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congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
R. PASSERA « Se disant probable d’environ » Cherchez l’origine, vous trouverez l’origine
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Rosella PASSERA
Psychologue, CH Esquirol, Paris
AXE n°3 « IDENTITE ENTRE FAMILLE D’ORIGINE ET FAMILLE D’ACCUEIL »
« SE DISANT PROBABLE D’ENVIRON . »
CHERCHEZ L’IDENTITE, VOUS TROUVEREZ L’ORIGINE .
L’histoire d’un patient, accueilli en A.F.T. après 4 ans d’hospitalisation, interroge les concepts
d’origine et d’identité, eux-mêmes liés, et la possibilité d’un lien entre famille d’origine et
famille d’accueil.
Comment créer une « enveloppe psychique élargie » qui puisse se substituer au moins pour un
certain temps, à l’enveloppe familiale défaillante ?
Surtout lorsque, pour un sujet dont le nom est « se disant », l’origine « probable », l’âge
d’ « environ », comment, dans cette situation l’aider à se construire sa propre identité quanD
il s’agit, pour l’heure, de lui permettre de la retrouver ?
Comment l’aider à reconstruire cet autre aspect de l’enveloppe psychique, l’ « habitat », cette
stabilité qui participe à la mise en place du sentiment d’identité ?
J’ai donc commencé, avec la participation de la famille d’accueil, à chercher des petits bouts
d’histoire, éparpillés, parfois des « riens » et à les lier mais ça n’a pas été si facile que de
passer « une enveloppe » à la poste !
L’histoire d’un patient, accueilli en A.F.T. après 4 ans d’hospitalisation, m’a interrogé sur les
concepts d’origine et d’identité, eux-mêmes liés, et sur la possibilité d’un lien entre la famille
d’origine et la famille d’accueil.
Mes recherches ont débuté par l’effeuillage du mince dossier du patient, dont le bulletin
d’entrée livre les premières informations :
Nom, Prénom : se disant .
Age : environ 42 ans
Sexe : masculin
Lieu de naissance : probablement Portugal
Profession : néant
Domicile : S.D.F.
Situation familiale : néant
Motif de l’hospitalisation : troubles de l’ordre public
Pièces produites à l’admission : néant
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Un questionnement s’impose d’emblée lorsque le nom est : « se disant », l’origine :
« probable », l’âge : « d’environ » ; que va-t-il être transmis par les soignants à une famille
d’accueil en plaçant une personne à l’identité incertaine ? Comment accompagner dans ces
conditions, et le patient, et la famille d’accueil ? Comment aider le patient, dans cette
situation, à se construire sa propre identité quand il s’agit, pour l’heure, de lui permettre de
la retrouver ?
Au bout d’une année de placement dans la famille d’accueil, les multiples recherches menées
pour retracer la biographie de cette personne effacée, ne prononçant que quelques mots,
restent infructueuses Mais à l’occasion d’une sortie au marché, le hasard croise sa route.
Une personne reconnaît le patient et en informe un de ses frères, domicilié dans une localité
proche de celle de la famille d’accueil. La belle-sœur contacte la famille d’accueil pour avoir
des nouvelles de ce patient qui va enfin être nommé : un embryon d’identité et d’origine est
en train de voir le jour.
A l’occasion d’une rencontre, quelque temps après, l’identité est finalement confirmée : le
patient devient, ou redevient, du jour au lendemain, Monsieur nom-prénom.
Ce nom, nous dira-t-il, est composé de la juxtaposition des deux patronymes de ses parents.
Il raconte, sans pouvoir donner d’explications, avoir décidé de changer son nom en 1997
« pour rien », mais il souhaite que l’on continue de l’appeler par ce pseudonyme. Par ailleurs, il
accepte de recevoir la visite et les appels de sa famille, si elle se manifeste.
L’équipe soignante et la famille d’accueil veillent à ce que des liens se tissent avec la famille
d’origine. Les renseignements fournis par la belle-sœur permettent la constitution d’une
trame historique à son existence. Mais il y aura toujours beaucoup de conditionnels
« serait », « aurait », « environ », « plus ou moins »
Nous arrivons, non sans efforts, à contacter la sœur aînée, personnage très important
apparemment dans la jeunesse du patient. Elle accepte de rencontrer une fois l’équipe tout en
nous faisant comprendre qu’elle ne veut plus revoir son frère. Durant cet entretien, elle ne
raconte rien, se limitant à confirmer de temps en temps les informations données par la
belle-sœur. L’accent est mis sur l’attachement que lui vouait son petit frère, allant jusqu’à
l’appeler maman, qu’il se faisait porter très, trop souvent, cela jusqu’à l’âge de 5 ans. Elle
souffre d’une déformation visible de la hanche qu’elle attribue au portage de son frère. Déjà
petit, celui-ci s’échappait de la maison, errait et se réfugiait dans les champs Les voisins le
retrouvaient et le ramenaient chez lui. Lorsqu’on lui demandait son nom, il s’affublait déjà du
pseudonyme que nous lui connaissons .
Issus d’une famille de la terre profonde, au Portugal, les parents travaillaient durement dans
les champs pour nourrir la famille nombreuse (5 enfants). C’est ainsi que la sœur aînée jouait
le rôle de la mère vis-à-vis de son frère déjà décrit comme un enfant sauvage présentant des
moments de retrait « probablement » autistique.
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Le père est décrit comme quelqu’un de très dur, buveur, parfois violent, qui n’hésite pas à se
servir du bâton pour réprimander son fils. Le terme bâton que l’on retrouve dans le
pseudonyme que ce dernier s’est donné. C’est à la suite d’une nouvelle bastonnade violente que
le fils, accusé d’avoir dérobé les bijoux de famille, à l’âge de 17 ans, part en France y
retrouver ses deux frères.
En tout état de cause, la sœur aînée ne veut plus revoir son frère car sa vie est déjà assez
difficile avec son mari, lui aussi buveur, comme son père .
Le frère et la belle-sœur montrent une réticence à l’accueillir chez eux quelques jours : « la
coupure est déjà faite, il ne veut rien, il se protège, il nous protège ».
Mais de quoi ? d’aveux impossibles à dire ? Les liens d’origine sont-ils si porteurs de
souffrance ? Pourquoi, après de si brèves retrouvailles, la famille évite-elle de renouer des
liens ?
Cette identité, perdue, retrouvée, nouvelle, oubliée, nous laisse face à un questionnement.
Tenter de relier les données, si possible en leur donnant un sens, revient à chercher les liens
qui peuvent rattacher l’identité à l’origine, à la famille .
F. Laplantine, anthropologue, énonce que : « { ..} en renvoyant chaque individu à une
appartenance, l’identité signe l’origine. L’identité attire l’attention sur ce qu’il y a de plus
stable et de plus permanent chez l’être humain, appréhendé à partir de ce qu’il était avant, et
non de ce qu’il est en train de devenir. L’identité réactualise toujours, en le ritualisant, un
fondement incontestable. Elle est un processus de réactualisation de l’origine » 1.
Par ailleurs, le terme en grec, signifie l’identité et la répétition.
La sociologue, A. Muxel2, en mettant en avant la notion de « mémoire familiale » insiste sur le
rôle fondamental de la famille dans la construction de l’identité. Nous naissons dans une
famille, nous nous inscrivons en fonction de valeurs, d’attributs sociaux et symboliques,
transmis, à la fois par une histoire familiale lointaine et celle vécue dans l’enfance, avant de
devenir adulte et autonome. C’est cette double inscription qui fixe la configuration de
l’identité individuelle.
C’est à ce point que je voudrais introduire la notion « d’habitat », troisième feuillet de
l’enveloppe psychique selon Houzel3 « cet autre type de stabilité qui participe à la
construction des limites du soi et du sentiment d’identité. L’habitat répond à un principe de
stabilité simple dans lequel c’est le lieu même que l’on habite dans l’espace qui doit être stable
et pas seulement la forme et le déroulement des processus psychiques à l’œuvre dans le
sujet ».
1
LAPLANTINE (F) - « Je, nous et les autres, être humain au-delà des appartenances » - Editions Le Pommier-Fayard
collection manifeste Paris, 1999 p.41
2
MUXEL (A) - « La mémoire familiale » - revue sciences humaines, hors-série n°15 1996-97 p.22
3
HOUZEL (D) - « Le concept d’enveloppe psychique » - Editions In press p.31
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Mais il y a plusieurs formes et niveaux de stabilité : si la fonction contenante se trouve être
défaillante, le psychisme se contentera d’une « stabilité simple » dans laquelle «tout doit
rester immuable, figée : c’est le type de stabilité que l’on observe dans l’autisme infantile : le
refus de tout changement, le déni de la temporalité en sont les expressions cliniques. Ce type
de stabilité ne peut s’obtenir que moyennant un renoncement à tout développement de la
communication avec autrui et de sa propre pensée»4.
Anzieu nous rappelle aussi les effets désastreux sur le psychisme humain des « maladies de la
mémoire ». Nous sommes en effet confrontés quotidiennement, dans la clinique des
psychoses, aux conséquences tragiques de l’ignorance du passé et du non accès à la
temporalité5. La découverte de l’historicité peut se faire uniquement dans une relation où une
remémoration partagée et communiquée est possible.
En d’autres termes, pour créer son identité et son origine, il faut la participation de quelqu’un
qui partage des souvenirs, qui réactive une mémoire historique, « une rencontre durable du
jeu de souvenirs entre l’enfant et sa mère, et ultérieurement, entre le sujet et lui-même »6.
P. Aulagnier met l’accent sur la défaillance chez le psychotique de la dimension
historicisante : « l’attaque sur les liens et la propension au désinvestissement sont tels qu’ils
finissent pas détruire les traces de ce qui a eu lieu et à créer des trous irréparables dans
l’activité représentative »7.
Pour notre patient, nous pouvons constater l’oubli, l’effacement des traces, le
désinvestissement , la défaillance quant aux enveloppes psychiques de la mémoire, de
« l’habitat » S’inventer une nouvelle identité représente une rupture avec les liens
d’origine La retrouver revient à renouer avec ces derniers, ce qui n’est pas exempt de
contraintes, d’enchaînements. La dimension familiale devient nécessairement importante dans
cette histoire identitaire.
J. C. Cebula8 nous dit que la famille, d’origine ou d’accueil, introduit la dimension de l’identité,
à savoir que chacun y est interpellé quant à ses origines, son histoire, ses alliances et que la
famille d’accueil fonctionne à ces niveaux d’interpellation de l’identité bien plus qu’un
établissement de soins, car elle peut permettre la reconstitution d’une enveloppe psychique,
car les rôles et les liens s’organisent en fonction des attentes et des places à prendre.
L’enveloppe familiale, carentielle, défaillante dans le cas présent, peut, à notre avis, être
restaurée en famille d’accueil par un travail d’élaboration commune entre équipe et famille,
4
Ibid p. 123
5
ANZIEU, HOUZEL « L’enveloppe de mémoire et ses trous » - p.91 dans « Les enveloppes psychiques » - Editions Dunod,
collection inconscient et culture.
6
Ibid p. 95
7
Ibid p. 112
8
CEBULA (J.C.) « L’accueil familial des adultes » - Editions Dunod p. .91
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que Houzel nomme « enveloppe élargie ». Aider, dans cette situation, la famille d’accueil à se
substituer si possible, et temporairement à l’enveloppe familiale déhiscente. Travail long,
difficile, parfois frustrant, mené par l’équipe, la famille d’accueil et la famille d’origine. Car
quel rôle et quelle identité une famille d’accueil accepte-t-elle d’assumer dans ce « théâtre
familial » élargi vis-à-vis de l’accueilli, quels liens propose ou accepte-t-elle avec la famille
d’origine ?
Mme C., la famille d’accueil en charge de notre patient, pense que ce dernier, lorsqu’il le
souhaite, doit avoir la possibilité de rencontrer sa famille d’origine en tenant compte des
antécédents relationnels. Le patient, dit-elle, semble content lorsqu’il revient des ses rares
rencontres familiales et ne formule jamais le désir d’une de ces rencontres qui se raréfient
de plus en plus et sur sa fonction stimulante pour les organiser car la famille d’origine,
occultant la dimension pathologique du patient, entretient la distance, persuadée qu’il se
complait dans l’assistanat et profite de la situation.
Mme C. reste néanmoins persuadée que les relations entre famille d’accueil et famille
d’origine sont une partie du travail de l’A.F.T. qui ne peut se limiter aux simples soins
d’entretien et d’hébergement.
La famille d’accueil, conclut-elle, en permettant une ouverture sur l’extérieur, peut offrir un
cadre contenant et enveloppant plus convivial que l’institution hospitalière aux aspects
fortement déprimants pour les familles d’origine. Elle regrette d’ailleurs que la famille
d’origine, enfin retrouvée, ne donne plus ni ne demande des nouvelles du patient accueilli. La
question du « pourquoi » revient régulièrement sur le tapis lors des réunions familles
d’accueil/équipe soignante
On a cherché l’identité, on a trouvé l’origine et/ou vice versa
Nous voilà repartis pour un nouveau voyage !
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