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6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
M. Bernard, N. Dussart, M. Bibollet. Jeux d’ombre et de lumière en AFT : l’art d’être une famille
Madeleine BERNARD,
Psychiatre, Responsable de l’unité d’AFT d’Annecy
Nadège DUSSART, Madeleine BIBOLLET
Familles d’accueil
AXE n°1 : DU COTE DES FAMILLES
Jeux d’ombre et de lumière en accueil familial :
L’art d’être une famille
Il est un fait avéré depuis longtemps : la famille est le support par excellence des processus
de socialisation, de différenciation, de symbolisation à travers la diversité et la multiplicité
des expériences identificatoires et relationnelles que ses membres rencontrent.
La richesse des échanges qui en découlent, la juxtaposition, parfois la combinaison complexe,
d’espaces et de temps privés et partagés avec un patient sont, en accueil familial, des pivots
sur lesquels le patient s’appuie durant la période de vie qu’il partage avec sa famille d’accueil.
Pour aborder cette question du «pourquoi l’accueil familial produit des effets thérapeutiques
et quelles conditions réunir pour produire cet effet» nous aurions pu tenter d’approfondir les
raisons de nos échecs. Ce n’est pas cette idée qui nous est venue mais celle de réfléchir
ensemble, avec les familles avec lesquelles nous travaillons. C’est le fruit de cette réflexion
commune, faite d’une série «d’allers-retours» entre les réunions en grand groupe familles
d’accueil/équipe d’AFT et les réunions hebdomadaires de notre l’équipe, menées tout au long
de l’année 2002/2003 que nous vous proposons.
1. Deux témoignages
Nadège DUSSART vit en pleine campagne (on peut même peut-être dire montagne !) dans une
grande maison dont elle a assuré la restauration au fil des années. Elle a 3 enfants dont les 2
plus jeunes de 15 et 8 ans vivent avec elle. Elle accueille des patients depuis de nombreuses
années et est actuellement organisée en famille thérapeutique, 5 patients (dont 3 des unités
de soins psychiatriques d’Annecy) vivent avec elle et un co-accueillant.
«Les motivations qui m’ont amenée au choix d’être famille d’accueil sont forcément très
simples.
Je suis tout d’abord éducatrice spécialisée, j’ai travaillé depuis plus de 20 ans dans les
institutions, et j’ai commencé à saturer.
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J’ai appris que l’accueil familial pour adultes existait, je me suis donc lancée dans ce type
d’accueil.
Avantage : travail à domicile, possibilité de travailler à l’extérieur si le besoin s’en ressent,
peu de frais de déplacement, pas de frais de garde d’enfants. On peut trouver des centaines
de raisons logiques.
Puis une autre motivation se met à jour : sortir le patient du système hospitalier où ce dernier
n’est, à mes yeux, considéré que comme un objet et non comme un sujet. (la blouse blanche qui
se dit sensée avoir la connaissance). Le patient, lui, demande la reconnaissance car la
connaissance, il l’a, consciente ou pas.
Questions : mais pourquoi se laisser envahir chez soi et, notamment, laisser une place si
importante à la maladie mentale ? Finalement le travail dans un bureau c’est pas si mal ou bien
laisser la maladie à l’institution, c’est pas mal non plus.
Et non, j’ai choisi de la regarder de près. Finalement chacun son parcours personnel. Le choix
n’est pas anodin.
Je pense que l’accueil a été, et est un échange permanent et fort autant que nécessaire
puisque j’en ai fait le choix. C’est une manière de lever le voile. Le voile s’est levé, quand un
lien s’est fait entre l’accueil et l’histoire familiale.
Au cours de ma recherche d’histoire familiale, j’ai eu la connaissance de l’existence d’un grand
oncle (qu’on appellera Vincent). Il était malade mental et a été dénié dans son état de
souffrance. Cet homme est mort jeune (la cause ?). En voyant les photos de famille, j’ai
toujours posé des questions à son sujet et c’était le silence total sur son état et son décès
précoce. Le frère de cet homme a accueilli chez lui, plus tard, dans des conditions lamentables
(petite pièce à côté d’une porcherie) un handicapé mental en tant que commis à la ferme.
J’allais souvent en vacances, en étant jeune, dans cette ferme et j’allais rendre visite à ce
commis ; on m’en empêchait, je le trouvais malheureux et triste. Il avait un bec de lièvre et, si
je le fréquentais de près, il allait m’arriver la même chose.
Dans l’ordre des choses, mon père a eu, lui aussi, son lot : à 55 ans il est en préretraite
obligatoire, il fait une jolie dépression, ma mère n’a pas supporté, finalement il en est mort.
Quelque part il n’a pas été entendu lui non plus. Quand je remonte dans le temps, je me rends
compte que l’histoire de la maladie mentale, à chaque fois revient sur le tapis.
Oui, je pense que j’effectue une réparation de l’histoire familiale. La mise en place de l’accueil
familial thérapeutique me permet aujourd’hui de mettre à jour le non-dit de la souffrance
mentale. Egoïstement, je pense à moi, mais aussi à mes enfants et à mes petits enfants à
venir. Je pense que chacun s’est débrouillé avec les moyens du bord, avec ce qu’il était.
Vincent on l’a évincé ; le deuxième on l’a accueilli dans des conditions de vie difficiles pour lui
mais il avait une fonction ; le troisième, mon père, je m’en suis occupé mais il est mort trop
tôt.
Et voilà que je transporte chez moi une possibilité de réparation
Finalement «bon troc», non ? »
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Madeleine BIBOLLET vit en milieu semi urbain avec son fils adulte et un autre jeune adulte
dont elle a été l’assistante maternelle pendant de très nombreuses années et qui a choisi de
continuer de vivre à son domicile. Elle accueille depuis un an une patiente des unités de soins
psychiatriques de l’hôpital d’Annecy, patiente psychotique, hospitalisée pendant plusieurs
années, difficile à prendre en charge.
«Mes motivations dans l’accueil familial thérapeutique : travailler pour un salaire, sur et avec
l’humain.
La famille d’accueil par son écoute attentive, son accompagnement de tous les instants et du
seul fait d’accueillir permet au «placé» de faire partie d’une histoire et par là même d’être.
Pour aider la personne à être mieux, je dois distiller à la fois l’amour et l’autorité, laisser une
grande place à l’écoute et au dialogue, fixer des limites qui lui serviront à s’inscrire dans la vie
sociale. Je peux être un guide, accompagné moi-même par des cadres techniques : AFT et
médecins spécialistes. Mais le guide n’est pas toujours clairvoyant et force est de constater
que, selon les situations, il peut perdre le nord. Mon métier est constitué de certitudes, de
repères théoriques mais aussi de beaucoup de tâtonnements. Je dois tenir compte du cœur
et de la raison, en accepter les contradictions dans le respect de nos différences même si
cela n’est pas facile.
La famille d’accueil s’inscrit dans le temps présent, le temps du quotidien. Le passé lui échappe
et le futur est incertain. C’est dans le présent que la famille d’accueil tente de donner ou de
redonner à la personne une mémoire affective de la vie quotidienne, de l’ambiance familiale,
des petites habitudes et des petits riens qui font les évènements de la vie ordinaire.
La mémoire concrète du quotidien se fait de souvenirs qui s’ancrent dans des lieux, des
objets, des photos, des valeurs et des traditions du groupe familial. Le «nous» est important.
L’homme a toujours eu besoin de faire partie d’un groupe, de s’y référer : sa famille, une fois
scolarisé des amis ayant les mêmes affinités et enfin, adulte, au travers de son métier, de ses
loisirs. J’espère que ces mémoires affectives et vécues au fil du temps donneront un «autre
sens» à la trajectoire de l’individu.
Suite à diverses formations, j’ai pris conscience que certaines raisons personnelles motivaient
mes choix de travail en accueil familial.
J’ai été assistante maternelle pour pouvoir m’occuper de mes propres enfants mais ce choix
était finalement motivé par le vécu de mon enfance. J’ai perdu mon père à 7 ans et j’ai été
très vite responsabilisée dans les tâches familiales. Je devais garder mon petit frère de 22
mois lorsque ma mère était occupée aux travaux de la ferme. Il m’était très douloureux de
devoir rester à la maison au lieu d’aller jouer comme mon frère de 5 ans avec les enfants du
village.
Notre ouvrier agricole était un homme blessé par les aléas de la vie qui avait «son monde à
lui». A son décès, le chagrin m’a fait comprendre la place qu’il avait occupée dans ma vie : sans
toutefois remplacer mon père, sa présence devait me rassurer.
Mon mari était curateur de sa sœur malade mentale. Toute la famille élargie l’aimait bien mais
craignait ses réactions et la laissait de côté. «Elle ne peut pas s’intégrer dans la famille»
disaient-ils.
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S’il n’y a aucun plaisir à échanger et à travailler ensemble le climat devient vite insupportable ;
sans une certaine distanciation, l’intimité première qui permet l’intégration risque d’aboutir
rapidement à une situation conflictuelle.
Je pense, aussi, qu’il est nécessaire d’avoir des projets pour la personne accueillie. Elle a
besoin d’être stimulée, encouragée, reconnue dans ce qu’elle est, dans ce qu’elle fait. C’est
avec patience et détermination que je dois fixer les objectifs. La persévérance doit être de
mise sinon on risque l’essoufflement voire le découragement.
Pour moi, l’accompagnement de l’équipe AFT est très important. L’AFT mesure les effets
engendrés par le placement et les écarts par rapport aux objectifs initiaux. L’évaluation est à
situer dans une dynamique de changement, c’est un regard critique sur l’action menée et non
pas sur la famille d’accueil.
L’équipe AFT apporte une distance et en même temps une certaine compréhension de ce qui se
vit au quotidien. Je me sens intégrée, soutenue et reconnue au sein de cette équipe. »
2. Commentaires
Nous reprendrons, pour amorcer la discussion, trois idées contenues dans les témoignages que
vous venez d’entendre, idées qui nous semblent essentielles.
.
A- Le «NOUS».
Madeleine l’évoque explicitement («le nous est important» dit-elle). La famille est un groupe
et c’est en tant que groupe singulier, ayant une histoire singulière qu’elle accueille un
«étranger».
La famille joue un rôle central dans la construction de l’identité. Elle est le premier lieu de
fabrication et de diversification des identifications qui trouveront ultérieurement d’autres
terrains d’épanouissement (école, amis, relations affectives, travail). La famille suscite chez
ses membres un sentiment d’appartenance et chacun dans ce groupe contribue à sa manière à
construire, à entretenir, à renforcer ce sentiment, à infléchir le fonctionnement du groupe
voire à s’en écarter ou au contraire à en consolider la cohésion.
Nous sommes soumis à la fois à «l’obligation implicite», plus ou moins forte, de solidarité
familiale et au besoin de développer son identité personnelle, son espace de libre mouvement,
ses croyances, ses conceptions propres. Dans ce groupe chacun peut avoir une fonction
(Nadège l’évoquait concernant le commis de la ferme de son enfance).
C’est ce jeu groupal subtil qui n’est comparable à aucun autre fonctionnement de groupe, que
la famille d’accueil met à disposition du patient qu’elle reçoit.
B- La transmission/transformation
«Egoïstement je pense à moi, à mes enfants et à mes petits enfants » souligne Nadège
comme si l’accueil familial pouvait représenter une manière de «conjurer le sort» et d’éviter
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la reproduction à l’identique de prototypes relationnels. La famille a une «obligation» de
transmission, c’est en quelque sorte sa raison d’être : transmission d’un patrimoine génétique
certes mais bien au-delà, transmission de valeurs, d’habitudes, de traditions, d’un patrimoine
«culturel», reçu des ascendants et qui doit être «livré» aux descendants.
Pour autant la livraison ne s’effectue pas «brute de décoffrage», elle se doit d’être
«assimilable» par les générations qui suivent, introjectable devrions nous dire. C’est à cette
transformation de «l’héritage» que l’accueil familial thérapeutique participe, le patient comme
la famille y ayant une part active.
C- «Labilité identificatoire, expérience transformationnelle, relation fusionnelle
réversible»
Trois concepts glanés ça et là au décours de nos lectures, qui nous semblent proches les uns
des l’autres et féconds pour le sujet qui nous occupe cette année. Ces différents concepts
évoquent à la fois l’idée de proximité des psychés (identification, fusion) mais aussi l’idée de
mouvement (labilité, transformation, réversibilité).
C’est cette conjonction de proximité et de mobilité qui nous semble juste pour approcher le
jeu relationnel à l’œuvre dans les familles d’accueil. Cette capacité à s’approcher en groupe, à
s’identifier sans se perdre, à la détresse, aux difficultés psychiques de l’autre stigmatisé
comme malade, nécessite une confiance suffisamment forte dans ses propres assises
familiales mais aussi une perception le plus souvent intuitive et confuse de leurs failles.
Les familles qui se risquent à l’accueil familial font, de cet ensemble relationnel complexe, un
creuset de créativité proposé au nouveau groupe familial constitué par les différents
membres de la famille et le patient, nouveau groupe dans lequel chacun a sa partie à jouer y
compris le patient.
Conclusion
Ainsi, nous le voyons, sur la scène familiale se joue une pièce en clair-obscur dont le scénario
prend sa source dans les histoires familiales des protagonistes, se déroule dans un mouvement
incessant d’improvisations, de remaniements, de transformations, qui entraînent les acteurs
dans un jeu incessant d’aller-retour et de transmission de l’un à l’autre.
Et le thérapeutique dans tout cela ? Peut-être est-il tout simplement «de surcroît» comme la
guérison en psychanalyse ?
Le thérapeutique ce n’est pas l’affaire des familles d’accueil, ce n’est ni leur but ni leur
préoccupation. Leur affaire c’est «d’animer» (au sens latin de souffle, vie), créer en quelque
sorte un supplément d’âme pour leur famille.
Le thérapeutique par contre c’est l’affaire des soignants. A eux incombe la mission d’en
repérer les éléments potentiels, d’en garantir sur un plan éthique les conditions et, si
possibles, d’en exprimer collectivement les effets.
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