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7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
M. DUFOUR, M. GENNHAM, C. BOSONETTO, Dr M. BERNARD
L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeaux à un patchworkrevitalisant
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Muriel DUFOUR,
Infirmière, Equipe hospitalisation G01, Centre Hospitalier de la Région d’Annecy
Marie GENNHAM,
Infirmière, Equipe CMP G01, Centre Hospitalier de la Région d’Annecy
Chantal BOSONETTO,
Infirmière, Equipe AFT, Centre Hospitalier de la Région d’Annecy
Dr Madeleine BERNARD
Psychiatre, Annecy
AXE n°2 « DIVERSITE DES ENVELOPPES »
L’alchimie d’une rencontre :
D’une vie en lambeaux à un patchwork revitalisant1
(Une typographie différenciée a été choisie afin de rendre à chacun des intervenants
leurs propos et leur forme, ainsi que le récit singulier de leur rencontre avec Patrick)
Description physique
Patient trapu de taille moyenne
Allure décontractée
Visage rond, accueillant
Interpellant l’autre par le regard, par des regards et non une verbalisation
Histoire de vie
Patient âgé de 49 ans, originaire du Loire et Cher. Est issu d’une fratrie de 9 enfants (5
frères et 4 sœurs).
Enfance marquée par différents placements en famille d’accueils avec 3 autres frères et
sœurs. Semble avoir été pris en charge très tôt (2 ans) par les services de la DASS suite à
une précarité et déficience du milieu familial.
Au moment de l’adolescence, accueil par un frère aîné ainsi que 2 de ses frères et sœurs. De
nouveau séparation, lorsqu’il débute un apprentissage de cuisine et orienté sur un autre
département (Haute-Savoie.
Actuellement, sans aucun lien avec sa famille d’origine bien que Patrick pense que ses parents
soient toujours en vie.
1
Le travail que présente l’équipe d’Annecy est le fruit de 9 mois de rencontres pluridisciplinaires et « inter-unités » (CMP,
Hospitalisation, AFT) encadrées par Sylvain Lecoin, psychologue de l’unité d’AFT d’Annecy, et le Dr Madeleine Bernard. Au-delà
des intervenants, nous souhaitons également associer Mmes Nadine Vaccari, Sylvie Martin, Chantal Bordon, Michèle Ciosi et
Roselyne Allain, infirmières à l’hôpital d’Annecy, à cette contributiuon. Elle relate le parcours de vie et de soin de Patrick, accueilli
depuis 2 ans en famille par Mme D.
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Pas de diplôme professionnel mais une formation de CAP de cuisine. IL semble avoir travaillé
quelques années dans ce domaine (dernier emploi de Janvier 96 à Septembre 97 commis de
cuisine.
Il reste difficile d’obtenir des dates précises de ces périodes de travail.
Marié pendant 15 ans à une femme réunionnaise : 3 filles issues de cette union :
Christine âgée actuellement de 19 ans
Angélique : 16 ans
Mélanie : 12 ans.
Divorce en 98, plus de droits de visites suite à des violences verbales.
Perte des droits parentaux ?
On peut noter beaucoup de trous, d’incertitude dans son parcours de vie :
Oubli ?
Déni ?
Problèmes cognitifs ?
Séquelles liées à son problème d’alcool ?
Patrick semble avoir beaucoup de mal à mettre en mots sa vie « d’avant ». Le
« questionnement » et discours « soignant » étant vite perçu comme intrusif et persécutoire.
Histoire de la maladie
Patrick est connu depuis 2001 en psy. Première hospitalisation en HL, suite à un syndrome
dépressif avec alcoolisation massive.
Patrick vit seul en foyer Sonacotra et sans emploi depuis son divorce. Puis vont suivre de
nombreux allers-retours entre l’hôpital et le foyer : les alcoolisations et les épisodes
dépressifs s’amplifient de plus en plus.
Lors des différentes hospitalisations, Patrick est très rapidement asymptomatique sur le
plan éthylisme et comportement ; cependant la problématique dépressive et des conduites
addictives n’a pas été résolue.
Fin 2003, malgré des soins et un accompagnement permanent, une psychothérapie de soutien
et des psychotropes, Patrick n’arrive plus à gérer son quotidien. Il souhaite un éloignement
du Foyer Sonacotra et révèle qu’il est victime de RACKET et semble être dépossédé depuis
de nombreux mois de son compte bancaire.
Nous rencontrons Patrick pour la 1ère fois en Mai 2001 dans la chambre qu’il occupe alors au
Foyer. Nous notons un contraste saisissant entre la décoration très personnalisée et
chaleureuse de son intérieur et son apathie.
L’entretien est laborieux, il s’exprime peu, nos questions sur son histoire le dérangent et
rapidement il devient évasif « je ne sais plus » voir réticent « je n’ai pas envie d’en parler ça
fait trop mal ». Nous lui proposons des activités qu’il refuse, puis trouvant toujours porte
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close, nous interrompons nos visites. Nous les reprenons en Juin 2002 à la demande de la
responsable du Foyer qui s’inquiète de ses fréquents passages aux Urgences, de ses plaintes
multiples et de ses alcoolisations massives.
Notre intervention sera désormais hebdomadaire et visera à aider Patrick dans la gestion du
quotidien :
- préparation d’un pilulier ;
- accompagnement chez le psychiatre ;
- mise en place de livraison de repas à domicile.
Pendant plusieurs mois, Patrick nous attend chaque semaine toujours aussi peu communiquant
mais moins souffrant : pas d’hospitalisation, moins de passages aux Urgences, des
alcoolisations « modérées ».
En fin d’année il participe à nos sorties et y prend grand plaisir. Mais, début 2003, Patrick
s’alcoolise davantage et n’arrive plus à entretenir sa chambre.
Après une cure de désintoxication en avril, ses plaintes sont centrées sur un sentiment de
solitude pesante et douloureuse.
Patrick participe maintenant à différentes activités mais a souvent besoin de s’alcooliser
avant.
Puis la situation se dégrade. Patrick n’ose plus sortir car il est de nouveau persécuté par un
résident. Il s’ensuit un isolement important avec des alcoolisations plus fréquentes et plus
massives accompagné d’un désinvestissement important de sa chambre (incurie) qui le met en
danger.
Il est alors hospitalisé à plusieurs reprises et son maintien au Foyer devient de plus en plus
problématique.
Mais quel projet de vie lui conviendrait ?
C’est en visitant une patiente placée en famille d’accueil dans une ferme que ce mode de prise
en charge pourrait correspondre aux besoins de Patrick.
C’est à cette période que sont élaborés 2 projets pour lui :
- l’appartement associatif ;
- l’accueil familial thérapeutique ;
L’orientation vers un appartement associatif n’a pas été retenue. Il ne semblait pas judicieux
de replacer Patrick dans ces conditions proches du Foyer :
- manque d’aide et d’étayage personnel au quotidien ;
- risque majeur d’isolement affectif et social avec rechute alcoolique.
L’accueil familial thérapeutique semblait plus approprié :
- étayage au quotidien ;
- permettre à Patrick de restaurer, vivre des expériences familiales autres que celles
connues dans l’enfance et sa vie maritale.
L’équipe espérait également trouver une famille d’accueil maternante, chaleureuse et
protectrice contre les tentations d’alcool.
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Cependant flottaient quelques inquiétudes au sein de l’équipe :
- reviviscences liées à l’accueil familial de son enfance ;
- violences possibles que Patrick pourrait exercer sur des enfants et la situation
potentiellement régressive qu’il vivrait alors.
Fin janvier 2004, l’équipe d’AFT reçoit le dossier de candidature de Patrick. Après lecture et
évocation des points à approfondir (ses alcoolisations encore d’actualité et la perte de ses
droits parentaux avaient alimentées quelques fantasmes dans notre équipe), nous partons à
sa rencontre.
Très rapidement, sa bonhomie, son perpétuel sourire qui accompagne des propos, soit
tristounets quand il évoque sa solitude, soit pleins d’espoir quand il parle de ce projet de
vivre dans une famille, soit de craintes du non-aboutissement possible, relèguent nos
réticences dans un coin de notre tête. Notre équipe adhère avec un entrain certain à ce
projet et cherche parmi les places disponibles laquelle est la plus en adéquation.
Tout aussi rapidement, le choix de la famille d’accueil est unanime : ce sera celle de Mme D.
Elle se compose de la mère de famille et de ses 4 enfants (18,15, 9, 7) , élargie à ce moment
là, à une grand-mère et un grand-père habitant à proximité. Mme D et ses enfants vivent
dans un lieu-dit au dessus du village de Thorens, une maison fort isolée au bout d’un chemin
malaisé. Depuis avril 1999, Maria, une patiente de 49 ans est déjà accueillie dans cette
famille, et de forts liens d’attachement se sont noués. Mme D. fait de l’élevage de chiens,
possède des chevaux et en prend d’autres en pension, la ferme abrite également lapins et
volailles diverses et variées.
A cette époque là, la famille D. vit des moments difficiles avec une succession d’arrivées, de
départs, de retours et de re-départs définitifs cette fois. La grand- mère qui habitait un
appartement dans le logement familial, était repartie en région parisienne s’occuper de son
mari (dont elle était séparée depuis plusieurs années) souffrant d’Alzheimer. Ils sont
revenus quelques mois après s’installer à Thorens. Le mari de Mme D., parti peu de temps
après la naissance de sa dernière fille, est revenu s’installer dans sa famille, le temps de
faire des projets et de disparaître à nouveau, laissant les siens en plein désarroi. Nous avions
fait le choix de continuer de collaborer avec cette famille, il était important que tout ne
s’écroule pas en même temps et Mme D. par sa façon de gérer ces crises, nous avait rassurés
sur ses capacités d’accueil. Mme D. malgré cette période douloureuse parvient à maintenir
une cohésion familiale chaleureuse et ouverte, et un repère stable dans les allers-retours de
Maria, la patiente accueillie
La première rencontre entre Patrick et Mme D. à lieu dans le service hospitalier. Ils ont le
choix des places, mais entourées des représentants de l’A.F.T. et des soignants de Patrick,
ils s’installent l’un à coté de l’autre. Ils font connaissance doucement, n’ayant pas l’air d’avoir
besoin de nous pour cela. Mme D. protége déjà Patrick des interventions soignantes
déstabilisantes et un peu trop harcelantes à son goût.
Une première visite chez Mme D. donne encore plus de consistance à ce projet. Il a hâte de
commencer.
Dans la foulée, une période d’essai de 15 jours est décidée. Au terme de celle-ci, le bilan est
positif, et les 2 jours qu’il doit passer à l’hôpital pour faire le point avec son médecin lui
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semble déjà fort longs. Mme D. attend également sa venue, ainsi que sa petite famille qui le
trouve très sympathique, gentil
Très rapidement Patrick a emménagé. Il est passé d’un espace contenant (l’unité psy) à un
autre (la famille d’accueil).
Le séjour commence véritablement. Celui-ci n’est pas un long fleuve tranquille du fait des
aléas familiaux de Mme D. et des siens, mais Patrick vit toutefois des expériences
heureuses : il a la responsabilité des lapins, observe et participe à une vie familiale remuante
avec ses joies et ses peines. D’autres expériences sont plus douloureuses : le décès brutal de
Maria (la patiente accueillie) qui a eu lieu au domicile de Mme D. a beaucoup affligé la famille
et Patrick a pu mesurer l’attachement qui existait entre tous. Plus tard, une courte absence
de Mme D le confronte à une angoisse d’abandon et le fait céder à un vieux démon : l’alcool.
Mme D. en toute occasion reste présente pour lui, ne juge pas, explique, écoute, mais ne
change pas ses occupations, ni ses projets, est simplement plus vigilante, plus attentive à ses
réactions. Ainsi, les vacances de Noël que prend la famille, bien qu’étant une séparation
douloureuse pour lui, n’est pas destructrice.
Cela va petit à petit l’amener à faire des projets également : aller seul à Anneçy, prendre lui
aussi des vacances. Même si ces démarches ne se font pas sans inquiétudes (surtout au
début..), il se sent accompagné par l’attitude bienveillante de Mme D. et sa confiance
l’encourage. Ainsi à une époque où Mme D . a été souffrante, il a été un soutien pour elle dans
les tâches quotidiennes et auprès d’un autre patient accueilli entre temps. Le fait également
de partager une vie familiale avec une mère et ses enfants déçus par un mari et un père, il
s’interroge sur la sienne et sur le devenir de ses enfants. Il leur écrit
Ce lieu de vie correspond à son univers, il y trouve sa place, s’occupant des animaux et du
bois. « Je revis », nous dit-il et nous le constations à chaque nouvelle visite.
La famille est accueillante et reçoit souvent des amis ce qui contribue à élargir
l’environnement social de Patrick.
Il se charge avec plaisir d’un nouvel accueilli.
Très peu de temps après son placement, Patrick va vivre une crise aiguë d’angoisse avec
alcoolisation ; Ceci à l’occasion de l’absence de Mme D. pour la soirée : sentiment très fort
d’abandon : peut être Patrick a-t-il fait un transfert amoureux sur Mme D. en tant que
femme et mère ?
La dédramatisation, la consultation rapide après l’évènement, les VAD, les échanges avec
Mme D. (qui ne considérait pas cet évènement comme quelque chose de dramatique) ont
permis à Patrick de prendre encore plus confiance en ce projet, ressentant l’étayage et le
soutien des soignants ainsi que de la famille.
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Autre fait marquant ; lorsque Mme D. est tombée malade et a due restée alitée, Patrick a
assumé seul et de façon très adaptée certaines responsabilités (travaux de la ferme). Il
semble avoir trouvé une véritable place dans la famille.
Lors du décès d’une résidente, il peut constater à travers le deuil douloureux de la famille,
l’attachement durable être réel qu’elle éprouve pour ses « accueillis ».
Souhaitant reprendre contact avec ses filles, il profite des fêtes de fin d’année pour leur
écrire, nous sollicite pour l’aider à rédiger ce premier courrier et malgré l’absence de
réponse persévère maintenant seul dans cette démarche.
Après une année, Patrick s’autonomise, prend seul le car et le bus pour participer à nos
activités puis juste pour son plaisir.
Il fait l’acquisition d’un téléphone portable pour pouvoir joindre son accueillante et décide de
partir en voyage durant les vacances de la famille.
Pour ses dernières vacances il choisit de découvrir la mer et à notre surprise nous envoie une
carte postale.
A son retour, très fier de nous montrer son album photos, il nous dit s’être senti en décalage
vis à vis des autres vacanciers qu’il trouvait « pas très dégourdis » mais souhaite malgré tout
renouveler cette expérience.
Depuis, poursuivant son processus d’émancipation, Patrick nous surprend en annonçant lors
d’un entretien avec son psychiatre « je ne resterai pas toute ma vie dans cette famille, je
veux retravailler ».
L’accrochage s’est réalisé, hors de toute rivalité, grâce à l’adhésion du plus grand nombre au
projet, par l’absence de désir d’emprise de soignants envers Patrick, le positionnement de la
famille qui a autorisé Patrick à prendre sa place et qui ne s’est pas placée en rivale des
équipes.
L’accueil de Patrick dans une famille malmenée par la vie, suffisamment éloignée de la famille
idéale, lui offre un terrain d’expérimentation qui lui permet de vivre ses émotions, d’émettre
des désirs, d’être à son tour un soutien, de faire des allers-retours constructifs entre ses
expériences passées et présentes.
Malgré les difficiles aléas de la vie qui secouent la famille D., Mme D. offre un cadre
rassurant à Patrick pour que ses blessures ne soient pas destructives, mais deviennent des
points d’ancrage positifs dans une reconstruction narcissique.
Notre travail de soignants en A.F.T. a été d’accompagner cet accueil. Le bon sens de Mme D.,
son empathie, ses questionnements, la vie chaleureuse de son foyer nous a permis de voir
l’évolution de Patrick, il prend de la consistance, s’affirme, se projette dans l’avenir.
Je peux dire aujourd’hui au travers de ce travail, que les bénéfices n’étaient pas à sens
unique, ainsi la famille a pu se mobiliser autour de cet accueil évitant ainsi de se refermer
autour de son chagrin. Patrick a permis que Mme D. retrouve une confiance en elle, et il a
contribué à la stabilité familiale. Aujourd’hui, la vie continue, et chacun peut faire des
projets, même de départ et sans danger.
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Les enveloppes psychiques et l'histoire de Patrick
Par le Dr Madeleine Bernard
Cette tentative de théorisation d'une situation clinique est entièrement redevable à la
conceptualisation que D. HOUZEL donne des enveloppes psychiques.
Didier HOUZEL définit l'enveloppe psychique comme une structure à 3 feuillets :
1. la pellicule qui tient compte des aspects préétablis de manière innée du psychisme et
qu'il décrit comme «l'effet de tension superficielle de la dynamique pulsionnelle elle-
même». C'est un feuillet instable et «on peut supposer que sous l'effet de la poussée
pulsionnelle la pellicule se rompe, se déchire, explose»
2. la membrane : la pellicule doit être lestée de représentations pour être stabilisée,
représentations qui s'organisent lors des rencontres avec «l'objet» (au sens
métapsychologique du terme), elle se transforme alors en membrane. La membrane
est constituée par l'inscription sur la pellicule des traces des rencontres avec
l'objet. Ce feuillet est en quelque sorte le témoin de l'histoire individuelle du sujet
3. l'habitat : c'est l'aspect de l'enveloppe psychique qui peut se décrire en terme de
théorie de construction, théorie qui introduit l'observateur dans le champ
d'observation, l'observateur et l'observé s'influencent l'un l'autre. Ce feuillet de
l'enveloppe psychique a pour fonction de délimiter la réalité psychique de la réalité
extérieure, ces 2 réalités entretenant entre elles des relations dialectiques
complexes.
Cette position diffère un peu de celle de Didier ANZIEU, dans la description que celui-ci fait
du Moi-Peau, qu'il décrit comme une structure à 2 feuillets. Selon J.Doron le Moi-peau serait
un concept introduisant une notion de limite fermée, le concept d'enveloppe psychique serait
lui un concept plus modulable ayant une fonction d'interface.
Quelles interfaces dans l'histoire de Patrick ?
L'histoire qui vient de vous être rapportée permet, nous a-t-il semblé, dans retenir 3 : la
famille, l'institution et l'accueil familial thérapeutique. Chacune de ces interfaces peut être
corrélée à l'un ou plusieurs des feuillets de l'enveloppe psychique telle que l'a conceptualisée
Didier HOUZEL.
C'est ce que je vais tenter de vous montrer maintenant.
La famille
Dans l'histoire de Patrick, la famille c'est :
la famille d'origine avec son cortège de bruit, de violence, d'alcool, d'abandon.
la famille qu'il construit avec son épouse où l'on retrouve de nouveau le bruit, la
violence, l'alcool, l'abandon.
Nous faisons l'hypothèse que cette expérience initiale et sa répétition traduisent ce qu'il en
est pour ce patient de «la pellicule», feuillet au plus près des forces pulsionnelles et
particulièrement instable dans ce cas clinique. D. HOUZEL souligne d'ailleurs que lorsque
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«cette partie de l'enveloppe psychique est déchirée, déhiscente, défaillante ... la
construction de la réalité psychique des enfants est sous la dépendance de répétition
transgénérationnelle responsables de graves distorsions de la personnalité et de sévères
dysfonctionnements psychiques».
Mais la famille c'est aussi les familles successives qui l'accueillent :
la 1ère famille d'accueil dans l'enfance : «expérience plutôt positive» où il se retrouve
avec 3 frères et sœurs, famille qui va permettre, à travers le vécu rassurant qu'elle
procure et les rencontres avec des «objets» la stabilisation (certes momentanée) de la
pellicule qui va ainsi amorcer sa transformation en membrane
la famille du frère aîné chez lequel il va habiter quand il a 14 ans où il est également
accueilli avec 2 frères et 1 sœur, expérience qui renforce sans doute la stabilisation
amorcée par la famille d'accueil de l'enfance.
La famille peut donc fonctionner pour Patrick sous ces 2 aspects accolés : une pellicule de
vécu chaotique, une membrane stabilisante. HOUZEL donne d'ailleurs au concept d'enveloppe
psychique une extension : le concept d'enveloppe familiale, je cite : «l'enveloppe psychique
individuelle est nécessairement incluse dans une enveloppe familiale, elle-même pouvant être
incluse dans une enveloppe groupale plus large. J'entends par enveloppe familiale une
structure groupale commune aux membres d'une famille, qui assure la succession des
générations et leur différenciation, qui permet la complémentarité des rôles parentaux
paternel et maternel, qui garantit la constitution de l'identité de base et de l'identité
sexuée de chacun des enfants, qui enfin contient dans une même filiation tous les membres
de la famille et leur fait partager un même sentiment d'appartenance.»
Institution/Soins/Cadre thérapeutique
Nous devons à José BLEGER. (psychanalyste argentin qui a travaillé sur les groupes) les 1er
travaux théoriques sur le cadre qu'il différencie, dans la situation psychanalytique, du
processus : le cadre apporte les constantes grâce auxquelles l'évolution d'un processus peut
être déclenchée, contrôlée et achevée.
BLEGER a donné plusieurs séries d'équivalence du cadre psychanalytique dont l'une est
l'institution : un cadre fournissant une relation si bien structurée au long cours ne peut être
qu'une institution, dit-il.
Il faut remarquer que dans l'histoire de Patrick nous retrouvons dans ce domaine de
l'institutionnel la même dualité qu'en ce qui concerne la famille. En effet, l'institution c'est :
le foyer Sonacotra dans lequel il se retrouve après son divorce, qui présente certes un
cadre institutionnel mais non protecteur réactivant probablement les vécus
archaïques de l'enfance, vécus que nous avons repérés comme constitutifs de la
pellicule.
mais l'institution c'est aussi l'hôpital qui lui fournit protection, mise en dépôt/accueil
de ses besoins somatiques et relationnels.
à la jonction entre les 2, faisant lien, les infirmières du CMP porteuses à la fois du
cadre institutionnel hospitalier soignant mais aussi se déplaçant au foyer Sonacotra.
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Voici ce que Houzel écrit à propos de l'institution, je cite :
«pour avoir une fonction thérapeutique, l'institution doit tisser au fil de son histoire une
enveloppe, comparable à l'enveloppe familiale et douée des propriétés suivantes :
1. l'étanchéité : ce qui se passe, ce qui se dit, ce qui se vit dans l'institution, gardé à
l'intérieur et qui ne doit jamais diffuser au dehors
2. la perméabilité, pas incompatible avec l'étanchéité mais qui doit régir les échanges
entre l'institution et l'extérieur
3. la consistance : capacité à résister aux pressions extérieures et intérieures de sorte
que l'institution ne soit ni désintégrée sous leurs effets, ni malléable à l'envi
4. l'élasticité : capacité à se déformer sans se rompre sous l'effet de pressions internes
ou externes. C'est de cette élasticité que dépend la capacité de l'institution à
accueillir et à contenir la souffrance psychique des patients et de leur famille »
Ainsi l'expérience institutionnelle de Patrick réifie les expériences familiales mais par les
implications du CMP à la fois dans l'hôpital et à l'extérieur il semble que s'amorce ce 3ème
feuillet, l'habitat, dont la fonction, nous enseigne HOUZEL, est de régir les liens complexes
entre réalité psychiques et réalité extérieure.
Famille d'accueil thérapeutique
L'indication d'Accueil Familial Thérapeutique implique, dans le fonctionnement qui est celui
choisi à l'hôpital d'Annecy, un certain nombre d'échanges obligés et de réflexions communes
entre de multiples intervenants : les équipes de soins hospitalières et de soins ambulatoires
mais aussi l'équipe d'AFT et la famille d'accueil elle-même.
Nous espérons vous avoir rendu sensibles les échanges subtils fait autant de proximité que
de différences qui ont pu s'instaurer entre Patrick et cette famille. Nous espérons tout
autant vous avoir fait percevoir que, par une alchimie aussi heureuse qu'inattendue dont les
institutions ont parfois le secret, les relations entre les différents partenaires
institutionnels ne se sont pas, pour une fois, établies sur le mode la rivalité, de
l'appropriation mais sur celui du respect réciproque, de la complémentarité et de l'échange
véritable. Ce faisant, l'AFT contribue au renforcement de ce 3ème feuillet régulateur entre
réalité psychique et monde extérieur et procure un nouvel enveloppement, variante de
l'enveloppement institutionnel : l'enveloppe élargie.
Encore Houzel : «c'est ce travail d'élaboration en commun que j'appelle enveloppe élargie.
Tout se passe, alors, comme si la souffrance familiale et les turbulences qui en sont l'origine
se trouvaient contenues dans une néo-enveloppe constituée par ceux qui sont chargés d'aider
la famille à un titre ou à un autre, et qui font ensemble ce travail d'élaboration».
Conclusion
Nous avons tenté de vous montrer comment cette séquence prolongée de prise en charge de
ce patient a permis la restauration de la capacité à établir des relations et à faire des
projets, à partir des expériences chaotiques de la vie et à travers les différentes modalités
de soins intriquées qui lui ont été proposées.
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La théorisation, dans l'après-coup, en termes d'enveloppes psychiques, des différents
emboîtements que nous avons pu repérer, nous semble particulièrement féconde tant dans la
compréhension de l'histoire clinique de Patrick que dans l'exigence d'analyse de notre
fonctionnement à laquelle nous sommes tenus.
Toujours Houzel : «Le tissage de l'enveloppe institutionnelle est la condition, pour que des
processus thérapeutiques puissent y prendre place. Ces processus échappent à la maîtrise
des soignants, et il faut qu'il en soit ainsi. La tache des soignants n'est pas de les diriger
mais de créer les conditions qui les rendent possible et qui les favorisent en tissant cette
enveloppe et en la retissant au fur et à mesure que l'expérience acquise l'exige».
Entre les lambeaux famille d'accueil de l'enfance et celle de l'âge mûr, foyer Sonacotra et
hôpital, soins ambulatoires et équipe d'AFT, puissent les liens ténus établis fonctionner, pour
Patrick, comme le beau et enveloppant patchwork de sa vie.
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