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8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 1
Dr Jean Garrabé, « Réponses à l’isolement familial dans la psychiatrie française du XIXème et XXème siècle »
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Dr Jean Garrabé.
Psychiatre honoraire des hôpitaux.
Vice-président du conseil d’administration de l’Elan retrouvé.
Administrateur de l’Œuvre Falret.
« Réponses à l’isolement familial dans la psychiatrie
française du XIXème et du XXème siècle. »
Le questionnement sur les liens ou l’absence de liens familiaux des malades
mentaux apparaît pour la psychiatrie française dès sa naissance au début du XIX
è siècle.
L’histoire nous montre Philippe Pinel (1745 Ŕ1826), lorsqu’il entreprend avec l’aide
de Jean Ŕ Baptiste Pussin (1745-1811), de la femme de celui-ci Marguerite
Jubline (1754- ?) et de ses élèves J. E. D. Esquirol et François Ŕ Jacob Landré Ŕ
Beauvais le traitement moral des aliénées à la Salpêtrière à partir de 1802, se
préoccuper de connaître exactement la situation familiale des femmes qui y sont
admises ;il se plaint de ne pas avoir de renseignements précis sur ce point pour
celles qui sont conduites à l’hospice par la police ; il cherche à rencontrer les
familles ,lorsqu’elles existent, pour connaître les circonstances d’apparition des
troubles et surtout pour savoir si elles seront à même de recevoir les aliénées
convalescentes à leur sortie de l’hospice. Il se faisait enfin un souci particulier
pour celles isolées, seules ou abandonnées par les leurs qui se retrouvaient sans
logement et sans ressources dans une grande ville comme Paris ;la seule solution
était le maintien à vie dans l’hospice cette fois en tant que travailleuses pour
celles qui en étaient capables . Il ne faut pas oublier que la grande majorité des
pensionnaires de la Salpêtrière étaient constituées de femmes âgées plus ou
moins valides et qu’il n’y avait pas de personnel pour s’en occuper. (1)
Pinel a transmis son inquiétude sur cette question à ses élèves et en premier à
Jean Etienne Ŕ Dominique Esquirol (1772- 1840). Celui-ci a expliqué, dans une
Notice sur le village de Gheel qu’en 1803 Mr de Pontécoulant , préfet du
département alors français de la Dyle fit transférer à Geel les aliénés entassés
dans des conditions lamentables à l’hospice de Bruxelles qui en était la
préfecture. Esquirol se rendit en 1821 avec son collègue Félix Voisin (1794-1872)
pour juger des résultats obtenus par cette mesure . Après avoir rapporté
l’origine de cette « colonisation » (sic) des aliénés,dont l’origine remonte au VII
è siècle où la tombe de Sainte Nymphna qui ,selon la légende, y aurait été
martyrisée et enterrée était devenue un lieu de pèlerinage célèbre pour la
délivrance des possédés du démon, Esquirol en fait le bilan .Il est assez mitigé.
Au moment de la visite de nos deux aliénistes il y a à Geel de 4 à 5OO aliénés
pour 6 à 7 OOO habitants. Les familles qui en hébergent reçoivent de 200 à
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3OO francs par pensionnaire mais ne peuvent en héberger plus de cinq. ( J’ignore
quel était le coût en 1821 de l’hébergement d’un aliéné à Bicêtre ou à la
Salpêtrière). Même si un certain nombre d’aliénés guérissent chaque année à
Geel et que, malgré la grande liberté qui leur est laissée il n’y a pas d’accident
majeur, les hommes participant aux travaux agricoles et les femmes à ceux
domestiques dans les familles d’accueil , Esquirol conclut qu’il y aurait intérêt à
limiter ce placement aux aliénés « paisibles et propres » ( Il semble avoir été
effrayé par la malpropreté qui régnait à Geel) et à construire un asile
départemental pour les autres. Cette notice est apparue assez importante aux
yeux d’Esquirol pour qu’il l’inclut dans le recueil de ses textes sur les maladies
mentales publié peu avant sa mort (2). En 1821 Esquirol est en pleine campagne
pour obtenir des pouvoirs publics, nous sommes encore sous la Restauration, la
construction d’un établissement réservé au traitement des aliénés par
département, qu’il propose d’appeler « asile » pour mieux le différencier
d’ « hôpital », terme qui a une fâcheuse réputation. Mais ceci n’aboutira qu’avec
le vote de la loi du 30 Juin 1838, sous la Monarchie de Juillet, après de
nombreuses discussions notamment à la Chambre des Pairs, surtout pour des
raisons d’économie, les politiques étant réticents à l’idée de mettre à la charge
des départements le coût de la construction et de l’entretien d’établissement
pour les aliénés indigents et sans doute sceptiques quant au résultat obtenu par
cette institution. Le maintien dans la famille des aliénés moins onéreux avait des
défenseurs. Il ne faut pas oublier que la loi de 1838, sans doute une de celles qui
ont eu la plus logue vie en France peut être considérée comme la première loi
sociale car elle mettait à la charge de la collectivité les dépenses entraînées par
le traitement de malades sans famille ou venant de familles insolvables.
C’est peu après l’adoption de cette loi qu’un élève d’Esquirol, JeanŔPierre Falret
(1794 Ŕ1870) devait faire faire à l’assistance aux malades mentaux en dehors de
l’hospice le pas décisif en la matière. En effet cet aliéniste, surtout connu de nos
jours pour avoir décrit ce qu’il nommait « folie à double »- la future psychose
maniaco-dépressive de Kraepelin et nos actuels Troubles bipolaires- fonda en
1843 une Société de patronage et un « asile » pour les convalescentes sortant de
son service à la Salpêtrière, « intermédiaire, dit-il, entre l’hospice et la société »
. Notons que pour Jean- Pierre Falret c’est l’asile qui est la structure
intermédiaire entre l’hospice, l’hospitalisation plein temps dirons-nous
aujourd’hui, et le retour dans le milieu social. Notre collègue et ami de l’ASM 13,
Bernard Odier a fait sa thèse sur les sociétés de patronage d’aliénés guéris et
convalescents au XX è siècle. (3) Lorsqu’en 1864 Jean- Pierre Falret publie un
recueil de ses nombreux travaux il parlera de ce patronage comme de « l’œuvre
principale à laquelle nous avons consacré notre vie » (4. Introduction. P. LXV). Je
ne pense pas que ce soit par hasard que le médecin qui a le premier souligné le
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critère de l’évolution dans la description d’une maladie mentale se soit tout
particulièrement intéressé au problème de la sortie de l’hospice des
convalescents en rémission. Falret n’envisage pas leur placement à distance de
Paris dans un milieu agricole et le premier « foyer » créé se trouve rue du
Théâtre dans ce qui était alors Grenelle.
Le siège de l’Oeuvre Falret, association reconnue d’utilité publique depuis plus
d’un siècle, s’y trouve toujours. Elle gère en ce début du XXI è siècle plusieurs
dizaines d’établissements dits « médico Ŕsociaux » mais n’intervient pas dans le
domaine sanitaire, la législation et la réglementation actuellement en vigueur en
France établissant en effet une coupure entre ces deux domaines, notamment en
ce qui concerne leur financement. Cette coupure nous paraît dommageable pour
les malades qui dans la réalité journalière nécessitent l’assistance simultanée ou
successive de structures relevant de ces deux domaines.
Ceux d’entre nous qui siégeons dans les instances d associations de ce type
défendons la signature entre elles et des établissements hospitaliers de
conventions visant à réduire cette coupure.
Des discussions eurent lieu vers 1860 lorsque se mirent effectivement en place
les asiles d’aliénés départementaux prévus par la loi de 1838 pour savoir s’il
n’existait pas d’autres formules plus économiques.
Cette mise en place, qui a de toute manière était très longue de sorte que l’on a
pu dire que les asiles ont commencé à fonctionner quand le modèle proposé était
dépassé, s’est faite de manière très différente selon les départements. Celui de
la Seine a entrepris sous l’autorité du préfet Haussmann (1809-1891) la
construction d’un ensemble d’asiles, l’un central Sainte-Anne où nous sommes,
entourés d’asiles périphériques. Mais dans d’autres départements on été utilisés
les bâtiments d’anciennes abbayes comme en Eure et Loir à Bonneval où se
trouve l’actuel Centre Hospitalier Henri Ey ou dans la Nièvre à La Charité-sur-
Loire où le
C H S vient de prendre le nom de Pierre Lôo. Au début de la Seconde Guerre
Mondiale , lors de la campagne de France il se produira des évènements qui
donneront beaucoup à réfléchir sur les possibilités de réinsertion de malades
sortis de l’asile dans des conditions pourtant a priori peu favorables. Mais je dois
dire qu’il n’est pas facile de savoir ce qui s’est exactement passé lorsque l’asile
s’étant trouvé bombardé pendant les combats autour du pont sur la Loire, les
portes en ont été ouvertes aux malades, les récits fait par des témoins
oculaires ,j’en ai personnellement connus dans le personnel hospitalier , et
d’autres récits officiels ou non ne coïncidant pas. Il me semble que ce fait
historique a donné naissance à une légende.
Mais revenons un siècle en arrière. Dans d’autres départements des accord ont
été signés souvent avec des entrepreneurs privés pour créer des « fermes Ŕ
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asiles » comme dans l’Oise à Clermont qui finira par devenir un gigantesque
établissement ou à Leyme dans le Lot qui restera d’une taille raisonnable .Ici
aussi la guerre se chargera de nous apprendre que les morts de faim seront
beaucoup moins nombreuses chez les aliénés internés dans les asiles de petite
taille souvent privés gérant leur propre ferme que dans ceux, publics, de grande
taille,situés dans des centres urbains où les malades internés avaient vu en
outre se rompre les liens familiaux.
Ce n’est qu’à partir de ceux du département de la Seine, dont la population
augmente sans cesse pendant la seconde moitié du XIX è siècle que seront
tentées les expériences de placement familial des malades en milieu rural pour
tenter d’en réduire l’encombrement.
C’est Auguste Marie (1865-1934) qui ayant bénéficié à la fin de son internat d’un
bourse de voyage pour visiter les colonies familiales en Ecosse et à Geel, qui
proposa cette « solution applicable à de nombreux malades chroniques stabilisés
dont la sortie était rendu impossible par l’absence de famille d’accueil et
l’inadaptabilité à un milieu urbain en pleine industrialisation » comme l’était le
département de la Seine à la fin du XIX è siècle. Un premier convoi de malades
arrive en 1891 à DunŔsur-Auron dans le Cher ; il existe curieusement dans le
Berry des traditions de lieux placés sous le patronage de saints plus ou moins
légendaires propices aux traitement de la possession et de la folie. Devant les
premiers résultats obtenus une annexe est créée à Ainay le Château dans l’Allier
en 1898. qui devient un établissement indépendant dirigé par le docteur Salomon
Lwoff. (Son fils André Lwoff (1902-1984) prix Nobel de médecine en 1965 est
né dans cette colonie familiale agricole)
Il faut noter que les malades conduits vers ces colonies étaient considérés
comme sortis de l’asile au sens de la loi de 1838 ce qui posait un certain nombre
de problème dont celui du financement de la rétribution des familles d’accueil.
Mon maître Paul Sivadon (1906-1992) a raconté dans un récit autobiographique
sa surprise quand, après son internat dans la Seine, il est en 1936 nommé
médecin -directeur de la colonie familiale d’Ainay le Château : « des malades que
j’avais connu en milieu asilaire délirants ou inhibés se transformaient en quelques
semaines ,après avoir été plongés dans ce bain très particulier ,fait de relation
avec la nature et avec un milieu familial simple,peu exigeant, volontiers indulgent
aux superstitions et à la pensée magique dont il est luis même imprégné . »
(5) .C’est indubitablement cette expérience qui fera de Sivadon un des
promoteurs de la psychiatrie sociale d’après Ŕguerre. Il est en effet nommé en
1943, en pleine occupation, médecin des hôpitaux psychiatriques de la Seine où
lui est confié le service d’hommes de Ville ŔEvrard (Cet établissement était
encore divisé en une partie « asile » et une autre « maison de santé » qui
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recevait les malades payants). Ce service abritait six cents malades, il en était le
seul médecin assisté de deux internes. Cet état de chose conduisit Sivadon et
d’autres collègues confrontés à des situations analogues dans la région parisienne
ou en province à mettre en place dès la Libération avec l’aide de l’Assurance
maladie qui venait d’être créée pour les travailleurs salariés les C T R S
(Centre de traitement et de réadaptation sociale) qui seront au nombre de 4 à
Ville Evrard ,Villejuif, Bonneval et Saint ŔAlban. Je crois que l’on oublie
l’importance qu’a eu en France contrairement à d’autres pays où elle n’est
toujours pas obtenue la prise en charge par l’assurance maladie des soins aux
malades mentaux pour la révolution psychiatrique qui s’et alors produite. Pour le
monde rural l’autre système d’assurance- maladie, la Mutualité agricole a joué un
rôle comparable.
Les C T R S constituaient le volet hospitalier de l’assistance aux malades et
apparemment n’abordait pas celui de l’ accueil à la sortie de ceux qui sont isolés
sur le plan familial mais j’ai eu récemment la surprise d’entendre le directeur de
la D A S de Paris déclarer au cours d’une réunion consacrée à l’action canal Saint
Ŕ Martin des Enfants de Don Quichotte que la solution au problème des S. D. F
serait la réouverture de C T R S. où effectivement ces sujets recevaient les
soins somatiques et psychiatriques que leur état de santé exige avant que puisse
être résolue la question de l’hébergement.
J’ai moi-même interne ou assistant au C T R S de Ville Evrard qui disposait
désormais en sus du médecin-chef deux médecins assistants et six internes,
participé il y a cinquante ans au choix ou au tri, je ne sais comment dire des
malades envoyés dans les colonies agricoles pour réduire l’encombrement et
même le « surencombrement » ,puisque le taux d’occupation des lits était de 125
%. L’autre volet celui de la prise en charge extrahospitalière était confié a une
Association privée, l’Elan retrouvé, fondée en 1948 par Sivadon et ses
collaborateurs du C T R S de Ville Evrard puisque à l’époque un hôpital public ne
pouvait gérer des structures extra Ŕhospitalières. Des associations analogues on
été créées à la même époque à partir des autres
C T R S .
L’Elan retrouvé qui doit commémorer cette année son soixantième anniversaire
s’est centré d’emblée sur la post-cure avec la création d’une consultation de
post-cure extra -hospitalière en 1952, puis d’un foyer dans Paris en 1956 et
enfin du premier hôpital de jour de psychiatrie pour adultes en 1962 également
dans Paris.
Des associations analogues furent créées à parti des autres C T R S en tenant
compte des particularités locales tant sur le plan socio Ŕ économique que
sanitaire.
Depuis les structures sanitaires et médico- sociales créées ou gérées par l’Élan
se sont multipliées car à la différence de l’œuvre Falret, et sans doute parce que
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fondée un siècle plus tard , à la fin de cette période où la législation sociale et
sanitaire s’est considérablement enrichie et aussi compliquée , nous avons pu
maintenir une unité et une cohésion dans la politique menée pour ces deux types
d’institutions. Pour donner un exemple le Médecin Directeur de l’Elan assume
cette direction médicale tant pour le sanitaire que pour le médico Ŕsocial. Ceci
est peut être possible grâce à la reconnaissance « d’utilité publique » qui oblige
en même temps à une plus grande rigueur. L’Élan a ainsi pu prendre ces dernières
années la gestion de diverses structures de la région parisienne qui connaissait
des difficultés en raison de leur trop petites taille et surtout de leur isolément.
Mais je vais arrêter là mon rappel historique, avant 1970, même si j’ai parfois
dépassé cette date puisque c’est de ces années que le Dr Jean-Michel Gentizon
date la fin des colonies familiales dont il va nous parler maintenant.
Ouvrages cités.
1.- Pinel Ph. Traité médico- philosophique sur l’aliénation mentale. Seconde
édition entièrement refondue et très augmentée (1809) présenté et annotée
par Jean Garrabé et Dora B.Weiner . Paris : Les empêcheurs de penser en rond/
Le Seuil ; 2005.
2.- Esquirol E. Des maladies mentales considérées du point de vue
médical,hygiénique et médico - légal . Paris :J.-B. Baillière ;1838.
3.- Odier B. Les sociétés de patronage d’aliénés guéris et convalescents au XX è
siècle. Thèse Pari. Pitié. Salpêtrière 1982.
4.- Falret J. P. Des maladies mentales et des asiles d’aliénés. Leçons cliniques et
considérations générales ; Paris : J.-B. Baillière ;1864. Rééd. Chilly- Mazarin :
Sciences en situation.1994.
5.- Sivadon P. Psychiatrie et Socialités. Toulouse : Eres ; 1993 .