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6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
M. Bernard, N. Dussart, M. Bibollet. Jeux d’ombre et de lumière en AFT : l’art d’être une famille
Madeleine BERNARD,
Psychiatre, Responsable de l’unité d’AFT d’Annecy
Nadège DUSSART, Madeleine BIBOLLET
Familles d’accueil
AXE n°1 : DU COTE DES FAMILLES
Jeux d’ombre et de lumière en accueil familial :
L’art d’être une famille
Il est un fait avéré depuis longtemps : la famille est le support par excellence des processus
de socialisation, de différenciation, de symbolisation à travers la diversité et la multiplicité
des expériences identificatoires et relationnelles que ses membres rencontrent.
La richesse des échanges qui en découlent, la juxtaposition, parfois la combinaison complexe,
d’espaces et de temps privés et partagés avec un patient sont, en accueil familial, des pivots
sur lesquels le patient s’appuie durant la période de vie qu’il partage avec sa famille d’accueil.
Pour aborder cette question du «pourquoi l’accueil familial produit des effets thérapeutiques
et quelles conditions réunir pour produire cet effet» nous aurions pu tenter d’approfondir les
raisons de nos échecs. Ce n’est pas cette idée qui nous est venue mais celle de réfléchir
ensemble, avec les familles avec lesquelles nous travaillons. C’est le fruit de cette réflexion
commune, faite d’une série «d’allers-retours» entre les réunions en grand groupe familles
d’accueil/équipe d’AFT et les réunions hebdomadaires de notre l’équipe, menées tout au long
de l’année 2002/2003 que nous vous proposons.
1. Deux témoignages
Nadège DUSSART vit en pleine campagne (on peut même peut-être dire montagne !) dans une
grande maison dont elle a assuré la restauration au fil des années. Elle a 3 enfants dont les 2
plus jeunes de 15 et 8 ans vivent avec elle. Elle accueille des patients depuis de nombreuses
années et est actuellement organisée en famille thérapeutique, 5 patients (dont 3 des unités
de soins psychiatriques d’Annecy) vivent avec elle et un co-accueillant.
«Les motivations qui m’ont amenée au choix d’être famille d’accueil sont forcément très
simples.
Je suis tout d’abord éducatrice spécialisée, j’ai travaillé depuis plus de 20 ans dans les
institutions, et j’ai commencé à saturer.
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J’ai appris que l’accueil familial pour adultes existait, je me suis donc lancée dans ce type
d’accueil.
Avantage : travail à domicile, possibilité de travailler à l’extérieur si le besoin s’en ressent,
peu de frais de déplacement, pas de frais de garde d’enfants. On peut trouver des centaines
de raisons logiques.
Puis une autre motivation se met à jour : sortir le patient du système hospitalier où ce dernier
n’est, à mes yeux, considéré que comme un objet et non comme un sujet. (la blouse blanche qui
se dit sensée avoir la connaissance). Le patient, lui, demande la reconnaissance car la
connaissance, il l’a, consciente ou pas.
Questions : mais pourquoi se laisser envahir chez soi et, notamment, laisser une place si
importante à la maladie mentale ? Finalement le travail dans un bureau c’est pas si mal ou bien
laisser la maladie à l’institution, c’est pas mal non plus.
Et non, j’ai choisi de la regarder de près. Finalement chacun son parcours personnel. Le choix
n’est pas anodin.
Je pense que l’accueil a été, et est un échange permanent et fort autant que nécessaire
puisque j’en ai fait le choix. C’est une manière de lever le voile. Le voile s’est levé, quand un
lien s’est fait entre l’accueil et l’histoire familiale.
Au cours de ma recherche d’histoire familiale, j’ai eu la connaissance de l’existence d’un grand
oncle (qu’on appellera Vincent). Il était malade mental et a été dénié dans son état de
souffrance. Cet homme est mort jeune (la cause ?). En voyant les photos de famille, j’ai
toujours posé des questions à son sujet et c’était le silence total sur son état et son décès
précoce. Le frère de cet homme a accueilli chez lui, plus tard, dans des conditions lamentables
(petite pièce à côté d’une porcherie) un handicapé mental en tant que commis à la ferme.
J’allais souvent en vacances, en étant jeune, dans cette ferme et j’allais rendre visite à ce
commis ; on m’en empêchait, je le trouvais malheureux et triste. Il avait un bec de lièvre et, si
je le fréquentais de près, il allait m’arriver la même chose.
Dans l’ordre des choses, mon père a eu, lui aussi, son lot : à 55 ans il est en préretraite
obligatoire, il fait une jolie dépression, ma mère n’a pas supporté, finalement il en est mort.
Quelque part il n’a pas été entendu lui non plus. Quand je remonte dans le temps, je me rends
compte que l’histoire de la maladie mentale, à chaque fois revient sur le tapis.
Oui, je pense que j’effectue une réparation de l’histoire familiale. La mise en place de l’accueil
familial thérapeutique me permet aujourd’hui de mettre à jour le non-dit de la souffrance
mentale. Egoïstement, je pense à moi, mais aussi à mes enfants et à mes petits enfants à
venir. Je pense que chacun s’est débrouillé avec les moyens du bord, avec ce qu’il était.
Vincent on l’a évincé ; le deuxième on l’a accueilli dans des conditions de vie difficiles pour lui
mais il avait une fonction ; le troisième, mon père, je m’en suis occupé mais il est mort trop
tôt.
Et voilà que je transporte chez moi une possibilité de réparation
Finalement «bon troc», non ? »
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M. Bernard, N. Dussart, M. Bibollet. Jeux d’ombre et de lumière en AFT : l’art d’être une famille
Madeleine BIBOLLET vit en milieu semi urbain avec son fils adulte et un autre jeune adulte
dont elle a été l’assistante maternelle pendant de très nombreuses années et qui a choisi de
continuer de vivre à son domicile. Elle accueille depuis un an une patiente des unités de soins
psychiatriques de l’hôpital d’Annecy, patiente psychotique, hospitalisée pendant plusieurs
années, difficile à prendre en charge.
«Mes motivations dans l’accueil familial thérapeutique : travailler pour un salaire, sur et avec
l’humain.
La famille d’accueil par son écoute attentive, son accompagnement de tous les instants et du
seul fait d’accueillir permet au «placé» de faire partie d’une histoire et par là même d’être.
Pour aider la personne à être mieux, je dois distiller à la fois l’amour et l’autorité, laisser une
grande place à l’écoute et au dialogue, fixer des limites qui lui serviront à s’inscrire dans la vie
sociale. Je peux être un guide, accompagné moi-même par des cadres techniques : AFT et
médecins spécialistes. Mais le guide n’est pas toujours clairvoyant et force est de constater
que, selon les situations, il peut perdre le nord. Mon métier est constitué de certitudes, de
repères théoriques mais aussi de beaucoup de tâtonnements. Je dois tenir compte du cœur
et de la raison, en accepter les contradictions dans le respect de nos différences même si
cela n’est pas facile.
La famille d’accueil s’inscrit dans le temps présent, le temps du quotidien. Le passé lui échappe
et le futur est incertain. C’est dans le présent que la famille d’accueil tente de donner ou de
redonner à la personne une mémoire affective de la vie quotidienne, de l’ambiance familiale,
des petites habitudes et des petits riens qui font les évènements de la vie ordinaire.
La mémoire concrète du quotidien se fait de souvenirs qui s’ancrent dans des lieux, des
objets, des photos, des valeurs et des traditions du groupe familial. Le «nous» est important.
L’homme a toujours eu besoin de faire partie d’un groupe, de s’y référer : sa famille, une fois
scolarisé des amis ayant les mêmes affinités et enfin, adulte, au travers de son métier, de ses
loisirs. J’espère que ces mémoires affectives et vécues au fil du temps donneront un «autre
sens» à la trajectoire de l’individu.
Suite à diverses formations, j’ai pris conscience que certaines raisons personnelles motivaient
mes choix de travail en accueil familial.
J’ai été assistante maternelle pour pouvoir m’occuper de mes propres enfants mais ce choix
était finalement motivé par le vécu de mon enfance. J’ai perdu mon père à 7 ans et j’ai été
très vite responsabilisée dans les tâches familiales. Je devais garder mon petit frère de 22
mois lorsque ma mère était occupée aux travaux de la ferme. Il m’était très douloureux de
devoir rester à la maison au lieu d’aller jouer comme mon frère de 5 ans avec les enfants du
village.
Notre ouvrier agricole était un homme blessé par les aléas de la vie qui avait «son monde à
lui». A son décès, le chagrin m’a fait comprendre la place qu’il avait occupée dans ma vie : sans
toutefois remplacer mon père, sa présence devait me rassurer.
Mon mari était curateur de sa sœur malade mentale. Toute la famille élargie l’aimait bien mais
craignait ses réactions et la laissait de côté. «Elle ne peut pas s’intégrer dans la famille»
disaient-ils.
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M. Bernard, N. Dussart, M. Bibollet. Jeux d’ombre et de lumière en AFT : l’art d’être une famille
S’il n’y a aucun plaisir à échanger et à travailler ensemble le climat devient vite insupportable ;
sans une certaine distanciation, l’intimité première qui permet l’intégration risque d’aboutir
rapidement à une situation conflictuelle.
Je pense, aussi, qu’il est nécessaire d’avoir des projets pour la personne accueillie. Elle a
besoin d’être stimulée, encouragée, reconnue dans ce qu’elle est, dans ce qu’elle fait. C’est
avec patience et détermination que je dois fixer les objectifs. La persévérance doit être de
mise sinon on risque l’essoufflement voire le découragement.
Pour moi, l’accompagnement de l’équipe AFT est très important. L’AFT mesure les effets
engendrés par le placement et les écarts par rapport aux objectifs initiaux. L’évaluation est à
situer dans une dynamique de changement, c’est un regard critique sur l’action menée et non
pas sur la famille d’accueil.
L’équipe AFT apporte une distance et en même temps une certaine compréhension de ce qui se
vit au quotidien. Je me sens intégrée, soutenue et reconnue au sein de cette équipe. »
2. Commentaires
Nous reprendrons, pour amorcer la discussion, trois idées contenues dans les témoignages que
vous venez d’entendre, idées qui nous semblent essentielles.
.
A- Le «NOUS».
Madeleine l’évoque explicitement («le nous est important» dit-elle). La famille est un groupe
et c’est en tant que groupe singulier, ayant une histoire singulière qu’elle accueille un
«étranger».
La famille joue un rôle central dans la construction de l’identité. Elle est le premier lieu de
fabrication et de diversification des identifications qui trouveront ultérieurement d’autres
terrains d’épanouissement (école, amis, relations affectives, travail). La famille suscite chez
ses membres un sentiment d’appartenance et chacun dans ce groupe contribue à sa manière à
construire, à entretenir, à renforcer ce sentiment, à infléchir le fonctionnement du groupe
voire à s’en écarter ou au contraire à en consolider la cohésion.
Nous sommes soumis à la fois à «l’obligation implicite», plus ou moins forte, de solidarité
familiale et au besoin de développer son identité personnelle, son espace de libre mouvement,
ses croyances, ses conceptions propres. Dans ce groupe chacun peut avoir une fonction
(Nadège l’évoquait concernant le commis de la ferme de son enfance).
C’est ce jeu groupal subtil qui n’est comparable à aucun autre fonctionnement de groupe, que
la famille d’accueil met à disposition du patient qu’elle reçoit.
B- La transmission/transformation
«Egoïstement je pense à moi, à mes enfants et à mes petits enfants » souligne Nadège
comme si l’accueil familial pouvait représenter une manière de «conjurer le sort» et d’éviter
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la reproduction à l’identique de prototypes relationnels. La famille a une «obligation» de
transmission, c’est en quelque sorte sa raison d’être : transmission d’un patrimoine génétique
certes mais bien au-delà, transmission de valeurs, d’habitudes, de traditions, d’un patrimoine
«culturel», reçu des ascendants et qui doit être «livré» aux descendants.
Pour autant la livraison ne s’effectue pas «brute de décoffrage», elle se doit d’être
«assimilable» par les générations qui suivent, introjectable devrions nous dire. C’est à cette
transformation de «l’héritage» que l’accueil familial thérapeutique participe, le patient comme
la famille y ayant une part active.
C- «Labilité identificatoire, expérience transformationnelle, relation fusionnelle
réversible»
Trois concepts glanés ça et là au décours de nos lectures, qui nous semblent proches les uns
des l’autres et féconds pour le sujet qui nous occupe cette année. Ces différents concepts
évoquent à la fois l’idée de proximité des psychés (identification, fusion) mais aussi l’idée de
mouvement (labilité, transformation, réversibilité).
C’est cette conjonction de proximité et de mobilité qui nous semble juste pour approcher le
jeu relationnel à l’œuvre dans les familles d’accueil. Cette capacité à s’approcher en groupe, à
s’identifier sans se perdre, à la détresse, aux difficultés psychiques de l’autre stigmatisé
comme malade, nécessite une confiance suffisamment forte dans ses propres assises
familiales mais aussi une perception le plus souvent intuitive et confuse de leurs failles.
Les familles qui se risquent à l’accueil familial font, de cet ensemble relationnel complexe, un
creuset de créativité proposé au nouveau groupe familial constitué par les différents
membres de la famille et le patient, nouveau groupe dans lequel chacun a sa partie à jouer y
compris le patient.
Conclusion
Ainsi, nous le voyons, sur la scène familiale se joue une pièce en clair-obscur dont le scénario
prend sa source dans les histoires familiales des protagonistes, se déroule dans un mouvement
incessant d’improvisations, de remaniements, de transformations, qui entraînent les acteurs
dans un jeu incessant d’aller-retour et de transmission de l’un à l’autre.
Et le thérapeutique dans tout cela ? Peut-être est-il tout simplement «de surcroît» comme la
guérison en psychanalyse ?
Le thérapeutique ce n’est pas l’affaire des familles d’accueil, ce n’est ni leur but ni leur
préoccupation. Leur affaire c’est «d’animer» (au sens latin de souffle, vie), créer en quelque
sorte un supplément d’âme pour leur famille.
Le thérapeutique par contre c’est l’affaire des soignants. A eux incombe la mission d’en
repérer les éléments potentiels, d’en garantir sur un plan éthique les conditions et, si
possibles, d’en exprimer collectivement les effets.
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P. Galisson et coll. Un accueil familial social thérapeutique ?
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Patrick GALISSON
Psychiatre, C.H. Les Murets
AXE n°1 : DU COTE DES FAMILLES
Un Accueil Familial Social Thérapeutique
Préambule
Les réflexions que nous vous proposons sont le fruit du travail d’un collectif de huit soignants
en psychiatrie que nous représentons. Conscients de la modestie de cette contribution, nous
savons que le temps nous a manqué, mais pas l’envie de participer à ces journées.
Les situations cliniques que nous rapportons pour conduire notre réflexion se développent
dans le cadre d’un « Secteur de psychiatrie » qui met à disposition du public un ensemble de
lieux de soin et de prestations variés sur trois villes de l’est parisien. Ce dispositif comprend :
une unité d’hospitalisation à temps plein de 31 lits située à une quinzaine de Kms du lieu
d’habitation des usagers.
des cadres de soin installés sur les villes du secteur, comprenant :
- un foyer de postcure
- un hôpital de jour
- deux lieux de consultation (CMP)
- un lieu d’accueil spécialisé et d’activités thérapeutiques (CATTP)
- une prestation de soins à domicile permettant le passage de soignants ou une
hospitalisation dans le lieu de vie du patient.
- un ensemble de cadres d’hébergement thérapeutique (appartements associatifs,
appartement relais, accueils familiaux sociaux).
- un atelier d’activité thérapeutique réhabilitant avec des patients, des domiciles de
patients.
La présence d’infirmier(e)s et de médecins psychiatres du service associés à l’accueil des
urgences et impliqués dans le travail de liaison d’un hôpital général situé sur l’une des
communes de ce secteur est une particularité propre à ce secteur.
L’ensemble de ces soins sont mis en œuvre par une équipe pluridisciplinaire où se conjuguent
les fonctions suivantes : médecins psychiatres, infirmier(e)s et cadres infirmiers,
ergothérapeutes, A.S, psychologues cliniciens, psychomotricien(ne)s, secrétaires, aides
soignant(e)s, ASH.
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P. Galisson et coll. Un accueil familial social thérapeutique ?
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1. Les prémisses
Au début des années 90, sous la houlette de nos collègues Assistantes Sociales, le service
réfléchit à l’intérêt de disposer d’une prestation d’accueil familial. Les arguments de l’époque
prennent en compte la dynamique de fermeture de lits d’hospitalisation souhaitée par les
tutelles, la volonté du service d’agir concrètement pour permettre à certains patients de
trouver un cadre de soin plus adéquat que l’hôpital et l’idée globalement partagée par les
professionnels de l’intérêt thérapeutique d’un accueil en famille pour certains patients.
Cette conviction s’est nourrie du travail de réflexion menée par un petit groupe de collègues,
et du témoignage de professionnels ayant une pratique de l’accueil familial. Elle a pu s’appuyer
aussi sur le savoir-faire soignant propre à ce service. En effet, depuis plus de vingt ans, la
pratique des hospitalisations à domicile et celle des appartements associatifs nous ont aidé à
jalonner notre positionnement vis-à-vis du domicile d’un tiers et à réfléchir sur l’espace privé
et collectif.
Les soins au domicile d’un patient nous amènent à le rencontrer sur le terrain de son intimité
où il faut savoir respecter l’espace de chacun, la place qu’il peut nous réserver ou non. Cela
nous fait travailler avec l’environnement immédiat, en particulier, sa famille et ses proches.
La plupart du temps, dans le cadre habituel des hospitalisations à domicile, nous n’avons pas de
relations contractuelles directes avec la famille mais essentiellement avec le patient désigné.
Ici, dans une famille d’accueil, cela s’avère différent, chacun s’est pour ainsi dire choisi, nous
nous revoyons chaque mois, ce qui construit les liens et les articulations nécessaires au travail
commun. Il n’y a pas de contrat effectif mais plutôt un contrat moral.
En 91, un argument est rédigé, dans lequel il est affirmé que le seul cadre adapté pour mener
à bien un tel projet est l’Accueil Familial Thérapeutique ! Ce bel élan devra se confronter à
quelques processus « insaisissables » (?) institutionnels remettant en cause le projet
d’établissement. En effet à l’exception de notre secteur, au Centre Hospitalier des Murets à
la Queue en Brie, une pratique d’hébergement en famille d’accueil existe déjà depuis une
dizaine d’années pour des malades le plus souvent hospitalisés depuis un temps très long.
Accueil financé par les patients eux-mêmes par l’intermédiaire du tuteur ou du curateur du
malade. Conformément aux attentes du programme d’établissement, les tutelles créditeront
l’Hôpital de dix places d’AFT. Toutefois la formule du « tout payé par l’hôpital » (en référence
au décret de juillet 90) n’ayant pas satisfait l’ensemble des intervenants, le financement de
l’AFT ne sera jamais réalisé.
Tout ceci va nous obliger, après une phase d’élaboration complémentaire, à modifier le projet
thérapeutique de départ. Ces circonstances originelles ne sont certainement pas pour rien
dans la manière dont se sont construites et ont évolué nos relations avec les familles ainsi que
sur notre manière de travailler avec elles.
L’occasion de mettre en application nos premiers préceptes nous sera fournie par une famille
d’accueil recommandée par des collègues d’un autre secteur.
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2. Le fonctionnement
La composition de l’équipe s’est peu modifiée depuis son origine. Pluridisciplinaire, elle réunit
un médecin psychiatre, un psychologue clinicien, trois infirmiers, un cadre infirmier, une
secrétaire et une assistante sociale.
Chaque intervenant est issu de différentes unités de soins du secteur aussi bien intra
qu’extra hospitalières. L’équipe se réunit une fois par mois. Sont abordées les questions
relatives au suivi de l’accueil (visites, compte-rendu, projets, candidatures etc..). S’y élabore
également un travail théorique et clinique qui a sans doute permis de lutter contre
l’épuisement qui aurait pu naître du décalage entre un investissement important et la modestie
de la réalisation.
Depuis 1990 nous avons travaillé avec un très petit nombre de familles soit environ 5 familles
dont deux qui accueillent actuellement trois patients.
Cela peut sembler être une faible activité, au regard d’une réflexion d’équipe menée depuis 13
ans. Disons que cela tient à l’histoire de notre institution et à la configuration de nos
communes, peu intéressées par l’accueil de malades mentaux.
3. Notre spécificité dans la mise en place et le suivi de l’accueil
Dans une volonté affirmée de continuité des soins, de maintien d’une dynamique
thérapeutique, nous avons souhaité que chaque patient garde ses référents médico-sociaux
d’origine.
Ainsi dans la mesure du possible, le patient continue à consulter au Centre Médico
Psychologique pour y rencontrer son médecin mais aussi ses infirmiers référents, son
assistante sociale.
La mise en place de l’accueil débute par un travail préparatoire permettant au patient d’être
impliqué, autant qu’il lui est possible, dans cette proposition de soin. C’est au cours de cette
phase que se prépare la participation au projet des tiers qui comptent pour le patient (famille,
référent d’une mesure de protection, soignants ayant accompagné le patient dans sa
trajectoire de soin). Dans le même temps, l’accueil du patient s’organise avec la famille
d’accueil. A l’usage et dans l’après coup, certains loupés ont semblé relever, pour partie, de
certaines insuffisances dans l’attention portée à cette période préparatoire.
Viennent ensuite des périodes d’essai qui précèdent la mise en place d’une hospitalisation à
domicile au cours du premier mois d’accueil pour évoluer enfin vers l’instauration de visites
mensuelles.
L’utilisation du cadre de soin bien particulier qu’offre l’hospitalisation à domicile est un
élément précieux dans cette phase d’installation et d’investissements relationnels. Celle-ci
permet l’instauration d’un accompagnement plus soutenu dans les débuts, au plus près des
besoins des différents acteurs de l’accueil, à raison d’une rencontre par semaine, voire plus,
sur une période d’un mois.
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Enfin il nous faut évoquer une spécificité qui s’est imposée à nous : celle du mode de
financement des accueils.
Rappelons que notre institution hospitalière a fait le choix de ne pas financer d’accueils
thérapeutiques.
Une pratique d’accueils familiaux sociaux s’est donc, de fait, développée sur l’hôpital des
Murets.
Parallèlement, l’histoire de notre équipe nous a conduit fortuitement à travailler avec des
familles issues d’un département qui n’a pas instauré, comme le prévoyait la loi de 90, d’accueil
familial social.
Notre premier accueil a coïncidé avec la mise en place de cette loi et nous avons longtemps
cru, et on nous a longtemps laissé croire, que la situation des familles allait se régulariser,
c’est à dire devenir agréées par le Conseil général pour l’accueil de personnes âgées et
handicapées.
Les demandes d’agrément sont restées sans suite malgré de multiples démarches et
rencontres avec le département.
A ce jour les familles ne sont toujours pas agréées et c’est un autre type d’agrément et de
contrat moral qui s’est instauré au fil du temps entre familles, patients et soignants.
Le temps passé auprès des familles et des patients nous a permis d’affiner nos critères et de
ne plus travailler qu’avec deux familles, certes non agréées administrativement parlant mais
agréées par les patients qu’elles accueillent et par notre confiance dans leurs compétences
thérapeutiques. En thérapie familiale, notait une collègue, on parlerait de confiance dans le
système thérapeutique « famille/patient/équipe ».
Nous n’avons pas fait le choix de mettre fin aux accueils familiaux mais avons plutôt appris à
intégrer ces contraintes qui donnent une coloration particulière à notre pratique.
4. Madame S.
Mme S. a 50 ans, est originaire d’Algérie, et est venue en France à l’âge de 6-7 ans. Elle est la
6ème d’une fratrie de 9 enfants. Elle suivra une scolarité jusqu’à l’âge de 19 ans dans un LEP et
obtiendra un CAP de couture puis travaillera dans un atelier de confection.
A l’âge de 24 ans, elle se trouve enceinte dans les suites d’une relation entretenue sur le lieu
de travail avec un homme d’origine grecque. Linda sera son seul enfant qu’elle élèvera avec
l’aide de sa mère avec laquelle elle semblait résider.
Quand nous faisons sa connaissance en 1995 elle vit depuis plusieurs années avec sa mère et
une autre sœur malade (les deux sœurs sont psychotiques). Sa fille quittera la maison à l’âge
de 16 ans pour aller vivre avec un ami.
En 1995, des voisins, témoins de violences, de cris et d’errances de la part des deux sœurs
qui se retrouvent seules au domicile après que leur mère fut hospitalisée, font part de leur
inquiétude aux soignants du Centre d’accueil.
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P. Galisson et coll. Un accueil familial social thérapeutique ?
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A partir de ce signalement, des visites à domicile vont permettre un contact avec Mlle S. qui,
seule, répondra à notre proposition de soins. Elle est très en retrait, quasi mutique,
n’exprimant aucun délire mais paraissant hallucinée, ce qui se manifeste par des attitudes
d’écoute.
Du fait de cette prise en charge, elle quittera son logement pour intégrer successivement le
foyer de post-cure, un appartement associatif et enfin une famille d’accueil.
Les suivis ambulatoires, sous forme d’hospitalisation à domicile le plus souvent, ont permis
d’évaluer ses besoins pour qu’elle s’y achemine personnellement.
Aujourd’hui, elle continue à être suivie par le Centre et participe à certaines activités comme
la peinture sur soie, avec zèle.
Elle entre dans la famille B. en septembre 2000, après un mois d’hospitalisation à domicile
pour installer le cadre et sera vue régulièrement une fois par mois en visite à domicile. On
tentera de l’amener à s’inscrire dans un centre de soins proche du domicile, ce qui sera
effectif en septembre 2001. Elle va maintenant deux fois par semaine à l’Hôpital de jour de
BONDY.
Lorsque Mme S. est devenue grand-mère, ce fut un moment difficile pour elle. Sa fille
attendait un enfant.
Elle nous en avait informés certes, toutefois nous apprendrons la naissance de sa petite fille,
presque fortuitement. Dans nos rencontres, nous percevons bien que les réminiscences de sa
propre grossesse sont impossibles. L’évocation de sa place de mère à la naissance de son
propre enfant est délicate. Elle ira voir sa petite fille tardivement.
Sans doute, tout cela se parle dans la famille d’accueil, à la manière de Mme B., avec une
certaine force de l’évidence, la place de la tradition, celle de la famille surtout.
Aussi, lors du premier Noël, le fait que Mme S. n’ait pu penser à un cadeau, a beaucoup remué
Mme B. au point qu’au terme de leurs échanges quotidiens, elle convainc Mme S. d’acheter un
cadeau qu’elles iront chercher ensemble. Mme S. va demander de l’argent à sa curatrice pour
le cadeau de sa petite fille, elle qui, précédemment, ne faisait que réclamer de l’argent pour
s’acheter des cigarettes.
Elle peut passer du « recevoir » au « donner ».
Mme S. investit à nouveau sa propre famille et ne participe plus comme auparavant de
« l’extérieur ». Elle réussit à se rendre au domicile de sa fille et non plus seulement à la sortie
du travail de celle-ci où elle allait pour lui demander de l’argent.
Depuis, les choses continuent à se nouer, des photos de l’enfant circulent. Mme S. peut
témoigner spontanément de sa place dans sa famille.
La famille qui accueille Mme S. est d’origine Maghrébine et part chaque année au Pays. Le
résident en famille d’accueil doit aménager lui aussi ses propres vacances.
L’an dernier, Mme B. propose à Mme S. de les accompagner en Algérie. Hésitante,
ambivalente, elle exprime ses craintes faisant état de l’insécurité qui règne dans certaines
régions. Si Mme S. va en Algérie, c’est, dit-elle, pour revoir un membre de sa famille qui y
réside encore, sa sœur aînée. Ce n’est pas possible, elle refuse donc de partir.
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Cette année, la proposition se présente à nouveau. Le processus d’élaboration est plus
soutenu, par nous, par la curatrice de Mme S. et par la famille d’accueil. Cela permet d’obtenir
d’autres réponses
L’Algérie lui fait peur parce qu’elle ne sait pas ce qu’est devenu ce qu’elle a laissé. Elle avait 6
ans lors de son départ. « Cela a dû changer » dit-elle.
L’Algérie, c’était la famille au complet. Ce qui l’amène à dire : « Il me faudrait des vacances
en famille ».
Dans sa réflexion avec nous, elle fait le tour des différents frères et sœurs vis à vis desquels
les liens se sont distendus.
Elle peut évoquer l’idée de retrouver une nouvelle place au sein de cette fratrie mais ne peut
envisager les moyens pour le concrétiser.
Nous finirons par convenir avec elle de repasser par une remise en mot avec sa propre fille,
qui, elle, reste en relation avec sa grand-mère et ses tantes surtout.
Pendant les cinq premières années de la prise en charge de Mme S., alors qu’il était déjà
question de sa place dans sa propre famille, le seul « levier » qu’elle a accepté de mobiliser
avec nous, fut sa propre inscription sociale (son identité sociale). Nous avons eu d’abord à
aménager un espace plus personnel entre les deux sœurs malades concernant l’hébergement
et les soins. Des rencontres eurent également lieu avec sa fille, plus à sa demande, elle qui se
trouvait souvent envahie par la problématique de sa propre mère.
Le fait nouveau fut donc apporté par l’alchimie de la famille d’accueil, qui, par sa manière de
vivre ses relations en famille, interpellera la résidente sur ses choix, et sur l’investissement
qu’elle fait ou ne fait pas dans sa propre famille.
5. Madame M.
Madame M. est âgée de 50 ans, elle est mariée et mère d’un enfant. Elle a travaillé jusqu’à
l’année précédant son hospitalisation.
Nous faisons sa connaissance dans le service à la suite d’une hospitalisation sous contrainte
(HDT) en 1994.
Il s’agissait d’un épisode psychotique avec des automutilations dans le cadre d’un passage à
l’acte délirant (automatisme mental), des idées d’autodépréciation et d’auto-accusation sur
une thématique de fautes supposées envers son mari.
Il existe, par ailleurs, un syndrome de KORSAKOFF, complication d’un alcoolisme ancien, ayant
entraîné une détérioration intellectuelle avec désorientation temporo-spatiale, amnésie
fabulatoire compensatrice. Tout ceci rendant impossible son consentement aux soins.
Elle avait été hospitalisée près d’une année dans une clinique d’où elle avait fugué.
Il y avait eu plusieurs hospitalisations dans les années précédentes.
Elle va rester un peu plus d’une année dans le service, où son état clinique va s’améliorer très
progressivement. Les éléments délirants vont s’amender en premier, mais les conséquences de
l’atteinte neurologique sont plus longues à régresser.
Elle reçoit les visites régulières de sa famille (sa mère, son mari, mais plus rarement son fils
qui refusait de venir la voir à l’hôpital).
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003)
P. Galisson et coll. Un accueil familial social thérapeutique ?
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La persistance, pendant plusieurs mois des troubles du comportement, de la mémoire, une
désorientation temporo-spatiale importante, des fugues, ne permet pas la modification du
mode de placement.
En septembre 1994, des sorties d’essai régulières sont proposées afin qu’elle puisse réinvestir
sa vie familiale. Mais la maintien de certains comportements, grasping, troubles du jugement -
elle se nourrit dans les poubelles - ne permet pas d’envisager une sortie définitive.
En novembre, la levée de l’hospitalisation sous contrainte sera formulée car elle consent aux
soins, ne fugue plus et les permissions se passent bien. Toutefois, les difficultés pour un
retour définitif au domicile persistent et sa sortie du service en septembre 1995 se fera
pour aller en famille d’accueil, solution acceptée par tous les intéressés, Mme M., sa famille et
l’équipe soignante.
C’est la famille K. qui va accueillir Mme M. Dans l’après coup, il nous semble qu’avec ses
caractéristiques d’organisation familiale traditionnelle marocaine, avec un père de famille
ouvert sur l’extérieur, une épouse maîtresse de maison et des enfants impliqués concrètement
dans l’accueil familial, Mme M. y a trouvé sa place et son compte.
Son mari lui rend visite régulièrement et l’amène à la maison certains week-ends. Elle reprend
donc elle-même contact avec sa propre famille, et avec son fils en particulier.
Nous pensons parfois que sans l’accueil familial, Mme M. aurait fini son existence dans un
service hospitalier long séjour avec un grand risque de perte des liens avec ses proches.
C’est sans doute, pour nous, l’accueil qui illustre le plus cette notion de « processus
insaisissable » au point que nous avons eu parfois le sentiment d’être mis à l’écart. On a
observé un réinvestissement des liens familiaux à l’intérieur du groupe familial de Mme M.,
non pas vers un retour aux liens antérieurs mais bien dans un nouvel aménagement de ces
liens, médiatisés et soutenus par la famille d’accueil. Nous n’avons pas été les agents de ce
processus mais il s’est fait avec notre accord tacite.
Au fil des années, le mari n’accueille plus systématiquement sa femme tous les W.E. (Il est à
souligner que Mme M. ne reconnaît pas toujours, à leur juste place, mari et fils puisqu’elle se
dit la femme de Michel SARDOU).
En nouant des liens privilégiés entre elles, la famille d’accueil et celle de Mme M. ont trouvé le
moyen de compenser le déficit de gratification que procure la relation avec Mme M., tant
auprès des membres de sa propre famille, qu’elle ne reconnaît pas toujours, qu’auprès de la
famille d’accueil, qu’elle disqualifie en permanence.
La famille de Mme M. est invitée aux fêtes organisées par la famille d’accueil et le fils rend
régulièrement visite à sa mère. Il est à présent lui-même père. L’annonce de sa prochaine
paternité s’est faite à l’occasion d’une visite. Mme M. exprime alors qu’elle ne veut pas être
grand-mère, mais déclare toutefois que « c’est le plus beau cadeau qu’un fils puisse faire à
sa mère ». Mme K. soutiendra Mme M. dans cette place nouvelle de grand-mère en lui
permettant d’acheter des cadeaux pour Noël et en lui proposant de mettre une photo de
l’enfant dans sa chambre, un autre exemplaire étant installé dans le séjour de la famille
d’accueil.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003)
P. Galisson et coll. Un accueil familial social thérapeutique ?
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Mme M. a une place dans la famille de Mme K. à BONDY mais aussi au MAROC où elle
accompagne maintenant régulièrement la famille K. en vacances. Comme le dit elle-même Mme
K. : « Mme M. fait partie de la famille »
Conclusion
Nous comptons sur vos réactions pour parvenir à enrichir les commentaires que peuvent
susciter les situations que nous vous avons présentées. Pour notre part, nous sommes
convaincus, aujourd’hui, que si l’accueil familial « bricolage » que nous utilisons a produit des
effets de relance thérapeutique, cela tient, sans doute à quelques éléments. Ce côté
bricolage, justement, dans le sens noble du terme, nous a permis d’éprouver notre
détermination à le mettre en place et à le faire perdurer. Cela n’a pas été sans effet sur la
manière de concevoir, avec les familles, notre partenariat. Dans cette entreprise à plusieurs
parties, on trouve, entre autres, de la confiance et une reconnaissance de la fonction et du
travail accompli par l’autre. Nous avons appris à nous dessaisir de nos tentations de maîtrise
de sujets supposés savoir. Bien sûr, tout cela ne se décrète pas mais se forge petit à petit au
fil du vécu partagé. Les situations parfois complexes auxquelles il a fallu faire face ont
montré à chaque protagoniste qu’il pouvait compter sur l’autre. Nous avons été saisis, parfois,
c'est-à-dire surpris, par la manière dont telle famille, utilisant ses forces et son style propre,
a participé au travail de restauration de l’identité de la personne accueillie. Nous avons saisi,
alors, c'est-à-dire, pigé que nous ne devions pas obligatoirement nous sentir niés dans notre
fonction quand nous étions simplement pris à témoin, après coup, de la réalisation d’un projet
conçu en familles. Une vraie dynamique s’instaure alors autour du patient, chacun jouant la
carte de ses propres compétences sans qu’à tout prix une unité d’action absolue soit
recherchée.
Mais comme le faisait remarquer l’un de nos collègues, pour que les effets de cette relance
thérapeutique produise au mieux ses effets, encore faut-il qu’il y ait quelqu’un de disponible
pour la rattraper au bond. C’est peut-être en cela que notre « culture » du soin à domicile
nous a permis d’accepter sans trop d’anxiété d’être des « dessaisis consentants » nous
permettant alors de tenir pleinement notre rôle de soignants.
Merci pour votre attention.
Dr GALISSON, Mme BIHAN-POUDEC (infirmière), Mme YVROUX (Assistante sociale), M.
SGAMBATO (Psychologue clinicien), pour l’équipe pluridisciplinaire de l’AFS.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
Sandrine LOEB
Psychologue, AFT de pédopsychiatrie de l’hôpital de Lagny-Marne-la-Vallée
Fatima CHERIGUENE, assistante maternelle, pour la discussion
AXE n°1 : DU COTE DES FAMILLES
Fatima dans l’épreuve du transfert
Cette intervention, dont l’objet est la relation entre l’enfant et la famille d’accueil, est une
tentative pour réfléchir à ce qui produit des effets thérapeutiques. Nous nous intéressons au
soin en AFT sous l’angle des phénomènes de régression et de transfert.
Quelques mots sur notre structure qui comporte 5 places d’accueil à temps plein. Notre équipe
d’encadrement se compose d’un psychiatre qui intervient ponctuellement, d’une assistante sociale
et de moi-même, psychologue, autour de 5-6 familles d’accueil. Ma collègue assistante sociale et
moi-même faisons des visites régulières en binôme au sein des familles en présence des enfants.
Les modalités de notre accompagnement varient en fonction des situations.
Dans la situation dont nous allons parler, nous avons vu plus ou moins régulièrement l’enfant
jusqu’à ce que nous arrivions à définir des modalités du cadre plus adéquates.
L’accueil de Fabien, enfant métis de 8 ans, chez Fatima, est une illustration des phénomènes de
transfert qui opèrent en AFT et qui produisent des résultats. C’est avec un recul d’à peu près
deux années que nous avons voulu vous présenter son parcours, particulièrement intéressant par
ses multiples aspects.
Il s’agit pour nous de parler de transfert au sens psychanalytique du terme dans la mesure où
l’intensité et la complexité de l’investissement que nous voyons se développer et s’élaborer dans
la relation entre Fabien et Fatima est comparable à ce qui se joue dans le cours d’une cure
psychanalytique. Fabien joue, projette, déplace, condense : toute son activité psychique est mis
en éveil au cours du temps de l’accueil et dans l’espace projectif de la famille. En réaction à ce
qui vient de l’enfant, les mouvements de Fatima peuvent se travailler en profondeur au sein du
dispositif de l’AFT.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
1. Historique
Fabien vit avec ses grands-parents maternels ; sa mère psychotique, seule enfant de ses parents,
n’est pas en capacité de s’en occuper. Son grand-père est un cheminot à la retraite qui continue
de travailler aux prud’hommes. Sa grand-mère est handicapée, son visage déformé par une
protubérance au front.
Il a vécu le premier mois de sa vie en accueil mère-enfant, puis a été confié sur décision du juge
à ses GP. Il ne voit sa mère que de façon imprévisible et sporadique à son domicile.
Fabien bénéficie d’un suivi depuis l’âge de 2 ans, moment où son GP demande de l’aide en urgence
pour des troubles du comportement et des conduites d’agressivité.
Les grands-parents sont inquiets et désappointés.
Fabien suit une psychothérapie depuis 4 ans au rythme d’une séance par semaine avec une
psychiatre. Les séances sont difficiles, son agitation ne laisse pas place à une élaboration
possible. Le GP a des RDV au service tous les mois.
L’AFT sera un outil complémentaire à ce dispositif de soin.
2. Présentation de l’AFT à Fabien :
C’est à un moment où sa mère est hospitalisée en réanimation dans un état très critique, qu’est
proposée aux grands-parents la possibilité d’un accueil partiel dans une famille de notre service,
dans l’idée de penser l’avenir de Fabien. Son GP n’a pas été demandeur mais se plaignait de ce qu’il
lui faisait vivre.
Fabien a 6 ans et vient d’entrer au CP, après un parcours scolaire en maternelle très laborieux, au
point où une orientation en établissement spécialisé avait été demandée et une déscolarisation
entamée. Il se montrait très instable et agressif. Le début de scolarité en Primaire se passe
plutôt bien. Il y est rescolarisé à plein temps. Les acquisitions scolaires ne sont pas encore
possibles mais son comportement ne l’exclut pas de la classe. C’est un enfant d’une intelligence
vive mais son angoisse massive le rend agité.
Nous commençons prudemment à travailler avec les grands-parents l’accueil familial. Nous
associons la GM à nos entretiens.
Le placement est effectif trois mois plus tard, alors que nous avons rencontré une famille
d’accueil, jeune et dynamique, qui a trois enfants et chez qui nous pouvons envisager un accueil à
long terme. Quand nous en parlons à Fabien, il est d’emblée d’accord sur l’idée d’aller dans une
autre famille et à la présentation de celle-ci, il se réjouit et investit immédiatement et
positivement Fatima.
Pendant ce temps, la mère de Fabien se remet, fuit l’hôpital puis passe de temps en temps au
domicile de ses parents sans prévenir. Ses contacts avec Fabien redeviennent très aléatoires et
conflictuels.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
3. Le temps de la rencontre : fantasme d’adoption chez Fatima et
ambivalence de Fabien
La première rencontre a lieu au domicile de Fatima, où nous accompagnons Fabien et ses grands-
parents. Fabien est tranquille, charmant et pressé de rencontrer les gens. Il s’est préparé à
cette rencontre en mettant dans son sac des livres, montrant par cela sa détermination à se
montrer sous son meilleur jour, lui qui est si réticent au scolaire.
La rencontre avec la famille se passe chaleureusement et chacun peut s’exprimer. Fabien est
attendu. Il a hâte d’aller retrouver les autres enfants à l’étage et ne réapparaît que furtivement.
Il nous observe de loin par l’intermédiaire d’un miroir, comme s’il voulait juger du climat entre
adultes.
Il se passe une véritable échange entre Fabien et le fils de Fatima d’un an plus jeune que lui.
Le GP pose des questions sur l’accompagnement matériel et sur la rémunération, comparant
l’accueil familial proposé à l’emploi passé d’une assistante maternelle pour Fabien. Il répète qu’il
veut que l’accueil se fasse progressivement.
La GM ne parle que pour évoquer sa fille et les relations de Fabien à sa mère, disant sa
souffrance et son incompréhension face à la pathologie de celle-ci. Elle compare la FA au rôle que
ses parents ont joué pour leur fille.
Au retour, Fabien, appuyé sur l’épaule de son grand-père, sommeille. Le GP est détendu.
Cette première rencontre, à travers tous ces échanges, est de bonne augure pour Fabien et
semble présager d’une suite favorable à notre projet.
Fabien va commencer l’accueil de façon épisodique.
La première journée qu’il passe chez Fatima met en évidence ce qui est l’essence même du
placement, à savoir, donner à Fabien la possibilité de vivre dans une famille en pariant qu’ainsi il
puisse trouver là le terreau nécessaire à l’établissement d’assises narcissiques. Fabien a souffert
de l’absence d’une relation d’objet suffisamment bonne et continue, nécessaire à la constitution
d’une sécurité affective fondamentale.
Dès le premier trajet qui le mène dans la famille d’accueil, il parle spontanément de sa mère en
l’associant au tonnerre, au ciel noir qu’il craint. Il dit qu’entre lui et sa mère « ça ne va pas ».
Fabien nous montre qu’il a perçu d’emblée la raison et l’intérêt de cet accueil. Il établit de suite
le lien entre ces deux femmes, voyant que Fatima a quelque chose à voir avec la fonction
maternelle.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
Dès son arrivée, Fabien se montre agité mais content d’être là. Il semble déjà très familier. Il va
tirer profit de la chaleur maternelle, de l’ambiance d’une vie de famille et des possibilités
d’identification à des enfants de son âge. Nous le retrouvons à la fin de la journée dans les habits
du fils de Fatima. Il dit à Fatima que ses enfants ont la chance d’avoir une maison et une mère. Ce
même jour, il demande à y revenir et à y dormir.
Arrivé chez ses grands-parents, il reprend sa tétine.
Dès les premiers jours, Fabien quitte sa tétine et les couches pour la nuit, qu’il portait encore. Il
est turbulent, très angoissé. Il mange toute la journée.
Il nous manifeste qu’il ne veut plus partir de chez Fatima et qu’il ne veut plus nous voir, comme
une annulation de son passé.
Fabien cherche à connaître qui est cette femme qui veut l’accueillir. Est-elle dans cet état de
peur dans lequel était sa mère à son contact ? Va-t-elle réagir comme son GP le fait quand lui-
même se met en colère ?
Il est très craintif des limites posées par l’adulte, il se protège la tête quand on le fâche. Il
teste les peurs, les limites et la capacité de résistance de Fatima.
Fabien se révèle avec des difficultés d’identification massives. Il est en même temps lui et sa
mère, noir et blanc, fille et garçon Il parle au nom de sa mère. Il dit qu’il dort dans la rue, qu’il
habite à Villejuif, qu’il a reçu un coup de pied dans le ventre. Il joue à se déguiser en fille, disant
qu’il ne sait pas s’il est fille ou garçon. Il parle de son père, grand inconnu, et de sa couleur de
peau. Il pense devenir blanc, comme ses grands-parents, en grandissant.
Comment Fabien peut-il exister pour lui-même, pris dans une telle indifférenciation mère-fils ?
A travers l’accueil, il explore toutes les identités possibles, les figures de la famille de Fatima
étant multiples. Il se trouve une place, se fait une soeur de la fille de Fatima, se fabrique un papa
qui est le frère de Fatima et flatte « sa tata » pour qu’elle le garde
Nous pouvons nous demander à quoi tient cet enjouement si rapide ? Est-il le fait d’un travail
préliminaire à cette séparation qui le rend prêt à ce type d’investissement ou cette adhésion
factice est-elle le signe de l’idylle de tout début de placement ?
Dans ce premier temps de l’accueil, Fabien apporte et projette des éléments de son monde
intérieur sur l’espace familial de Fatima. Il perçoit en elle une personne à qui il va pouvoir
exprimer le contenu inconscient de son angoisse qui le fait s’agiter.
Sa vie avec ses grands-parents, si empreinte d’angoisse et d’imprévisibilité, semble ne pas
parvenir à le sécuriser suffisamment. Le domicile des grands-parents nous apparaît comme un
endroit sombre, morne et sinistre qui évoque une lourdeur, une souffrance comme si le temps
s’était arrêté il y a bien longtemps. Fabien a peu de contacts avec l’extérieur.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
La grand-mère de Fabien est une femme psychiquement indisponible à son petit-fils qui dit
qu’ « elle n’arrive pas à être une maman pour lui ». Quand nous l’avons au téléphone, elle saisit
comme en secret la possibilité de parler de sa souffrance de mère. Elle rumine des angoisses de
mort concernant sa fille. Elle en profite aussi pour décrire son mari comme un homme strict,
coléreux et pouvant être menaçant, vivant sous l’emprise de sa propre mère.
Il nous semble qu’elle saisit ce que l’accueil pourrait apporter à son petit-fils.
Tout en même temps que s’exprime l’idylle d’être intégré dans une famille, Fabien va vivre ces
premiers temps du placement avec ambivalence. Il se sent partagé par des sentiments
contradictoires à l’égard de ce nouveau milieu familial qui suscite en lui beaucoup d’envie.
C’est la première fois que Fabien quitte le domicile de ses grands-parents et la place qui s’est
construite avec eux. Dans ce début de placement, il provoque son grand-père en lui disant qu’il
est content d’aller en famille d’accueil et lui demande très souvent à y retourner. Il met en jeu,
sensibilisant son GP, la question de la rivalité et du positionnement de chacun. Mais en même
temps, il se culpabilise d’aller vivre ailleurs et de pouvoir y trouver du plaisir. Ces deux lieux
deviennent pour lui aussi importants l’un que l’autre.
Fabien parle de la colère de son GP. Il est suspendu à la décision de son GP, qui, derrière une
certaine neutralité, ne semble pas très favorable à cet accueil.
Ces transitions d’un espace à un autre sont aussi pour lui source d’une grande angoisse, angoisse
de perte, n’ayant pas l’assurance de retrouver intact ce qu’il quitte. Cette situation vient
réactiver la problématique de séparation d’avec sa mère, séparation menaçante, significative de
perte et d’angoisse. N’y a-t-il pas danger à se séparer et à se laisser aller à construire une
relation ?
Fatima de son côté, ressent dès le premier contact, la demande de cet enfant et en est
profondément touchée. Elle perçoit la problématique abandonnique de Fabien, « son manque de
mère » qui s’exprime dans sa quête affective si intense et son autodévalorisation permanente.
Elle y est d’autant plus sensible qu’elle-même se trouve dans ce même état, étant sur le point de
perdre sa mère.
Fabien est adopté par la famille, il devient fantasmatiquement l’enfant de la famille. Fatima est
dans un état proche de « la préoccupation maternelle primaire » qui la rend entièrement
disponible à cet enfant. Elle dit de lui « qu’il lit en elle », montrant à quel point s’instaure une
communication d’inconscient à inconscient, comparable à ce qui se passe entre un bébé et sa
mère.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 6
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
Installation de Fabien chez Fatima : relation transférentielle
Avec la régularité des temps d’accueil, un cadre se met en place qui rassure Fabien et ses GP.
Ceux-ci pointent que les moments passés dans la famille d’accueil s’accompagnent d’une grande
excitation qu’ils ont du mal à contenir. Pour le GP, aller chez Fatima est l’équivalent du centre de
loisirs.
Fabien s’installe chez Fatima en confiance. Ces troubles s’apaisent.
Il recherche et trouve en elle la contenance maternelle nécessaire à l’expression de ses conflits
intérieurs. Avec de la fermeté, de la patience et une profonde écoute de la détresse de cet
enfant, elle parvient à créer un cadre stable, rassurant et contenant propre à favoriser la
relation transférentielle.
Fabien éprouve la réassurance et répète les opérations de prise de risque pour vérifier la solidité
du cadre.
Il déplace sa problématique sur l’espace familial de Fatima.
Il va commencer à exprimer des colères intenses que Fatima va savoir repérer et analyser comme
l’expression de conflits anciens. Ainsi, ne se sentant pas agresser directement par les
comportements de furie de Fabien, elle va l’aider par des paroles et une attitude respectant la
régression.
Ces moments de rage sont attisés par la présence encourageante de Fatima et se soldent par des
pleurs, où enfin la tension s’évacue. A ces moments-là, il se place dans une position de victime où
il demande à avoir mal, à être battu.
Ces mouvements de destruction se tournent vers lui-même et les objets qui lui appartiennent. Il
exprime également sa rage envers le fils de Fatima, vécu comme un possible rival.
Fabien a choisit Fatima pour y déposer sa souffrance de petit garçon.
Il est traversé par de profonds sentiments dépressifs. Il exprime la mauvaise image qu’il a de lui,
ne se trouve pas beau et dit qu’il veut mourir. Il se salit, se crache dessus et se montre
répugnant.
Il exprime son besoin d’exclusivité à l’égard de Fatima.
Peu à peu, ses peurs nocturnes disparaissent. Il grimpe, saute, court, renverse des
étagères mais l’agitation semble diminuer quand même.
Nous décidons, ma collègue et moi, de ne plus faire de visites en sa présence tant il devient alors
infernal et dit qu’il ne supporte pas qu’on le regarde. Notre regard est perçu comme harcelant,
inquisiteur, comme si on ouvrait une porte là où on n’a pas à regarder. Cette situation peut
rappeler celle qu’il vit chez ses grands-parents où sa mère viole le domicile grand-parental à sa
guise, sans prévenir. Ou est-ce ses fantasmes persécutifs qui s’expriment là par le fait de notre
présence ?
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 7
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
Nous sommes dans l’incapacité en le voyant, si insaisissable, à penser un cadre qui pourrait lui
permettre de se stabiliser. Seule Fatima, dans l’intimité avec lui, peut parvenir à un échange.
Fatima s’est constitué, sans le savoir, un cadre intérieur qui lui permet de recevoir et contenir
les projections venant de Fabien. Elle peut comprendre ses manifestations agressives, ses
angoisses et son avidité affective à la lumière de ce qu’elle connaît et découvre de son histoire.
Le sentiment de dévalorisation l’atteint péniblement.
Mais peu à peu, Fabien devient si présent psychiquement, envahissant son champ de pensée,
qu’elle se questionne sur la place réelle qu’il occupe pour préserver sa capacité à le contenir et
protéger ses propres enfants des mouvements d’agitation et d’agression de Fabien. Elle se
questionne sur sa tâche, en complémentarité des autres soutiens psychothérapeutiques qu’il
reçoit à l’extérieur, sur lesquels elle va pouvoir s’appuyer.
La situation familiale et le vécu de séparation fait resurgir en Fabien sa relation à sa mère.
Avec le temps, Fabien va provoquer Fatima par ses comportements pour qu’en retour elle le
provoque dans son for intérieur, qu’elle « lui fasse sortir des choses ». Enfin, il commence à dire
sa colère contre sa mère.
Pour parler, il utilise Fatima, qui complice de ce qu’il vit, parle pour lui. Elle devient son porte-
parole.
Et là encore, Fatima sait reconnaître qu’elle devient pour Fabien la représentante d’une mère
internalisée envers laquelle il éprouve une haine violente et de laquelle émanent de cruelles
critiques et un désir de mort.
Peu à peu, la colère contre sa mère s’estompe. Il supporte mieux les allers-retours de sa mère au
domicile de ses GP.
L’incertitude de l’accueil : revirements du GP
Percevant les réticences du GP, très investi auprès de son petit-fils, nous avons augmenté très
modérément le temps d’accueil pour ménager sa place.
Pendant les neuf premiers mois du placement, nous allons tous vivre dans l’incertitude de sa
continuité. Le GP de Fabien nous fait comprendre qu’il ne saisit pas l’intérêt de cet accueil.
La séparation de Fabien d’avec Fatima est douloureuse et mal supportée par son grand-père.
Celui-ci assiste à deux scènes où Fabien hurle et s’accroche à Fatima qui le ramène à son domicile.
Des paroles de Fabien à son GP au téléphone viendront encore un peu plus le blesser : il lui dit
« c’est ici chez moi » et « j’ai deux maisons ».
Les grands-parents sont en train de réaliser l’attachement de Fabien à une figure maternelle. Ils
sont dans l’incapacité à contenir les états d’excitation et de tristesse de Fabien et de
reconnaître leurs propres sentiments à cet égard.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 8
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
Maintenant, Fabien parle dans l’oreille de Fatima, sa parole pouvant devenir menaçante. Il parle
de secret quand il veut exprimer qu’il est bien avec elle ou qu’il l’aime. « Je pense tout le temps à
toi » dit-il. Dans cette relation de confiance, il commence à dire son mal-être « je serais heureux
quand je n’aurais plus de choses dans la tête » .
A deux reprises au cours du temps, le GP veut suspendre l’accueil. Il parle d’extrême fatigue et
d’excitation chez Fabien. Il dit craindre l’accident et parle de destruction pour Fabien. Il n’en
voit aucun éventuel bienfait. Nous découvrons un homme d’une extrême fermeté et froideur qui
s’impose à nous. Sa femme ne peut guère s’exprimer librement. Ce qu’elle peut nous laisser
entendre, c’est qu’elle n’est plus en mesure de supporter les manifestations émotionnelles de
Fabien et qu’elle pense même partir de chez elle.
Le GP met fin à l’accueil, qui en rompant le lien d’attachement de Fabien à Fatima, met son petit-
fils en danger. Il serait prêt à ne concéder qu’il n’aille chez Fatima que le mercredi, mésestimant
le réel travail d’investissement. Nous refusons et faisons appel au juge, déjà nommé dans cette
situation.
Qu’est-ce que cela nous fait supposer de la relation si intense, si exclusive, à la fois tendre et
rigide, de ce GP à son petit-fils ? La violence de l’agir semble primer sur la mentalisation.
Sur quoi Fabien peut-il se reposer, lui qui si dès qu’il s’attache à quelqu’un, on le lui retire ?
Fabien quitte Fatima. Il lui redit qu’il veut rester vivre chez elle mais se plie avec calme à la
décision de son GP. Il ne réagit pas à cette situation de rupture qui pourtant met à l’œuvre
l’angoisse d’abandon qui le fait souffrir. Ne provoque-t-il pas inconsciemment cette rupture
pourtant si redoutée ?
Il part en ayant eu le sentiment d’exister et d’être aimé pour lui-même. Il n’a plus de conduites
d’agression envers lui-même. Le rôle de Fatima qui l’a investit narcissiquement a induit chez lui un
début de remobilisation de sa libido narcissique, lui redonnant une certaine estime de lui-même.
Mais qui secondairement lui permettra de poursuivre et de conforter ce cheminement déjà si
entravé à son origine ?
Fatima se questionne sur le dispositif. Son travail n’aurait-il été que cette petite mais si
essentielle contribution ? Ce travail aurait-il été trop engagé, trop impliqué, au point de négliger
la part du GP ?
Nous ne croyons guère à une reprise. Une petite fille est accueillie chez Fatima.
Finalement, l’accueil reprend après une interruption de 4 mois sur décision du juge, d’abord à
temps partiel, puis en accueil de semaine (avec retours le week-end). Ce changement est bien
accepté des GP. Nous reconnaissons que nous avons voulu aller trop vite, relativement à ce que le
GP se représentait.
Malgré l’interruption, le travail psychique se poursuit chez Fabien et chez Fatima.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 9
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
Leurs échanges sont très chargés affectivement. A ce moment-là, il commence à déposer des
éléments de son histoire réactivés dans des scènes de la vie quotidienne. Ainsi, lors des moments
de bain où il se met toujours à hurler, refusant de se laver, il va pouvoir dévoiler, grâce à la
présence contenante de Fatima à ses côtés, que sa mère a tenté de le noyer. Il révèle aussi
qu’elle a tenté de l’étrangler.
Devant sa difficulté à dire les choses, Fatima lui propose le support écrit. En lui dictant les
choses, il les dit. Elle les écrit. Ainsi, on a accès à ses représentations, ses fantasmes et ses
peurs.
Fatima crée, avec génie et intuition, ce qu’on peut appeler des « séquences
psychothérapeutiques » à des moments clé, à la demande de Fabien. Il en est ainsi d’un dialogue
de Fabien avec ses parents fictifs qu’elle dessine sur une feuille. Il leur attribue des propos qui
portent sur lui, sur ce qu’il pense que ses parents pensent de lui.
La répétition de ces scènes du passé où Fabien est victime des comportements de sa mère
psychotique et l’expression de ses fantasmes morbides où se dévoile sa culpabilité de petit
garçon représentent une grande avancée dans le travail thérapeutique.
Redéfinition d’un cadre de travail : position thérapeutique de Fatima et apaisement
de Fabien
Quelques temps plus tard, alors que le rythme de semaine semblait l’aider à maîtriser
l’excitation, Fabien redevient infernal. Les colères qu’il appelle des « crises », sont fréquentes et
intenses. Il s’en prend à Fatima qu’il insulte, menace. Il ne supporte plus aucune frustration. Dans
ces moments, il va même jusqu’à lui demander de le tuer. Il lui assène qu’elle est obligée de le
garder, obligée de supporter la tyrannie qu’il lui impose.
Fatima est à bout de souffle. Les colères sont si intenses qu’elles provoquent en elle doutes,
questionnements et découragement. Elle sent ses propres limites à le supporter. Elle connaît là
un moment d’épuisement. Son mari a un rôle essentiel de soutien à ses côtés.
L’intensité des manifestations agressives envers Fatima la met à l’épreuve de la rupture et teste
sa résistance aux menaces d’abandon que Fabien peut ressentir comme imminentes dans la
relation transférentielle. Fabien parle de « redevenir comme avant », avant d’en être à ce point si
menaçant.
Il s’agit aussi de ses fantasmes d’omnipotence, liés à une régression à un stade de petit enfant
de 2-3 ans, qui l’angoissent et qui doivent trouver une position autoritaire qui les contiennent.
Fabien qui agit ses fantasmes d’abandon pose à Fatima le problème de ne pas se faire complice de
cette mise en acte, tout en leur permettant de les exprimer. Sa participation pourrait devenir
passage à l’acte.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 10
S. LOEB. Fatima dans l’épreuve du transfert
Au bout de quelques semaines, Fatima refuse de se laisser faire. Elle n’est pas obligée de le
garder, pas obligée de subir sa tyrannie, par différence d’avec son GP qui lui a choisit de tenir
une place parentale.
Elle décide d’intervenir avant que les crises se soulèvent, de façon à déjouer la relation. Cette
attitude décontenance Fabien. Les colères s’estompent de suite.
C’est le moment pour nous de définir un cadre de travail ( une visite tous les quinze jours et un
temps d’échanges avec Fatima par semaine ) que nous énonçons clairement et avec force à Fabien.
Fatima, de son côté, établit avec lui un contrat où chacun y note ses attentes et où sont
consignées les règles impératives de la maison. Nous soutenons la position de Fatima au service.
Le cadre qui devait s’imposer, vient introduire le contenant du contenant et poser la réalité
comme une limite à l’externalisation du monde interne de Fabien chez Fatima.
A partir de ce recadrage, Fabien s’apaise. Il sait se mettre à l’abri et se retirer des autres
lorsqu’il sent monter en lui une tension. Avec l’aide de Fatima, ils contournent la crise.
Dans ce dernier temps de l’accueil, Fatima se situe différemment. Plus portée par un désir de
réparation, elle donne une grande place au GP et redéfinit sa place comme thérapeutique, c’est-à-
dire limitée et rendue consciente. Elle ne veut plus l’accueillir sur la totalité des vacances
scolaires pour se donner les moyens de retrouver une disponibilité psychique.
Fabien poursuit sa psychothérapie de façon très espacée. Il amène Fatima à une séance. Ce n’est
peut-être qu’à partir de l’implication de Fatima à la psychothérapie, qu’il commencera un véritable
travail en séances ?
Par ailleurs, lors des visites régulières de notre collègue au domicile, il commence à pouvoir se
raconter en utilisant là encore des médiateurs, soit l’écriture, soit Fatima qui parle pour lui.
Conclusion
Dans cette situation, nous pouvons percevoir combien le travail d’emboîtement de nos actions et
interventions est multiple et riche et que ce n’est qu’au prix de nos questionnements, nos doutes,
nos désillusions que nous pouvons prétendre à faire d’un espace familial un espace thérapeutique
et de la place de l’assistante maternelle une véritable thérapeute.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
L. COLLARD. A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
Lionel COLLARD
Psychologue clinicien, Centre hospitalier de Colson à la Martinique
AXE n°2 : DU COTE DES EQUIPES
A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
1. Historique de la structure
En Martinique, il n'est pas rare de voir des « familles dites sauvages », qui sont des familles
sans formation qui hébergent des patients en prenant leurs pensions pour se rémunérer.
Familles largement utilisées par les travailleurs sociaux des services de psychiatrie qui
placent de façon régulière des patients psychotiques stabilisés au sein de ces familles pour
libérer des lits d'hospitalisation. Ces patients font alors l'objet d'un suivi psychiatrique
classique, consultation au CMP pour renouvellement de traitement et profitent de temps à
autre de visites à domicile des infirmiers de secteur.
Cette pratique est non instituée et laissée à l'appréciation de chacun.
Face à ces pratiques contestables et face à l'absence de structures alternatives à
l'hospitalisation, propre à la Martinique, le directeur de l'hôpital impulse la mise en place
officielle de familles d'accueils. 1999 est l'année de la première budgétisation de 17 places
d'AFT.
Certaines équipes soignantes se mobilisent et deux secteurs sur 6 mettront en place, à partir
de leur propre CMP, une équipe pour gérer les placements en familles d'accueil, il s'agit là, du
secteur Nord Caraïbe et du secteur Sud Caraïbe.
Nous assistons, là, aux prémices de la future fédération des accueils familiaux thérapeutique.
Un secteur, celui du Nord Caraïbe, s'investit particulièrement et prend conscience très vite
des limites auxquelles il est confronté en pointant les différences de conception et de
fonctionnement entre les différents services psychiatriques.
L'unité s'impose et le directeur de l'établissement souhaite alors voir se créer une
fédération pour éviter certains écueils et avoir une logique de fonctionnement dans l'intérêt
des patients des équipes et des familles. 13 places supplémentaires seront budgétées pour
l'année 2000.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
L. COLLARD. A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
Un groupe de travail composé de : deux médecins, une assistante sociale, une psychologue et
une infirmière, travaillera pendant 6 mois à l'élaboration de ce qui sera la fédération des
accueils familiaux thérapeutique dans laquelle je travaille aujourd'hui comme psychologue
depuis maintenant un an et demi.
La fédération couvre donc tous les secteurs de psychiatrie adulte de la Martinique. C'est une
unité fonctionnelle intersectorielle qui fonctionne avec ses propres règles et sa propre
autonomie.
Elle est composée, aujourd'hui, de 4 infirmiers temps plein, d'une assistante sociale temps
plein, d'un psychologue temps plein et de deux médecins qui effectuent un quart temps
chacun.
En 2001 la direction nous a accordé 15 places supplémentaires.
Aujourd'hui, nous disposons de 42 familles d'accueils avec 40 accueillis placés.
2. Organisation et fonctionnement de la fédération
L'organisation et le fonctionnement de la fédération sont détaillés dans le règlement
intérieur élaboré par un groupe de travail médico-administratif qui est remis à chaque famille
d'accueil.
L'équipe est unique et autonome, elle sélectionne, recrute les familles d'accueils, les
accompagne pendant toute la durée de l'accueil. L'équipe émet aussi un avis dans l'adéquation
des patients proposés pour un placement en famille d'accueil. Elle se charge de réfléchir à la
famille qui semble le mieux convenir à l'accueilli. Ce travail se réalise dans le cadre d'une
commission intersectorielle. Cette commission réunit un représentant de chaque secteur,
l'équipe de la fédération ainsi que le représentant de l'administration chargé de la gestion
administrative des familles.
L'équipe organise aussi le lien avec les équipes de secteurs qui continuent a suivre, sur un plan
psychiatrique et social, les patients placés en famille d'accueil. Ces moments sont très riches
car ils permettent d'évaluer ensemble le placement, son intérêt thérapeutique, mais aussi de
réévaluer les projets de soins des patients placés. Les réunions avec chaque secteur
psychiatrique se tiennent deux fois par an (il y a 6 secteurs donc 12 réunions par an).
Toutes les décisions sont prises de façon collégiale autour de temps impartis en commissions
mensuelles intersectorielles d'étude de candidature patient, de réunions de liaison avec les
secteurs psychiatriques et enfin lors des synthèses hebdomadaires de l'équipe d'AFT
coordonnées par les médecins de la fédération.
La fédération fonctionne en système avec une équipe autonome totalement dégagée des
secteurs hospitaliers, formée à l'accueil familial thérapeutique (par l'IFREP), elles sont en
lien étroit avec les familles qui ont, elles aussi reçu, une formation initiale et continue à
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
L. COLLARD. A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
l'accueil familial thérapeutique (par l'IFREP) assortie d'une formation de base sur les
grandes lignes de la maladie mentale et les traitements associés. Ce travail fait l'objet de
retours fréquents aux secteurs d'origines comme nous l'avons vu précédemment.
Le système de réfèrent est mis en place, en effet, deux infirmiers identifiés se chargent des
familles d'accueils du Nord de la Martinique exclusivement et les deux autres prennent en
chargent les familles du sud.
La fédération dispose de locaux se situant à l'intérieur même du centre hospitalier mais
décentrés des pavillons d'hospitalisation, ainsi que de deux véhicules.
A noter que les patients une fois placés en famille d'accueil sont toujours considérés comme
hospitalisés, ils payent un for fait hospitalier, remboursé par leur mutuelle, mais gardent
l'intégralité de leur AAH favorisant ainsi la réalisation des projets.
3. La thérapeutique en question dans les modes d'interventions
Comme nous l'avons vu précédemment, la même équipe se charge de l'agrément, du
recrutement, de la mise en place de l'accueil, de son accompagnement et de son contrôle. Il
s'agit-la d'un seul groupe organisé et structuré de personnes unies dans une tâche commune,
c'est à dire une équipe identifiée, gestionnaire des dispositions à prendre et à assurer tout au
long de l'accueil.
Cependant, il revient à l'équipe de secteur d'origine, d'organiser les soins et le suivi des
patients placés en famille d'accueil.
Il n'est pas rare d'être confronté ici à un amalgame de la part des équipes soignantes pensant
bien souvent que comme la fédération est constituée d'une équipe pluridisciplinaire, nous
allons donc assurer le suivi psychiatrique des patients placés en famille d'accueil. Il revient à
l'équipe de la fédération de travailler plus précisément sur le lien entre accueillants et
accueillis. Comment cela se passe t'il pour la famille d'accueil ? Comment l'accueilli s'adapte
t'il à son nouveau lieu de vie, et à la famille d'accueil ? Comment se passe la relation entre
accueillant et accueilli ? Est-ce que les conditions d'accueil sont bien respectées ?
C'est par le biais de rencontres entre professionnels et famille d'accueil que s'évaluera le
dispositif. Bien souvent dans le cadre de visites à domicile programmées. Il est cependant des
situations où le cadre devient ponctuellement défaillant, la vigilance des soignants se renforce
alors et les visites deviennent plus fréquentes, nous assistons alors soit à un accroissement du
suivi soit à un contrôle exercé de façon délibérée notamment par le biais de visites à domicile
non programmées. La frontière devient dans ce cas très discutable. Il est important de
pouvoir trouver un espace pour penser cette frontière. A quel moment peut-on prétendre que
le cadre est défaillant ? Et comment y intervenir ?
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
L. COLLARD. A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
Le suivi et le contrôle se passent finalement à plusieurs niveaux, lors des visites à domicile
rapprochées quand il s'agit d'un nouveau placement, lors des visites mensuelles pour les
patients plus anciens, au téléphone, et lors des groupes de parole des familles d'accueils qui
ont lieu une fois par mois. Suivi et contrôle forme la un tout, un ensemble qui s'inscrit dans ce
que nous appelons accompagnement.
D'autres niveaux d'interventions existent, ce sont les consultations avec le médecin de
secteur où la famille d'accueil accompagne souvent le patient, cela peut être un moment où la
famille est entendue. Parallèlement à cela, le patient peut être amené à fréquenter les
hôpitaux de jour ou CATTP il est donc important de formaliser ces rencontres afin de donner
sens et cohérence au travail d'accueil familial et de permettre aux patients d'exprimer leurs
vécus. Au-delà de tous les enjeux possibles, elles peuvent aussi avoir pour objectif de faire
sortir les accueillants de leur univers domestique, mais surtout de leur donner l'occasion
d'échanger et de verbaliser leur vécu dans un autre environnement.
Depuis la création de la fédération nous avons été confronté à des situations ou quelques
familles d'accueil ont déjoué le règlement, se mettant dans une situation allant à l'encontre
de leur mission d'accueil, décevant ainsi les infirmiers référents de l'accueil familial
(contamination aux autres familles d'accueil). Ces situations ont permit de faire avancer
l'équipe de la fédération et de réfléchir plus particulièrement au recrutement des familles
d'accueil, aux modalités, mais aussi aux notions de respect, de confiance, de partage et
d'équipe, qui sont travaillées dès la sélection des familles
L'accueil familial constitue donc un service dans lequel des professionnels agissent pour
prendre en charge des histoires de vie singulières et difficiles. Service constitué
d'accueillants et d'intervenants qui, chacun à leur niveau et selon les fonctions qu'ils
assurent, participent aux événements de l'accueil et accompagnent des projets de soin.
Les interventions sont donc mesurées et confiées à deux infirmiers référents dans la durée,
afin qu'une participation émotionnelle au vécu de l'accueil, au côté de l'accueilli et des
accueillants, puisse avoir quelque chance de construire des prises en charge personnalisées et
adaptées. En effet, la pertinence de l'accueil familial repose sur la qualité et l'intensité des
échanges affectifs auxquels accueillants et intervenants doivent répondre.
L'affect est donc une des pierres angulaires mais pas seulement, l'espace transitionnel aussi,
nos interventions doivent favoriser un espace de réflexion, de pensée, d'échange et la
position des intervenants est de favoriser cet espace tiers.
Le but étant de contenir et faire exister un espace entre l'accueilli et la famille d'accueil, qui
permet à chacun de se repérer. C'est le rôle de l'équipe d'accueil familial que de permettre
et de soutenir l'élaboration de significations pour chacun d'autant plus que cette situation
d'accueil familial est totalement artificielle. En effet, le terme de tiers évoque une certaine
neutralité, garantie de l'impartialité car on attend de lui qu'il soit arbitre. C'est là où réside
la difficulté car si l'équipe ne peut se situer sur le même plan que l'accueilli et la famille, elle
n'est pas pour autant complètement en dehors : elle est impliquée et partie prenante de
l'accueil familial.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
L. COLLARD. A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
Dès lors, sa capacité à faire tiers est intimement liée à ses ressources à faire exister de la
différence entre le dedans et le dehors de l'accueil familial, à en symboliser les limites. C'est
par un travail d'attention aux enjeux relationnels entre famille d'accueil et accueilli, que
s'exprime cette fonction qualifiée de tierce. Cela passe entre autre, par le soutien et
l'étayage du vécu de chacun, en réassurant l'accueilli face à des mouvements affectifs
conflictuels et angoissants qu'il ne parvient pas à élaborer, en reconnaissant les accueillants
dans le travail qu'ils mènent face aux manifestations symptomatiques de reproduction des
relations antérieures.
C'est dans ce sens que nous souhaitons d'une part que nos familles bénéficient chaque années
d'une formation continue et que nous insistons auprès d'elles pour qu'elles participent de
façon régulière aux groupes de parole. La viabilité d'un tel dispositif passe aussi par une
formation soutenue de l'équipe soignante dans son ensemble.
Notre démarche s'inscrit dans ce sens auprès de la direction de l'hôpital, qui n'est pas
toujours très réceptive car trop souvent confrontée à une logique comptable. D'autant que
nous sommes confrontés à des difficultés concernant l'accompagnement des projets des
accueillis. En effet, un des critères que nous retenons pour qu'un patient intègre une famille
d'accueil, est d'avoir un projet. Le projet d'un futur, futur autre que celui de rester en
famille d'accueil. Ce projet est élaboré en amont par les équipes soignantes avec le patient et
sa famille quand elle existe.
Pour la plupart le passage en famille d'accueil est envisagé pour acquérir des choses oubliées
ou perdues, et réapprendre des règles de vie et de civilité. La famille est donc là, sollicitée
pour éduquer le patient, voir, le rééduquer en vue d'une meilleure autonomisation afin de
faciliter sa réinsertion donc la réalisation de son projet. Ce projet a pour but de donner sens
à l'accueil et de l'inscrire comme une étape de vie et non comme une fin, l'accueil familial
devant garder sa dimension de passage entre un temps d'avant et un temps d'après.
Introduire du temps et du changement bouscule la chronicité dans laquelle chacun s'enferme,
la famille d'accueil, parce qu'elle tend vers un apaisement des conflits et un équilibre de sa
vie familiale, l'accueilli parce qu'il a trouvé un espace de répit ou parce qu'il est chronicisé
dans sa pathologie.
Mais voilà, nous sommes là confrontés à des résistances non seulement de la part de la famille
d'accueil qui voit des lors qu'un certain équilibre est atteint, une certaine aisance tant
narcissique que financière ainsi qu'une certaine tranquillité car l'accueilli est intégré et
prends alors des couleurs familiales qui pour certaines familles sont synonyme de réussite ;
mais aussi des résistances de la part de l'accueilli lui même qui peut freiner le processus
d'autonomisation, trouvant là des bénéfices secondaires, ou bien refuser tout simplement de
partir de la famille d'accueil, se trouvant bien dans ce nouveau cadre.
En fait, il semblerait que les projets ne soit pas suffisamment élaborés à partir de l'accueil
familial et de sa dynamique. Pour toutes ces raisons, l'accueil familial est un soin, mais un soin
qui exige un accompagnement capable d'anticiper de tels mouvements relationnels, de les
réguler et de les contenir.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 6
L. COLLARD. A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
Conclusion
La fédération des accueils familiaux thérapeutique est une structure récente créée en 2000
et reste en pleine évolution au centre hospitalier de Colson. Nous avons récemment reçu
l'autorisation de la direction de recruter 19 familles supplémentaires amenant ainsi le service
à gérer environ 60 familles d'accueil. Ce surcroît de familles serait accompagné de la création
de deux plein temps infirmiers, d'un secrétariat, et d'un cadre infirmier.
Nous sommes bien entendus tributaires des instances de tutelles et de la direction de
l'établissement en terme de place d'AFT qui répond essentiellement à une logique comptable
(une place en AFT égale a une place en moins en intra hospitalier) et ce, dans un contexte de
réduction des lits d'hospitalisation drastiques et de tensions très fortes sur l'intra
hospitalier liées au manque de personnels soignants.
Il nous faut cependant rester attentif à la qualité du travail qui est déjà engagé et veiller à
une meilleure reconnaissance du travail fourni par les familles d'accueil. Nous avons d'ailleurs
récemment porté un certain nombre de doléances auprès de notre direction pour que les
salaires des familles d'accueils soient revalorisés mais aussi qu'elles puissent avoir la garantie
d'une allocation chômage en cas de perte d'emploi, comme c'est le cas dans certains hôpitaux
de l'hexagone. En effet, comme nous l'avons vu précédemment nous demandons aux familles
d'accueil un travail autre que le simple fait de nourrir et d'héberger les accueillis, nous leur
demandons de sortir, pour certaines, de leur dimension hôtelière dans laquelle il est si facile
de se réfugier.
Ces efforts doivent être accompagnés par une formation continue permanente de nos familles
assortie d'une reconnaissance financière de l'hôpital qui les embauche, ainsi qu'une formation
permanente pour l'ensemble de l'équipe soignante. A défaut nous risquons de cantonner les
familles d'accueils dans un rôle purement nourricier.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
Marie REVEILLAUD
Psychiatre, La Roche/Yon
AXE n°2 : DU COTE DES EQUIPES
L’accueil séquentiel pour restaurer
les relations parents-enfants
1. Accueil séquentiel
En 1998, mon intervention s'intitulait : « le temps partiel pour que la mise à distance soit
réparatrice. »
Il nous semble, en effet, que le temps partiel fait partie des éléments les plus thérapeutiques
de cette structure.
Dans notre service, l'accueil séquentiel est un outil thérapeutique parmi d'autres dont nous
disposons pour les soins en pédopsychiatrie qui vise à une restructuration des instances
psychiques des enfants qui nous sont confiés mais des enfants en relation avec leurs parents.
C'est pourquoi, nous pensons qu'il est utile de mettre dans le champ thérapeutique des
interactions parents-enfants et les imagos parentaux que l'enfant utilise comme support
d'identification.
Dans une situation familiale, qui nous paraît trop peu mobilisée par les autres outils
thérapeutiques, tels que l'Hôpital de Jour, les consultations familiales, les psychothérapies,
nous pouvons proposer cet outil supplémentaire qui offre à l'enfant et à ses parents et
également à l'équipe de soins d'autres possibilités de mobilisation des affects.
2. Pourquoi est-ce efficace ?
Nous avons cherché à comprendre pourquoi, avec ces temps très courts d'accueil de l'enfant,
c'est-à-dire de 1 à 5 jours maximum d'accueil par semaine dans une autre famille que la
sienne, le travail de l'accueil familial thérapeutique donne des résultats visibles en quelques
mois, tant chez l'enfant que chez ses parents.
Nous pensons que le travail de l'équipe, et donc les effets intrapsychiques et inter-
relationnels se situent aux deux niveaux de l'interaction parents-enfant.
Nous avons attribué les effets de la restauration psychique aux possibilités d'identifications
croisées que permet le fonctionnement rythmé d'allers et retours.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
L'enfant profite des effets du cadre structurant de la famille d'accueil, sans rompre avec
ses repères identificatoires et identitaires construits dans sa famille.
Le processus thérapeutique Schéma 1
Le travail de l'équipe se situe aux deux pôles interactionnels de la problématique :
- le pôle de l'enfant qui va pouvoir restaurer ses capacités relationnelles pendant son
séjour en famille d'accueil. Séjour qui peut être court mais régulier.
- l'autre pôle, celui des parents. Les parents étant soulagés quelques jours des
troubles du comportement de leur enfant.
Le travail de l'équipe va se situer au niveau des effets en famille d'accueil d'une part et des
effets de cet accueil thérapeutique au niveau de la famille de l'enfant d'autre part.
Enfin, nous rencontrerons l'enfant pour voir directement à son niveau les effets de cet aller-
retour de chez lui à la famille d'accueil.
Les Membres de l'Equipe travaillent par binôme, deux personnes vont régulièrement dans la
famille de l'enfant. Deux autres personnes vont régulièrement en famille d'accueil. Une de
ces quatre personnes rencontre individuellement l'enfant, de temps à autre.
Toute l'équipe se réunit toutes les semaines et échange sur tous les éléments recueillis dans
les visites à domicile avec les autres Membres de l'Equipe.
La réflexion est poussée grâce à l'écoute des personnes qui ne sont pas impliquées
directement. Les décisions se prennent en commun chaque semaine.
8 Membres de l’Equipe AFT
(réunion hebdomadaire 3 heures)
Famille
propre
Famille
d’accueil
Enfant
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
Restauration psychique Schéma n° 2
Il s'agit d'une description de la reconstitution des enveloppes psychiques pour un enfant
bénéficiant de plusieurs espaces de soins dont l'Accueil Familial Thérapeutique séquentiel
quelques jours par semaine.
Nous représentons les fragilités des enveloppes psychiques(en rouge foncé) constituées par
les environnements de la famille de l'enfant, l'environnement à l'école ordinaire et
éventuellement dans un centre de loisirs ou chez d'autres personnes de sa famille, c 'est à
dire les environnements qui présentent des fragilités ou dans lesquels l'enfant est en
difficulté.
Ces enveloppes vont pouvoir être restaurées par les environnements complémentaires que
nous proposons (en vert clair) : la famille d'accueil, l'Hôpital de Jour, l'école de l'Hôpital de
Jour.
La famille d'accueil n'a aucun contact avec la famille propre de l'enfant. Il y a donc une
séparation entre les deux espaces.
Eventuellement, l'enfant va bénéficier d'une psychothérapie individuelle et cette
psychothérapie restera en dehors des interventions de l'Equipe de soins de l’A.F.T.
Dans notre schéma, nous mettons au centre l'enfant et les différentes constructions des
enveloppes psychiques, les constructions défaillantes en rapport avec les difficultés que
l'enfant rencontre dans sa famille propre, dans le centre de loisirs ou à l'école et les
enveloppes réparatrices et reconstituantes que vont représenter le travail de l'Hôpital de
Jour, de la famille d'accueil, et de l'école de l'Hôpital de Jour.
Famille
Centre
de
loisirs
Ecole
Psychothérapie
Individuelle
parfois Ecole
Hôpital
de Jour
Famille
d’Accueil
Hôpital
de Jour
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
L'équipe soignante de l'A.F.T contacte tous les espaces de l'enfant qu'ils soient
thérapeutiques ou qu’ils soient ses lieux de vie habituels.
Ce travail de mise en lien des éléments recueillis dans tous ces lieux permet cette
reconstitution du « Moi-Peau ».
L'accueil familial thérapeutique à temps partiel est un moyen de reconstitution des
enveloppes psychiques.
On insiste beaucoup depuis les travaux d'Esther BICK et de Didier ANZIEU sur la notion
d'enveloppes psychiques1. Didier ANZIEU dans la suite de l'élaboration du concept du « Moi
Peau » développe une théorisation de la mise en place et de la fonction des enveloppes
psychiques.
Ces enveloppes psychiques limitent un contenant corporel et un contenant de pensée en
intégrant les différentes sensations qui se différencient progressivement en fonction de leur
provenance intra et extra-corporelle.
L'environnement joue un rôle fondamental dans la constitution de cette délimitation du monde
psychique interne et du monde extérieur des perceptions, organisant un moi différencié
pensant.
W. BION utilise le concept de fonction α pour décrire le rôle contenant de la pensée
maternelle qui fera la liaison entre les différentes sensations en leur donnant sens. Les
éléments β d'origine sensorielle, non intégrables dans le psychisme sont transformés par
cette fonction α de la pensée maternelle, en éléments α intégrables.
La pensée maternelle contenante participe ainsi à la construction d'un psychisme infantile
différencié ouvert sur le monde extérieur et comprenant le sens de ses perceptions. Les
gestes de la mère, gestes du corps, des mains, participent comme le décrit bien WINNICOTT
avec la notion de « holding » à la formation de la « peau psychique » d'E. BICK ou du « Moi
peau » de D. ANZIEU. Didier HOUZEL (p. 44 dans « enveloppes psychiques ») parle du
deuxième temps d'ouverture lié à la fonction paternelle.
Le premier temps étant maternel « un deuxième temps paternel, dont l'agent d'ouverture est
l'objet paternel vient ouvrir la symbiose mère/bébé, garantir l'identité de chacun, sans pour
autant arracher l'enfant à la mère, ni le couper de ses racines symbiotiques ».
Nous souhaitons proposer des soins appropriés aux enfants dont les souffrances
psychologiques sont liées à des difficultés d'identification, des pathologies de structuration
d'un moi différencié, des fragilités se situant au niveau des enveloppes psychiques.
Ces pathologies sont en rapport avec des expériences précoces, de relations ambivalentes
avec l'environnement parental, relations souvent intrusives, ou d'emprise et de rejet.
Il nous parait important de proposer une reconstitution des enveloppes psychiques
permettant une meilleure ouverture et une meilleure communication avec le monde extérieur,
par un apport en fonction de contenance, et de pare-excitation qui ont fait, et font encore,
défaut dans la famille naturelle.
Cet apport nous le proposons sur le modèle décrit par HOUZEL en évitant « l'arrachage » de
l'enfant à son environnement habituel.
1
Les enveloppes psychiques Paris, Dunod 1987
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
Notre structure accueil familial thérapeutique à temps partiel nous permet de travailler aux
deux niveaux de l'interaction parent-enfant où se situe l'histoire des difficultés
relationnelles et où doit se situer le travail de reconstruction, de la fonction contenante des
parents d'une part et de la constitution du moi de l'enfant d'autre part.
Schéma n° 3
La renarcissisation, résultat de l'accueil chaleureux, de la mise en en sens de ses
comportements, de la revalorisation de certains aspects de sa personnalité et de la
reconstruction des enveloppes psychiques par tous les liens effectués.
Cette renarcissisation rejaillit sur la famille de l'enfant qui en retour pourra en faire
bénéficier l'enfant.
Etayage-Affiliation
Le psychisme de l'individu se développe en suivant les processus structurants d'étayage et
de desétayage. Ces deux mouvements d'étayage et de desétayage, l'un plus sécurisant dans
les rythmes qui se répètent, l'autre différenciateur dans l'introduction de nouveaux éléments
dans les rythmes, sont indispensables et incontournables dans la maturation psychique et en
relation avec son environnement.
On parle parfois des fantasmes d'adoption pour le patient accueilli et sa famille d'accueil. Il
nous apparaît que les temps courts d'accueil évitent que ces fantasmes d'adoption et leur
corollaire, les fantasmes d'abandon de la famille naturelle, soient tellement envahissants
qu'ils fassent obstacle aux apports de « l'affiliation » dans le groupe familial d'accueil.
L'étayage permet une renarcissisation qui aura des effets secondaires dans la famille
naturelle
Narcissisme
primaire
Equipe AFT
Psychothérapie
Autres soins
Famille
d’accueil
Famille
propre
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M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
Place et nombre
La structure d'accueil familial thérapeutique à temps partiel que nous avons mise en place en
Vendée, ne dispose que de quatre familles d'accueil. Cette limite nous oblige à utiliser les
temps d'accueil de manière très partielle, c'est à dire souvent pour un à deux jours par
semaine pour un enfant dans une famille d'accueil. Ainsi une douzaine d'enfants peuvent en
bénéficier.
Côté parents
Nous allons tout d'abord en voir l'intérêt du côté des parents. L'absence courte pendant la
semaine nous permet de travailler avec eux la fonction parentale.
Les temps courts d'absence évitent le désinvestissement de l'enfant. Au contraire, il semble
servir d'aiguillon pour le réinvestissement.
Une condition importante à ce travail sur la parentalité est l'absence de relations directes
entre les parents de l'enfant et la famille d'accueil.
L'identification inconsciente des parents de l'enfant aux parents d'accueil va souvent les
mobiliser suffisamment pour leur permettre :
- d'une part de s'appuyer leurs représentations imaginaires de ce couple parental qui
partage le fardeau de leur enfant qu'ils vivent souvent comme persécuteur,
- d'autre part de s'interroger sur leur propre histoire d'enfant avec leurs propres parents.
Cette mobilisation est rendue possible par les entretiens réguliers avec les parents (deux fois
par mois au minimum) organisés le plus souvent sous forme d'entretien au domicile des
parents par deux soignants de la structure AFT.
Ainsi, nous observons chez les parents l'émergence d'émotions nouvelles résultant de la mise
à distance temporaire des conflits. Ces émotions nouvelles vont servir à dénouer certains
conflits entremêlés de projections massives dirigées sur leur enfant. Les vécus infantiles des
parents peuvent être évoqués et donner des repères de compréhension des nœuds
conflictuels mettant en évidence le télescopage des générations.
Dans ces entretiens, notre travail est surtout de soutenir la fonction parentale en
renarcissisant ces parents par la valorisation de certaines de leurs attitudes. Le fait de
continuer à vivre avec leur enfant plusieurs jours par semaine leur permet de ne pas être
dépossédés de leur fonction parentale. Cela évite une rivalité destructrice et le rejet du
couple d'accueil. Au contraire, ils peuvent s'identifier à ce couple pour ce qu'ils imaginent de
bon chez eux et parfois modifier inconsciemment certains de leurs comportements.
Le fait que nous leur demandions de ne pas avoir de contact avec la famille d'accueil favorise,
selon nous, des identifications positives et inconscientes à ces parents, qui restent
imaginaires en grande partie, (l'enfant, ne l'oublions pas, apporte des éléments d'une réalité).
Les parents nous ont souvent exprimé la reconnaissance qu'ils éprouvent à l'égard de ces
familles d'accueil qui partagent avec eux les problèmes éducatifs.
Ce phénomène nous paraît lié au maintien de la responsabilité parentale dans ce système
accueil familial thérapeutique qui permet de mobiliser leur compétence parentale.
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M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
Côté famille d'accueil
Parallèlement, la famille d'accueil, qui ne connaît pas les parents, peut s'identifier à ce couple
parental dans les réponses et conseils qu'elle donne à l'enfant, parce qu'elle ne sait de leur
défaillance, insuffisance que ce que leur en dit l'enfant. Ne connaissant pas la réalité souvent
négative de la situation familiale, ils peuvent aider l'enfant à modifier son comportement. Par
exemple, si l'enfant dit «j'ai été puni par mon père », il peut lui être demandé « qu'as-tu fait
qui entraîne cette punition ? ». Si la famille d'accueil sait que le père est violent et alcoolique,
elle ne pourra pas agir de cette manière réparatrice.
La famille d'accueil soutient donc l'enfant dans ses identifications par des repères
structurants, mais soutient également cet enfant dans les efforts qu'il fera à s'adapter au
système familial de ses parents, qui est le système de support de ses identifications
primaires.
Le fonctionnement familial de l'enfant n'étant pas désigné comme défectueux, l'enfant peut
profiter pleinement du système familial d'accueil et ne sera pas poussé à faire échouer les
nouvelles relations qu'il pourra mettre en place.
On propose à l'enfant des relations au quotidien avec un autre couple parental (la famille
d'accueil). Ce couple renvoie l'enfant à la scène primitive lui permettant d'intégrer la loi
structurante de l'interdit de l'inceste à travers des règles de vie autour de repères
quotidiens que sont les repas, le coucher, les soins corporels.
On insiste souvent sur l'apport affectif des familles d'accueil envers un enfant en
souffrance. Il me paraît important aussi de souligner l'intérêt du cadre symbolique apporté
par le couple parental d'accueil dont la sexualité prend un sens pour l'enfant. Elle lui permet
de s'intégrer dans une vie sociale comme sujet.
Ce couple va avoir une fonction contenante à l'égard des débordements pulsionnels et des
angoisses envahissantes de l'enfant. L'enfant pourra intégrer cette fonction contenante dans
son propre psychisme en intériorisant les nouveaux repères identificatoires qui lui sont
offerts.
Allers-retours
Lorsque l'enfant rejoue en famille d'accueil des scènes ayant entraîné chez lui des réactions
parentales traumatisantes, les réponses sont différentes. Les débordements de sensations
responsables des troubles de l'enfant vont trouver un sens grâce à la fonction de pare-
excitation de la famille d'accueil. Cette fonction a un rôle de transformation des sensations
de l'enfant pour les intégrer dans un espace symbolique.
L'enfant, nanti de ses nouvelles expériences, peut mettre ses parents en situation de
modifier leurs comportements.
L'accueil familial thérapeutique permet donc à l'enfant, ayant intériorisé la fonction
contenante du couple parental d’accueil, de mieux maîtriser ses débordements d’angoisse ou
pulsionnel, ce qui entraîne des changements d'attitude de ses parents.
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M. Reveillaud. L’accueil séquentiel pour restaurer les relations parents - enfants
Le soutien apporté à la famille d'accueil sous forme de visites à domiciles régulières
effectuées par des soignants de la structure d'accueil familial thérapeutique à temps partiel
doit être suffisant pour que les troubles du comportement de l'enfant ne déstabilise pas ce
fonctionnement familial contenant et structurant.
L'apport structurant de la famille d'accueil est d'autant plus efficace que le travail au niveau
des interactions avec les parents se poursuit parallèlement.
Ainsi la progression peut se sentir aux deux pôles de l'interaction
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6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Patrick LANGRAND
Psychiatre, C.H.S Saint-Jean de Dieu
AXE n°3 : DU COTE DES PATIENTS
L'espace de l'enfant
en accueil familial thérapeutique à temps partiel
Jean Tinguely est ne en 1925 en Suisse.
Ce grand sculpteur est connu en France pour la fontaine Stravinsky (1983) réalisée à
Beaubourg avec sa compagne Niki de Saint Phalle.
La reconnaissance internationale arrive à Jean Tinguely en 1960 avec « Hommage à New York
», une manifestation où il séduit le monde culturel du Musée d'Art Moderne de New York en
imposant une machine folle, belle et autodestructrice. Chargée de poudre noire, elle trépide
de tous ses pistons et ses poulies, puis se consume et se suicide dans des gerbes d'étincelles,
dans un spectacle qui dure 30 minutes.
En 1970, il débute la mise en œuvre du Cyclop à Milly-la-Forêt, sculpture promenade géante,
réalisée en collaboration avec Bernhard Luginbulh, Niki de Saint Phalle, Daniel Spoerri et
d'autres.
C'est un monument unique dans l'histoire de l'art contemporain. Jean Tinguely met plus de dix
ans pour construire cet édifice énorme et secret, loin de la ville, en forêt de Fontainebleau.
Le Cyclop représente une tête de 23 mètres de haut, dotée d'un visage en façade et fermée
sur le haut.
Les tempes et l'arrière du crâne sont ouverts à tous les vents. Ils laissent paraître les gros
rouages grinçants et les enchevêtrements de poutrelles qui constituent le contenu de la tête
géante.
Le haut de la tête, au lieu des cheveux, porte un bassin où une mince pellicule d'eau reflète le
ciel, les nuages et les arbres environnants.
Le visage, doté d'un seul œil, est revêtu d'une peau faite d'une multitude d'éclats de miroirs.
L'intérieur de la tête contient la machinerie en mouvement incessant. Des oeuvres d'autres
artistes (Arman, César, Spoerri et d'autres) sont logées là, au milieu des rouages, un peu
étrangères à l'ensemble.
Sur un côté, une oreille géante semble ausculter la forêt.
De l'autre côté, un wagon ayant servi à la déportation est suspendu sur ses rails à 20 mètres
du sol.
Entre le Cyclop et Hommage à New York, Tinguely a construit des dizaines, des centaines de
machines moins importantes, toutes farfelues, toutes originales.
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P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Faites de résidus de matériaux, elles sont embarquées et elles embarquent le spectateur dans
un mouvement joyeux ou désespéré, toujours mêlé d'absurdité.
L'oeuvre de Tinguely est suffisamment riche pour stimuler toutes sortes de métaphores.
L'A.F.T. peut se voir comme une machine de Tinguely, avec ses rouages complexes qui
articulent en grinçant l'enfant, la famille d'accueil, la famille de l'enfant et de multiples
intervenants.
Les rapprochements entre les sculptures de Tinguely et l'A.F.T., la psychose ou avec toute
situation un peu complexe sont plaisants mais assez faciles.
Plus intéressant est de porter sur l'A.F.T., le regard que le sculpteur portait sur ses
machines:
« La machine, elle est pour moi de toute façon un instrument qui me permet d'être poétique.
Si vous respectez la machine, si vous entrez dans le jeu de la machine, peut-être qu'on a une
chance de faire une machine joyeuse, c'est à dire par joyeuse, je veux dire libre ; ce serait
une possibilité merveilleuse »
Tipasa est une des enfants reçus en Accueil Familial Thérapeutique. Elle est âgée d'environ 10
ans. Elle est née en France. Ses parents sont immigrés d'Asie pour des raisons politiques..
Lorsqu'elle tend la main, l'air timide, à la demande de Mme Dubois, son assistante maternelle,
celle-ci est ravie. « Vous voyez » dit-elle dans un grand sourire, enchantée de montrer que
Tipasa obéit à sa demande de donner la main.
Tipasa est accueillie depuis quelques mois chez cette nouvelle famille. Les Dubois ont une
maison située près du domicile de Tipasa ainsi que de son hôpital de jour. Tipasa dort chez les
Dubois une nuit par semaine.
L'accueil de Tipasa se déroule en deux petites séquences hebdomadaires: une séquence de 24
heures et une séquence plus brève autour d'un repas. Le reste du temps, Tipasa est à l'hôpital
de jour ou bien chez ses parents. Elle n'a pas la capacité de fréquenter l'école.
Après avoir salué de sa petite main molle, Tipasa se recule, le regard au sol, et appuie son dos
à la cloison. . C'est un moment de transition. M. Loisy, l'éducateur de l'AFT, est allé chercher
Tipasa chez elle. Il l'a accompagnée en voiture jusqu'au centre où l'attendait Mme Dubois.
L'échange entre l'assistante maternelle et l'éducateur est assez animé mais Tipasa reste en
retrait.
Plus tard, Mme Dubois entraîne Tipasa dans son sillage. Elle l'emmène chez elle pour la
première séquence de la semaine. C'est un peu pour nous comme si nous restions sur le quai
Le service d'Accueil Familial Thérapeutique pour enfants de l'Hôpital Saint Jean de Dieu
existe depuis 11 ans.
C'est une petite structure dotée actuellement de 4 familles d'accueil.
Sa capacité est de 8 enfants.
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P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Longtemps, le service a fonctionné avec seulement une ou deux familles d'accueil.
L'équipe est constituée d'une assistante sociale à quart de temps, d'un éducateur à quart de
temps, et d'un médecin à un dixième de temps. Le temps cumulé pour l'ensemble de l'équipe
est de 0,60 temps plein.
L'A.F.T. intervient toujours en complément d'un soin en Hôpital de jour, en Centre Petite
Enfance ou en C.M.P. Il n'est jamais utilisé comme seul dispositif de soin.
Les enfants sont tous accueillis à temps partieL
La durée de séjour est en moyenne de 2 jours et deux nuits par semaine mais toutes les
durées de séjour sont possibles de 1 à 5 nuits par semaine.
Les enfants ont entre 2 et 6 ans le plus s cuvent à l'entrée.
Leur symptomatologie est importante.
Il s'agit d'enfants psychotiques ou autistes ayant des rituels, des stéréotypies et des
angoisses aiguës.
Il peut s'agir d'enfants ayant de gros retards du développement, avec retard de parole,
trouble du sommeil, de l'alimentation, agitation, agressivité ou conduites dangereuses
empêchant leur intégration complète en milieu scolaire.
L'indication d'A.F.T. succède souvent à une situation de crise familiale marquée par
l'irruption de violence et un vécu de danger pour l'enfant ou pour l'un des parents.
Les contre-indications de l'A.F.T. sont les cas d'enfants victimes de sévices relevant du
placement judiciaire. Dans les situations limite, qui sont fréquentes, la mise en place d'une
A.E.M.O. est une condition indispensable à l'admission (aujourd'hui, c'est le cas de 4 enfants
sur 6)
L'accueil des enfants se fait dans le cadre d'une séparation des espaces entre familles
d'accueil et familles d'origine.
Une brève et unique visite du domicile de la famille d'accueil, en présence d'un membre de
l'équipe, est organisée au début pour les parents.
Par la suite, les parents ne vont pas au domicile de la famille d'accueil, et inversement,
l'assistante maternelle n'entre pas au domicile des parents.
Toutefois, en dehors des domiciles instaurés en sanctuaires de l'intimité, les rencontres
entre les deux familles sont possibles et mêmes nécessaires pour opérer le passage de
l'enfant d'une famille à l'autre.
Les passages ont lieu dans la mesure du possible au siège de l'A.F.T.
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P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Les représentants des deux familles s'y rejoignent avec l'enfant. L'éducateur ou l'assistante
sociale les y attende. Souvent, un frère, une sœur ou un enfant de la famille d'accueil est là
aussi. Selon leur humeur et leur disponibilité, les uns jouent ou s'installent confortablement,
les autres restent debout ou s'assoient sur le bord d'une chaise. Pendant 10, 15 minutes, la
parole circule dans une sorte d'improvisation assez tranquille.
La fonction médiatrice de l'équipe est essentielle pour que ces moments se déroulent et se
terminent bien.
« Grosse Méta Maxi-Maxi Utopia » est le nom d'une machine crée en 1987 par Jean Tinguely.
C'est une sculpture promenade monumentale dont certains rouages ont jusqu'à 4 mètres de
diamètre. Les visiteurs peuvent circuler, monter et descendre parmi les pièces en mouvement.
Grosse Méta Maxi-Maxi Utopia est conçue en réaction à une maladie cardiaque dont le
sculpteur a guéri malgré un long coma.
Dans une interview de la TV suisse Romande, il déclare :
« Je veux faire quelque chose de gai, quelque chose pour les enfants, qui grimpent, qui
sautent, j'aimerais que cela devienne bien, impressionnant, joyeux, fou et style fête foraine
[...]
Il y aura des entrées, plein d'entrées, de sorties et de passages, on peut venir d'en haut et
d'en bas, on peut traverser, [...]
On s'en sert pour monter au premier étage par deux endroits, on s'en sert simplement pour
grimper, pour rien faire, on s'en sert pour aller voir, on s'en sert pour vivre et je veux que,
quand c'est très grand, qu'on voie des petites choses, par exemple je veux qu'à un endroit, il
y ait une lunette, une longue vue avec laquelle on regarde en bas, là-bas, sur un tout petit
jardin artificiel, style Bonsaï, mais avec de la flotte dedans, et peut-être une blague dedans
de Spoerri. Et j'aimerais que, quand on est en bas, on voie à travers les grillages, on voie
quelque chose, mais qu'est-ce que c'est ? Et on pense un moment imaginer quelque chose
d'érotique, mais qu'est-ce que cette autre chose ? J'aimerais qu'on oublie le fait qu'on est
dans une sculpture, je voudrais dans tout cela que l'on se marre, et que le spectateur voie
l'autre que l'on croise dedans, et que c'est une question de circulation... »
Le moment du passage de l'enfant est un temps très investi et il occupe concrètement une
part importante de l'activité.
Lorsque les familles amènent l'enfant, l'atmosphère est particulière, à la fois sérieuse,
concentrée et joyeuse.
C'est un moment d' « animation » ressenti au sens plein du terme, un mouvement qui amène de
la vie.
Pour l'enfant placé en A.F.T., les passages sont multiples. Ils se font d'une famille à l'autre,
mais aussi de la famille au centre de jour, à la thérapie, au juge, à l'hôpital, à l'école, et
inversement de l'école à la famille d'accueil, etc., etc.. avec de multiples enchevêtrements.
Ces passages sont un élément de vie qui s'oppose à l'immobilisme de certaines familles ou de
certaines pathologies.
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P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
C'est dans ce sens que l'on peut interpréter le plaisir ostensible des enfants lors des trajets
qu'ils font dans un sens ou dans l'autre, plaisir qui s'accompagne souvent de l'émergence
d'une parole.
Ces temps de passage permettent la circulation des informations, des pensées et des affects
autour de l'enfant.
Le rôle de l'équipe est déterminant pour limiter les effets de fragmentation, d'incohérence,
de paradoxe associés à la pathologie personnelle et familiale de l'enfant.
Le cadre de l'A.F.T. s'est construit progressivement autour de plusieurs axes.
L'un d'eux est le travail de réflexion avec les familles d'accueil
Chaque assistante maternelle vient individuellement, à heures et jours fixes, au bureau de
l'A.F.T., tous les quinze jours, pour parler de sa pratique avec l'assistante sociale et
l'éducateur.
Ces entretiens constituent un repère important pour les familles d'accueil qui savent, en cas
de problème, qu'elles pourront en parler rapidement.
Leurs essais, leurs trouvailles, leurs erreurs et surtout leur besoin de chercher seules leurs
propres solutions y sont accueillis avec intérêt.
Jean Tinguely, dans une interview pour le film d'Adrien Maben, déclare à propos de son
travail :
« J'ai besoin de mes hésitations. J'ai besoin de mes doutes, du va et vient, de faire quelque
chose et ensuite de pas savoir si c'est bon. [...] Dans mon affolement, je suis mieux seul. On
peut pas s'affoler à deux ou à trois. On peut plus s'affoler. Je veux dire je m'affole quand je
travaille. Parfois, j'ai trois idées à la fois et je ne sais pas du tout comment les faire. Je dois
essayer de commencer par un bout et je me coince souvent, je me bloque et je me trouve dans
des impasses sans arrêt. »
L'équipe essaye d'éviter le dogmatisme et prend un réel plaisir à chercher avec l'assistante
maternelle des hypothèses nouvelles en évitant les certitudes et les théories préconçues.
Dans la même interview, Tinguely déclare :
« Je ne suis pas un vrai artisan bien organisé avec un outillage en bon état. Chaque fois,
j'improvise. Quand je veux souder, je m'aperçois que mon câble de soudure est déchiré, que
mon matériel est relativement mal entretenu. Je ne suis pas soigneux envers les outils. Je
n’aime pas les outils en fait. Ils sont juste un moyen. Ils ne sont pas plus. Ils ne sont pas
dominants et je ne veux pas être dominé par l'outillage. »
La notion d'accord de l'enfant et de sa famille est importante pour le fonctionnement de
l'Accueil Thérapeutique.
Cet accord est recherché et recueilli au cours des entretiens préparatoires.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 6
P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Avant de débuter un accueil, l'enfant et sa famille sont reçus 5 ou 6 fois, d'abord seuls puis
en présence de la famille d'accueil pressentie.
Pendant cette période, il est dit que l'accueil n'est obligatoire ni pour l'enfant ni pour ses
parents. Chacun peut accepter ou refuser.
A chaque étape, l'accord de l'enfant est recherché :
« Es-tu d'accord pour rencontrer M. et Mme Untel ? »
« Es-tu d'accord pour aller visiter leur maison ? »
« Es-tu d'accord pour dormir une nuit ? » Etc..
Ces questions ont un caractère un peu formel lorsqu'elles s'adressent à un enfant qui a peu ou
pas de langage.
La plupart des enfants réussissent néanmoins à communiquer leur accord même lorsqu'ils
semblent ne pas avoir écouté la question, par exemple en enlevant le gros manteau qu'ils
n'avaient pas quitté jusque là.
Dans une famille symbiotique, sous réserve que l'on s'adresse à lui en tant que personne,
l'enfant est toujours fortement intéressé par la proposition d'un accueil.
Lorsque l'enfant exprime un refus, c'est un bon indicateur, non d'une opposition personnelle
de l'enfant, mais d'une résistance familiale. Cette résistance peut être masquée par une
adhésion de surface. Il est nécessaire de respecter le refus, d'attendre et de tenter d'en
comprendre les causes.
La préparation d'un accueil peut durer des mois.
Au début, les rendez-vous sont souvent annulés et reportés par les parents.
C'est pour eux une façon de maîtriser le processus de séparation et de vérifier la solidité de
l'équipe. Ils s'assurent aussi du respect porté à leur autorité parentale.
Il faut en général 2 ou 3 rendez-vous effectifs pour que des parents prennent confiance.
C'est lorsqu'ils sentent bien qu'aucune pression ne viendra de l'équipe qu'ils peuvent formuler
leurs craintes. La plus fréquente, et la plus touchante, est celle que la famille d'accueil ne
veuille pas de leur enfant parce qu'il est trop insupportable.
Le temps de préparation de l'accueil est un temps thérapeutique important.
Il mobilise fortement les représentations de l'enfant pour chaque membre de la famille et
pour l'enfant lui-même.
Dés ce stade et peut-être plus qu'à d'autres, ces représentations peuvent changer et
permettre des progrès pour l'enfant.
L'accueil est toujours séquentiel.
La durée des séquences est discutée avec l'enfant et ses parents.
Une limite inférieure est indiquée à la famille : l'accueil comprend au moins une journée et une
nuit.
Outre l'indication d'une durée minimale, l'importance de la nuit est soulignée.
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P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Elle introduit un coin plus puissant qu'une séparation de jour dans une famille trop
symbiotique. Elle permet aussi à l'enfant d'entrer dans la symbiose nocturne de la famille
d'accueil et de s'y inscrire plus intimement.
L'accueil a aussi une limite maximale : l'accueil comprend au plus cinq nuits par semaine.
Le besoin des assistantes maternelles et de leur famille est pris en compte. La plupart
expriment le souhait de retrouver une certaine intimité les week-ends.
La notion d'un repos hebdomadaire pour la famille d'accueil est également intéressante vis à
vis des parents et de l'enfant qui voient ainsi marqué le caractère « professionnel » de
l'engagement de la famille d'accueil.
Enfin, certains parents tendent à expulser leurs problèmes sur leur enfant et à « oublier » ce
dernier chez la famille d'accueil. Ce mode opératoire est bloqué par la limitation de l'accueil à
5 jours consécutifs.
Il arrive toutefois de demander exceptionnellement à une famille d'accueil de garder un
enfant plus longtemps ( pas plus de 15 jours) Il arrive aussi de devoir chercher ailleurs un
accueil complémentaire à celui de la famille d'accueil.
Cette pratique d'un A.F.T.Temps Partiel est peu décrite dans la littérature.
Violaine VIGNA, du 5^ secteur de l'Essonne, décrit brièvement un fonctionnement assez
proche mais uniquement réservé aux enfants psychotiques ou autistes.
Myriam DAVID, Daniel GORANS , Maurice Berger n'ont pas, semble-t-il, publié de travaux
sur la question du temps partiel.
En toute logique, le Temps Partiel induit une différence importante dans la dynamique de
l'accueil.
Cela tient d'une part au contact largement maintenu de l'enfant avec sa propre famille,
d'autre part à l'habitude également maintenue de la famille d'accueil de vivre en dehors de la
présence de l'enfant accueilli.
Cette différence s'apprécie à propos des conflits de loyauté de l'enfant et de la rivalité
entre les familles.
De fait, il apparaît que les conflits de loyauté et les problèmes de rivalité sont restreints
dans l'expérience actuelle de l'A.F.T. Temps Partiel.
L'expérience assez faible en nombre d'enfants et en recul dans le temps incite à une grande
prudence face à cette constatation.
Relativement au travaux de Myriam David et de son école, tout se passe comme si le temps
idyllique, puis le temps de la désillusion, si clairement observés et décrits par cet auteur,
étaient considérablement atténués dans l'accueil séquentiel.
En contrepartie, il se peut que les progrès de l'enfant soient moins rapides et moins
importants que lors d'un accueil continu. Ils n'en sont pas néanmoins négligeables.
Une différence d'un autre ordre tient dans les indications, puisque l'accueil à temps partiel,
outre les indications analogues à celles que Myriam David nomme Mal de Placement, autorise
les indications d'accueil d'enfants très malades difficiles à accueillir en continu.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 8
P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Nous avons choisi de décrire deux cas.
Le premier est celui d'une enfant autiste. Il correspond à une des indications spécifiques de
l'A.F.T. Temps Partiel.
Nous montrons à son sujet nos doutes et nos difficultés.
Le second cas est celui d'un enfant dysharmonique. Sa problématique familiale correspond à
ce que Myriam DAVID appelle le Mal de Placement. Cet enfant aurait pu aussi bien être
accueilli dans une famille à temps plein.
LE CAS DE TIPASA
L'histoire thérapeutique de Tipasa commence quand elle a l'âge de 3 ans.
Tipasa ne parle pas, n'est pas propre, et se retire de longs moments dans son monde,
indifférente aux autres. Sa petite sœur âgée de quelques mois a un gros retard de
développement. Le service de P.M.I. et l'école insistent pour que les parents aillent consulter.
Rapidement, une psychose grave est évidente. Le médecin du CMP évoque l'Hôpital de Jour.
L'autisme est évoqué.
Les parents, effrayés, ne donnent plus de nouvelles pendant six mois.
Ils essayent même de quitter le quartier.
Un jour, un signalement est déclenché par des voisins. Ceux ci observent, à plusieurs reprises,
Tipasa et sa petite sœur, sans surveillance et en danger, au balcon du 9 ème étage.
Le juge intervient.
Les deux enfants sont retirées et placées 3 mois en Cité d'accueil.
Pendant ce séjour, l'autisme de Tipasa affole le pédiatre et les éducateurs. Ils estiment
qu'elle ne relève pas de leur compétence pas plus que de celles de leurs familles d'accueil.
De leur côté, les parents se mobilisent. Ils se rendent à tous les rendez-vous. Ils installent
une grille de protection sur leur balcon.
Un éducateur d'AEMO est nommé.
Les enfants sont restituées à la condition qu'un soin soit engagé.
C'est ainsi que les parents reprennent contact avec le médecin de l'hôpital de jour.
Alarmé par la situation familiale et l'état de Tipasa, le médecin du Centre de Jour estime
qu'une hospitalisation de jour sera insuffisante. Il insiste sur l'indisponibilité maternelle.
Il demande un temps d'Accueil Familial pour éviter une sorte d'hospitalisme à domicile et
établir autour de Tipasa un environnement structuré.
Il espère qu'elle pourra y expérimenter les éventuels acquis du centre de jour.
L'éducatrice chargée de l'A.E.M.O. soutient ce projet.
Le premier rendez-vous à l'A.F.T. a lieu quelques temps après.
Les deux parents sont là.
Tipasa déambule dans la pièce, tantôt se collant à la fenêtre, tantôt escaladant les chaises.
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P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
Sa mère pose par poignées sur la table de petits bonbons que Tipasa vient chercher et suçote
en se tapant les dents du bout des ongles.
Son père s'inquiète surtout de savoir s'il existe un médicament pour l'autisme. Il pense qu'il
en existe aux U.S.A. et qu'on les lui refuse ici.
Tipasa frappe bruyamment et longuement sur une armoire métallique. Dans le bruit
envahissant, les tentatives de dialogue paraissent vaines jusqu'à ce que le souvenir du
placement récent de Tipasa et de sa sœur à la Cité de l'Enfance revienne. L'assistante sociale
dit quelque chose du genre: « ça tape dans la tête comme quand Tipasa et sa sœur étaient à la
Cité »
Le bruit cesse. Ce mince fil conducteur nous réunit un moment.
A la fin du rendez-vous, l'équipe est perplexe.
Les notions d'accord de l'enfant et de ses parents sont caduques. Tipasa est trop malade
pour signifier un accord ou un refus. Ses parents ne sont plus en position de choisir du fait de
la pression du juge. La famille d'accueil risque d'être débordée.
Toutefois, même si nous ne l'avons jamais fait, cette demande est conforme à notre mission
qui prévoit l'accueil des enfants des Hôpitaux de Jour.
Pour aider nos collègues et par goût de l'expérimentation, l'accueil de Tipasa commence.
Un accueil a lieu pendant 4 ans chez Mme Théron, l'assistante maternelle la plus
expérimentée de l'AFT et dure jusqu'à son départ en retraite.
Il se déroule en deux petites séquences hebdomadaires d'une journée et de quelques heures
autour d'un repas.
Les 6 premiers mois amènent des satisfactions. Mme Théron trouve que Tipasa fait des
progrès. Elle mange bien, se tient bien à table. Elle est propre.
Les mois passent puis les années. Petit à petit, l'élan de l'assistante maternelle envers Tipasa
se ralentit. Mme Théron dit qu'elle n'y arrive pas. Elle trouve que Tipasa avance et recule en
même temps. Vers la fin de ce premier accueil, alors que la retraite approche, Mme Théron
parle moins facilement de Tipasa.
Quand elle y est poussée, elle dit les difficultés : le pipi est revenu ; parfois Tipasa fait mine
de lever la main sur elle. Mais Mme Théron aime mieux parler des 2 autres enfants qu'elle
accueille.
Du côté de Tipasa, ces quatre années chez Mme Théron amènent peu de changement.
Son autisme n'évolue pas. Sa famille non plus. Au contraire, sa petite sœur développe à son
tour une psychose grave. Les entretiens avec la famille ne sont pas satisfaisants. Les
relations de partenariat sont peu fructueuses.
Cette expérience est amère pour l'équipe. Une sorte de mouvement mélancolique effleure.
Tout se passe comme si petit à petit, l'autisme et ses forces d'inertie avaient gagné du
terrain.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 10
P. Langrand. L’espace de l’enfant en AFT à temps partiel
LE CAS DE DANIEL
L'histoire thérapeutique de Daniel débute pratiquement à sa naissance.
Sa mère, Mme Diki est perdue avec ce deuxième enfant qu'elle n'assume pas plus que le
premier. Les pères sont partis bien avant les naissances et elle ne peut trouver refuge dans
sa propre famille. Elle- même n'a pas connu son père et a passé quelques années à la D.A.S.S.
Elle est fâchée avec sa mère. Son frère a des problèmes avec la justice.
Après la naissance de Daniel, Mme Diki multiplie les dettes. Plusieurs tentatives de suicide et
des épisodes délirants la conduisent à l'hôpital. Son psychiatre se fait plus de souci qu'elle du
sort des deux enÏants confiés à de vagues connaissances au fil des opportunités. Il fait un
signalement pour obtenir le retrait des enfants. Il ne l'obtient pas.
Daniel est pris en charge dans un C.M.P. Mme Diki investit bien le médecin mais aucun soin ne
peut s'établir car elle multiplie les absences. Daniel développe une insomnie sévère et des
conduites agressives. Il griffe des enfants au visage. Il défenestre un petit chat. Les amies
de Mme Diki n'acceptent plus de le garder. L'école n'en veut plus.
Daniel a 3 ans lorsque l'éducateur d'A.E.M.O. vient nous en parler. La mère vit avec un
nouveau compagnon et elle est enceinte. Elle est épuisée. Daniel se fait mal sans arrêt. Il a
des points de suture. Il impressionne par sa violence et l'éducateur explore toutes les
possibilités. Il se demande si une assistante maternelle le supporterait.
Lors de la première rencontre à l'A.F.T., Mme Diki se plaint en ces termes : « Il balance tout,
il casse tout ; chez la voisine, il fait que des conneries ; il nous étouffe ; on pourra rien faire ;
je voudrais pas que tout se détruise à cause de Daniel. »
Daniel s'exclame d'entrée : « la merde ! »
L'accueil de Daniel commence au début de l'année 1997. Il a 4 ans.
La séquence initiale est de deux nuits par semaine.
Au lieu de se calmer, le processus de rejet de Daniel semble s'accélérer. Sa mère le décrit
intenable, agressif voire dangereux avec son demi frère âgé de quelques mois. A plusieurs
reprises, elle nous met en alerte en décrivant les coups qu'elle et son ami sont amenés à
donner à Daniel.
Une agression de la part de Daniel par griffure au visage sans motif apparent sur un autre
enfant déclenche une hospitalisation.
A la sortie de l'hôpital, en Mai 97, l'accueil est augmenté d'une nuit.
Cela ne suffit pas. Quelques mois après, Daniel reçoit une cassette vidéo sur le front. Il doit
être suturé. Mme Diky explique qu'à la maison, c'est la guerre. Son compagnon ne supporte
plus Daniel. Daniel réclame sa famille d'accueil et est sage partout sauf avec elle.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
Y. Fossé. Faut-il préserver le lien parent-enfant ?
Yvan FOSSE
Educateur spécialisé, AFT, Centre Hospitalier d’ABBEVILLE
AXE n°3 : DU COTE DES PATIENTS
Faut-il préserver le lien parent-enfant ?
Cette question se profile en filigrane au quotidien dans ma pratique d’Accueil Familial
Thérapeutique en Pédopsychiatrie, car c’est souvent la complexité du lien qui interroge, son
absence, l’excès, les craintes qu’il inspire pour le développement de l’enfant, pour son accès à
une position de sujet.
A cette complexité, s’ajoute le fait que pour chaque « intervenant » c’est avant tout sur sa
propre représentation de ce qu’est ou doit être un lien parent-enfant qu’il se base pour
intervenir auprès des parents et des enfants
L’A.F.T. est une unité de soins sous la responsabilité d’un médecin. Cependant ce n’est pas une
réponse globale. Le projet d’accueil peut être associé à d’autres propositions thérapeutiques.
L’A.F.T. n’est pas un déplacement de l’enfant de son milieu de vie habituel vers un autre milieu
familial. Il s’agit d’une indication thérapeutique qui prend en compte la carence à la fois
sociale, affective, relationnelle, et s’appuie sur l’évaluation d’une souffrance familiale liée à la
pathologie de l’enfant et au type de liens établis entre ses parents et lui.
Dans ma réflexion, je fais l’hypothèse que les liens problématiques c’est-à-dire ceux qui
amènent les parents à consulter pour leur enfant, peuvent être mis au travail à travers des
offres faites aux parents et aux enfants en grande difficulté relationnelle ; c’est donc à
partir de mon expérience d’A.F.T. que je vais vous exposer un exemple de travailler la
question du lien parent-enfant avec comme support complémentaire l’accueil de l’enfant à
temps partiel chez une assistante maternelle.
L’utilisation d’un A.F.T. dans un service de pédopsychiatrie pour faire travailler la
question du lien :
Le cas de J. :
J. est un petit garçon de 6 ans qui présente des signes autistiques associés à une anorexie
importante depuis son plus jeune âge. L’état de santé de cet enfant a fait penser à un
signalement social mais devant la détresse des parents et leur santé précaire, le médecin a
indiqué l’A.F.T. Nous découvrons à travers cette étude clinique la problématique de sa famille
naturelle et les interrogations de l’équipe soignante en charge du suivi thérapeutique.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
Y. Fossé. Faut-il préserver le lien parent-enfant ?
Difficile d’évoquer J. sans parler de ses parents et surtout de son père.
Lorsque J. nous est adressé, son père souffre depuis plusieurs années de ce qui est qualifié à
l’époque de myopathie. Il est pratiquement grabataire, est muni d’une pompe à morphine. Son
état a empiré très vite, la maladie a commencé en 1997. J., 2 ans à cette époque, est l’objet
du père au sens où il n’est nullement considéré comme sujet. Vautré dans le lit de son
géniteur, il assiste aux soins prodigués au père sans que cela ne pose de question ni à celui-ci,
ni à son épouse. Son corps a une couleur jaunâtre, les jambes repliées, son regard se porte
vers le sol, il est mou, sans vie, absent. Il est nourri de yaourts et d’autres substances
liquides.
Il sera très vite orienté vers une assistante d’accueil de l’Accueil Familial Thérapeutique
(assistante familiale thérapeutique), son état inquiète, on ne perçoit aucun sentiment
d’existence.
Une rencontre avec le père à son domicile nous fera constater, comme il est sans doute
fréquent chez les gens malades, que le seul sujet qu’il puisse aborder est sa maladie, la
dégradation de son corps et le signifiant « myopathie » qui vient donner un nom à son mal. Son
épouse paraît à son service, effacée, appuyant ses dires.
Ils parlent de la conception de J. survenue six ans après les deux autres enfants en terme de
bâton de vieillesse « Lui, c’est pour nous » diront-ils. Sa maladie est selon eux la conséquence
de ses premiers mois de vie. Il souffrait d’une plicature de l’estomac, avait dû être hospitalisé
pendant trois mois dès la naissance, couché sur le ventre et nourri à la sonde. Rentré au
domicile familial, il est encore resté deux mois dans cette position. Selon les dires de la
maman, elle s’en occupait uniquement pour le nourrir (difficilement), l’impératif médical
empêchant l’exercice d’une quelconque tendresse.
Remis sur le dos, il a les yeux « retournés ». Le père dira : « dans cette position (couchée), il
ne voyait pas la lumière » évoquant qu’il n’avait pas ainsi accès au spectacle du monde et ne
bénéficiait d’aucune stimulation. Ce qui semble une interprétation correcte, mais la faute
porte uniquement sur le corps médical et les parents s’excluent ainsi de toute responsabilité.
Il sera nourri au lait accommodé d’épaississant et de fluor. Passera durant deux années ses
nuits à crier. A 4 mois et demi, il bénéficiera de kiné et de psychomotricité à la suite de son
orientation au CAMPS par le Docteur D.
La mère évoquait également les troubles thyroïdiens dont elle souffre depuis l’âge de six mois
et un taux de toxoplasmose inquiétant durant la grossesse. Elle évoquera aussi le décès de ses
frères, deux des suites d’une méningite et le troisième « mort de chagrin » à leur suite.
Le père a un passé lourd, qu’il évoque sans retenue, à ciel ouvert.
Son père était routier, sa mère travaillait dans une banque. Il naît à Paris, à huit mois et demi,
précise-t-il. Il restera deux mois hospitalisé (comme J. dit-il) et à un mois, décision est prise
de l’envoyer chez ses grands-parents paternels au bord de la mer à C. : il y sera élevé en
compagnie du dernier fils de huit ans son aîné, oncle qu’il considère comme un frère.
Sa mère et son père ne lui rendront pas visite.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
Y. Fossé. Faut-il préserver le lien parent-enfant ?
Ses parents le reprendront lorsqu’il aura atteint l’âge de onze ans. Il interprète cela sous
l’aspect que pour sa mère cela « faisait bien » dans sa situation ( ?) d’avoir un enfant.
Quoiqu’il en soit, il parle de cette époque comme d’une période très difficile de sa vie. Alors
qu’à C. il était relativement bon élève, il régresse, subit des boutades de ses condisciples à
cause de son accent.
A 15 ans, il entre en apprentissage mécanique, à 16 il a un accident sur le chantier, reste 5
mois en rééducation et à 17 ans, il est mis à la porte par ses parents. Il revient alors à C. où il
rentre à Auchan comme apprenti boucher. Stage, diplôme, heureux de travailler.
Trois années plus tard, après avoir « profité » de sa liberté nouvelle, il rencontre sa future
épouse et se marie très vite.
En 1987, naissance d’une fille.
En 1989, naissance d’un garçon.
Au retour de vacances, en 1994, pourquoi pas un petit dernier ?
Le 10 Juillet 1995, naissance de J.
Le père situe le début de sa maladie au cours de l’année 1997. Boucher, il sent ses forces le
quitter progressivement. Il garde néanmoins son travail et les médecins consultés établissent
le diagnostic de « dépression ».
Après moult consultations dans différents services, précisément le 3 Janvier 1998, on lui
propose le signifiant « Myopathie ». Il devient myopathe au point d’être alité et sous
morphine.
(En 2002, il commence à aller mieux. Le Docteur G., Praticien Hospitalier en pédopsychiatrie à
Abbeville, sera informé de la forme bénigne de sa myopathie qui n’aurait dû
vraisemblablement susciter comme symptômes que quelques crampes).
J., il le rencontre vraiment au moment de sa propre maladie, avant cela son travail l’empêchait
de s’occuper de lui. Deux pathologies se rencontrent et tant que durera la maladie de
Monsieur dans sa phase excessive, J. sera entrepris comme un enfant fragile, et surtout
aucunement dérangeant. « C’est un bon petit n’enfant » dit le père, élogieux quant aux
quelques manifestations de J. dans lesquelles il devine l’intelligence. Cependant, bien qu’ils
aient entrepris tôt des démarches auprès des médecins et dans les premiers temps, semble-
t-il manifesté quelque intérêt pour les soins à lui prodiguer, ils ne paraissent absolument pas
se rendre compte de l’état de cet enfant qui ne faisait que survivre.
A cette époque, en 2001, nous avons à plusieurs reprises évoqué la possibilité d’un
signalement, ce sera l’état de l’enfant qui nous fera hésiter. Il nous est apparu que bien que
préoccupés par la seule maladie du père, les parents, ignorant totalement l’ampleur du
désastre, ne mettaient pas activement J. en danger et plus soucieux de procurer à J. un lieu
d’accueil et de soins, nous avons penché pour une prise en charge par une assistante d’accueil
et augmentation progressive de l’accueil.
Il va s’avérer néanmoins que dès que le père commencera à aller mieux ; ce qui ne l’interrogera
par ailleurs pas, l’enfant va devenir gênant. De même qu’il dressait un tableau positif lorsque
J. était au plus mal, sans vie ; dès qu’il va très légèrement commencer à manifester quelques
petits investissements, donner à manger au canari, se redresser et toucher les objets (a
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
Y. Fossé. Faut-il préserver le lien parent-enfant ?
minima) du bout des doigts, il va le décrire, appuyé dans son discours par son épouse, comme
un enfant turbulent, méchant, voire insupportable.
Le père fera ce qui a été repéré comme une décompensation durant l’année, rentré en clinique
pour des problèmes d’estomac, il fera état de la vision de son corps en décomposition suite à
une échographie.
Depuis sa prise en charge, J. bénéficiera de kinésithérapie pour tenter de redresser un tant
soit peu ses jambes fléchies, d’une alimentation renforcée notamment en fer suite à des
saignements de nez répétitifs et très importants, d’un accueil quasi complet par l’AFT et de
deux matinées à l’Hôpital de Jour. Il sera hospitalisé en pédiatrie en Décembre 2001, pour un
bilan de santé suite à notre inquiétude. Lors de ce séjour, on observera qu’il mangeait plus et
mieux, qu’il communiquait et jouait.
Le bilan de la prise en charge de J. nous amène à relever quelques changements, ténus sans
doute mais tout de même importants en considération de son état.
Il est plus ouvert au monde, il n’avait aucune adresse, restait accroché à l’adulte, il va vers
l’intervenant et peut à l’occasion prononcer quelques mots évoquant un petit point
d’accrochage en rapport avec des activités antérieures (chanson, danse).
Il n’avait d’intérêt pour rien, craignait les objets, il recherche certains objets, s’en approche,
les manipule, les emplie et les aligne.
Il redresse le visage pour se permettre de regarder.
Lors des ateliers, il restait à l’écart, ne manifestant aucun intérêt, il vient maintenant auprès
de la table et s’assied, ce qui lui était impossible.
Il peut jouer avec certains jeux.
Il monte et descend seul les escaliers.
Au niveau des repas, alors que non seulement il ne s’alimentait pas, qu’il fallait pratiquement le
gaver, qu’il ne supportait que les aliments liquides, il accepte aujourd’hui une alimentation plus
variée. Il reste que si on ne le nourrit pas, il ne va rien manifester, bien qu’il puisse signifier
s’il veut ou pas ce qui lui est proposé.
Il manifeste à l’occasion également de l’exclusivité lorsqu’il est en compagnie d’un autre
enfant chez l’assistante d’accueil.
Il dit « non » et, énigme, son premier mot a été « au secours ».
En Juillet 2002, les parents refuseront, pour son bien, de l’emmener avec eux en vacances à la
montagne. Trop turbulent, il les solliciterait trop. L’AFT, il a également été remarqué que les
parents ne devaient pas lui administrer correctement la médication, le fer notamment, ne
trouvant après le week end en famille aucune trace dans les selles de la dite substance.
Nous considérerons alors que le temps était venu de soustraire cet enfant aux caprices des
parents, désormais dans un rejet quasi total de leur fils.
J. est un enfant, comme je l’ai déjà indiqué, sans aucun sentiment d’existence. Il vit suite à la
sollicitude de l’autre, ne réclame pas quand il a faim (d’ailleurs ressent-il la faim ?). Il
présentifie en tous points l’enfant déchet, non investi ni maternellement, ni narcissiquement
par ses parents.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
Y. Fossé. Faut-il préserver le lien parent-enfant ?
Nous émettons l’hypothèse, très mesurée, qu’un lieu stable, un investissement de cet enfant,
pourraient avoir des suites positives. C’est sur base des quelques changements que nous avons
pu observer lorsque les conditions étaient favorables que nous tentons cette hypothèse. Les
diverses perturbations, difficiles à cerner, auxquelles J. est confronté produisent
inévitablement un lâcher au niveau du corps, notamment les saignements de nez suffisamment
importants pour le mettre en péril.
En Mars 2003, l’orientation se réalise avec l’accord des parents ; il s’agit d’un I.M.E. où J. sera
pris en charge pendant la journée et chez une assistante maternelle la nuit, du lundi au
vendredi. Le retour au domicile s’effectue chaque week end. Ce sont les parents qui le
conduisent le lundi matin et viennent le rechercher le vendredi soir.
Une fois cette orientation mise en place, les parents ont eu une réaction (doutes sur la qualité
de cet établissement), comme s’ils découvraient qu’ils avaient un enfant et d’un seul coup, la
préoccupation de son « bien être » apparaît dans leur inquiétude d’un établissement nouveau
et plus distant avec les parents que l’AFT.
Par rapport à ma question de départ : « Faut-il préserver le lien parent-enfant », dans cette
situation, nous avons plus l’impression que l’AFT a permis que des liens d’une autre nature se
créent entre J. et ses parents, tout en préservant leur position parentale qu’un placement
aurait « mis à mal », a permis l’adhésion des parents au projet d’orientation, l’AFT ne pouvant
accueillir à long terme. En même temps, nous avons été confrontés à l’inquiétude face à cet
enfant fragile, sans désir de vie.
Petit à petit, au fils des accueils, une rencontre a pu se réaliser entre J. et l’assistante
d’accueil, rencontre basée sur l’affectif et la disponibilité. Cette découverte a permis à J.
d’entrer dans le monde « des vivants » et de ce fait cette modification a aussi interpellé ses
parents (il est différent), tout d’abord dérangeant pour en arriver à cette réaction lors de sa
nouvelle orientation, réaction où pointe un désir de « bien être » pour leur enfant
Nous questionnons également la place que l’AFT a pu prendre pour ces parents :
Si le souci a été au quotidien l’adhésion des parents au projet de soin de J., quelque chose de
l’insupportable de l’absence du désir de vie chez cet enfant a mobilisé les intervenants de
l’AFT
J. a dû devenir quelque part un peu « notre enfant » et s’y retrouver, pour pouvoir devenir au
moment de son orientation l’enfant de ses parents qui alors ont réagi humainement en tant
que tels pour la première fois, trop préoccupés jusqu’alors par leurs problèmes de santé.
Dans ce sens, nous constatons avec du recul, que notre démarche clinique a été dynamique
dans cette situation, le cadre AFT ayant permis que des liens se nouent en s’humanisant entre
J. et ses parents et qu’un projet d’avenir se réalise.
Il a aussi fallu que les parents fassent un travail de séparation au service AFT, prise en
charge conjointe parents-enfant.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
J. Dumontet. Travailler n’est pas adopter - Distance et attachement
Jacqueline DUMONTET
Famille d’Accueil Thérapeutique, Lyon
AXE n°4 : STATUT DES FAMILLES D’ACCUEIL
«Travailler n’est pas adopter»
«Distance et attachement».
«La figure d’attachement agit comme une base de sécurité
pour l’exploration du monde physique et social par l’enfant».
(Mary AINSWORTH)
Je suis famille d’accueil au Centre d’ Accueil Familial Thérapeutique Adultes d’Oullins, service
qui dépend du C.H.S. St-Jean-de-Dieu à Lyon (Rhône).
J’exerce ce métier depuis 5 ans et j’ai, à ce jour, accueilli 3 personnes :
- la 1ère durant 3 ans
- la seconde pendant 1 an ½ conjointement à un début de 3ème accueil pendant un an.
Actuellement, je n’ai plus que le 3ème accueil.
J’ai tout d’abord reçu une dame d’une 40aine d’années puis deux hommes âgés de 30 ans.
L’équipe m’a demandé si je voulais intervenir sur les thèmes :
«Travailler n’est pas adopter»
«Distance et attachement».
Je vous propose donc de vous faire partager mes réflexions sur ces deux sujets.
Si travailler en accueil familial thérapeutique n’est pas adopter, qu’est-ce qui se joue dans les
familles d’accueil susceptibles d’apporter une aide aux patients ?
Quels sont les moyens mis en œuvre pour prendre de la distance et considérer l’accueil
familial thérapeutique comme une profession à part entière ?
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
J. Dumontet. Travailler n’est pas adopter Distance et attachements
1. Spécificité de l’accueil familial thérapeutique
A - La bonne clé pour la bonne serrure
En préambule, il me semble important de dire que n’importe quel patient ne peut pas être
placé dans n’importe quelle famille.
Bien que chaque personne accueillie soit différente, il faut un minimum d’affinités entre elle
et la famille d’accueil afin que le placement ait une chance de réussir.
C’est un gros travail de préparation à l’accueil qui est fait en amont par l’équipe soignante en
fonction des personnalités des deux parties et des objectifs à atteindre. Le plus souvent, les
choix s’avèrent bons : si une relation se met en place, l’accueil peut commencer. Parfois, le
temps d’apprivoisement se fait d’emblée, parfois c’est plus long et il faut chercher le point
sur lequel s’appuyer pour accepter la personne. Mais, dans tous les cas, il est nécessaire que
«le courant passe».
Dans tous soins où le relationnel est primordial, il faut un minimum de sympathie et ce
d’autant plus qu’ en accueil familial thérapeutique la personne accueillie rentre dans l’intimité
de la famille d’accueil plusieurs jours de suite et sans possibilité de passer le relais à un
collègue. Ensuite, le travail peut commencer en liaison avec l’équipe soignante.
B - Qu’apporte l’ accueil familial thérapeutique par rapport aux autres systèmes
de prise en charge ?
- Buts de l’accueil :
Le but du placement est, idéalement, une réinsertion du patient dans la société. C’est
l’intermédiaire entre l’institution ou une famille d’origine défaillante ou épuisée et la société.
- Moyens :
Si l’accueil familial thérapeutique n’est pas une adoption, quel est le rôle de la famille dans un
processus de réinsertion ?
La famille étant la base de la société, la famille d’accueil correspond généralement au modèle
dominant du contexte culturel (en Occident, la famille nucléaire classique) ce qui permet de
donner des repères, un modèle plus simple à des personnes mal structurées.
- Rôle de la famille «idéale» :
La famille «idéale» apporte une base de sécurité en subvenant aux besoins élémentaires tels
que nourrir laver etc. en étant un refuge où se ressourcer, en maternant et contenant.
Elle permet aussi de se socialiser en ayant un rôle éducatif.
Ce sont cette base de sécurité et cette 1ère socialisation qui donnent la force et la possibilité
d’affronter le monde extérieur : dans une famille, il y a des règles, des limites, des
comportements, des façons de penser qui donnent la personnalité d’une famille et qui, ensuite,
s’exportent vers la société.
C’est, je pense, dans cet esprit d’ouverture que les personnes sont placées en accueil familial
thérapeutique.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
J. Dumontet. Travailler n’est pas adopter Distance et attachements
2. Le lien
A - Indépendance affective de la famille d’accueil par rapport à l’histoire du
patient
Suite à des défaillances multiples et variées de la famille d’origine, ce rôle n’a pas été tenu. La
famille d’accueil est là pour prendre le relais ; bien qu’elle n’e soit jamais idéale, elle doit avoir
la capacité de sécuriser et de socialiser.
Elle est d’autant plus efficace qu’il n’y a pas de phénomènes de projection, de fantasmes sur
«l’enfant rêvé» puisqu’il n’y a pas de filiation.
L’acceptation du patient tel qu’il est y est plus facile que dans la famille d’origine.
En définitive, la famille d’accueil ne garde que les bons côtés de la famille et pas les mauvais.
C’est une distanciation qui lui permet d’être efficace.
B - Travail relationnel rassurant
Mais la distanciation n’est pas l’indifférence, sinon il n’y aurait aucun intérêt à faire ce travail.
Le malade et la famille interagissent l’un sur l’autre. Un comportement induit une réponse
comportementale, différente selon les malades. Il existe toujours une relation mais elle doit
être positive, structurante et stimulante. Je ne connais pas les critères de recrutement des
familles d’accueil. Cependant, je pense qu’un critère de choix doit reposer sur la stabilité du
fonctionnement familial, sans trop de fonctionnements pathologiques, où chaque membre est
différencié.
Dans ce cadre-là, une aide peut être apportée au malade en lui donnant une base de sécurité
qui souvent lui manque.
Dans ce contexte, il existe toujours un lien affectif puisque c’est la matière même du soin.
C Autonomie du patient
Je préfère le mot lien à attachement qui m’évoque une dépendance alors que le lien est plus un
libérateur ou un passeur de relais sur lequel s’appuyer pour donner la force d’être plus
autonome.
Ce lien qui se crée entre la famille d’accueil et le patient est un lien que l’on peut qualifier
d’empathique : «je vous comprends et je vous aide».
L’attachement m’effleure parfois quand je suis attendrie mais je m’impose du recul (ex : si je
m’attachais, je ne pourrais pas supporter de savoir Mr A. dans un foyer pour sans-abri. Ce
serait insupportable pour moi).
C’est à ce niveau que la limite définie de travail est posée.
Personnellement, j’ai la satisfaction du travail accompli lorsque la personne accueillie a moins
besoin de moi grâce aux liens de confiance tissés.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
J. Dumontet. Travailler n’est pas adopter Distance et attachements
Je vois notre rôle comme un tuteur qui, dans le meilleur des cas, peut donner une impulsion à
une reprise de développement et d’autonomie.
3. La distance
La distance est une frontière invisible par rapport à un trop grand investissement affectif
quand tout se passe bien comme dans les périodes de crise. La bonne distance est une
caractéristique de notre travail.
Pas d’indifférence mais pas de confusion.
A - Moyens de mise à distance par le Centre d’Accueil Familial Thérapeutique
- Dispositifs de fonctionnement de l’ A.F.T. d’Oullins :
Intervenants multiples autour du patient.
Equipe (médecin assistante sociale psychologue infirmières) qui symboliquement
représente la Loi pour le patient et sert de médiateur avec les autres intervenants (Service
des Tutelles Famille d’Accueil Famille d’Origine Hôpital ).
Ne pas se sentir seule permet de déléguer les responsabilités et de décharger la famille
d’accueil.
- Fonctionnement du Centre d’Accueil Familial Thérapeutique :
L’équipe a un rôle de soutien pour la famille d’accueil ; elle la conseille, la recadre et la
contrôle.
Les visites à domicile et les synthèses -avec ou sans la famille d’origine- en permettant
d’exprimer nos incertitudes, nos problèmes avec la personne accueillie, permettent en prenant
de la distance, d’ajuster nos comportements, de recadrer les objectifs et de moins se sentir
phagocyter par le patient.
Les temps de formation, en expliquant les pathologies, donnent la possibilité de moins se
sentir agressée, moins impliquée dans certaines réactions des personnes accueillies.
Le groupe de parole où les différentes familles expriment leurs sentiments, qui parfois
peuvent être négatifs vis-à-vis du patient, libère notre agressivité sans dommage pour
l’accueil.
Les temps pré-établis (2 ans maximum). Tout ce système permet une mise à distance.
B - Distance dans la Famille d’ Accueil
Toujours recadrer l’accueil dans un processus de soins.
Nous ne sommes pas une famille de substitution : la personne accueillie n’est ni le frère, ni le
fils. Il n’y a pas de confusion de filiation.
Nous sommes seulement un modèle de famille parmi d’autres qui est là pour aider le patient.
La proximité spatiale nécessite un gros effort de répartition des rôles et de définition claire
de la place de chacun.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
J. Dumontet. Travailler n’est pas adopter Distance et attachements
Contrairement à l’abord de certaines personnes âgées qui ont besoin d’être touchées pour se
réapproprier leur corps, avec de patients jeunes, la distance physique est presque toujours
indispensable dans un souci de clarté dans la relation.
L’humour est aussi un bon atout pour prendre du recul et ne pas coller au désespoir ou au
délire du patient.
La distance se travaille et n’est pas tout-à-fait identique avec tous les patients et se fait
aussi à l’intuition (Ex : appeler un patient par son prénom ou lui dire Mr.).
Les temps de repos sont indispensables pour la famille d’accueil qui peut se retrouver
vraiment dans l’intimité mais elle permet aussi au patient de comprendre les limites de
l’accueil.
Et, enfin, la rémunération est un élément important de reconnaissance du travail effectué.
Conclusion
«Travailler n’est pas adopter»,
car on agit dans un cadre précis avec des éléments de régulation, de soutien, de recadrage,
avec un objectif souhaité, quelquefois aléatoire, pour lequel on est rémunéré. Je trouverais
malsain de tout mélanger : implication affective forte et travail.
L’accueil familial est un métier qui demande une adaptabilité, une fluidité dans les réactions
et comportements et qui est intéressant car toujours sur le fil du rasoir mais quelle
satisfaction lorsque des progrès sont avérés !!
C’est cette frontière subtile entre affectivité et recul qui demande de l’énergie et qu’on peut
appeler une distance bienveillante.
«Et merci à l’équipe qui est venue m’encourager.
Toutefois, je suis ennuyée car le service dont je viens de parler va fermer dans peu de
temps».
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
M.-D. Flipo, D. Dehem L’accueillant(e) familial(e) partie intégrante du soin
Marie Danièle FLIPO
Cadre Socio-Educatif, responsable du service AFT, EPSM des Flandres
Didier DEHEM
Infirmier de secteur psychiatrique, EPSM des Flandres
AXE n°4 : STATUT DES FAMILLES D’ACCUEIL
L'accueillant(e) familial(e) partie intégrante du soin
L'accueillant familial dans le cadre de l'AFT fait partie intégrante du soin.
Il a une place toute aussi importante que celle des autres acteurs du dispositif. Cette place
est cependant différente et particulière. C'est ce qui sera développé au cours de cette
intervention.
L'atelier aura pour objectif de mettre en évidence les éléments essentiels pris en compte
dans le déroulement des multiples étapes de l'AFT pour que la place de l'accueillant familial
corresponde au mieux à la philosophie et à cet outil qu'est ce soin.
1. Le recrutement
Un premier entretien d'embauche, effectué par la responsable du service d'AFT, aura pour
objet de mettre en évidence les motivations de la famille postulante (ce sera un
« débroussaillage » des projets de la famille).
La famille répond à l'offre d'emploi pour les raisons suivantes :
choix lucratif?
choix de vie (notion humaniste) ?
choix professionnel (travailler en santé mentale) ?
motivations dans le métier d'accueillant familial ?
Ce premier entretien aura également pour but de:
- rechercher les potentialités humaines, affectives, éducatives, pragmatiques
du futur accueillant.
- poser le cadre institutionnel, administratif.
- signifier ce qu'est travailler avec un service de psychiatrie.
- expliquer ce qu'est la psychiatrie, la santé mentale, le handicap psychique.
- vérifier les capacités de contact, les degrés de tolérance, de compréhension
et de maturité, la disponibilité de la famille.
Après ce premier entretien d'embauche, la candidature est transmise au service médical
demandeur de l'accueil, lequel commence effectivement la procédure d'agrément
(investigations par différents membres de l'équipe de soin, dont psychiatre, psychologue,
assistant social... )
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M.-D. Flipo, D. Dehem L’accueillant(e) familial(e) partie intégrante du soin
2/ L’agrément
L'agrément est une étape primordiale.
Il s'agit de :
- mesurer la demande de l'accueillant familial, mais aussi celle des autres membres de la
famille.
- poser le cadre de l'AFT par la double référence infirmière et sociale.
Il s'agit également de connaître les ressources, les potentialités de la famille. C'est là que
commence la professionnalisation.
Il est important que la famille intègre la notion d'accompagnement conjoint de la personne
accueillie ou de l'enfant.
3/ Le suivi
La collaboration étroite entre la famille d'accueil et l'équipe de suivi se matérialise par les
interventions des acteurs de l'équipe pluridisciplinaire (médecin, assistante sociale, infirmier,
psychologue).
Le projet thérapeutique est central. Il permet de resituer l'accueilli dans une dynamique de
projet. Le consensus se fait autour de ce projet.
Le cadre de références, dont l'administration de rattachement, les différents acteurs de
l'AFT, le projet thérapeutique, sont travaillés régulièrement avec la famille afin que celle-ci
les intègre dans son système de valeurs.
4/ L'expérience de L’EPSM des Flandres :
Le travail avec les familles S'effectue autour du statut et de la professionnalisation- Pour ce
faire, sont mises en place de multiples actions :
A - Actions dé formation
-> Des familles
Celles-ci se situent au niveau du fond mais aussi de la forme en matière d'AFT.
Les notions d'expériences partagées, de maturité, de « savoir composer » sont exploitées.
-> Des agents
Le professionnel de santé est à la fois « tuteur psychique » de l'enfant. Il a également une
fonction de passeur, et une fonction de décodeur de l'enfant (de sa souffrance).
Le professionnel de santé est le réfèrent de l'accueilli adulte.
C'est ce qui est apporté, entre autres au cours de ces formations, où les pratiques
professionnelles sont étudiées, révisées, réajustées, où les interrogations et questionnements
des équipes sont visités et exploités.
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M.-D. Flipo, D. Dehem L’accueillant(e) familial(e) partie intégrante du soin
B - Groupe de réflexion et d'échanges de pratiques
Il s'agit d'un groupe fonctionnant également quelquefois sur un mode de supervision.
Trois séances annuelles sont organisées par le service d'Accueil Familial Thérapeutique.
Dans cette instance, sont étudiés les moyens d'améliorer cet outil de soin qu'est l'AFT, lequel
fonctionne à l'EPSM des Flandres comme véritable alternative à l'hospitalisation. Les sujets
suivants ont déjà été abordés (liste non exhaustive) :
- organisation du service d'AFT avec réajustements et réaménagements
- bilan des pratiques professionnelles
- évaluation de l'AFT avec les délégués à la tutelle (au regard du rôle de ces derniers)
- rencontre entre délégués à la tutelle, familles et professionnels de santé
C - Evaluation annuelle des familles
Cette évaluation se fait sur la base suivante :
- les émoluments
- les charges matérielles
- le regard existentiel
- le recul dans la fonction par rapport à l'accueilli, (notion d'attachement et
d'affection)
D - Groupes spécifiques de travail sur l'AFT
Des travaux se font ponctuellement dans le but d'améliorer la qualité du dispositif de soin
qu'est l'AFT. Ainsi, le groupe s'est penche sur :
- la fiche de fonction de l'accueillant familial.
- des échanges inter établissements et partenariaux (tuteurs) sur ce dispositif de
soin.
- un film vidéo / AFT.
- une plaquette d'informations sur l'AFT enfants / adultes
- l'accompagnement de l'accueilli.
A noter que la Commission d'Agrément de l'établissement est également une instance où se
conçoit l'évolution du dispositif.
E - Modes opératoires
Depuis la création de l'AFT dans l'établissement (1992), nombre de mises en place se sont
révélées opérantes :
- les accueils temporaires.
- la notion de réfèrent (social, infirmier).
- la systématisation d'un contrat obsèques ou du moins de la recherche des volontés
familiales et personnelles de l'accueilli en cas de décès subit.
- l'évaluation annuelle des familles avec le réfèrent (infirmier ou social) où sont
rappelées les notions de cadre institutionnel, cadre thérapeutique, cadre
organisationnel.
- la supervision des familles sous forme de groupe de parole avec, au coeur des
échanges, la réalité quotidienne des accueillants et des accueillis.
- l'approche clinique avec des exposés de psychopathologie.
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