément et s‟accroche souvent sur un
tiers, comme une référente ou éducatrice. Quand l‟enfant
marche, le plus souvent il tente de quitter les lieux. On
s‟emploie à l‟éviter.
La famille d'accueil accompagne l’enfant 1/4 H avant le début dans la pièce
des Assistantes Maternelles par une entrée séparée.
Là a lieu un échange bref entre l’Assistante maternelle et les soignants
avant la rencontre.
Cet échange en sa présence tend à éviter à l‟enfant le
sentiment de discontinuité d‟étayage grâce à ce relais
d‟une référence adulte avant de voir ses parents.
La transition de l‟assistante vers les référents est
baignée de mots sur le quotidien immédiat qui font le lien
et enveloppent.
Chaque fois que nos moyens le permettent, nous préférons
aller chercher l‟enfant en Famille d‟accueil.
Quand l’Assistante familiale quitte les locaux l’enfant entre avec ses
référents dans la pièce de médiation.
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congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 6
M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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C‟est le temps d‟adaptation,
d‟ajustement psycho-affectif de
l‟enfant dans le lieu de la rencontre..
Les parents viennent en salle d’attente, seuls ou accompagnés de leurs
propres référents, qui eux n’assisteront pas à la rencontre.
Les parents ainsi bénéficient d‟appui disponible en arrière
plan. Car malgré leurs troubles, les « parents » ne sont pas
reçus par nous en tant que « patients ».
Pendant la rencontre il arrive que les parents vérifient
leur présence : « Sont-ils là ? », « Le taxi est-il arrivé ?
Un des référents vient à la rencontre des parents, l'autre restant auprès
de l’enfant.
Ces instants permettent une évaluation discrète de leur
état clinique. C‟est la prévention de la répétition
traumatique des interactions traumatiques en cas de
rechute des parents. Certains parents utilisent ce moment
pour parler d‟eux, leurs angoisses, ou pour contester le
Juge, défier les soignants, etc
Cela leur permet ensuite de mieux se contenir
devant l‟enfant et les interactions sont de meilleure
qualité.
Une fois, à cette occasion la mère de Nelly a montré aux
soignants la bande dessinée « Fluide glacial » qu‟elle a
apporté pour Jean. Les référents ont pu prévenir ce
passage à l‟acte incestuel, en l‟amenant à garder ce cadeau
qu‟elle a reçu pour elle, d‟une de ses connaissances. »
Ensuite le parent entre dans la pièce de médiation avec le référent qui l'a
accueilli et qui va rester tout au long de la rencontre.
A ce moment très important se joue pour l‟enfant la
confrontation à l‟image du parent (parfois effacée quand il
était absent longtemps) et pour le parent la confrontation
à son enfant réel, très différent de celui qu‟il porte dans
sa tête.
Ces moments où l‟enfant imaginaire qu‟ils viennent visiter
ne colle pas avec l‟enfant réel en face d‟eux, qui est mal
supporté voire non perçu, sont très fréquents et
nourrissent chez les parents les vécus persécutifs, de
perplexité ou d‟abandon.
La pièce est équipée selon l’âge de l’enfant et offre les moyens d’ajuster la
distance. (berceau, cosy, tapis, table basse, etc..
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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Les jeux et jouets facilitent les interactions d‟un niveau
adapté à l‟âge de l‟enfant. Le berceau, cosy, tapis de jeu,
table basse permettent aux enfants de régler la distance
pour éviter l‟étau fusionnel.
Le déroulement de la rencontre suit les initiatives des parents et des
petits. Deux soignants présents permettent à l’enfant et aux parents de
bénéficier d’interlocuteurs distincts.
Le rôle des référents n‟est pas d‟initier mais de soutenir
les initiatives, si nécessaire. Ca reste quand même une
visite, une rencontre. Ce en quoi elle contribue au soin
c‟est ce que nous tenons autour de ce réel, en le
médiatisant.
La présence de deux référents s‟adapte à la
psychopathologie du parent d‟un côté et les initiatives de
l‟enfant de l‟autre. Si le parent devient par ex. hostile
avec un référent l‟enfant s‟appuie sur l‟autre, et l‟effet
filtrant, pare-excitant, qu‟il propose.
C‟est aussi la prévention de la rivalité parentenfant face
à un seul tiers.
A la fin, c’est le parent qui fait « au revoir » et sort le premier de la pièce
pour partir seul ou avec ses accompagnateurs.
Ce moment de la rencontre renvoie constamment à l‟acte
de séparation protectrice. Si on invitait l‟enfant de faire
« au revoir », on le pousserait à jouer un rôle actif dans ce
qui génère l‟angoisse de séparation ou d‟abandon, mêlé à la
culpabilité d‟abandonner et de ne pas soigner son parent.
Aussi, le départ du parent (qui rejoint ses référents)
n‟accentue pas la parentification de l‟enfant. Il nous
semble que ces dynamiques sont valables dès le premier
âge.
Une fois l’enfant seul avec ses référents, ils ont l’occasion d’évoquer
ensemble les contenus marquants de la rencontre qui méritent une évocation
explicite ou une clarification du sens.
Le fait qu‟il s‟agisse de référents connaissant son histoire,
et avec une expérience de la pathologie des parents, est
ici fondamental et différencie notre travail des
« rencontres accompagnées » dans le champ social.
C‟est un moment de verbalisation des aspects
significatifs nocifs ou nourrissants de la rencontre.
Un grand casier personnel est disponible pour chaque enfant, où peuvent
être entreposés les objets d’une rencontre à l’autre. Dessins, jouets.
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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Y déposer les objets permet à l‟enfant de modérer leur
circulation entre l‟espace relationnel de la FA et le lieu de
rencontre de ses parents. Il s‟agit de dessins, jouets,
jeux, cartes, etc.
La famille d'accueil arrivera plus tard.
L‟arrivée de l‟Assistante familiale permet un nouvel
échange d‟"après-médiation" pendant lequel les référents
restent aussi discrets que possible sur le contenu de la
rencontre.
Après le départ de l‟enfant ils prennent un temps de post-
médiation pour reparler et prendre des notes sur le
déroulement, les échanges, leurs sentiments.
Les deux mêmes soignants référents mènent les
médiations successives pour un même enfant.
Nous insistons sur ce souci de continuité/rythmicité pour
l‟enfant, de la facilité de faire les liens d‟une fois sur
l‟autre et donc soutenir l‟historicité des rencontres. Le
« Vous vous souvenez ? » des soignants peut faire revenir
des événements récents ou bien éloignés dans le passé.
Cette constance du milieu référent assure l‟enveloppe qui
favorise chez l‟enfant le processus d‟intégration et
continuité externe et interne face au parent.
Cette constance permet aux soignants de ne pas se
retrouver englués dans les répétitions induites par la
pathologie parentale, qui sinon seraient bien plus difficiles
à repérer et élaborer.
Lors de l’entretien ultérieur avec les parents en absence de l’enfant mais en
présence du médecin référent, les éléments des rencontres sont remémorés,
et repris quand les parents l’acceptent.
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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Il n‟a pas lieu le même jour. Tout dépend d‟une
confiance suffisante entre les parents et l‟équipe. Souvent
les parents oublient ou refusent de venir, d‟autres
l‟utilisent pour parler d‟eux, ou pour contester.
Les soignants référents bénéficient du temps
d’élaboration.
Pendant la rencontre ils reçoivent les projections, font
face aux symptômes des parents, leur psychisme est
fortement sollicité.
Alors, la réunion de « reprise », d‟élaboration de la
pratique, en présence d‟un psychologue ou pédopsychiatre,
permet aux référents d‟évoquer le déroulement des
rencontres, leurs sensations, sentiments, réactions,
mettre en récit des vécus sidérants, s‟interroger et mieux
identifier les climats relationnels qui les ont induits. Ils
pourront alors mieux les appréhender à l‟avenir, et
maintenir leur vitalité au moment où ça se reproduira, user
les mots plus justes à partir de leur ressentis.
C‟est le fondement de la dimension préventive et
thérapeutique de cette pratique.
Naturellement, il ne s‟agit pas d‟une élaboration
personnelle des résonances avec l‟inconscient des
référents. Ce n‟est pas le lieu.
« Stabilité, continuité, progressivité, élaboration » sont des caractéristiques structurelles et
dynamiques de la médiation, afin d‟assurer la sécurité psychique pour l‟enfant et les
conditions rassurantes pour les parents. Ceci étant dit, les repères du cadre sont aussi là
pour être tantôt malmenés, transgressés ou assouplis. Mais même malmenés, ils exercent leur
fonction d‟enveloppe contenante.
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« LE PLONGEON DANS LE SAC »
Afin d‟illustrer l‟effet curatif et préventif que peut avoir la médiation des rencontres, j‟ai
choisi de vous raconter un des nombreux éléments cliniques que j‟ai rencontré durant ces 10
ans de médiations. J‟intitulerai ce fragment « le plongeon dans le sac » :
La première chose que faisait Nelly en entrant dans la pièce de médiation, sans mot, c‟était
d‟ouvrir le sac à main de sa mère, comme si c‟était leur façon d‟entrer en relation. Nelly
plongeait systématiquement dans ce sac à main et regardait tout son contenu. Il n'y avait
aucune parole échangée entre la mère et la fille. Nelly citait tous les objets qu‟elle trouvait
dans le sac. Cette liste, semblait être adressée à tous et à personne en particulier. Il n‟y
avait aucune réaction de la mère, pas un mot, peut être une certaine jubilation. Jean, ne
participait pas à l‟exploration du sac. Même s‟il était souvent sorti de la pièce, il en était le
témoin.
A chaque fois que cela se produisait, je ressentais d‟abord un malaise, sans pouvoir
l‟identifier et sans pouvoir verbaliser quoi que ce soit pour les enfants. Ce malaise devait être
visible à travers mes attitudes et les enfants ont pu le percevoir.
Chaque médiation débutait par le « plongeon de Nelly dans le sac » dans les climats que j‟ai
essayé de vous décrire tout à l‟heure. C‟est comme s‟ils me montraient à voir des choses de
leur fonctionnement familial, je les voyais, je les constatais, les ressentais mais je n‟arrivais
pas à élaborer ni à penser. C‟est comme si moi aussi, j‟étais « collée » à ce que je voyais sans
pouvoir mettre des mots. Mais, si moi, j‟étais engluée dans cette dynamique familiale, je
pouvais déjà entrapercevoir ce que les enfants peuvent vivre et ressentir en présence de leur
mère.
En fait, je réalisais que ce n‟est pas seulement parce que j‟étais dans une pièce avec une mère
et ses enfants que je médiatisais la rencontre, ou que je faisais tiers. Ce sont mes ressentis
qui comptent et les enfants les perçoivent bien, à travers mes postures, mimiques, gestes et
paroles. Toutefois, c‟est cette prise de conscience qui est la base du rôle thérapeutique et
préventif que je peux jouer auprès des enfants.
Je me suis alors servie d‟une réunion de reprise, où j‟ai évoqué l‟impression que Nelly voulait
entrer entièrement dans le sac de sa mère, sans notion des limites et de l‟ordre de ce qui est
intime et personnel. Grâce à cet espace de réflexion, j‟ai compris que l‟origine de mon malaise
et de mon empêchement de penser pendant les rencontres provenait d‟un climat incestuel.
Parallèlement aux médiations, le travail de reprise continue. Ceci m‟a permis de mettre des
mots sur des ressentis et donc de me « décoller » de ce que j‟observais pendant les
rencontres et ainsi, j‟ai pu plus tranquillement renvoyer, faire des liens, mettre du sens.
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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Par exemple, pour reprendre mon illustration, j‟ai pu exprimer que cela me dérangeait, qu‟un
sac à main est un objet personnel et que dedans il y a nos petits secrets, que cela fait partie
de l‟intime. Je le disais à chaque fois que cela se produisait et j‟interpellais Madame à ce
sujet : « Qu‟en pensez-vous ? Cela ne vous dérange pas que Nelly fasse cela à chaque fois ? »
et la mère me répondait inlassablement la même chose ! « Je ne peux pas l‟en empêcher si elle
en a envie ».
Lors de ce travail de reprise j‟ai pu aussi, entre autres, évoquer toutes les projections
hostiles des enfants et ainsi j‟ai pu comprendre que je leur servais de mauvais objet externe
de projection.
Dans l‟intérêt des enfants, ces temps de réflexion et d‟échanges me sont indispensables. Ces
« retours » et « arrêts sur image » me permettent de mieux identifier mes ressentis, voir
malaises ou découragements, et donc de mieux les appréhender.
EFFETS PRÉVENTIFS ET THÉRAPEUTIQUES DE LA MÉDIATION
Quand la médiation est effective elle a l‟impact curatif et préventif dans les domaines
suivants :
- Elle permet d‟éviter les échecs répétitifs des interactions et les traumatismes psychiques à
répétition qui en résultent chez l‟enfant.
- Elle protége l‟enfant du recours au repli relationnel, ou dans la fusion avec le parent.
- Elle préserve l‟enfant de l‟empiétement par les interventions parentales.
- La médiation tend à contrecarrer l‟installation du mode d‟attachement pathologique (Mary
Dozier)
- Elle réduit la tendance à la parentification de l‟enfant, car il n‟est pas seul face aux
sollicitations du parent.
- Sur le plan fantasmatique, elle réduit la défense par l‟idéalisation des parents, ou à
contrario leur dénigrement et réel rejet.
- Leur tenue permet d‟éviter le vécu de perte d‟Objet primaire aux conséquences d‟autant
plus terrifiantes et dépressogènes que cet Objet était défaillant.
ALORS SEULEMENT, « l‟aspect favorable » du lien enfant/parent devient opérant, s‟ouvre
pour l‟enfant l‟accès à la partie saine des parents, des parties préservées de leurs capacités
parentales. Cela favorise les processus complexes d‟attachement, d‟affiliation et de
transmission favorables.
ALORS SEULEMENT, et à la longue, l‟accompagnement thérapeutique peut éviter le clivage
des Imagos parentales dont l‟élaboration s‟appuie non seulement sur la Famille d‟accueil, mais
également sur les parents. L‟accompagnement thérapeutique ainsi facilite l‟affiliation, face au
problème de la double appartenance et la complexité de ce qui est familier.
ALORS SEULEMENT il est concevable, si le développement de l‟enfant le nécessite, de
proposer des rencontres, visites ou hébergements non médiatisés.
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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TRANSFORMATIONS CLINIQUES
2 ans se sont écoulés depuis (que) le(s) plongeon(s) dans le sac on(t) cessé ; les rencontres
sont plus paisibles et leur contenu a changé.
En effet, les discussions entre les enfants et leur mère s‟ouvrent vers l‟extérieur et ne sont
plus centrées exclusivement sur eux-mêmes. Maintenant les enfants lui montrent par
exemple leurs dernières productions scolaires ou des disques qu‟ils aiment.
Nelly et Jean sont beaucoup moins dans l‟agir mais plus dans le langage, c‟est à dire qu‟ils
peuvent rester autour d‟une table, jouer, échanger, exprimer leurs ressentis par rapport à
leur quotidien. Ils peuvent aussi être de temps en temps critique vis-à-vis de leur mère.
Jean peut maintenant rester l‟heure entière dans la pièce. Les séances de coiffage entre la
mère et la fille ont disparu.
Cependant, les rencontres ne sont pas si simples. Il reste encore des moments difficiles liés
à la pathologie toujours présente de la mère, suscitant des situations qui doivent être
accompagnées.
C‟est dans ce climat que, 6 ans après la première rencontre médiatisée, se produit un « fait »
rappelant le « plongeon dans le sac ».
Jean avait besoin d‟une calculatrice pour faire un jeu, je savais que j‟en avais une dans mon
sac posé sur une chaise plus loin. Je lui demande donc de me le rapporter. Jean me regarde
l‟air courroucé et me rétorque sur un ton très vif « Quoi, qu‟est-ce que tu me demandes ? Ca
jamais, je ne ferai jamais cela, ça ne se fait pas »
Et là tout me revient en mémoire, les « plongeons dans le sac » de Nelly et toutes les paroles
que nous avons échangées autour de cela. Je comprends que Jean a entendu que je lui
demandais de prendre la calculatrice à l‟intérieur de mon sac.
Je lui précise donc que, bien-sûr je ne lui ai pas demandé d‟ouvrir mon sac pour
y prendre la calculatrice, cela me dérangerait aussi et je ne l‟accepterais pas.
Jean me redit sur le même ton qu‟il ne ferait jamais cela même si je le lui demandais.
La mère, silencieuse jusqu‟à présent, dit « Ah oui, je me souviens quand vous interdisiez à
Nelly de fouiller dans mon sac » !.
A aucun moment Nelly ne participe à cet échange mais elle écoute silencieusement. Par contre
plus tard dans la même médiation, elle me demandera à plusieurs reprises de lui « passer son
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
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sac » comme si elle s‟exerçait, pour voir quelle impression cela lui faisait. Peut-être aussi pour
vérifier que je n‟allais pas fouiller dedans. C‟était comme si elle avait besoin de décliner cette
expérience pour se l‟approprier.
Cela semblait donc plus superficiel pour Nelly puisqu‟elle avait besoin de passer par les actes
pour le ressentir et l‟intégrer. Alors que Jean exprimait verbalement les limites, l‟interdit.
Cela semble intégré pour lui, de l‟ordre du « sur-moi ».
Quant à Madame, à sa façon et malgré ses difficultés, elle a pu soutenir, grâce à ce
dispositif, l‟interdit qui est posé et comme le disait mon collègue tout à l‟heure, donner ainsi
aux enfants l‟accès à ses parties saines, l‟aspect « favorable » de ses capacités parentales.
AUJOUR’HUI 10 ANS APRES
Aujourd‟hui Nelly prépare un C.A.P.- Petite enfance et elle est de plus en plus autonome. Elle
se confronte aux difficultés de surpoids et se décourage vite quand elle a à mener à bien un
projet (job d‟été). Elle est amoureuse d‟un garçon de même âge, Simon, qui vit également
séparé de sa famille. Elle lui a proposé un hébergement de dépannage chez sa mère, avec
l‟accord de celle-ci, le temps qu‟il retrouve un foyer.
Lors d‟une visite à domicile de la famille d‟accueil, en absence de Nelly, nous apprenons qu‟un
jour au retour de week-end passé chez sa mère Nelly affiche une colère (révolte) et raconte
à l‟Assistante familiale : « je n‟ai pas confiance en ma mère » ; l‟Assistante écoute
tranquillement et Nelly poursuit : « Simon a peur de ma mère car un jour il lui a dit qu‟il avait
froid, et ma mère lui a répondu : « viens dans mon lit, j‟ai des préservatifs, je vais te
réchauffer » » et Nelly termine en disant « bientôt tout cela sera fini ». En effet, avec
Simon ils espéraient prendre un hébergement dans les mois qui suivaient ce qui n‟a finalement
pas pu se faire. Aujourd‟hui Simon vit dans un foyer, quant à Nelly, elle a décidé à ses 18 ans
de rester encore dans sa Famille d‟accueil et ils continuent à se fréquenter régulièrement.
Ce même jour elle confiera à la Famille d‟accueil sa crainte d‟être enceinte tout en disant
aussitôt que « si c‟est le cas je garderai le bébé ».
Nelly est outragée par les propos, elle l‟exprime et le marque en n‟allant pas voir sa mère
pendant plusieurs semaines. La réaction de Nelly et les propos de la mère nos renvoient au
"plongeon dans le sac". C‟est à dire aux limites de chacun, aux interdits, à tous ces mots posés
autour et pendant les plongeons dans le sac. La mère de Nelly garde ses difficultés et ses
passages à l‟acte incestuels liés à sa pathologie. Nelly, elle, peut réagir, se défendre, ne
pas être complètement « collée » à sa mère, (éviter un jeu de séduction déniant la différence
de générations et l‟interdit de l‟inceste). A son retour Nelly raconte cet épisode à son
Assistante maternelle, comme si elle avait besoin d‟entendre, de voir, de sentir (et se sentir
confirmée), par la réaction de l‟autre repère (identitaire) de sa vie.
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M. PAVELKA, S. DENIZET Le plongeon dans le sac l’enveloppe humaine et matérielle de la médiation
14
Bibliographie :
Maurice BERGER, "Les visites médiatisées", Revue de Neuropsychiatrie de l'Enfance et de
l'Adolescence, 2001; 49, pg 159 - 170.
Maurice BERGER, « L‟échec de la protection de l‟enfance » Dunod, Paris, 2003
Christopher BOLLAS, "Les Forces de la destinée", Calmann-Lévy, Paris, 1996.
Myriam DAVID, « Le placement familial : De la pratique à la théorie », ESF éditeur, Paris,
1989.
Mary DOZIER, K. Chase STOVALL, Kathleen E. ALBUS, Brady BATES, Attachment for
Infans in Foster Care: The Role of Caregiver State of Mind, Child Development, Sept/Oct
2001, Vol 72, No 5, Pg 1467-1477.
Wendy L. HAIGHT, Jill Doner KAGLE, James E. BLACK, Understanding and Supporting
Parent-Child Relationship during Foster Care Visits: Attachment Theory and Ressearch,
Social Work, Vol 48, No 2, April 2004.
Suzanna MAIELLO, "Objet sonore. Hypothèse d‟une mémoire auditive prénatale" , Journal de
la psychanalyse de l‟enfant, No 20, pg 40,1997 .
Suzanna MAIELLO, "Trames sonores et rythmiques primordiales. Réminiscences auditives
dans le travail psychanalytique", Journal de la psychanalyse de l‟enfant ,2000 , No 26, pg 77.
Hana ROTTMAN, "L'enfant face à la maladie mentale de ses parents. Impact et traitement
en placement familial", Revue de Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, 2001;
49, pg 178 - 185.
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R. PASSERA « Se disant probable d’environ » Cherchez l’origine, vous trouverez l’origine
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Rosella PASSERA
Psychologue, CH Esquirol, Paris
AXE n°3 « IDENTITE ENTRE FAMILLE D’ORIGINE ET FAMILLE D’ACCUEIL »
« SE DISANT PROBABLE D’ENVIRON . »
CHERCHEZ L’IDENTITE, VOUS TROUVEREZ L’ORIGINE .
L’histoire d’un patient, accueilli en A.F.T. après 4 ans d’hospitalisation, interroge les concepts
d’origine et d’identité, eux-mêmes liés, et la possibilité d’un lien entre famille d’origine et
famille d’accueil.
Comment créer une « enveloppe psychique élargie » qui puisse se substituer au moins pour un
certain temps, à l’enveloppe familiale défaillante ?
Surtout lorsque, pour un sujet dont le nom est « se disant », l’origine « probable », l’âge
d’ « environ », comment, dans cette situation l’aider à se construire sa propre identité quanD
il s’agit, pour l’heure, de lui permettre de la retrouver ?
Comment l’aider à reconstruire cet autre aspect de l’enveloppe psychique, l’ « habitat », cette
stabilité qui participe à la mise en place du sentiment d’identité ?
J’ai donc commencé, avec la participation de la famille d’accueil, à chercher des petits bouts
d’histoire, éparpillés, parfois des « riens » et à les lier mais ça n’a pas été si facile que de
passer « une enveloppe » à la poste !
L’histoire d’un patient, accueilli en A.F.T. après 4 ans d’hospitalisation, m’a interrogé sur les
concepts d’origine et d’identité, eux-mêmes liés, et sur la possibilité d’un lien entre la famille
d’origine et la famille d’accueil.
Mes recherches ont débuté par l’effeuillage du mince dossier du patient, dont le bulletin
d’entrée livre les premières informations :
Nom, Prénom : se disant .
Age : environ 42 ans
Sexe : masculin
Lieu de naissance : probablement Portugal
Profession : néant
Domicile : S.D.F.
Situation familiale : néant
Motif de l’hospitalisation : troubles de l’ordre public
Pièces produites à l’admission : néant
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R. PASSERA « Se disant probable d’environ » Cherchez l’origine, vous trouverez l’origine
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Un questionnement s’impose d’emblée lorsque le nom est : « se disant », l’origine :
« probable », l’âge : « d’environ » ; que va-t-il être transmis par les soignants à une famille
d’accueil en plaçant une personne à l’identité incertaine ? Comment accompagner dans ces
conditions, et le patient, et la famille d’accueil ? Comment aider le patient, dans cette
situation, à se construire sa propre identité quand il s’agit, pour l’heure, de lui permettre de
la retrouver ?
Au bout d’une année de placement dans la famille d’accueil, les multiples recherches menées
pour retracer la biographie de cette personne effacée, ne prononçant que quelques mots,
restent infructueuses Mais à l’occasion d’une sortie au marché, le hasard croise sa route.
Une personne reconnaît le patient et en informe un de ses frères, domicilié dans une localité
proche de celle de la famille d’accueil. La belle-sœur contacte la famille d’accueil pour avoir
des nouvelles de ce patient qui va enfin être nommé : un embryon d’identité et d’origine est
en train de voir le jour.
A l’occasion d’une rencontre, quelque temps après, l’identité est finalement confirmée : le
patient devient, ou redevient, du jour au lendemain, Monsieur nom-prénom.
Ce nom, nous dira-t-il, est composé de la juxtaposition des deux patronymes de ses parents.
Il raconte, sans pouvoir donner d’explications, avoir décidé de changer son nom en 1997
« pour rien », mais il souhaite que l’on continue de l’appeler par ce pseudonyme. Par ailleurs, il
accepte de recevoir la visite et les appels de sa famille, si elle se manifeste.
L’équipe soignante et la famille d’accueil veillent à ce que des liens se tissent avec la famille
d’origine. Les renseignements fournis par la belle-sœur permettent la constitution d’une
trame historique à son existence. Mais il y aura toujours beaucoup de conditionnels
« serait », « aurait », « environ », « plus ou moins »
Nous arrivons, non sans efforts, à contacter la sœur aînée, personnage très important
apparemment dans la jeunesse du patient. Elle accepte de rencontrer une fois l’équipe tout en
nous faisant comprendre qu’elle ne veut plus revoir son frère. Durant cet entretien, elle ne
raconte rien, se limitant à confirmer de temps en temps les informations données par la
belle-sœur. L’accent est mis sur l’attachement que lui vouait son petit frère, allant jusqu’à
l’appeler maman, qu’il se faisait porter très, trop souvent, cela jusqu’à l’âge de 5 ans. Elle
souffre d’une déformation visible de la hanche qu’elle attribue au portage de son frère. Déjà
petit, celui-ci s’échappait de la maison, errait et se réfugiait dans les champs Les voisins le
retrouvaient et le ramenaient chez lui. Lorsqu’on lui demandait son nom, il s’affublait déjà du
pseudonyme que nous lui connaissons .
Issus d’une famille de la terre profonde, au Portugal, les parents travaillaient durement dans
les champs pour nourrir la famille nombreuse (5 enfants). C’est ainsi que la sœur aînée jouait
le rôle de la mère vis-à-vis de son frère déjà décrit comme un enfant sauvage présentant des
moments de retrait « probablement » autistique.
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R. PASSERA « Se disant probable d’environ » Cherchez l’origine, vous trouverez l’origine
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Le père est décrit comme quelqu’un de très dur, buveur, parfois violent, qui n’hésite pas à se
servir du bâton pour réprimander son fils. Le terme bâton que l’on retrouve dans le
pseudonyme que ce dernier s’est donné. C’est à la suite d’une nouvelle bastonnade violente que
le fils, accusé d’avoir dérobé les bijoux de famille, à l’âge de 17 ans, part en France y
retrouver ses deux frères.
En tout état de cause, la sœur aînée ne veut plus revoir son frère car sa vie est déjà assez
difficile avec son mari, lui aussi buveur, comme son père .
Le frère et la belle-sœur montrent une réticence à l’accueillir chez eux quelques jours : « la
coupure est déjà faite, il ne veut rien, il se protège, il nous protège ».
Mais de quoi ? d’aveux impossibles à dire ? Les liens d’origine sont-ils si porteurs de
souffrance ? Pourquoi, après de si brèves retrouvailles, la famille évite-elle de renouer des
liens ?
Cette identité, perdue, retrouvée, nouvelle, oubliée, nous laisse face à un questionnement.
Tenter de relier les données, si possible en leur donnant un sens, revient à chercher les liens
qui peuvent rattacher l’identité à l’origine, à la famille .
F. Laplantine, anthropologue, énonce que : « { ..} en renvoyant chaque individu à une
appartenance, l’identité signe l’origine. L’identité attire l’attention sur ce qu’il y a de plus
stable et de plus permanent chez l’être humain, appréhendé à partir de ce qu’il était avant, et
non de ce qu’il est en train de devenir. L’identité réactualise toujours, en le ritualisant, un
fondement incontestable. Elle est un processus de réactualisation de l’origine » 1.
Par ailleurs, le terme en grec, signifie l’identité et la répétition.
La sociologue, A. Muxel2, en mettant en avant la notion de « mémoire familiale » insiste sur le
rôle fondamental de la famille dans la construction de l’identité. Nous naissons dans une
famille, nous nous inscrivons en fonction de valeurs, d’attributs sociaux et symboliques,
transmis, à la fois par une histoire familiale lointaine et celle vécue dans l’enfance, avant de
devenir adulte et autonome. C’est cette double inscription qui fixe la configuration de
l’identité individuelle.
C’est à ce point que je voudrais introduire la notion « d’habitat », troisième feuillet de
l’enveloppe psychique selon Houzel3 « cet autre type de stabilité qui participe à la
construction des limites du soi et du sentiment d’identité. L’habitat répond à un principe de
stabilité simple dans lequel c’est le lieu même que l’on habite dans l’espace qui doit être stable
et pas seulement la forme et le déroulement des processus psychiques à l’œuvre dans le
sujet ».
1
LAPLANTINE (F) - « Je, nous et les autres, être humain au-delà des appartenances » - Editions Le Pommier-Fayard
collection manifeste Paris, 1999 p.41
2
MUXEL (A) - « La mémoire familiale » - revue sciences humaines, hors-série n°15 1996-97 p.22
3
HOUZEL (D) - « Le concept d’enveloppe psychique » - Editions In press p.31
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R. PASSERA « Se disant probable d’environ » Cherchez l’origine, vous trouverez l’origine
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Mais il y a plusieurs formes et niveaux de stabilité : si la fonction contenante se trouve être
défaillante, le psychisme se contentera d’une « stabilité simple » dans laquelle «tout doit
rester immuable, figée : c’est le type de stabilité que l’on observe dans l’autisme infantile : le
refus de tout changement, le déni de la temporalité en sont les expressions cliniques. Ce type
de stabilité ne peut s’obtenir que moyennant un renoncement à tout développement de la
communication avec autrui et de sa propre pensée»4.
Anzieu nous rappelle aussi les effets désastreux sur le psychisme humain des « maladies de la
mémoire ». Nous sommes en effet confrontés quotidiennement, dans la clinique des
psychoses, aux conséquences tragiques de l’ignorance du passé et du non accès à la
temporalité5. La découverte de l’historicité peut se faire uniquement dans une relation où une
remémoration partagée et communiquée est possible.
En d’autres termes, pour créer son identité et son origine, il faut la participation de quelqu’un
qui partage des souvenirs, qui réactive une mémoire historique, « une rencontre durable du
jeu de souvenirs entre l’enfant et sa mère, et ultérieurement, entre le sujet et lui-même »6.
P. Aulagnier met l’accent sur la défaillance chez le psychotique de la dimension
historicisante : « l’attaque sur les liens et la propension au désinvestissement sont tels qu’ils
finissent pas détruire les traces de ce qui a eu lieu et à créer des trous irréparables dans
l’activité représentative »7.
Pour notre patient, nous pouvons constater l’oubli, l’effacement des traces, le
désinvestissement , la défaillance quant aux enveloppes psychiques de la mémoire, de
« l’habitat » S’inventer une nouvelle identité représente une rupture avec les liens
d’origine La retrouver revient à renouer avec ces derniers, ce qui n’est pas exempt de
contraintes, d’enchaînements. La dimension familiale devient nécessairement importante dans
cette histoire identitaire.
J. C. Cebula8 nous dit que la famille, d’origine ou d’accueil, introduit la dimension de l’identité,
à savoir que chacun y est interpellé quant à ses origines, son histoire, ses alliances et que la
famille d’accueil fonctionne à ces niveaux d’interpellation de l’identité bien plus qu’un
établissement de soins, car elle peut permettre la reconstitution d’une enveloppe psychique,
car les rôles et les liens s’organisent en fonction des attentes et des places à prendre.
L’enveloppe familiale, carentielle, défaillante dans le cas présent, peut, à notre avis, être
restaurée en famille d’accueil par un travail d’élaboration commune entre équipe et famille,
4
Ibid p. 123
5
ANZIEU, HOUZEL « L’enveloppe de mémoire et ses trous » - p.91 dans « Les enveloppes psychiques » - Editions Dunod,
collection inconscient et culture.
6
Ibid p. 95
7
Ibid p. 112
8
CEBULA (J.C.) « L’accueil familial des adultes » - Editions Dunod p. .91
7
ème
congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 5
R. PASSERA « Se disant probable d’environ » Cherchez l’origine, vous trouverez l’origine
5
que Houzel nomme « enveloppe élargie ». Aider, dans cette situation, la famille d’accueil à se
substituer si possible, et temporairement à l’enveloppe familiale déhiscente. Travail long,
difficile, parfois frustrant, mené par l’équipe, la famille d’accueil et la famille d’origine. Car
quel rôle et quelle identité une famille d’accueil accepte-t-elle d’assumer dans ce « théâtre
familial » élargi vis-à-vis de l’accueilli, quels liens propose ou accepte-t-elle avec la famille
d’origine ?
Mme C., la famille d’accueil en charge de notre patient, pense que ce dernier, lorsqu’il le
souhaite, doit avoir la possibilité de rencontrer sa famille d’origine en tenant compte des
antécédents relationnels. Le patient, dit-elle, semble content lorsqu’il revient des ses rares
rencontres familiales et ne formule jamais le désir d’une de ces rencontres qui se raréfient
de plus en plus et sur sa fonction stimulante pour les organiser car la famille d’origine,
occultant la dimension pathologique du patient, entretient la distance, persuadée qu’il se
complait dans l’assistanat et profite de la situation.
Mme C. reste néanmoins persuadée que les relations entre famille d’accueil et famille
d’origine sont une partie du travail de l’A.F.T. qui ne peut se limiter aux simples soins
d’entretien et d’hébergement.
La famille d’accueil, conclut-elle, en permettant une ouverture sur l’extérieur, peut offrir un
cadre contenant et enveloppant plus convivial que l’institution hospitalière aux aspects
fortement déprimants pour les familles d’origine. Elle regrette d’ailleurs que la famille
d’origine, enfin retrouvée, ne donne plus ni ne demande des nouvelles du patient accueilli. La
question du « pourquoi » revient régulièrement sur le tapis lors des réunions familles
d’accueil/équipe soignante
On a cherché l’identité, on a trouvé l’origine et/ou vice versa
Nous voilà repartis pour un nouveau voyage !
La diffusion de l’Accueil
Familial Thérapeutique
en Italie
Gianfranco Aluffi
GREPFa Italia
REGIONE PIEMONTE -AZIENDA SANITARIA LOCALE 5
A. S. O. SAN LUIGI GONZAGA, DIPARTIMENTO INTERAZIENDALE UNIVERSITARIO DI SALUTE MENTALE
UNIVERSITA’ DEGLI STUDI DI TORINO, FACOLTA’ DI MEDICINA E CHIRURGIA
Direttore: Prof. Pier Maria Furlan
Traitement de communautéen
Italie après la loi 180/78
C'est un DIAPORAMA... mais en PDF
7ème CONGRES DU GREPFA-France
ENVELOPPES FAMILIALES THERAPEUTIQUES
Les Sables d’Olonne
15 et 16 juin 2006
L’Accueil Familial Thérapeutique donne la possibilité à un patient de reconstituer ses enveloppes psychiques en réparant les éléments de discontinuité, les trous, les béances liées aux carences, aux traumas, aux troubles de l’attachement précoce.
Le « holding » trouvé dans cette famille complémentaire (la famille d’accueil) apporte des possibilités de reconstruire une harmonie relationnelle entre le corps propre à travers les gestes du quotidien et les personnes vivant dans la famille d’accueil.
L’expérience de nombreuses années de pratique montre que, par les nouveaux points d’appuis proposés, il est possible pour ceux qui souffrent de troubles graves de la personnalité, d’intégrer ces nouvelles enveloppes aux différents éléments d’enveloppes qu’ils conservent de leurs expériences antérieures et de leurs liens actuels avec leurs familles naturelles.
Par superposition des différents éléments, ils peuvent restaurer leurs enveloppes psychiques, reprendre alors confiance dans leur capacité à penser et à agir de manière plus adaptée à l’environnement.
JEUDI 15 JUIN 2006
14 h 30 : J.C. CEBULA (Nantes):
ENVELOPPES ET CONTEXTES
15 h 15 : Dr P. BANTMAN (Paris) :
LA FAMILLE PEUT-ELLE CONSTITUER UNE ENVELOPPE PSYCHIQUE ?
Liens entre concept analytique et systémique
16 h 30 : Dr M. WINDISCH (Paris) : « LES ENVELOPPES »
.après une lecture de Samuel Beckett
VENDREDI 16 JUIN 2006
ATELIER N° 1 : CONTINUITE/DISCONTINUITE
* M. ANAUT (Lyon) : Attachements multiples et liens familiaux dans le placement familial
* S. LOEB (Lagny) : L’histoire d’Adélaïde : du traumatisme à la restauration de la vie psychique
ATELIER N° 2 : DIVERSITE DES ENVELOPPES
* Equipe du C.M.P. d’ Annecy L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeau à un patchwork revitalisant
* L.PIERQUIN & l’équipe de Creil Qu’est ce qui commence par un « e » fini par un « e » avec une seule lettre entre les deux
* M. REVEILLAUD & F. GUYOD (La Roche S/Yon) : L’AFT séquentielle intégrée dans un dispositif de soins, pour un enfant violent : Alan.
ATELIER N° 3 : IDENTITE ENTRE FAMILLE D’ORIGINE ET FAMILLE D’ACCUEIL
* R. PASSERA (Paris) : Se disant
.probable
d’environs
.
* M. PAVELKA (Paris) : Enveloppe matérielle et humaine de la médiation thérapeutique
ATELIER N° 4 : ENVELOPPES INSTITUTIONNELLES, CADRE ET LEGISLATION
* B. LACOUR & O. LEDRU (La Roche S/Yon) : Le moi-peau budgétaire : « de la pelure d’oignon » à la dépense bénéfique
* G. ALUFFI (Italie) : La diffusion de l’A.F.T. en Italie
SEANCE PLENIERE
* Dr D. GORANS (Nantes) : « T’as d’beaux draps tu sais »
* I. LEBLIC (Paris) : Relation entre les noms et la définition de la personne
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
1
Dr Daniel GORANS,
Psychiatre, Nantes
« T’as d’beaux draps, tu sais ! »
Aujourd’hui, j’attends tranquillement mon départ pour l’hôpital. J’ai de la fièvre et je tousse.
Des fois je crache même un peu de sang. Par la fenêtre de la chambre, je perçois quelques
arbres. Une fois encore, ils se couvrent de feuillage et les oiseaux s’y disputent. Le ciel est
menaçant mais cela m’est égal.
La semaine dernière, ma nièce est venue me chercher. J’ai passé la journée du dimanche avec
elle et son frère. J’avais hâte de retrouver ma chambre, mon lit, mes draps. Mon neveu m’a
posé plein de questions. Il est dans une école pour devenir journaliste. Quelle drôle d’idée ! Il
veut écrire un article sur moi. Pourtant, je n’ai pas eu une vie intéressante. Je lui ai quand
même répondu, pour lui faire plaisir.
Il m’a envoyé une lettre. Dans la lettre, il y a ce qu’il a rédigé sur moi. Mais je ne sais pas lire.
Maria m’a proposé de la lire à voix haute. Il faut que je vous dise, Maria est celle chez qui
j’habite. Enfin, c’est Maria et Paul. Ils sont plus jeunes que moi. Je n’ai pas d’enfant. Comme
je n’ai jamais su me débrouiller tout seul dans la vie, ils me reçoivent chez eux et touchent un
salaire : ce sont mes accueillants familiaux. Ils sont plutôt gentils avec moi. Ils ont tout de
suite compris que pour moi, l’important c’est les draps. Chez eux, j’ai même droit à une petite
armoire, rien que pour mes draps.
Voici ce que Maria m’a lu :
« Cher Tonton Jules,
Merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à mes questions. J’ai trouvé passionnant tout ce
que tu as dit et en ai tiré le texte qui suit. Si tu veux bien me faire savoir ce que tu en
penses, cela me permettra ensuite de le proposer au journal. J'espère que tu pourras vite me
répondre. A bientôt. »
Maria m'a dit qu'elle était un peu inquiète avant de commencer à lire. Elle s'inquiète
facilement. Au début, quand je suis arrivé, c'est surtout moi qui étais inquiet. Mais c’était
déjà il y a quelques années. Je trouve que mon neveu a beaucoup arrangé ce que j'ai dit car je
ne parle pas comme un écrivain. Voici ce que j'ai entendu :
« Un usager raconte sa vie en famille d’accueil :
Quand j'étais tout petit, à peu près à l'âge de deux ans, une dame est venue à la maison. Elle
se sentait fort, une odeur que je ne connaissais pas. Beaucoup plus tard, j'ai appris que ce
qu’elle sentait s’appelait du parfum.
Ce souvenir m’est revenu en mémoire avec beaucoup d’autres, le jour où je suis devenu
majeur : j’ai eu alors accès à mon dossier. Un drôle de cadeau d’anniversaire ! J’avais insisté
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 2
D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
2
auprès de Vanessa, mon éducatrice. Elle m’a accompagné. Je lui ai demandé de tout lire, de A
à Z. J’ai beaucoup pleuré. Ca l’a obligé à faire des pauses.
J'étais le plus jeune de quatre. J'étais dans mon lit. Un lit à barreaux. La dame, une
assistante sociale, a écrit que ma mère criait et pleurait beaucoup. Elle ne s’est calmée que
lorsque la police est arrivée.
Maman était seule avec nous quatre. Mon frère et nos deux soeurs auraient dû être à l'école
ce jour-là. Les jours d'avant aussi d'ailleurs.
Nous dormions tous les cinq dans la même chambre. J'avais le lit à barreaux pour moi tout
seul. Il n’y avait qu’un autre lit.
J’ai retenu par cœur quelques phrases du dossier tellement elle m’ont fait mal quand je les ai
découvertes : « Né de père inconnu comme ses frères et sœurs, Jules, pour qui nous avions
une ordonnance de placement signée du juge des enfants, prostré dans un angle de son petit
lit, se balançait, indifférent aux cris de sa mère ; Jacques, Paulette et Jeannine regardaient
la télévision. Le linge sale, amoncelé dans un coin de la pièce, dégageait une odeur
désagréable. La vaisselle débordait de l’évier. Sur la table, les restes de plusieurs repas
côtoyaient les boîtes de médicaments. Les neuroleptiques que Mme V. était censée prendre
tous les jours étaient à portée de main de ses enfants. J'avais prévu que le départ de Jules
serait mouvementé. Au fur et à mesure, Mme devenait plus menaçante. J’ai dû demander
l’aide de la police qui était prévenue de mon intervention.
Jules a continué à se balancer lorsque je me suis approchée. Il était sale et ne sentaient pas
bon. L’état de son lit à barreaux était catastrophique. Les draps ressemblaient davantage à
des chiffons déchirés et troués qu'à une parure de lit. A côté de Jules: une tétine. Un
biberon à moitié vide gisait par terre hors de portée de main de l'enfant. Je me suis
approchée en lui parlant. Il n'a pas semblé remarquer ma présence. Lorsque je l’ai pris dans
mes bras c'est comme s'il était une poupée de son. Le temps d'arriver à la porte, les cris et
pleurs des trois autres enfants se sont joints à ceux de leur mère. Les deux policiers ont eu
beaucoup de mal à les contenir pendant que je gagnais la voiture. »
C'est comme ça que je suis parti de la maison. L'assistante sociale m'a accompagné chez la
première assistante maternelle à s’être occupée de moi. Tata Mauricette. Il paraît que le
jour de mon arrivée, j'étais épuisé. Elle aussi sentait le parfum, pas le même que l'assistante
sociale. C'était l’heure de la sieste. Elle m'a conduit dans une chambre très claire. Je devais
être ébloui : d’après elle, je clignais des yeux en essayant de cacher mon visage. Elle m'a dit
plus tard qu'elle m'a d'abord déshabillé et donné un bain. Elle était désolée que je semble
indifférent à ce qui m'arrivait. Elle m'a ensuite mis des vêtements propres et a tenté en vain
de me donner à manger. Sa plus grande surprise a été que je me mette à hurler lorsqu'elle
m'a mis au lit. Il s'agissait d'un lit à barreaux. J'étais inconsolable. Je paraissais même
terrorisé. Elle m'a dit avoir tout essayé : paroles douces, berceuses, faire l'obscurité dans la
chambre, mettre dans mes bras la peluche qu'elle avait préparée pour moi... Lorsque que,
devenu adulte, je suis retourné la voir, pour lui poser des questions sur comment j’étais à
l’époque, nous avons réfléchi à ce qui a pu se passer pour moi lorsque je suis arrivé. Je crois
que j'ai hurlé pendant des heures parce que je n'avais plus aucun de mes repères : il y avait
beaucoup de lumière, le contact avec les draps n'était pas celui auquel j’étais habitué et leur
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 3
D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
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odeur légèrement parfumée me dérangeait beaucoup, il n'y avait peut-être pas non plus les
bruits familiers : cris de mes frères et soeurs, bruit de fond de la télévision...
Lorsqu’elle a compris, tata Mauricette a eu une idée géniale : elle a pris mes vêtements sales,
en a fait un petit tas dans le coin de mon lit, non loin de ma tête. Elle a été surprise de voir
que j'essayais de les attraper et encore plus lorsque j’ai porté à la bouche celui que j’ai
réussi à attraper. Toujours est-il que ça m'a apaisé et que j'ai pu enfin m'endormir. J'ai
recommencé à hurler lorsqu'elle est venue me réveiller pour me présenter sa famille : Alfred,
son mari, ses deux enfants, Amélie et Julien que je considère encore aujourd'hui comme
faisant partie de ma famille. Mais ce jour là, sentir leur présence m'a fait hurler de peur.
Albert a voulu me prendre dans les bras et paraît-il que cela m'a calmé. Je me demande si
c'est parce qu'il ne sentait pas le parfum, lui. Il y sentait la sueur, odeur plus proche de
toutes celles auxquelles j'étais habitué. Il y avait aussi le chien, Baltazar, que je n'avais pas
remarqué lors de mon arrivée. Peut-être était-il assoupi dans un coin de la maison. Lorsqu'il
m'a vu dans les bras d'Albert, il s'est mis à japper et à sautiller autour d’Albert. Je me suis
remis à hurler.
Ça a donc été très difficile les premiers mois. J'ai passé beaucoup de temps à pleurer, me
balancer, dormir. Je mangeais très peu et vomissais souvent ce que Mauricette arrivait à me
faire avaler. Surtout quand j’étais dans mon lit. Un jour, sans qu'elle comprenne pourquoi, j'ai
fait une crise plus forte que les autres. Il paraît que j’étais un peu autiste.
J'ai oublié de dire que dès le jour où je suis arrivé et plusieurs fois par semaine dans les
mois qui ont suivi, Vanessa, mon éducatrice, venait pour me voir et parler avec Mauricette.
Quelquefois, elles m'emmenaient toutes deux en poussette dans un endroit qui sentait le
médicament où d’autres bébés pleuraient, surtout quand des dames en blouse blanche
s’approchaient d’eux.
Lorsque j'ai fait la première grande crise, Mauricette et Vanessa ont essayé de comprendre
pourquoi. D'après elles, cela a correspondu au jour où tata Mauricette avait changé les draps
de mon lit.
Depuis, elle a toujours fait attention d’y mettre quelque chose susceptible de rappeler l’odeur
de mes vieux draps. Cela ne m'a jamais empêché d'y faire des petits trous. Mauricette s'est
toujours demandé comment j’y parvenais. Un jour elle m'a surpris en train de mordiller des
draps qu’elle venait de changer. Dès que mes premières dents sont sorties, j’y mettais
beaucoup d'application. Plus grand, je me souviens que j'élargissais les petits trous avec mes
doigts. Ça a duré plusieurs années, Vous comprendrez plus tard comment ça s'est arrêté.
Il a fallu longtemps avant que je puisse avoir des contacts avec ma mère est mes frères et
soeurs. Je crois que ça a duré presque un an. Comme je ne parlais pas, je ne pouvais pas faire
comprendre combien c’était difficile pour moi. Tout se passait comme si les seuls liens que je
parvenais à garder avec ma famille étaient rattachés aux odeurs, en particulier aux odeurs
des draps. Lorsque Mauricette me mettait au lit, avant de parvenir à m'endormir, j’attrapais
le vêtement ou l'ancien drap qui conservait un peu de mes odeurs d’avant et me frottais
longuement le nez avec.
Quand je rencontrais ma mère, seule Vanessa m’accompagnait. C’était dans une grande pièce
avec beaucoup de jouets. Elle me serrait très fort dans les bras en parlant vite. J’aimais bien
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 4
D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
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son odeur, celle de mon premier lit. Mais pas sa voix. Elle me disait qu’elle allait me reprendre
bientôt. J’ai compris bien plus tard ce que cela voulait dire. Dès fois, nous l’attendions
longtemps. Au bout d’un moment, malgré tous les efforts de Vanessa pour m’intéresser aux
jouets, je me balançais et quelquefois me donnais des coups sur la tête. Vanessa m’expliquait
après que « maman a peut-être oublié, elle est peut-être malade » J’ai su qu’elle était
parfois hospitalisée, pour sa dépression comme elle disait. Mais moi, ça me trouait le coeur. Il
fallait quelquefois plusieurs jours à Mauricette pour m’arracher à mon repli et à ma tristesse.
C’est surtout dans ces moments que je faisais les plus beaux trous dans mes draps, quelque
soit leur épaisseur et leur solidité.
Mauricette m'a dit que j'avais pris du retard dans mon développement. Je n’ai commencé à
marcher qu’après mon arrivée chez elle. Mon regard n’était pas facile à attraper. Je ne
m’intéressais pas aux jouets. Je préférais les draps, les serviettes, les torchons surtout
quand ils étaient bien sales et que de petits trous pouvaient y être élargis. Alfred m’avait
surnommé : « le petit poinçonneur des lilas ». J’ai mis longtemps à comprendre la chanson
dont il me serinait le refrain.
Je me balançais souvent tout seul dans un coin. Il ne fallait surtout pas me déranger dans
ces moments là. En revanche, j’aimais beaucoup la musique. Julien apprenait l’accordéon et
Amélie le piano. Même lorsqu’en apprenant ils faisaient beaucoup de couacs, je rigolais du
plaisir de les écouter. Encore aujourd’hui, si vous voulez me mettre de bonne humeur, il suffit
de me faire entendre un morceau d’accordéon ou de piano. Pour Noël, j’ai eu un baladeur MP3.
Maria et Paul m’y ont installé mes airs préférés. Ils ont même trouvé une version accordéon
du poinçonneur !
J'ai continué à faire pipi au lit et dans ma culotte jusqu’à l’âge de neuf ans. Ça aussi avait
une importance pour l'odeur du lit et des draps. Pour fêter que je sois devenu propre, tata et
Albert ont voulu me faire un cadeau. J'ai demandé qu'ils m'offrent une paire de draps neufs.
Je les ai baptisés à ma façon : j’ai fait pipi au lit la nuit suivante, une dernière fois, rien que
pour le plaisir. Enfin surtout le mien J’ai été tellement généreux cette nuit là qu’il a fallu
changer le matelas. Mauricette était furieuse. Elle m’a vertement tancé. J’étais doublement
malheureux : à cause des remontrances et de l’odeur de matelas neuf.
N’ayant pas commencé à parler, je ne suis pas allé à l'école à trois ans, mais on m'a d'abord
conduit à un hôpital de jour. Il y avait d'autres enfants qui ne parlaient pas et plein d’adultes
qui parlaient beaucoup. J’aimais aller à la pataugeoire et aussi qu'on me raconte des histoires.
Je détestais aller toutes les semaines dans le bureau du monsieur barbu qui sentait le tabac.
Il voulait que je fasse des dessins que je joue avec lui. J'avais bien plus envie de jouer avec
mes copains, même si quelquefois nous nous battions. De temps en temps il arrivait qu’il me
reçoive avec maman. C'est surtout ça que j'aimais bien avec lui.
Mon endroit préféré à l’hôpital de jour était la pièce où il y avait des tas de gros fauteuils
tous mous qui prenaient ma forme lorsque je m’y asseyais. Quand j'étais triste, et il paraît
que je l’étais souvent, j’allais me réfugier dans cette pièce. Ce qui était bien, c'est que j'avais
mon vieux drap avec moi. Personne ne m'empêchait de le sucer ou de me frotter le visage
avec. J'aimais bien qu'il sente la bave séchée. Une odeur un peu sucrée. Le plus merveilleux
parfum que j’ai jamais senti, même si aucun adulte n’était d’accord avec moi sur ce point.
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D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
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Quelquefois tata voulait mettre mon drap à laver, mais elle savait que le seul fait d’en parler
me mettait en crise. D'ailleurs Vanessa lui avait conseillé de ne surtout pas le faire. Le
monsieur barbu, lorsqu'il avait discuté avec elle, lui avait dit la même chose. Lui, c'était un
psychiatre. Le premier de ceux qui se sont occupés de moi. Des fois, il me rencontrait avec
Mauricette, d'autres fois avec Vanessa ou bien encore avec maman ou tout le monde
ensemble. Au début je ne comprenais rien. Je sentais juste qu'il n'était pas méchant. Il me
disait qu'il s'appelait Denis. C'était le docteur Zuet. Denis Zuet. Je ne sais pas s'il est
toujours vivant. Mais, même après que je sois parti de l’hôpital de jour, il a pris régulièrement
de mes nouvelles. Je l'ai même rencontré plusieurs fois après ma majorité. Il m'avait
surnommé le roi des draps. Ça me plaisait bien.
Un jour, dans le bureau avec maman et Vanessa, il a dit qu'il allait me proposer un drôle de
traitement : il voulait deux fois par semaine m'envelopper dans un drap mouillé et puis me
laisser sécher allongé sur un lit en s'occupant de moi avec Vanessa. Ca s’appelle le packing. Il
fallait que maman soit d'accord. Elle était d’accord avec tout ce qu’il disait, comme
hypnotisée. Elle lui demandait en échange d’écrire au juge pour qu’il lui rende ses enfants.
Entre temps, comme elle allait souvent à l’hôpital, mes frères et sœurs étaient aussi en
famille d’accueil. Nous pouvions nous rencontrer, une fois par mois, tantôt chez une tata,
tantôt chez une autre. Mes deux soeurs étaient chez la même tata.
La première fois que j'ai eu une séance de packing, j'ai hurlé pendant une demi-heure. Le
docteur et Vanessa avaient beau me parler doucement, m'expliquer ce qui se passait,
m'encourager à me détendre, ça ne marchait pas. Ils ont été obligés d'arrêter avant que le
drap ait séché. Ils ne se sont pas découragés. Le docteur D. Zuet a alors proposé que je
garde à l'intérieur du drap mouillé mon drap fétiche sale et plein de trous. Il a trouvé une
formule magique dont je me souviens encore aujourd'hui avec beaucoup d'émotion : « t’as de
beaux draps,tu sais». Il a dit ça en cherchant mon regard avec son regard. J’ai accepté de le
regarder longtemps droit dans les yeux. Pour la première fois de ma vie, je n’avais plus peur
de le faire. C'est comme si le mot drap et le son grave de sa voix avaient eu un effet
miraculeux. Je me suis senti rassuré.
Je me suis mis à prendre en plus de plaisir aux séances de packing. Pourtant au début ça
faisait froid. Mais après je me sentais chaud jusque dans ma tête et dans mon coeur. Jusque-
là, quand quelque chose me faisait plaisir, j'avais mal à ma tête est à mon coeur comme s'il y
avait des trous qui laissaient s’envoler le plaisir en me laissant une petite écorchure de peine.
J'ai commencé aussi à m'intéresser beaucoup plus à ce que me racontait le docteur D. Zuet
quand il me recevait dans son bureau. Sa voix m'enveloppait. Comme un drap. Souvent, il me
demandait de penser aux trous que je faisais dans mes draps. Avec des dessins et avec des
jeux, il m'a fait comprendre que les trous de mes draps avaient quelque chose à voir avec les
trous de ma tête et de mon coeur. Je me suis mis à faire des progrès en langage. Bien sûr
Magda, l'orthophoniste de l’hôpital de jour, m’y aidait beaucoup. Pour les trous dans ma tête
et dans mon cœur, j'avais construit une armure avec l’air autour de mon corps pour que rien
ne puisse me faire mal en les touchant. Gilberte, la psychomotricienne, était la seule à savoir
parler de mon armure et à m’aider petit à petit à m’en débarrasser. Elle a d’abord fait ça
dans la pataugeoire, puis dans l’atelier conte.
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D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
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Un jour où le docteur D. Zuet avait invité Vanessa et Mauricette dans son bureau avec moi,
ils se sont mis à parler de draps et des trous entre eux, comme si je n'étais pas là. Je leur
tournais le dos et jouais avec les play-mobil, mais j'écoutais tout. À un moment j'ai crié : «
Mauricette aussi a de beaux draps, tu sais ? » Ils ont sursauté tous les trois. Le docteur m'a
demandé ce que je voulais dire. J'ai dit :
-Une fois, j'étais dans ses bras, elle chantait une chanson, et elle a ouvert une armoire pleine
de bras. »
-Comment-ça une armoire pleine de bras ? demanda-t-il
-De draps ! j’ai dit en me fâchant.
Alors le docteur m'a dit des drôle de choses, que les draps et les bras ça pouvait être un peu
pareil pour moi. Il a ajouté que peut-être au moment de ma naissance et les semaines qui ont
suivi, j'avais eu l'impression que maman avait des trous dans ses bras. Comme si elle avait du
mal à m'envelopper quand elle me prenait contre elle. Alors que Mauricette , elle, avait des
bras qui enveloppaient bien. Comme si le travail de Mauricette ressemblait à ce qui se passait
pendant le packing : m'envelopper dans des draps sans trous pendant que je serrais contre
moi mon drap à trous. Il a même dit que ça pouvait avoir le même effet pour ma tête et mon
coeur. Alors là, je ne suis pas sûr d'avoir tout compris. Je crois qu'il a voulu dire que le
travail de Mauricette était aussi d'envelopper ma tête et mon coeur pour qu'ils n'aient plus
de trous. Ou du moins, que les trous puissent cicatriser et ne plus laisser s’envoler le plaisir.
Même si je n’ai pas compris, j’ai senti que c'était très important. À partir de ce moment-là,
j’avais moins peur quand je rencontrais maman. Je savais qu'après, même si les trous dans le
coeur et la tête se rouvraient, je pouvais compter sur les « bras-draps » de Mauricette et de
toute sa famille. De ce jour, je n’ai plus, sauf exception, ressenti le besoin de faire des trous
dans les draps.
Après, j'ai continué à grandir. Je ne suis plus allé tous les jours à l'hôpital de jour. Des fois,
j'allais dans une vraie école. C'était pas très drôle, je n'arrivais pas à me sentir comme les
autres. Quand j'essayais de me faire des copains ou des copines, je regardais derrière eux,
ou plutôt à travers eux, pour voir si eux aussi avaient des trous dans la tête et dans le coeur.
Mais c'était très difficile. Quand j’insistais, ils me traitaient de gogol et s'éloignaient de moi.
Et puis, je n'arrivais pas à apprendre à lire et à écrire comme eux. Alors après, je suis allé
dans un établissement spécialisé. Je continuais en même temps à aller à l'hôpital de jour une
fois par semaine. Ce jour là, j'allais dans le bureau du docteur Zuet. Une semaine sur deux, il
y avait une séance de packing. Je rencontrais aussi l'orthophoniste et la psychomotricienne.
À l'établissement spécialisé, je m’ennuyais un peu. Des fois je me faisais taper par les autres.
J’ai appris à me défendre. Quand je me faisais taper, ça me faisait mal aux cicatrices du
cœur et de la tête. Alors j'ai appris à crier quand ils s'approchaient trop de moi. J’ai ressorti
mon armure.
Un jour, Mauricette est tombée malade. Une maladie grave. Elle a du partir à l’hôpital
longtemps. Je n’ai pas pu rester chez elle. Au début, Vanessa a essayé que je puisse rester
avec Albert et ses enfants, et que trois jours par semaine j'habite avec maman. Vanessa
venait me voir chez elle tous les jours. Maman était très contente. Elle voulait absolument
m'apprendre un tas de trucs. D'après elle, Mauricette me les avait très mal appris. Comme se
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 7
D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
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laver les oreilles ou laver mes slips dans une bassine par exemple. Quand je ne voulais pas,
elle se mettait très en colère. Et puis après, elle pleurait. Au bout d’un mois, elle a dit à
Vanessa que c’était trop difficile. Elle allait craquer. Alors Vanessa m'a cherché une nouvelle
famille d'accueil. Je ne pouvais plus rester chez Albert et Mauricette. Ma tata allait bientôt
sortir de l’hôpital, mais elle avait des traitements très fatigants. Aujourd’hui je sais qu’elle
avait un cancer. Je crois que j’ai ça aussi. C’est pour ça que je dois aller à l’hôpital. Mais je n’ai
pas peur : elle a guéri.
Quand j'ai eu douze ans, j'ai fait connaissance de Nadia, ma nouvelle assistante maternelle.
Vanessa l’a mise au courant pour mon drap. J’en avais toujours besoin pour dormir. Nadia était
très gentille. Son mari Abdel aussi. Ils avaient trois grandes filles qui aimaient bien s’occuper
de moi.
Ce qui m'a frappé chez eux, c’est leur très grande générosité. J'avais la plus belle chambre,
le plus beau lit, les plus beaux draps. Quand Vanessa venait, ils lui offraient du thé à la
menthe et insistaient toujours pour qu'elle reste partager leur repas. Ils attachaient une
très grande importance à ce que je mangeais. Il y a même eu une fois où ils ont souhaité
inviter maman à manger avec nous. Bien sûr, Vanessa leur a expliqué que ça ne se faisait pas.
Ils ont même tenté leur chance auprès du docteur D. Zuet. Sans succès. Ni pour Mauricette
et Albert, d’ailleurs : ils se rencontraient quand j’allais passer un week-end sur deux chez
eux, celui ou je n’allais pas chez maman. Le docteur leur avait expliqué à tous que c’était
important pour mes « enveloppes psychiques ». Comme je n’avais pas compris, il m’a parlé de
mes « draps du cœur ». J’ai tout de suite vu ce qu’il voulait dire. Dès fois, les docteurs ont
des mots qu’on ne peut pas comprendre s’ils ne les traduisent pas
Ils étaient très croyants, mais pas la même croyance que ma première famille d'accueil. Je
ne sais pas si c'est cette croyance qui les rendait si gentils et généreux.
Quand j'ai eu treize ans, j'ai commencé à sentir des choses bizarres dans mon sexe. Ça m'a
fait plein de problèmes. D'abord avec les draps, puis avec les filles de Nadia et Abdel. Je
prenais leurs culottes pour frotter mon sexe. Malgré mon amour des draps, j'ai trouvé ça plus
doux. Et puis je salissais beaucoup mes draps. Mais ça n'était plus mon énurésie. Nadia a
demandé à Abdel de m'en parler. Il était très gêné. Petit à petit, j'ai recommencé à faire des
trous dans mes draps. Nadia et Abdel, avec leur gentillesse, ne pouvaient m'en empêcher.
C'était terrible. Moi non plus, je ne pouvais pas m'en empêcher. Vanessa a demandé au
docteur D. Zuet de me voir plus souvent. Ça n'y changeait rien. Mon sexe était presque
devenu plus important que les draps pour moi. C'est l’époque où je n’ai plus eu besoin de
traîner partout mon drap fétiche.
Comme ça ne s'arrangeait pas, j'ai du partir de chez Nadia et Abdel. J'ai alors habité en
internat. Celui de l’E.M.P.. C'était terrible : les draps grattaient. Je dormais très mal. Je
n'avais pas une chambre pour moi tout seul. J’étais avec trois autres camarades. Deux étaient
gentils, mais le troisième, Dylan, me tapait souvent.
Je continuais à sortir le week-end, tantôt chez maman, tantôt chez Mauricette ou chez
Nadia. Vanessa me demandait de ne pas m’occuper de mon sexe quand j’allais dans les
familles. C'était la condition pour que je puisse continuer à y aller. Je me consolais parce
qu'il y avait de bons draps partout. J’en profitais pour bien dormir. Même chez maman. Chez
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 8
D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
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elle, je pouvais rencontrer de temps en temps l’un ou l’autre de mes frères et soeurs. Des
fois, on lui demandait pour nos pères. Elle ne répondait que par des larmes. Alors on a arrêté.
Pourtant, j’aimerais bien savoir. Dans mes rêves, le mien ressemble un peu à Albert et un peu
au docteur D. Zuet, surtout quand il me regarde droit dans les yeux pendant les séances de
packing
A l’E.M.P., il y avait aussi des filles. Jessica était très jolie. Je me sentais tout drôle quand
j’approchais d’elle. Un jour, je lui ai dit la plus jolie phrase que je connaissais : »t’as de beaux
draps, tu sais ! ». Elle a beaucoup ri et puis elle m’a embrassé sur la joue. J’ai senti des
bonnes choses dans mon sexe. Je lui ai demandé de me le toucher. Ça lui plaisait aussi. Paul,
notre éducateur, nous a surpris. Nous avons été convoqués chez le directeur. Il s'est mis très
en colère. Nous ne comprenions rien. Il criait : « eh bien me voilà dans de beaux draps
maintenant ! Je vais devoir déposer une plainte ! Il y aura peut-être une enquête ! Ce que vous
faites est interdit. » Il nous a demandé de sortir de son bureau. Ma copine et moi,on était
très étonnés. Je ne voyais pas pourquoi avoir du plaisir était interdit. Surtout si ça mettait le
directeur dans de beaux draps : pour moi, c’était plutôt une récompense ou un cadeau.
Vanessa a essayé de m’expliquer qu’il y avait des lois. Je risquais de me faire renvoyer de
l’E.M.P.. Je lui ai dit que je voulais bien, à cause de Dylan, mais que je ne voulais pas, à cause
de Jessica.
Elle m’a aussi expliqué, en présence du docteur D. Zuet, qu’on pouvait s'occuper de son sexe
tout seul sans se montrer aux autres. Mais je le savais déjà. Et que quand on était adulte, on
pouvait choisir une amoureuse et se mettre dans des draps avec, si elle voulait bien. Si le
cœur battait fort et qu’on était très très contents tous les deux, on pouvait vivre l'amour.
J'ai tout de suite fait le lien entre l’amour et les draps. J’ai tout mélangé dans ma tête.
J’avais pas encore l’âge, Vanessa non plus. Pourtant, j'ai rassemblé toutes mes économies, j'ai
demandé un éducateur de l'internat de m'accompagner pour faire des courses dans un grand
supermarché. C'est là où on allait quand on avait besoin de faire des courses. J'avais déjà
passé beaucoup de temps au rayon des draps. J’y suis allé, et j'ai acheté la paire de draps qui
me faisait rêver depuis longtemps. Quand je les ai tenu contre moi jusqu’à la caisse, ça m'a
fait comme si mon coeur était enveloppé dans quelque chose de doux et chaud, parce que je
me suis mis à imaginer comment Jessica allait réagir quand j'allais lui offrir les draps. C'était
des draps un peu roses, avec une belle princesse dessinée dessus. On avait vu le dessin animé.
Ça s’appelait Pocahontas. La princesse me faisait penser à Jessica. Sauf que Jessica est
encore plus belle: elle a des grosses lunettes, et aussi des grosses fesses. Je trouve ça très
beau. Je lui ai donné les draps en disant qu'il fallait qu'on se dépêche de devenir adultes. Elle
m'a dit qu'elle allait m'embrasser, mais en cachette. On s'est donné rendez-vous. Là, elle m'a
embrassé sur la bouche. C'était terrible. J'ai voulu la caresser partout, mais elle m'a poussé
en me disant qu'on allait se faire renvoyer. Je lui ai demandé si la semaine d'après elle serait
adultes pour qu’on puisse aller dans les draps. Elle savait mieux compter que moi et à rigolé.
Puis c’était l’heure de rentrer
Jessica était plus grande que moi. Elle est partie de l’E.M.P. à la fin de l'année. Elle m'a donné
son adresse. Mais je ne savais ni lire, ni écrire. J'ai bien dicté une lettre une fois à mon
institutrice. Mais Jessica n'a jamais répondu.
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D. GORANS « T’as d’beaux draps, tu sais ! »
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J'ai recommencé à déchirer mes draps. À l'internat. J'ai fait des crises. Du coup on m’a
conduit à l’hôpital pour me donner un traitement. Je suis resté une semaine. Ils étaient tous
gentils mais je ne me souviens plus de leurs noms. J'étais très malheureux. Comme un drap
déchiré. Maman est venue me voir. Elle n'était pas d'accord pour que j’aille à l'hôpital et que
je prenne des médicaments. Elle avait peur que j’aie la même maladie qu’elle. Alors c'est un
juge qui a pris la décision. Le médicament, ça m'empêchait de faire des crises. Mais ça ne
m'empêchait pas d’être complètement chiffonné. Comme un drap malade. Depuis ce temps-là,
je reste triste.
En sortant de l'hôpital, je suis allé dans un autre hôpital de jour. Pour plus grands. Je ne me
souviens pas bien de tout ce qui s’est passé. J'étais trop triste. Jessica-Pocahontas me
manquait. Pendant un temps j’ai eu encore besoin d'un drap fétiche. Le drap doux et chaud
autour de mon cœur avait disparu. Ça n'a pas duré parce que tout le monde se moquait de moi.
Même les filles.
Vanessa, à la demande du docteur D. Zuet, a cherché une nouvelle famille d'accueil pour moi.
J'ai dit que je voulais retourner chez Albert et Mauricette. Je pensais que j’y retrouverais
de quoi envelopper mon cœur chiffonné. Mauricette a bien voulu essayer. Elle était guérie.
Avant que je revienne habiter chez elle, elle a voulu qu'on discute avec Albert, le docteur D.
Zuet et bien sûr Vanessa. Pour les histoires de sexe. Elle a bien dit devant tout le monde
qu'elle ne pourrait jamais accepter certaines choses. J'ai compris et promis que je ferais un
effort. Je crois que les médicaments m’aidaient un peu à faire des efforts. C'était comme
des draps dans ma tête. Comme certaines fois au moment du packing.
Je suis resté chez Mauricette et Albert jusqu'à ma majorité. Ils ne veulent pas accueillir
des adultes. Vanessa aussi s’est arrêtée de s’occuper de moi à ma majorité. Il paraît que
j’étais devenu responsable. Enfin presque, puisque j’ai une carte d’handicapé et un tuteur.
C’est Marcel. Il décide pour moi. Surtout pour l’argent. Quand je veux m’acheter des draps
neufs, c’est à lui que je demande l’argent. Une seule fois il a fallu que j’insiste : pour les draps
en soie. Il ne pouvait pas comprendre comme c’était important pour moi : dans les draps en
soie, je rêve en soie. C’est des rêves où je retrouve Jessica, mais aussi tous mes bons
souvenirs, ceux où je sens ma tête et mon cœur enveloppés dans la douceur et la chaleur. La
plupart, c’est dans les familles d’accueil. Il y en a aussi un tout petit peu avec ma mère,
d’autres pendant les séances de packing, avec le docteur D. Zuet.
Depuis que je suis adulte, j’ai dû retourner deux fois à l’hôpital. Le psychiatrique. Une fois
juste à ma majorité parce qu’on ne savait pas où me mettre et que je recommençais à faire
des crises. J’étais dans des moches draps ! Une autre fois, quand maman est morte : je ne
dormais plus et ne mangeais plus. C’était très différent de quand j’y suis allé enfant. Sauf
pour les draps et la gentillesse des soignants. Comme ils étaient moins nombreux, ils n’avaient
que le temps de sourire et de changer les draps, pas de parler.
La première fois où j’y suis retourné, le docteur de l’hôpital m’a proposé une famille d’accueil.
J’ai tout de suite accepté. Je savais que pour se sentir dans de beaux draps, il n’y avait rien
de meilleur. Depuis, je suis chez Maria et Paul.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 1
C. Martin, F. Renard et P. Henin (CMP Yerres) : Quel soin possible pour un patient accueilli pris dans la
rivalité famille d’accueil famille d’origine ?
C. Martin,
Infirmière, CMP Yerres
F. Renard,
Infirmière, CMP Yerres
P. Henin,
Infirmière, CMP Yerres
« Quel soin possible pour un patient accueilli
pris dans la rivalité famille d’accueil famille d’origine ? »
INTRODUCTION
Nous avons choisi de vous raconter une histoire, une de celles que vous
connaissez, c’est une histoire de rencontres peu probables, souvent compliquées,
mais si personne n’y croyait nous ne serions pas là.
Je vous parlais donc d’une belle histoire pleine de suspens, de doutes, de joies
aussi, mais surtout pleine de surprises.
Nous sommes là, équipe d’AFT, réunie dans ce bureau à attendre Léon, notre
héros principal, dont j’allais dire, dont je pensais qu’il était unique. Mais non, s’il
est unique pour nous dans ce projet que nous avons imaginé pour lui et auquel
nous cherchons à le faire adhérer, il est partie prenante de cette, histoire qui va
se jouer à trois, le symbolique oblige ; l’accueillante familiale, l’équipe d’AFT et
Léon. Et bien sûr nous avions oublié, perdu, ignoré, le quatrième acteur dont nous
passerions volontiers mais qui lui s’est rappelé à nous, compliquant les choses à
souhait, et nous rappelant à la même occasion que si les choses étaient si simples,
si la mer était toujours verte, et le ciel toujours bleu, nous ne serions pas là, et
on n’aurait même pas besoin de nous
Léon est donc un amalgame de plusieurs personnages et un patchwork de
différentes histoires grâce auxquelles nous allons essayer de partager notre
expérience toute nouvelle sur les interactions dont nous nous serions bien
passées entre la famille d’accueil, la famille d’origine et nous, arbitres de touche.
Trois coups. Le rideau se lève. Léon rentre en scène.
_ « Bonjour Léon, nous nous rencontrons aujourd’hui pour vous parler de l’AFT.
C’est un lieu de soin comme d’autres que vous connaissez déjà. »
_ « comment ? Oh non Léon, bien sûr que ça ne remplacera pas vos parents.
Dans un premier temps nous vous présenterons l’accueillante familiale. Par la
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 2
C. Martin, F. Renard et P. Henin (CMP Yerres) : Quel soin possible pour un patient accueilli pris dans la
rivalité famille d’accueil famille d’origine ?
suite, vous visiterez la maison et ferez connaissance avec la le reste de la
famille
Oui, oui elle a des enfants à peu près de votre âge
Et puis vous ferez des essais à votre rythme. Surtout sachez bien qu’à tout
moment vous pouvez dire stop et l’accueillante aussi si les choses ne se passent
pas bien.
Ensuite Léon, nous verrons au fur et à mesure, nous ferons le point toutes les
semaines »
L’aventure a débuté. Léon s’est très vite adapté à sa nouvelle vie. Il a commencé
petit à petit à se reconstruire à travers ces petits riens qui parsèment le
quotidien.
Il est beaucoup moins angoissé, moins marqué même physiquement. Le
changement s’opère. Il voit régulièrement ses parents pour des week-ends ou des
petits séjours. Et là souvent les choses se gâtent
Discours de l’accueillante thérapeutique
Je passe beaucoup de temps à essayer d’apprendre les bases d’une éducation que
ses parents n’ont pas réussi à lui inculquer, il y a du travail !
Lui apprendre à prendre soin de lui, se laver, s’habiller, se coiffer, s’occuper de
sa chambre, de son linge etc
Il faut rabâcher comme à un enfant !
Je passe des heures avec patience dans les magasins pour aider Léon à choisir
des vêtements et des chaussures qui conviennent à sa taille et à son goût. Tout
ça pour les voir disparaître au retour d’une visite chez ses parents qui trouvent
que c’est inadapté pour lui à cause de ses problèmes de pied. Quel problème de
pied ? Il marche très bien chez moi Ils ne peuvent pas le laisser tranquille !
C’est moi qui ai les difficultés à gérer à son retour, pas eux.
Je ne sais pas ce qu’ils racontent à Léon, mais ça ne lui réussi pas ! Comme si je
ne connaissais pas mon métier !
Ils n’ont déjà pas réussi à l’éduquer enfant, c’est un peu tard maintenant ! En plus
il a grossi en quelques jours, ils l’ont gavé ou quoi ? Non seulement ils critiquent
ses choix de vêtements, mais ils ne trouvent pas autre chose à faire que de
l’appeler tous les jours pour au final le perturber.
Je ramasse les morceaux moi derrière Que peuvent-ils bien lui dire ? Je suis
obligée de gérer son portable en ne lui donnant qu’un jour par semaine, après
avoir pris l’avis de l’équipe d’AFT. Mais Léon a du mal à comprendre pourquoi.
J’accompagne Léon chaque semaine le vendredi chercher son argent à la banque
et je veille avec lui à ce qu’il ne dépense pas tout d’un coup d’autant qu’il a
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C. Martin, F. Renard et P. Henin (CMP Yerres) : Quel soin possible pour un patient accueilli pris dans la
rivalité famille d’accueil famille d’origine ?
tendance à aller s’acheter de l’alcool et de boire plus qu’il n’en faut. Ça le rend
malade à chaque fois. Je suis très vigilante au quotidien. Il ne boit pas d’alcool à
la maison et ses parents à chaque visite lui offrent l’apéritif et le laissent boire à
table et acheter des flashs d’alcool fort qu’il garde dans sa chambre là-bas. Ils
le laissent s’alcooliser pour ne pas le contrarier. Il va falloir que j’en parle à
l’équipe d’AFT pour arriver à régler ce problème. On ne va pas s’en sortir sinon !
Il est mis en danger car il peut tomber dans la rue. Ça lui est déjà arrivé ! Je
crois que ses parents ne s’en rendent pas compte. Je m’inquiète pour lui moi !
Pourtant ils ont l’air de vouloir l’aider.
Ils nous prêtent leur maison familiale en Bretagne pour passer des vacances. Ça
permet à Léon de retrouver ses racines et de revoir sa famille car ses parents
ne lui proposent pas d’aller avec eux, ils ont un peu honte
Léon préfère y aller avec moi On arrive à s’entendre, c’est bien pour tout le
monde. Ça me fait plaisir qu’ils me fassent confiance. On est moins dans la
rivalité. On dirait qu’ils ont peur que je leur vole leur « enfant ». Ils se sentent
peut-être coupables de ne pas y arriver avec Léon
Est-ce pour avoir l’impression de le garder un peu pour eux qu’ils refusent que
Léon ait son adresse de domiciliation chez nous ? Ça serait tellement plus simple
pour tout le monde au niveau administratif. Ça éviterait de quémander
régulièrement à ses parents tel ou tel papier qu’ils conservent précieusement
comme « un bout de leur enfant ». il faut ruser en permanence pour obtenir
rapidement un document, pris entre l’angoisse de Léon qui n’ose pas réclamer à
ses parents et celle de devenir indépendant d’eux. Ils ne veulent pas que je
l’amène à la poste pour modifier sa domiciliation. Quitter le logement de ses
parents complètement est un déchirement pour lui ou ses parents ?
Discours de la famille d’origine
Aujourd’hui, j’ai rencontré un médecin, des infirmières et je ne sais plus qui
semblait savoir mieux que moi ce qu’il fallait faire avec Léon. Et en plus, il faut
que je passe par l’équipe pour pouvoir voir mon fils, et bien je ne le prendrais que
quand ça m’arrangera. Ce week-end, il est chez nous et bien sûr il faut que j’aille
lui acheter des chaussures, elle n’a toujours pas compris qu’il a besoin de
chaussures qui tiennent bien la cheville de mon Léon, sinon il boite. Je n’ai plus
qu’à jeter celles qu’il avait aux pieds. Et puis il a encore maigri et il a très
mauvaise mine mon Léon. Comment s’en occupe-t-elle ? Selon le médecin, je dois
la laisser faire et si je ne suis pas contente je n’ai qu’à le récupérer. Ils ne se
rendent pas compte que je suis fatiguée. On a le droit de profiter enfin de notre
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 4
C. Martin, F. Renard et P. Henin (CMP Yerres) : Quel soin possible pour un patient accueilli pris dans la
rivalité famille d’accueil famille d’origine ?
retraite ! J’en ai bien assez fait pour lui ! Et puis je ne peux même pas l’appeler
quand je veux ! Elle lui retire son portable et ne lui donne qu’une fois par
semaine, soit disant que je l’appelle trop et que ça le perturbe et l’angoisse. Sans
parler du fait que l’équipe ne veut pas me donner les coordonnées de la famille
qui l’accueille, comme si j’allais m’imposer et débarquer chez eux. Et s’il arrivait
malheur, comment pourrais je le prévenir mon pauvre Léon. Puisque c’est comme
ça, je vais suivre leur voiture lorsqu’ils viendront au CMP et je verrai où il habite
mon Léon. Ce que j’ai fait.
Mais alors là, ça a été le drame, aussitôt elle a téléphoné au CMP pour signaler
ma présence chez eux alors que je voulais juste lui apporter sa carte de
mutuelle ! Et puis je n’avais pas le choix, puisque les infirmières ne veulent plus
lui transmettre les colis que je déposais pour Léon au CMP, elles attendaient
plusieurs jours et les bananes et les clémentines que j’y mettais étaient trop
mûres. Franchement, ces infirmières elles pourraient lui apporter ces colis le
jour où je les dépose ! Il doit avoir faim mon Léon ! Ils ne savent pas qu’il aime
manger des fruits vers dix heures le matin pour ne pas avoir son coup de fatigue.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis obligée de le faire moi-même. Au moins, je
sais où il habite, ça va, c’est une belle maison et le secteur est calme. Même si ce
n’est pas aussi bien que chez nous il doit avoir la vie dure là-bas ; il est obligé
de faire son lit, entretenir sa chambre, mettre la table, faire la vaisselle,
apprendre à faire à manger. Il est si fragile mon Léon. Ils ne peuvent pas le
laisser se reposer un peu ? Il me fait de la peine quand je le vois, il a l’air triste
d’être loin de chez nous si longtemps. Et en plus ils veulent que son adresse soit
chez eux. Non mais ça ne va pas ! Sa maison c’est ici. Qu’est-ce que ça veut dire ?
il en est hors de question. Il ne peut pas se débrouiller tout seul pour ses
papiers, heureusement que je suis là pour m’en occuper
CONCLUSION
L’histoire n’est pas terminée. L’aventure se poursuit avec des hauts et des bas,
des avancées inattendues et des échecs récurrents, mais nous sommes bien
obligés de tenir compte de tous les protagonistes de l’histoire. En effet, si la
partition se joue à trois entre :
-Le patient, pris dans son histoire, sa souffrance, ses attentes.
-La famille d’accueil dans sa composition, son environnement socio-économique,
son histoire, et son évolution propre, car elle aussi elle change.
-L’équipe soignante porteuse d’un projet de soin réactualisé sans arrêt.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 5
C. Martin, F. Renard et P. Henin (CMP Yerres) : Quel soin possible pour un patient accueilli pris dans la
rivalité famille d’accueil famille d’origine ?
Comment faire avec la famille d’origine souvent maltraitante et la nouvelle dont
la fonction n’est pas de remplacer celle d’origine ni de combler le patient mais de
l’accueillir dans un monde de parole et d’affect, dont la fonction est d’être
thérapeutique sans céder à la facilité de désigner la famille responsable de tous
les maux.
Nous avons voulu partager cette histoire avec vous sachant qu’il n’y a bien sûr ni
recette, ni baguette magique. Et pourtant .
Si toutefois notre histoire vous est quelque peu familière, si vous avez des idées
ou des conseils, nous sommes à l’écoute
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 1
Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
R. Bocquet, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
B. Chrzanowski, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
S. Pereira Lopez, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
P. Favre Taillaz, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
A. Mirdjalali, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
C. Perrot, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
Dr Velasco, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
« Famille de naissance. Renaissance en famille. »
Nous avons choisi de vous présenter notre travail de réflexion autour d’un
aspect, à notre avis, peu élaboré, de notre pratique. Il s’agit du caractère
spéculaire, en miroir, du lien qui peut exister entre le patient et la famille d’accueil.
Nous verrons comment, de prime abord, ceci est en lien avec son rapport avec sa
famille d’origine mais, surtout, avec le lien que le sujet entretient avec sa propre
structure psychique. C’est un travail en cours de réflexion que nous vous présentons
dans cet atelier, non-fini, et, pourrait-on dire, infini ? C’est donc une chance de
pouvoir réfléchir ce matin à côté d’une équipe qui est confronté au même problème
que nous.
Le cas que nous avons choisi d’exposer, avec les modifications qu’impose
l’anonymat, est celui d’une femme qui vit dans une famille d’accueil depuis plus de
deux ans, après un long parcours de vie institutionnelle de plus de vingt ans. C’est
donc, un de ces cas de patients que l’on appelle chroniques, autant par sa pathologie,
une psychose déclenchée à l’enfance, que par quelques stigmates institutionnels.
C’est une femme qui, depuis que nous la connaissons, s’exprime peu. Elle ne donne pas
facilement de détails sur sa vie passée, bien moins, certainement, qu’avec sa
thérapeute qu’elle voit une fois par semaine. Elle s’exprime donc souvent sur la
forme de plaintes somatiques répétées, ou bien en se focalisant sur certains
passages douloureux de sa vie.
Alors, pour des patients comme elle, l’AFT peut s’avérer d’une grande
richesse clinique puisque nous assistons à ce que l’on peut appeler une clinique en
situation relationnelle, ce qui peut nous apporter des éléments essentiels à la
compréhension du cas et peaufiner, ainsi, notre travail.
En effet, à différence des entretiens psychiatriques classiques,
l’accompagnement de cette femme dans un AFT, nous donne l’opportunité
d’observer le mode relationnel que le patient établit avec le monde à travers cet
« échantillon », morcelé, qui représente la famille d’accueil pour un patient.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 2
Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
Ce rapport transférentiel nous renseigne aussi sur un rapport plus large, avec
l’Autre, ce qui inclut, bien entendu, sa propre famille d’origine. Lorsque nous
engageons un travail avec la famille du patient, quel que soit le nombre des
personnes qui assistent, nous convoquons un signifiant très particulier, La Famille,
lui-même présent dans l’esprit du patient dès lors que nous parlons d’un projet de
vie dans une famille d’accueil.
C’est donc une hypothèse qui pourrait se résumer ainsi : le lien qui s’établit
entre un patient et la famille d’accueil se fonde, en partie, sur un rapport
spéculaire. Ce rapport à un double rend compte de certaines difficultés que nous
rencontrons dans des prises en charge en AFT et n’est pas étranger au rapport que
le patient a établi avec sa propre famille. Mais, au-delà de ce rapport c’est le type
de rapport que le patient entretien avec lui même à travers ce double miroir aux
contours flous constitué par la famille d’origine et la famille d’accueil.
Cas Clinique :
Le cas dont je vais vous parler est celui de Mlle V, qui est l’aînée d’une fratrie
de deux sœurs. Leur mère, institutrice de profession, est décédé à l’age de 55 ans
dans une déchéance sociale majeure. Le père, agent commercial, est qualifié par
Mlle. V, comme un fou paranoïaque, maltraitant et dangereux, aussi bien pour elle
que pour sa mère. Peu d’éléments nous sont connus de lui. Il se serait suicidé,
apparemment.
Dans la génération des grands parents, on trouve des figures de proue du
mouvement psychanalytique français du XXe siècle, ce qui a permis à Mlle V. de
bénéficier de soins attentifs et diversifiés, avec des mesures spécialisées et des
mesures éducatives multiples (cours privés de langues, piano, danse, etc.). Or, Mlle
V garde un souvenir très nuancé de tous ces efforts familiaux. Elle se vante d’avoir
quelques mots dans d’autres langues, mais elle pense que tout cela l’a mis dans une
position d’objet que l’on gave sans cesse. Et c’est bien une des choses qu’elle
redoute le plus : être trop gâté par la dame d’accueil. Nous pouvons voir les
difficultés d’un sujet lorsqu’il est pris complètement pris en charge par sa famille.
Un événement familial précoce est venu marquer cette femme et sa famille.
C’est un moment où co-incident différents aspects. La naissance de sa petite sœur
survient au même moment que l’on découvre l’existence d’une relation
extraconjugale du père ainsi que la naissance d’un enfant de cette relation, le tout
donnant lieu à une séparation des parents.
Le récit familial donne l’image d’une Mlle. V. comme «un bébé géniale » jusqu’à
l’age de 18 mois, moment de la naissance de sa sœur. Les premiers mouvements
agressifs commencent lorsque Mlle. V. essaie de frapper le ventre de sa mère
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 3
Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
enceinte. Cette agressivité augmente après la naissance sans que l’émergence de la
parole ne soit au rendez-vous. En effet, agressivité et mutisme ont caractérisé
l’enfance de Mlle. V., qui dit n’avoir commencé à s’exprimer que vers l’age de 11 ans.
À sa place, des gestes agressifs inquiétants car répétés qui sont restés comme des
composants fondamentaux des griefs que la sœur lui adresse et qui renvoient à un
acte pour le moins étonnant : un jour, au moment du déjeuner, Mlle V. a pris un
couteau et a essayé de « tuer l’ombre de sa sœur ».
Arrêtons-nous quelques instants pour commenter cet acte agressif, à la
lumière des travaux de deux psychanalystes : Otto Rank et Jacques Lacan.
Otto Rank, psychanalyste contemporain de Freud, a écrit un remarquable
travail sur la question du double publié en 1914, où il explore ses multiples
interprétations possibles. À partir des éléments littéraires, mythologiques et
cliniques, Otto Rank fait une analyse sur le mode de rapport que l’être humain
établit avec son Moi devenu indépendant à travers la figure d’un double1. Pour Rank,
l’ombre d’une personne était, dans un monisme primitif, la première tentative de
l’homme pour situer son âme. Cette croyance évolua à travers le temps avec une
opposition dualiste entre l’être et son ombre qui devint la partie obscure de
l’individu. Dans son analyse sur les exemples de la littérature Rank étudie, parmi
d’autres, l’œuvre de grands auteurs connus : Hoffmann, (L’Histoire du reflet perdu,
Les élixirs du diable, Le double), ou bien celle de Goethe, (Fiction et vérité), de
Maupassant, (Le Horla) Dostoïevski, (Le Double), Wilde (Le portrait de Dorian
Gray). Il devient claire à la lecture de cette analyse, que le double devient
fréquemment un persécuteur indéfectible pour les personnages et c’est bien l’une
des difficultés de notre pratique, facilement mis en évidence chez des sujets
paranoïaques.
Otto Rank dessine un grand nombre de pistes d’étude de la problématique du
double : Il évoque la division de la personnalité2. Mais il évoque aussi « La
superstition qui a rapport à la renaissance du père dans le fils » chez les Zoulous3.
Plus encore, chez les Chrétiens, l’idée l’existence d’un ange et son rival le diable,
figures de vie et de mort, montrent déjà une intuition concernant l’origine double de
ces productions dans les individus,4 une hypothèse qui fit le lit des variantes
religieuses dualistes. Enfin, sans pouvoir faire une liste exhaustive de ses
réflexions, disons que dans le double gisent, pour Rank, des aspects les plus variés
1
Rank O., Don Juan et le Double, Payot, Paris 1973, p. 17
2
Idem, p. 55
3
Idem, p. 60
4
Idem, p. 72,73
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 4
Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
comme l’amour narcissique,5 la crainte et le culte des jumeaux6, dans l’amour et la
haine de l’autre,7 et la punition auto infligée à travers des mythes aussi répandus
dès nos jours que celui du diable.8
Dans une ligne plus clairement clinique, Jacques Lacan a décrit dans son
article sur Le stade du Miroir, publié en 1938 la fonction à jamais constituante et
aliénante de la figure spéculaire du double9. Dans la psychose, là où le je doit
advenir, le Moi reste figé et conflue vers lui le rapport du sujet au monde. Il a
ensuite abordé cet aspect dans son Séminaire III sur Les psychoses en décrivant
avec précision les effets de capture imaginaire dans lequel se trouve le sujet
psychotique face à un semblable qui occupe la place d’un double, ce qui est repérable
dans notre clinique quotidienne. La capture imaginaire n’est pas prévaut sur l’axe
symbolique qui, lui, ne produit pas les effets de distanciation avec l’autre.
L’agressivité est alors l’une des conséquences parmi d’autres de ce seul mode de
rapport.
Or, c’est bien dans cet axe qui se trouvent les deux sœurs ce qui est
manifeste dès qu’on les réunit dans un même espace. Tout en vantant la beauté de
sa petite sœur, Mlle. V. devient agressive en actes envers sa sœur. Celle-ci, à un
degré moindre, mais aussi présent, adresse ses griefs et, dans un élan d’enrichir les
éléments biographiques, corrige sans cesse la version de sa sœur. C’est bien l’une
des conséquences de la forclusion du Nom du Père qui pose de problèmes à Mlle. V.
Ne disposant pas d’un signifiant clé de voûte du registre symbolique, elle se place
souvent sur le registre imaginaire, où le double devient le support de prédilection.
Je cite Lacan : « Dans la mesure où le rapport reste sur le plan imaginaire, duel et
démesuré, il n’a pas de signification d’exclusion réciproque que comporte
l’affrontement spéculaire, mais l’autre fonction qui est celle de la capture
imaginaire ».10 L’autre devient un double pour le sujet.
Si l’on prend en compte l’apport de Rank et de Lacan, le double de l’ombre de
la sœur que Mlle. V. a voulu tuer représente une image qui, en partie, la constitue
elle-même. C’est un double du double. C’est un autre et en même temps c’est elle-
même. C’est une prothèse imaginaire là où le symbolique, la parole, fait défaut.
5
Idem p. 75
6
Idem p. 89
7
Idem, p. 109,110
8
Idem, p. 115
9
Lacan, J., Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, in Ecrits, Seuil, Paris 1966,
p. 93
10
Lacan, J. Le séminaire, livre III, Les psychoses, Seuil, Paris 1981, p. 230,231.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 5
Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
Mlle. V. se positionne souvent dans ce même registre lorsqu’il s’agit de décrire
son lien avec la dame d’accueil. Il n’est pas question, là, d’actes agressifs envers
celle-ci, mais bien d’une ambivalence majeure. Dans ce rapport, sont convoqués à la
fois le versant imaginaire mais aussi la réaction d’opposition à toute tentative d’être
trop gâtée par la dame d’accueil. C’est une crainte de se retrouver dans la position
qu’elle a occupée pendant une bonne partie de sa vie. Mlle. V. confirme ses craintes
lorsqu’elle nous dit avoir une méfiance envers l’Autre qu’elle qu’elle décrit comme
hostile et carnivore. Et c’est là qui gisent nos efforts, dans la position prise par
l’équipe lors de son accompagnement dans le dispositif d’AFT. Or, c’est une position
qui ne peut pas être une figée. Elle évolue au gré des variations fréquentes dans le
lien entre Mlle. V. et la dame d’accueil. Parfois notre position peut être comparé à
celle d’un arbitre qui doit prendre en compte des règles et des limites sans oublier
que des nuances sont à porter constamment dans le cadre complexe de l’AFT. Les
limites ne sont pas toujours à mettre du côté du patient. Les bonnes intentions
voire la compassion de la dame d’accueil peuvent mettre Mlle. V. dans une position
inconfortable qui la pousse à l’étouffement et, ainsi, à la colère. Aussi, l’un des
efforts sans cesse renouvelés consiste à inviter la dame d’accueil à ne pas se situer
sur le même registre spéculaire de la relation, ce qui n’est pas chose aisée,
notamment lorsque Mll. V. lui adresse ses doléances ou des reproches.
Le propre de la clinique, c’est de nous apprendre au cas par cas, et ces
réflexions qui nous orientent dans notre accompagnement du cas peuvent ne pas
être généralisés. Par ailleurs, nous aurons pu ouvrir des multiples tentatives
d’élaboration psychopathologique, et peut-être cela nous permettrait d’avoir une
élucidation majeure du cas. Nous pourrons éventuellement en parler dans la
discussion qui va suivre. Mais, pour étayer l’hypothèse initiale nous en resterons là
pour l’instant.
Il reste, pourtant, à évoquer ce que nous a apporté des entretiens familiaux
engagés depuis 6 mois, ainsi que d’éclairer le titre de notre exposé qui pourrait
rester, sinon, un peu trop romantique.
Cela n’était pas la première fois que des entretiens avec la famille d’origine
étaient engagés. En 1999, l’équipe de l’intra-hospitalier avait déjà commencé ce type
de travail avec des résultats très positifs au début. Les observations faites
rendent compte d’un recueil d’éléments biographiques importants. Mais, au bout des
3 séances l’agressivité verbale et physique de Mlle. V. envers sa sœur ont rendu
impossible la poursuite du travail.
Les entretiens que nous avons engagés avec la famille, qui était resté très en
retrait jusqu’alors, ont eu une évolution similaire. Ceci nous a permis de prendre
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 6
Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
conscience du grand attachement spéculaire qui relie la patiente à sa sœur, avec
des propos mielleux mais des actes agressifs. D’une manière plus large, nous avons
constaté que l’agressivité souvent réciproque, est souvent compréhensible vue les
antécédents mais elle l’est aussi par un autre biais. L’agressivité qui s’exprime
comme nous le savons de différentes manières a deux origines différentes selon
qu’il s’agisse de Mlle. V. ou de sa famille. Pour la première, il s’agit d’une capture
imaginaire structurale, psychotique. Pour la deuxième, il s’agit d’un retour du refoulé
qui accompagne les griefs qui ne cessent de faire irruption. Pouvoir identifier
l’origine différente d’un même symptôme peut s’avérer utile lorsqu’il s’agit de
remanier le cadre, et c’est l’un des bénéfices de ce travail avec la famille d’origine.
En effet, c’est ainsi que nous avons été conduits à re-évaluer récemment le
cadre. Nous avons interrompu, pour l’instant, les entretiens familiaux où se
retrouvent ensemble la patiente et sa famille. Recevoir la patiente dans un premier
temps puis la famille dans un deuxième temps fut l’aménagement le plus adapté pour
nous. Cela nous a permis de poursuivre le recueil d’éléments biographiques et, ainsi,
de mettre Mlle. V. dans une perspective historique diachronique inexistante
jusqu’alors. En effet, les éléments de vie dont la patiente ne peut pas rendre
compte nous sont apportés par la famille sans les mettre dans un face à face. Mais,
et c’est là, un des bénéfices de ce travail avec la famille des patients chroniques,
Mlle. V. est réintégrée dans une histoire, avec un passé, et un avenir à construire.
Si la famille d’accueil représente une réelle chance de fonder un avenir digne
pour un patient aussi handicapé, c’est grâce à la mise en perspective historique que
nous pourrons réussir. La famille de Mlle. V. est, ainsi d’une grande aide pour nous,
car elle vient palier le manque de précisions biographiques de ce qu’a vécu, et que
continue à vivre, Mlle. V. nous a fait part récemment de la place à laquelle elle nous
met lorsqu’elle s’adresse à Mme. Mirdjalali, psychologue de notre unité : « Mme.
Duplicata prenez ma défense ». Cette identification vaut autant pour la demande
de positionnement qu’elle nous adresse en tant qu’équipe. Mais cela représente
aussi, comme nous l’avons vu avec cet exposé, une mise en garde pour la suite de
notre accompagnement des risques encourus à se placer dans cette place de double.
Là où prédomine l’imaginaire, nous devons déplacer le rapport sur un autre registre
afin d’éviter le piège que le double nous offre.
Renaissance en famille est autant une nouvelle vie dans une famille d’accueil
que le long et difficile processus pour retrouver une place dans sa famille de
naissance et dans son histoire.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 1
M. Pavelka & M. Guiader, « De l’indication se soin en AFT-Enfants »
Dr Martin PAVELKA
Pédopsychiatre, Médecin responsable U.A.F.T.-Enfants, Secteur 91-I-05, Sainte-
Geneviève-des-Bois
Mme Mireille GUIADER
Infirmière psychiatrique, Cadre de soin, U.A.F.T.-Enfants, Secteur 91-I-05, Sainte-
Geneviève-des-Bois
« De l’indication de soin en AFT-Enfants »
Résumé :
La question d’indication ou non de soin en accueil familial se pose dans tous les cas où la séparation protectrice
s’impose et/ou où la séparation thérapeutique apparaît salutaire, qu’il s’agisse des accueils permanents
continus ou des accueils séquentiels, qui suscitent le débat.
L’examen en 2006 de 44 situations d’enfants accueillis dans les UAFT de l’Essonne, de leurs troubles au
moment de l’admission, est mis en rapport avec plusieurs approches théorico-cliniques qui peuvent s’avérer
utiles au moment de peser l’indication et la contre-indication. Les facteurs étiologiques de l’environnement, les
troubles psychopathologies de l’enfant, l’âge d’admission, type d’accueil, sex ratio seront examinés.
Présentation de l’Unité et du dispositif d’A.F.T. dans Essonne
Notre unité est située à Sainte-Geneviève-des-Bois. Nos locaux se trouvent dans
un pavillon avec jardin, spécialement aménagé pour notre pratique.1
L’unité prend en charge une vingtaine d’enfants et leurs parents. Nous travaillons
avec une dizaine de familles d’accueil, chacune accueillant au maximum 2 enfants.
Aujourd’hui l’unité dispose de 5,7 ETP de soignants (médecins, infirmiers
référents, psychologue).
L’unité fait partie d’un dispositif sectoriel de soin développé depuis 1972, avec
les premiers accueils familiaux thérapeutiques depuis cette année là.
Notre service dépend de l’EPS B. Durand à Etampes.
Notre département dispose de 5 secteurs de pédopsychiatrie dont 4 sont dotés
d’un A.F.T.-Enfants. 3 de ces secteurs dépendent de notre hôpital. Je le précise
parce que c’est dans ces 3 unité qu’a eu lieu l’enquête sur les indications, dont on
va vous parler pour introduire la discussion.
1
Détails dans l’article : Martin PAVELKA, Sylvie DENIZET, Dominique ROITEL, Véronique
ARIGNO, "Accueil familial à but thérapeutique - Soin par médiation", Perspectives Psy, Vol 46,
No1, janv-mars 2007, p.30-38.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 2
M. Pavelka & M. Guiader, « De l’indication se soin en AFT-Enfants »
Sur la totalité des enfants accueillis en FA dans notre département 5%
bénéficient de nos dispositifs sanitaires.
( 640 ASE + 400 Associations + 55 AFT = Total 1100 )
Présentation de l’enquête
Nous avons donc réalisé une enquête sur les indications de soins en UAFT auprès
des 3 équipes de 3 secteurs pédopsychiatriques. L’enquête incluait le 44 enfants
admis à cette période.
Le groupe de W d’auto-évaluation, dont nous avons fait partie, a procédé ainsi :
Il a rassemblé les concepts théorico-cliniques sur lesquels se base le projet de
soin des unités, puis il a fait le postulat des indications de soins en AFT par le
prisme des diagnostics des patients concernés.
Ensuite, par l’intermédiaire d’une enquête rétrospective et anonyme, il a établi
une image réelle des psychopathologies au moment de l’entrée dans le dispositif
de soin pour les patients actuellement pris en charge.
Des fiches individuelles anonymes ont été distribuées en juin 2006, le recueil
des données a eu lieu courant juillet-août.
La fiche relève les informations suivantes
Le sexe, L’âge actuel, l’âge à l’admission, type de soin (permanent
continu/permanent partiel/séquentiel), Nombre de FA successives, type de
Mesure de protection, origine de la demande de soin, et ce qui nous intéresse
surtout le diagnostic pédopsychiatrique à l’admission, tel qu’il a été déterminé
par l’équipe de l’UAFT, sur la base des dossiers de présentation et les
observations de l’équipe lors des entretiens d’admission. Le groupe a travaillé
avec la Classification Française des Troubles Mentaux de l’enfant et de
l’Adolescent - sa Révision 2000.
Cela a permis de tester la pertinence des indications de soin en AFT, en coupant
les postulats préalables avec les résultats de l’enquête.
Indication de soins vs. Objectif du soin
Il y a bien un rapport direct entre les INDICATIONS (en bleu) est les
OBJECTIFS du soin (en bleu claire) mais il est utile de les différencier.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 3
M. Pavelka & M. Guiader, « De l’indication se soin en AFT-Enfants »
Disons que les objectifs d’action de nos dispositif sont le suivants:
1) soigner les phénomènes pathologiques chez l’enfant (précoces, instables ou
déjà fixés et structurés),
2) atténuer ou neutraliser les facteurs étiologiques et associés de
l’environnement entravant le développement de l’enfant (son individuation,
son affectivité, sa pensée, sa parole, ses comportements sociaux, etc.
3) accompagner et soigner le lien parent-enfant entravé par la
psychopathologie parentale entraînant les troubles de la parentalité
(dysparentalité).
L’indication comporte 2 dimensions qu’on peut différencier, même si elles sont
naturellement imbriquées dans nombreux textes sur notre pratique :
1ère dimension - Indication au vu de la pathologie présentée par l’enfant
(le diagnostic du trouble) ;
2ème dimension - Indication au vu de l’environnement de l’enfant (la
dysparentalié et ses dangers)
Cette imbrication reflète l’imbrication de chaque individu avec l’environnement
qui l’entoure :
Je citerai l’extrait d’un des premiers textes sur indication en AFT sanitaire :
Dès 1973 l’équipe du CFAT de Soisy sur Seine précise2 :
Le dispositif est conçu pour recevoir des enfants présentant des troubles
psychiatriques, impossibles à traiter dans le cadre familial, tant en raison des
carences globales dont les enfants souffrent au sein de leur famille, que de
l’intolérance par les parents de la pathologie de l’enfant Toute la gamme de
pathologie mentale de l’enfant est représentée ; et c’est la nocivité d’inter-
rélation entre la pathologie de l’enfant et celle de la famille qui détermine cette
mesure thérapeutique. Une forte proportion de ces enfants est « en danger » au
sein de leur famille.
2
Myriam DAVID & coll « Le Centre familial d’action thérapeutique », L’Information psychiatrique, Vol 49, No
7, Septembre 1973.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 4
M. Pavelka & M. Guiader, « De l’indication se soin en AFT-Enfants »
Nous voyons bien cette imbrication.
Il se trouve que la Classification diagnostique CFTMEA est conçue pour bien
rendre compte de ces 2 dimensions :
- sur L’axe I elle qualifie la psychopathologie de l’enfant
- sur L’axe II elle qualifie l’environnement de vie de l’enfant
L’Axe I est lui même partagé selon l’âge en l’Axe BEBE - pathologies précoces (0
3 ans) - et des pathologies constituées, plus tardives.
Résultats de l’enquête
1 Axe I : 33 % c’est un nombre important de très jeunes patients de 0 à 3
ans, avec des pathologies précoces. Cinq autres patients ont été séparés avant
l’âge de 3 ans mais ont été admis en AFT plus tard et sont dont répartis dans les
autres groupes diagnostiques.
Même si les bébés ne peuvent pas encore être étiquetés comme porteurs
d’une pathologie constituée (celle-ci n’existe tout simplement pas à cet âge, il en
sont pas moins porteurs de troubles graves du développement qui s’expriment
dans leurs désorganisation tonique, du contact, psychomotrice, psycho-
physiologique, etc. L’axe bébé permet de repérer cette psychopathologie
précoce.
B1 Bébé à risque des troubles sévères du développement (zones de
vulnérabilité susceptibles de l’engager dans un processus autistique ou
psychotique, sans qu’on puisse encore affirmer un tel diagnostic)
B2 Les dépressions du bébé
B3 Les bébés à risque de l’évolution dysharmonique (risque d’évolution vers
les pathologies limites)
B4 Les états de stress du bébé
B5 Hypermaturité et hyperprécocité pathologiques
B6 Les distorsions du lien (une modalité particulière du lien devient prévalente
et imprègne la relation adulte-enfant sous une forme qui tend à se figer sous des
aspects inquiétants)
Si j’insiste, c’est parce que souvent nous sommes confrontés à l’opinion que les
bébés séparés ne seraient pas, ou seraient peu malades et donc n’auraient pas
besoin de dispositif d’accueil familial avec une dimension thérapeutique.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 5
M. Pavelka & M. Guiader, « De l’indication se soin en AFT-Enfants »
2 Axe II : Les facteurs associés, antérieurs ou étiologiques pour les deux
sous-groupes (0-35 mois et 3-17 ans) sont quasi-similaires (un peu plus de
carences pour les bébés). Est-ce du fait que les parents sont devenu
dysparentaux plus tard, ou s’agit-il plus probablement du problème d’évaluation
tardive des dysfonctionnements de l’environnement parental. Ce retard
d’évaluation de la dysparentalité semble fréquemment transparaître dans les
dossiers de candidature qui indiquent les troubles de parentalité souvent
précoces, alors que les mesures de soutien, de soin ou de protection ont été
tardives. La conséquence de ce retard est l’existence, chez l’enfant, des
organisations psychopathologiques déjà installées, moins mobilisables, avec le
risque de séquelles après le soin ou de chronicité des troubles.
Autrement dit : Quand l’enfant soigné a été séparé précocement, quand il était
bébé, ce n’est probablement pas parce que son environnement serait plus nocif
que chez les enfants séparés plus tardivement. C’est le repérage et/ou
l’évaluation de sa situation qui ont été tardifs.
3 - L’âge de l’admission
Ce tableau a une présentation particulière articulée autour de l’âge de 18 mois.
C’est l’âge déterminé dans l’étude de Francis Mouhot (2003), l’âge avant lequel la
séparation protectrice est statistiquement la plus favorable pour le
développement ultérieur de l’enfant. Dans la prochaine enquête il conviendra de
recueillir également l’âge de la séparation protectrice, qui précède l’âge
d’admission à l’UAFT/Enfants. Le sous-groupe 19-35 mois englobera forcément la
majorité des patients qui ont été distanciés de leurs parents en difficulté avant
l’âge de 18 mois. C’est pourquoi il pourrait être rapproché des 3 sous-groupes 0-
18 mois. Les bébés protégés avant l’âge de 18 mois, même s’ils ont été
psychiquement affectés par leurs expériences pathogènes précoces, ont des
troubles moins fixés et grâce à une séparation rendue thérapeutique (accueil
familial avec soin) ils évolueront ensuite statistiquement plus rarement vers une
psychopathologie pédopsychiatrique avérée. Pour les patients protégés plus
tardivement (3-8 ans) et qui souffrent déjà de troubles pédopsychiatriques
installés, l’admission et le soin en accueil familial thérapeutique permettent
d’infléchir très favorablement leur développement psychique péjoratif, tendent
à réduire leurs troubles et favorisent une meilleure insertion dans une vie sociale
autonome, mais statistiquement ils garderont les séquelles manifestes dans leur
psychisme.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 6
M. Pavelka & M. Guiader, « De l’indication se soin en AFT-Enfants »
4 Mesure de protection concomitante avec la séparation thérapeutique
5 Autres paramètres
Conclusion
1/ La lecture de ces résultats incite les équipes de notre établissement à
œuvrer, dans le réseau de leurs partenaires (PMI, Maternité, Pédiatrie,
Pédopsychiatrie, Protection de l’enfance, Tribunal pour enfants), pour permettre,
quand c’est possible, une admission plus précoce en soin, afin de limiter
l’installation d’une psychopathologie grave chez l’enfant dans les cas où, malgré
l’aide adaptée, persiste une dysparentalité sévère et durable de l’environnement
familial.
2/ En cas d’admission à l’âge très précoce (avant 18 mois), si on est attentif et
formé, on s’aperçoit relativement facilement de l’importance des troubles
psychiques précoces. L’Axe I bébé est d’une grande utilité pur objectiver l’état
du bébé.
Rien ne permet d’affirmer que ces bébé présentent pas ou peu de troubles. Les
troubles psychique constitués sont impossibles à cet âge.
3/ Pour y voir plus claire on pourrait faire la différence entre :
INDICATION de soin selon la nature du dispositif (organisation, projet
médical de l’unité autisme, adolescents, classiques)
BESOIN de soin situation du point de vue de l’enfant
OBJECTIF de soin nature d’action soignante (préventive curative, étayage )
4/ Un enfant séparé même un bébé- présente toujours des troubles psychiques,
quel que soit le type de dispositif d’accueil familial qui le prend en charge.
Tout type de dispositif d’accueil familial doit comporter une dimension
intrinsèque de soin psychique.