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6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
L. COLLARD. A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
Lionel COLLARD
Psychologue clinicien, Centre hospitalier de Colson à la Martinique
AXE n°2 : DU COTE DES EQUIPES
A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique
1. Historique de la structure
En Martinique, il n'est pas rare de voir des « familles dites sauvages », qui sont des familles
sans formation qui hébergent des patients en prenant leurs pensions pour se rémunérer.
Familles largement utilisées par les travailleurs sociaux des services de psychiatrie qui
placent de façon régulière des patients psychotiques stabilisés au sein de ces familles pour
libérer des lits d'hospitalisation. Ces patients font alors l'objet d'un suivi psychiatrique
classique, consultation au CMP pour renouvellement de traitement et profitent de temps à
autre de visites à domicile des infirmiers de secteur.
Cette pratique est non instituée et laissée à l'appréciation de chacun.
Face à ces pratiques contestables et face à l'absence de structures alternatives à
l'hospitalisation, propre à la Martinique, le directeur de l'hôpital impulse la mise en place
officielle de familles d'accueils. 1999 est l'année de la première budgétisation de 17 places
d'AFT.
Certaines équipes soignantes se mobilisent et deux secteurs sur 6 mettront en place, à partir
de leur propre CMP, une équipe pour gérer les placements en familles d'accueil, il s'agit là, du
secteur Nord Caraïbe et du secteur Sud Caraïbe.
Nous assistons, là, aux prémices de la future fédération des accueils familiaux thérapeutique.
Un secteur, celui du Nord Caraïbe, s'investit particulièrement et prend conscience très vite
des limites auxquelles il est confronté en pointant les différences de conception et de
fonctionnement entre les différents services psychiatriques.
L'unité s'impose et le directeur de l'établissement souhaite alors voir se créer une
fédération pour éviter certains écueils et avoir une logique de fonctionnement dans l'intérêt
des patients des équipes et des familles. 13 places supplémentaires seront budgétées pour
l'année 2000.
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Un groupe de travail composé de : deux médecins, une assistante sociale, une psychologue et
une infirmière, travaillera pendant 6 mois à l'élaboration de ce qui sera la fédération des
accueils familiaux thérapeutique dans laquelle je travaille aujourd'hui comme psychologue
depuis maintenant un an et demi.
La fédération couvre donc tous les secteurs de psychiatrie adulte de la Martinique. C'est une
unité fonctionnelle intersectorielle qui fonctionne avec ses propres règles et sa propre
autonomie.
Elle est composée, aujourd'hui, de 4 infirmiers temps plein, d'une assistante sociale temps
plein, d'un psychologue temps plein et de deux médecins qui effectuent un quart temps
chacun.
En 2001 la direction nous a accordé 15 places supplémentaires.
Aujourd'hui, nous disposons de 42 familles d'accueils avec 40 accueillis placés.
2. Organisation et fonctionnement de la fédération
L'organisation et le fonctionnement de la fédération sont détaillés dans le règlement
intérieur élaboré par un groupe de travail médico-administratif qui est remis à chaque famille
d'accueil.
L'équipe est unique et autonome, elle sélectionne, recrute les familles d'accueils, les
accompagne pendant toute la durée de l'accueil. L'équipe émet aussi un avis dans l'adéquation
des patients proposés pour un placement en famille d'accueil. Elle se charge de réfléchir à la
famille qui semble le mieux convenir à l'accueilli. Ce travail se réalise dans le cadre d'une
commission intersectorielle. Cette commission réunit un représentant de chaque secteur,
l'équipe de la fédération ainsi que le représentant de l'administration chargé de la gestion
administrative des familles.
L'équipe organise aussi le lien avec les équipes de secteurs qui continuent a suivre, sur un plan
psychiatrique et social, les patients placés en famille d'accueil. Ces moments sont très riches
car ils permettent d'évaluer ensemble le placement, son intérêt thérapeutique, mais aussi de
réévaluer les projets de soins des patients placés. Les réunions avec chaque secteur
psychiatrique se tiennent deux fois par an (il y a 6 secteurs donc 12 réunions par an).
Toutes les décisions sont prises de façon collégiale autour de temps impartis en commissions
mensuelles intersectorielles d'étude de candidature patient, de réunions de liaison avec les
secteurs psychiatriques et enfin lors des synthèses hebdomadaires de l'équipe d'AFT
coordonnées par les médecins de la fédération.
La fédération fonctionne en système avec une équipe autonome totalement dégagée des
secteurs hospitaliers, formée à l'accueil familial thérapeutique (par l'IFREP), elles sont en
lien étroit avec les familles qui ont, elles aussi reçu, une formation initiale et continue à
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l'accueil familial thérapeutique (par l'IFREP) assortie d'une formation de base sur les
grandes lignes de la maladie mentale et les traitements associés. Ce travail fait l'objet de
retours fréquents aux secteurs d'origines comme nous l'avons vu précédemment.
Le système de réfèrent est mis en place, en effet, deux infirmiers identifiés se chargent des
familles d'accueils du Nord de la Martinique exclusivement et les deux autres prennent en
chargent les familles du sud.
La fédération dispose de locaux se situant à l'intérieur même du centre hospitalier mais
décentrés des pavillons d'hospitalisation, ainsi que de deux véhicules.
A noter que les patients une fois placés en famille d'accueil sont toujours considérés comme
hospitalisés, ils payent un for fait hospitalier, remboursé par leur mutuelle, mais gardent
l'intégralité de leur AAH favorisant ainsi la réalisation des projets.
3. La thérapeutique en question dans les modes d'interventions
Comme nous l'avons vu précédemment, la même équipe se charge de l'agrément, du
recrutement, de la mise en place de l'accueil, de son accompagnement et de son contrôle. Il
s'agit-la d'un seul groupe organisé et structuré de personnes unies dans une tâche commune,
c'est à dire une équipe identifiée, gestionnaire des dispositions à prendre et à assurer tout au
long de l'accueil.
Cependant, il revient à l'équipe de secteur d'origine, d'organiser les soins et le suivi des
patients placés en famille d'accueil.
Il n'est pas rare d'être confronté ici à un amalgame de la part des équipes soignantes pensant
bien souvent que comme la fédération est constituée d'une équipe pluridisciplinaire, nous
allons donc assurer le suivi psychiatrique des patients placés en famille d'accueil. Il revient à
l'équipe de la fédération de travailler plus précisément sur le lien entre accueillants et
accueillis. Comment cela se passe t'il pour la famille d'accueil ? Comment l'accueilli s'adapte
t'il à son nouveau lieu de vie, et à la famille d'accueil ? Comment se passe la relation entre
accueillant et accueilli ? Est-ce que les conditions d'accueil sont bien respectées ?
C'est par le biais de rencontres entre professionnels et famille d'accueil que s'évaluera le
dispositif. Bien souvent dans le cadre de visites à domicile programmées. Il est cependant des
situations où le cadre devient ponctuellement défaillant, la vigilance des soignants se renforce
alors et les visites deviennent plus fréquentes, nous assistons alors soit à un accroissement du
suivi soit à un contrôle exercé de façon délibérée notamment par le biais de visites à domicile
non programmées. La frontière devient dans ce cas très discutable. Il est important de
pouvoir trouver un espace pour penser cette frontière. A quel moment peut-on prétendre que
le cadre est défaillant ? Et comment y intervenir ?
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Le suivi et le contrôle se passent finalement à plusieurs niveaux, lors des visites à domicile
rapprochées quand il s'agit d'un nouveau placement, lors des visites mensuelles pour les
patients plus anciens, au téléphone, et lors des groupes de parole des familles d'accueils qui
ont lieu une fois par mois. Suivi et contrôle forme la un tout, un ensemble qui s'inscrit dans ce
que nous appelons accompagnement.
D'autres niveaux d'interventions existent, ce sont les consultations avec le médecin de
secteur où la famille d'accueil accompagne souvent le patient, cela peut être un moment où la
famille est entendue. Parallèlement à cela, le patient peut être amené à fréquenter les
hôpitaux de jour ou CATTP il est donc important de formaliser ces rencontres afin de donner
sens et cohérence au travail d'accueil familial et de permettre aux patients d'exprimer leurs
vécus. Au-delà de tous les enjeux possibles, elles peuvent aussi avoir pour objectif de faire
sortir les accueillants de leur univers domestique, mais surtout de leur donner l'occasion
d'échanger et de verbaliser leur vécu dans un autre environnement.
Depuis la création de la fédération nous avons été confronté à des situations ou quelques
familles d'accueil ont déjoué le règlement, se mettant dans une situation allant à l'encontre
de leur mission d'accueil, décevant ainsi les infirmiers référents de l'accueil familial
(contamination aux autres familles d'accueil). Ces situations ont permit de faire avancer
l'équipe de la fédération et de réfléchir plus particulièrement au recrutement des familles
d'accueil, aux modalités, mais aussi aux notions de respect, de confiance, de partage et
d'équipe, qui sont travaillées dès la sélection des familles
L'accueil familial constitue donc un service dans lequel des professionnels agissent pour
prendre en charge des histoires de vie singulières et difficiles. Service constitué
d'accueillants et d'intervenants qui, chacun à leur niveau et selon les fonctions qu'ils
assurent, participent aux événements de l'accueil et accompagnent des projets de soin.
Les interventions sont donc mesurées et confiées à deux infirmiers référents dans la durée,
afin qu'une participation émotionnelle au vécu de l'accueil, au côté de l'accueilli et des
accueillants, puisse avoir quelque chance de construire des prises en charge personnalisées et
adaptées. En effet, la pertinence de l'accueil familial repose sur la qualité et l'intensité des
échanges affectifs auxquels accueillants et intervenants doivent répondre.
L'affect est donc une des pierres angulaires mais pas seulement, l'espace transitionnel aussi,
nos interventions doivent favoriser un espace de réflexion, de pensée, d'échange et la
position des intervenants est de favoriser cet espace tiers.
Le but étant de contenir et faire exister un espace entre l'accueilli et la famille d'accueil, qui
permet à chacun de se repérer. C'est le rôle de l'équipe d'accueil familial que de permettre
et de soutenir l'élaboration de significations pour chacun d'autant plus que cette situation
d'accueil familial est totalement artificielle. En effet, le terme de tiers évoque une certaine
neutralité, garantie de l'impartialité car on attend de lui qu'il soit arbitre. C'est là où réside
la difficulté car si l'équipe ne peut se situer sur le même plan que l'accueilli et la famille, elle
n'est pas pour autant complètement en dehors : elle est impliquée et partie prenante de
l'accueil familial.
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Dès lors, sa capacité à faire tiers est intimement liée à ses ressources à faire exister de la
différence entre le dedans et le dehors de l'accueil familial, à en symboliser les limites. C'est
par un travail d'attention aux enjeux relationnels entre famille d'accueil et accueilli, que
s'exprime cette fonction qualifiée de tierce. Cela passe entre autre, par le soutien et
l'étayage du vécu de chacun, en réassurant l'accueilli face à des mouvements affectifs
conflictuels et angoissants qu'il ne parvient pas à élaborer, en reconnaissant les accueillants
dans le travail qu'ils mènent face aux manifestations symptomatiques de reproduction des
relations antérieures.
C'est dans ce sens que nous souhaitons d'une part que nos familles bénéficient chaque années
d'une formation continue et que nous insistons auprès d'elles pour qu'elles participent de
façon régulière aux groupes de parole. La viabilité d'un tel dispositif passe aussi par une
formation soutenue de l'équipe soignante dans son ensemble.
Notre démarche s'inscrit dans ce sens auprès de la direction de l'hôpital, qui n'est pas
toujours très réceptive car trop souvent confrontée à une logique comptable. D'autant que
nous sommes confrontés à des difficultés concernant l'accompagnement des projets des
accueillis. En effet, un des critères que nous retenons pour qu'un patient intègre une famille
d'accueil, est d'avoir un projet. Le projet d'un futur, futur autre que celui de rester en
famille d'accueil. Ce projet est élaboré en amont par les équipes soignantes avec le patient et
sa famille quand elle existe.
Pour la plupart le passage en famille d'accueil est envisagé pour acquérir des choses oubliées
ou perdues, et réapprendre des règles de vie et de civilité. La famille est donc là, sollicitée
pour éduquer le patient, voir, le rééduquer en vue d'une meilleure autonomisation afin de
faciliter sa réinsertion donc la réalisation de son projet. Ce projet a pour but de donner sens
à l'accueil et de l'inscrire comme une étape de vie et non comme une fin, l'accueil familial
devant garder sa dimension de passage entre un temps d'avant et un temps d'après.
Introduire du temps et du changement bouscule la chronicité dans laquelle chacun s'enferme,
la famille d'accueil, parce qu'elle tend vers un apaisement des conflits et un équilibre de sa
vie familiale, l'accueilli parce qu'il a trouvé un espace de répit ou parce qu'il est chronicisé
dans sa pathologie.
Mais voilà, nous sommes là confrontés à des résistances non seulement de la part de la famille
d'accueil qui voit des lors qu'un certain équilibre est atteint, une certaine aisance tant
narcissique que financière ainsi qu'une certaine tranquillité car l'accueilli est intégré et
prends alors des couleurs familiales qui pour certaines familles sont synonyme de réussite ;
mais aussi des résistances de la part de l'accueilli lui même qui peut freiner le processus
d'autonomisation, trouvant là des bénéfices secondaires, ou bien refuser tout simplement de
partir de la famille d'accueil, se trouvant bien dans ce nouveau cadre.
En fait, il semblerait que les projets ne soit pas suffisamment élaborés à partir de l'accueil
familial et de sa dynamique. Pour toutes ces raisons, l'accueil familial est un soin, mais un soin
qui exige un accompagnement capable d'anticiper de tels mouvements relationnels, de les
réguler et de les contenir.
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Conclusion
La fédération des accueils familiaux thérapeutique est une structure récente créée en 2000
et reste en pleine évolution au centre hospitalier de Colson. Nous avons récemment reçu
l'autorisation de la direction de recruter 19 familles supplémentaires amenant ainsi le service
à gérer environ 60 familles d'accueil. Ce surcroît de familles serait accompagné de la création
de deux plein temps infirmiers, d'un secrétariat, et d'un cadre infirmier.
Nous sommes bien entendus tributaires des instances de tutelles et de la direction de
l'établissement en terme de place d'AFT qui répond essentiellement à une logique comptable
(une place en AFT égale a une place en moins en intra hospitalier) et ce, dans un contexte de
réduction des lits d'hospitalisation drastiques et de tensions très fortes sur l'intra
hospitalier liées au manque de personnels soignants.
Il nous faut cependant rester attentif à la qualité du travail qui est déjà engagé et veiller à
une meilleure reconnaissance du travail fourni par les familles d'accueil. Nous avons d'ailleurs
récemment porté un certain nombre de doléances auprès de notre direction pour que les
salaires des familles d'accueils soient revalorisés mais aussi qu'elles puissent avoir la garantie
d'une allocation chômage en cas de perte d'emploi, comme c'est le cas dans certains hôpitaux
de l'hexagone. En effet, comme nous l'avons vu précédemment nous demandons aux familles
d'accueil un travail autre que le simple fait de nourrir et d'héberger les accueillis, nous leur
demandons de sortir, pour certaines, de leur dimension hôtelière dans laquelle il est si facile
de se réfugier.
Ces efforts doivent être accompagnés par une formation continue permanente de nos familles
assortie d'une reconnaissance financière de l'hôpital qui les embauche, ainsi qu'une formation
permanente pour l'ensemble de l'équipe soignante. A défaut nous risquons de cantonner les
familles d'accueils dans un rôle purement nourricier.
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