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6ème Congrès du GREPFA
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Annecy Chambre des Métiers
Jeudi 15 et Vendredi 16 Mai 2003
Des Psychalchimistes notoires, après s’être rendus coupables d’avoir accolé sans leur consentement les deux mots « Famille » et « Thérapeutique », ont prétendu sans aucune honte, avoir découvert que les familles avaient des effets thérapeutiques sur les enfants et les adultes ayant des difficultés psychiques. Ils ont même eu l’affront d’y mettre pour condition : qu’on les laisse confier enfants et adultes aux familles spécialement recrutées à cette fin !
JEUDI 15 MAI 2003
OUVERTURE DU CONGRES
Dr. Madeleine BERNARD, Psychiatre responsable de l’unité d’AFT d’Annecy
ACTUALITE: ICI ET AILLEURS
Mme C. GROLLEAU-VALLET (Directrice des Soins Infirmiers, Ainay le Château)
De la colonie familiale à l’A.F.T. : quelles évolutions ?
Pascal PERROT (SISMLA , Nantes)
Le regroupement des différents A.F.T. de la région en un syndicat inter- hospitalier : quelles conséquences ?
Gianfranco ALUFFI (Psychologue, Turin) :
Placement familial et soins en Italie
Marc GODEMONT (Psychologue, Belgique) :
Evolution des familles d’accueil en Belgique
VENDREDI 16 MAI 2003
LES LEVIERS THERAPEUTIQUES
ATELIER N° 1 : DU COTE DES FAMILLES
Dr Madeleine BERNARD, Nadège DUSSART, Madeleine BIBOLLET et coll. (Annecy) : Jeux d’ombre et de lumière en A.F.T. : l’art d’être une famille.
Dr Patrick GALISSON et coll. (C.H. LES MURETS) : Un accueil familial social
thérapeutique ?
Sandrine LOEB (Lagny) : Fatima dans l’épreuve du transfert
ATELIER N°2 : DU COTE DES EQUIPES
Lionel COLLARD (Martinique) : A la recherche des limites et de l’anti-thérapeutique.
Dr Marie REVEILLAUD (La Roche/Yon) : L’Accueil séquentiel comme base de restauration des relations parents-enfants.
ATELIER N° 3 : DU COTE DES PATIENTS
Yvan FOSSE (Abbeville) : Faut-il préserver le lien parent/enfant ? Pourquoi cette question !
Dr Patrick LANGRAND (Lyon) : L’espace de l’enfant en A.F.T. Enfant
ATELIER N° 4 : STATUT DES FAMILLES D’ACCUEIL
Jacqueline DUMONTET (Oullins) : Entre indifférence et attachement
Marie-Danièle FLIPO et Didier DEHEM (Bailleul) : L’accueillant(e) familial(e) partie intégrante du soin.
DE SOURCE SÛRE !
Anne ALMOSNINO, (Psychologue, MGEN)
Les groupes multifamiliaux
Isabelle LEBLIC (Ethnologue, Paris)
D’une famille à l’autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
Alain BLANCHET (Psychologue, Paris)
Les processus thérapeutiques.
Dr Daniel GORANS (Nantes)
Les dernières folies du Dr Famille
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
A. Almosnino. La thérapie multifamiliale (TMF)
Anne ALMOSNINO
Psychologue clinicienne, psychothérapeute familiale
Centre de Santé Mentale MGEN, Centre de thérapie familiale MONCEAU
La thérapie multifamiliale (TMF)
La thérapie multifamiliale (TMF) est une méthode thérapeutique spécifique regroupant
plusieurs familles ensemble dont un ou plusieurs membres présentent des symptômes tels que
ceux des schizophrénies, des conduites toxicomaniaques, des troubles de la conduite
alimentaire, des violences domestiques ou encore des dysfonctionnements graves.
La TMF se réfère le plus souvent aux concepts fondamentaux de la théorie écosystémique.
Cependant, dans le champ des pratiques cliniques multifamiliales, nous observons des concepts
et des méthodes inspirés d'autres courants majeurs de la psychiatrie (modèle
psychanalytique, modèle cognitivo-comportemental, modèle structural, modèle stratégique,
modèle transgénérationnnel, contextuels, modèles issus de la dynamique des groupes). La
particularité de la TMF est la rencontre d'un système familial avec d'autres systèmes
familiaux en présence de thérapeutes.
L'utilité de la TMF est désormais attestée par maintes expériences cliniques comparées à
l'absence de thérapie familiale ou de thérapie familiale individuelle, et par de nombreuses
publications scientifiques. (Salem et al., 1985 ; S, 2000)
La TMF a inspiré d'autres contextes : sanitaire, social, éducatif et associatif. Différentes
approches se sont développées : la Thérapie MultiFamille (TMF), le Groupe Mutifamilial
(GMF), la Consultation MultiFamiliale (CMF), les Entretiens Multifamiliaux, la Thérapie Sociale
MultiFamiliale (TSM) etc.
La présentation qui suit n'est pas exhaustive de l'ensemble des pratiques expérimentées ou
actuelles.
1. Historique et modèles théoriques
La thérapie multifamiliale est née dans des unités de soins fréquentées presque
exclusivement par des patients schizophréniques. Comme les premiers psychotropes, son
efficacité a été remarquée grâce à un concours accidentel de circonstance. Le clinicien Péter
Laqueur a été un des pionniers de cette approche. En 1951, à l'occasion d'une recherche sur le
coma insulinique à l'hôpital d'Etat Greedmoor du Queens à New York (Laqueur et Laburt,
1964), il a commencé à constituer un groupe de 17 patients schizophrènes en cure d'insuline
et de leurs familles. Il décrivait ceci : « d'un côté, les familles se fâchaient lorsque le
médecin ne parlait qu'aux patients, trouvant qu'il les privait de la compréhension de leur
famille ; les patients se fâchaient à leur tour lorsqu'il parlait avec les familles qui leur
semblaient alors complices de l'autorité établie ». Laqueur a donc décidé de les réunir tous
pour leur expliquer le déroulement du traitement Le travail s 'est développé pour aboutir à
des rencontres hebdomadaires avec le thérapeute tentant de faire apparaître les émotions,
de montrer les alliances intra-familiales, de souligner les dénominateurs communs entre les
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A. Almosnino. La thérapie multifamiliale (TMF)
diverses expériences familiales. L'efficacité de ces rencontres se fonde selon Laqueur
(1979), sur un processus « d'apprentissage par analogie ». Simultanément, Detre et ses
collègues de Yale ont constitué un GMF pour résoudre un conflit entre patients
psychiatriques, leurs familles et travailleurs sociaux (Detre, Sayer, Norton et Lewis, 1961).
Ils ont tous deux été surpris par les résultats positifs quant à l'évolution symptomatologique
des patients, mais aussi l'évolution des familles. Leurs observations n'étaient guère
conceptualisées au début et sans lien avec les théories systémiques sur la schizophrénie
développées par Jackson, Ackerman, Bowen, Bateson, Wynne, Lidz, Haley.
Plus tard dans les années 1955, au Family Center de Georgetown (Washington DC), Murray
Bowen (1978), systémicien, et son équipe instaurent des thérapies multifamiliales et
multiconjugales de caractère pédagogique, appliquées parallèlement à une thérapie de famille
classique.
Plus près de nous, en 1976, à l'Université de Temple à Philadelphie, James Framo (1979),
s'inscrivant dans le courant intergénérationnel, crée la thérapie multiconjugale centrée sur
les familles d'origine. Il n'hésite pas à recevoir plusieurs couples ensemble et les membres de
leurs familles d'origine. En 1982, à Boston, Norman Paul spécialiste de l'approche systémique
du deuil et de la psychose avait mis au point, avec l'aide d'un prêtre, des séances
multifamiliales pour héroïnomanes qui se déroulaient dans une église, devant un cercueil vide
destiné à recevoir la dépouille du toxicomane " promis à une mort prochaine ".
Parallèlement, dans les années 60 le modèle psycho-éducadif prend de l'ampleur dans les pays
anglo-saxons et en Europe. En 1962, à Londres, Brown développe l'approche de la Prise en
charge Familiale Comportementale (PFC). Dans un premier temps, cette pratique s'adresse
aux familles dont un des membres est schizophrène, puis s'étend à d'autres pathologies
comme les troubles de l'humeur, les Troubles de la Conduite Alimentaire. Ces groupes
familiaux ont pour objectif de faire diminuer le niveau d'Emotion Exprimée des familles, de
modifier les habitudes de communication intrafamililale, de mettre en place de nouvelles
stratégies d'adaptation et de résolution de problème.
Repris par les recherches de Vaughn et Leff (1976), l'idée de diminuer le niveau d'Emotion
Exprimée au sein des famille pour éviter les rechutes et les hospitalisations des patients
schizophrènes va s'étendre à de nombreux protocoles de ce type.
En 1980, sous l'influence des approches psychoéducatives, apparaissent des groupes
multifamiliaux comme ceux de lan Falloon (1985), Robert Paul Liberman au Québec (1985) et
William R. McFarlane à l'Institut Psychiatrique de l'Etat de New York (McFarlane et al., 1995
; McFarlane, 2002). Aujourd'hui, en France, et dans les pays francophone ces pratiques se
sont considérablement développées.
Jorge Garcia Badaracco, dans les années 1985, à l'hôpital public de Buenos Aires, met en
place des groupes multifamiliaux et conceptualise la psychanalyse multifamiliale.
À la fin des années 1970 en France, dans l'élan de la psychothérapie institutionnelle,
Woodbury tente de mettre en place des TMF dans les institutions de soins du XIIIème
Arrondissement de Paris et Claude Leroy à l'Institut Marcel Rivière.
Jean-Claude Benoit au C.H.S de Villejuif, en 1980 expérimente un groupe de rencontre
multifamiliale dans un pavillon de malades mentaux chroniques qu'il définit comme des
entretiens collectifs familio-systémiques. Il observe que ces rencontres permettent de
faciliter un processus de déchronicisation, chacun des sous-systèmes concernés, familles,
malades, personnels soignants acquièrant plus d'autonomie réciproque (Benoit et al., 1980).
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A. Almosnino. La thérapie multifamiliale (TMF)
2. Le cadre et les techniques thérapeutiques
Les cadres et techniques thérapeutiques des TMF sont divers selon les contextes (sanitaire,
social, associatif) et les modèles théoriques sous-jacents ces pratiques dans lesquels ils
s'exercent. Quel que soit le champ dans lequel s'inscrivent les groupes multifamiliaux, nous
retrouvons souvent les mêmes cadres structurel et fonctionnel, mais les objectifs sont
différents. Ils durent environ 2 heures, au rythme d'une séance tous les quinze jours. Ils
sont constitués de 4 à 5 familles en moyenne, et animés par deux thérapeutes en général.
Dans le champ hospitalier se développent depuis quelques années en France, des groupes
multifamiliaux psychoéducationnels. Les visées de ces protocoles d'intervention inspirées par
des techniques cognitivo-comportementales, destinés aux proches des sujets schizophrènes
essentiellement, sont les suivantes : une volonté d'écoute et de soutien, un objectif
pédagogique d'information sur la maladie, un apprentissage systématique d'habiletés visant à
l'obtention d'une meilleure communication intra-familiale et d'une résolution plus efficace de
problèmes quotidiens. Nous renvoyons le lecteur au chapitre de ce livre : « l'approche
psychoéducative de la famille » de Olivier Chambon, Guy M. Deleu et Michel Marie-Cardine.
Depuis les années 1990, à la clinique des Maladies Mentales et de l'Encéphale (CMME) du
Centre Hospitalier Sainte Anne, existent des groupes de familles de sujets adultes
présentant un trouble du comportement alimentaire. Deux types de groupe sont proposés : un
groupe fermé de cinq séances d'informations à visée psychoéducative, suivi de groupes
ouverts d'expression centrés sur les interactions émotionnelles entre la famille et leurs
proches. Ce dernier groupe s'inspire des techniques de résolution de problème et d'aide à la
communication, associées à une approche analytique dans l'étude de la relation parents-
enfants (Criquillion-Doublet et al., 2002).
Dans le champ de la réhabilitation psychosociale, en 1996, Marc Habib en collaboration avec
Anne Almosnino crée un groupe multifamilial pour les hôpitaux de jour parisiens de la Mutuelle
Générale de l'Education Nationale (MGEN). Ce groupe s'inscrit dans la tradition des modèles
écosystémiques (contextuel, structural, constructiviste, transgénérationnel). Ces praticiens
mentionnent que l'objectif de ce type de groupe est de permettre aux familles et aux
patients d'installer un espace de réflexion et de parole afin de trouver une orientation, une
direction face aux solutions (sanitaires et sociales) proposées. Au travers de l'écoute des
témoignages respectifs des familles, dans une dynamique de réflexivité, les familles peuvent
donner un sens à la crise qu'elles traversent et réamorcer un processus temporel permettant
d'entrevoir un projet. Ces groupes multifamiliaux proposent l'idée qu'il est nécessaire de
passer d'une dynamique de soutien à une dynamique thérapeutique pour qu'une famille puisse
bénéficier d'un changement singulier. Le rôle du groupe multifamilial (via le thérapeute) n'est
donc pas celui du seul pourvoyeur d'informations, mais celui qui active la circulation de
l'information pour que les familles puissent trouver ou retrouver elles-mêmes leurs propres
compétences pour résoudre les problèmes qu'elles se posent.
Les thérapeutes activent en séance les processus de métacommunication au travers des
questions circulaires, invitant les participants à exprimer leurs émotions, leurs constructions.
L'application du principe d'interaction circulaire entre les thérapeutes et les différents
membres du groupe donne d'emblée une dimension thérapeutique que les techniques linéaires
de cause à effet ne peuvent jamais permettre, plaçant le patient dans une position active
(Almosnino et al., 1999).
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A. Almosnino. La thérapie multifamiliale (TMF)
En 1999, au Centre de Thérapie Familiale Monceau à Paris, Denis Vallée et Anne Almosnino
créent une consultation multifamiliale écosystémique. Celle-ci regroupe des familles
incomplètes, éclatées, dispersées, des parents esseulés par leurs enfants en errance
pathologique, des pères ou des mères seuls, des familles recomposées, des frères et des
sœurs, tous proches de personnes présentant de graves troubles psychologiques,
psychiatriques et relationnels. Ils observent que ces consultations sont des espaces de
réflexion pour tenter de réamorcer les propres ressources et compétences de chacun. Dans
une dynamique conversationnelle, la CMF permet de penser à plusieurs et d'expérimenter
d'autres patterns communicationnels interpersonnels, à travers les expériences émotionnelles
partagées. L'originalité de leur approche s'appuie sur le fait que chaque séance est constituée
d'un groupe plus ou moins différent dans sa composition et sa problématique.
Aussi, la CMF peut être unique, et les thérapeutes doivent s'appuyer sur le potentiel de la
situation pour le faire jouer en la faveur de chaque participant.
Dans le champ de l'institution scolaire, nous pouvons citer l'expérience de la Thérapie Sociale
Multifamiliale (TSM), élaborée par Mohammed El Farricha (2001), psychologue, systémicien, à
Villeurbanne. En collaboration avec des co-thérapeutes, une orthophoniste et une assistante
sociale dans le cadre du CMP, ils organisent des rencontres entre des familles et leurs
enfants ayant des difficultés scolaires ou troubles du comportement. Ils observent que la
TSM associe et croise deux dimensions complémentaires : psychologique et sociale, intra-
psychique et interpersonnelle, famille et réseau social. Ils notent que la TSM permet par le
jeu des réorganisations psychologiques et relationnelles, l'utilisation des auto-solutions
familiales aux problèmes scolaires.
3. Les thèmes récurrents
Dans les approches psychoéducationnelles, le thème est imposé par les thérapeutes. Pour les
autres approches, la dimension conversationnelle de la dynamique des groupes fait émerger
divers thèmes.
Les questions sur l'étiologie de la maladie et les constructions fantasmatiques ou culturelles
qui l'accompagnent sont souvent au premier plan de ces rencontres. Les familles, les patients
expriment, décrivent les symptômes, les circonstances d'apparition, les conséquences
relationnelles, et s'informent des conduites à tenir.
Souvent les familles expriment leurs difficultés à comprendre la diversité des offres de soins
en santé mentale qui est à la fois une diversité des pratiques, des statuts des intervenants,
des approches théoriques sous tendant la clinique.
Un thème fréquent est le sentiment douloureux d'une culpabilisation des parents par le
personnel soignant quant à la maladie de leur enfant. Les traitements médicamenteux et
psychothérapiques sont souvent évoqués. Ce sujet est l'objet de représentations
fantasmatiques très fortes et ancrées dans des croyances familiales très prégnantes. Dans le
contexte de la TMF se révèle très rapidement que dans le rapport aux soins se jouent des
conflits d'un tout autre ordre.
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A. Almosnino. La thérapie multifamiliale (TMF)
4. Spécificité des mécanismes et processus de la TMF
Garcia Badaracco (1999) décrit ces groupes comme une matrice thérapeutique qui se
comporte comme un continent des composants les plus malades et des moments les plus
régressifs des patients. Il observe que dans la relation transférentielle avec le patient
psychotique la relation thérapeutique s'appauvrit. L'intérêt des T.M.F, permet de générer des
climats psychologiques où la vie en communauté, la capacité de penser, la résolution de
conflits, et l'apprentissage réciproque sont facilités par les processus de désidentification
des interdépendances pathogènes.
Marc Habib et Anne Almosnino (1999) observent les différents niveaux du système
thérapeutique des TMF. Le niveau intra-familial est activé au travers de l'expression des
perceptions singulières de chacun des membres d'une même famille quant aux conséquences
personnelles de l'émergence de la maladie de leur proche. L'écoute respective à ce niveau,
fait apparaître l'idée que la maladie de leur proche est une pathologie de la relation. Le niveau
inter familial est révélé par les processus de réflexivité, les mécanismes d'identification
projective, par les phénomènes comparatifs inter familiaux. Les familles se confrontent aux
constructions des autres familles, ouvrant ainsi à des lectures nouvelles des situations
qu'elles rencontrent. Elles échangent leurs expériences, les ressources et compétences
qu'elles ont activées pendant les crises. Ainsi, le partage de leurs similitudes favorise
l'émergence d'une grande cohésion dans le groupe, sortent les familles de leur isolement,
dédramatisent les situations et réinscrivent les souffrances dans une temporalité. Le
contexte de la TMF établit ainsi un compromis en ne permettant pas d'alliances secrètes
puisque tous les interlocuteurs concernés sont présents. Par le jeu des comparaisons inter
familiales émergent les comparaisons intergénérationnelles, révélant lors des recadrages
certains mythes familiaux.
G. Salem (2001) observe quatre leviers d'action identifiables en quatre mots-clefs:
exposition, confrontation, légitimation, apprentissage. Le mot exposition signifie présenter en
ordre un ensemble de faits, impliquant d'exporter la problématique et sa souffrance vers
l'extérieur, de "l'exterritorialité" hors du champ intimiste du Moi. En TMF, l'exposition est
encore plus accentuée, puisque l'espace où elle se produit dépasse complètement le champ
intime du Moi ou de la famille, pour devenir un espace social, sorte d'agora dans laquelle
plusieurs familles sont invitées à exposer leurs dilemmes devant le(s) thérapeute(s) et les
autres familles. La confrontation signifie mettre en présence (des personnes) pour comparer
leurs affirmations. Ce processus en TMF est plus riche, plus dense, plus complexe, du simple
fait de la multiplication des points de vue, permettant la rencontre de différents types de
constellations familiales, avec leurs misères, leurs ressources, leurs différences, leurs
similitudes. La légitimation relève de la dimension éthique des relations humaines, et en
particulier des relations familiales. Ce mécanisme est amplifié par la présence d'un jury
exceptionnel (autres familles et thérapeutes). De ce contexte émergent des effets
rédempteurs et libérateurs pour chaque famille. L'apprentissage relève essentiellement de la
mimésis, autrement dit des mécanismes d'identification et de modeling activés lors de
l'exposition, de la confrontation et de la légitimation. Chaque famille se compare aux autres
familles non seulement dans l'identification des problèmes, mais dans la façon de les résoudre
et d'innover leur style de solutions (problem solving).
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 6
A. Almosnino. La thérapie multifamiliale (TMF)
Conclusion
Gérard Salem (1985) et son équipe de Lausanne ont relevé à partir des différentes études
sur les effets des TMF, que la TMF permet une diminution des rechutes psychotiques, une
amélioration du contact social, un meilleur investissement de l'activité occupationnelle, une
atténuation des altérations cognitives, et une meilleure qualité de vie globale.
Pourtant, remarque Marc Habib, si les différentes approches en TMF véhiculent l'idée de
préserver et d'accroître la cohérence et la qualité des soins des malades, en lien avec leur
environnement familial, leurs développements se révèlent paradoxalement très faibles. M.
Habib énoncent plusieurs hypothèses : travailler en collaboration avec les familles finit par
faire émerger les dysfonctionnements institutionnels ; confronte de façon complexe les
loyautés invisibles du patient à l'égard des valeurs de sa famille et celles de son institution,
et complexifie le travail dans le sens où de plus en plus les familles prennent une place "
d'usagers " bien informés, partenaires actifs du champ de la santé.
La TMF est proposée comme un espace entre le réseau du patient et les équipes de soins. La
TSM est également à la charnière entre l'enfant, son réseau éducatif et familial. Nous
pouvons entrevoir que la difficulté des pratiques de TMF ou de TSM est qu'elle ouvre aux
pratiques de thérapies de réseau et à leurs complexités.
Bibliographie
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proposition de collaboration entre les familles et les institutions de soins psychiatriques.
Synapse, n° spécial, Paris.
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A. Almosnino. La thérapie multifamiliale (TMF)
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de la Société de Recherche sur les Psychothérapies, Chicago.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
Alain BLANCHET1
Directeur de recherche à l’Université Paris 8
L’INTERACTION THERAPEUTIQUE
Résumé2 :
Les principes qui concourent à la bonne fin des psychothérapies sont encore mal connus alors
que les pratiques d’aide et de soutien psychologiques se sont considérablement développées au
cours du 20ème siècle. Cette méconnaissance peut s’expliquer par l’effet croisé de deux
facteurs :
1) les psychothérapies n’ont nul besoin d’accéder à la connaissance des processus
psychologiques qu’elles mettent en œuvre pour être efficaces
2) les modèles psychothérapeutiques postulent tous qu’une instance invisible mais active
explique l’état souffrant des patients.
En deux mots les psychothérapies contribuent par leur technique et leur modèle à obscurcir,
voir à cacher les structures des interactions, entre le thérapeute et le patient, qu’elles
instaurent. Seule une analyse pragmatique de la communication thérapeutique peut révéler ces
structures cachées et bien sûr des recherches sur les patterns temporels de ces interactions
doivent permettre d’étayer empiriquement ces analyses discursives.
Nous rappelons que toute psychothérapie procède de deux mécanismes fondamentaux :
1) la fabrication d’un lien entre le patient et son thérapeute
2) la mise en place de procédés de transmission.
Le lien s’établit par la construction d’une relation interpersonnelle forte fondée sur la
demande et l’espoir du patient auxquels répond l’attitude inattendue et énigmatique du
thérapeute. La transmission s’effectue d’une manière indirecte sur la scène théâtralisée de
l’interaction (cadre de la psychothérapie), par le développement de la conscience réflexive du
patient. Nous développons ainsi les notions de paradoxe thérapeutique, de cadre, de relance,
d’interprétation, d’invisible, de pouvoir et de transmission d’expertise. Nous illustrons ces
notions et ces processus par de nombreux exemples de dialogues enregistrés lors de séances
de psychothérapies d’obédience différentes. Nous plaidons pour que des recherches soit
développées en France par les équipes travaillant actuellement à l’évaluation des
psychothérapies.
1
Psychologue clinicien. Équipe de Recherche en Psychologie Clinique, Université Paris 8 ; 2, rue
de la Liberté 93526, SAINT DENIS Cedex 02
2
Vous trouverez ci-après l’intégralité des transparents projetés par M. Blanchet lors de son
intervention. Il nous signale par ailleurs la publication prochaine (courant 2004) d’un ouvrage
développant cette communication.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
LA PSYCHOTHÉRAPIE EST UN DISPOSITIF D’INFLUENCE
L’évaluation des effets des psychothérapies : un super placebo ?
Un effet expérimental faible (comparaison avec groupes contrôles)
Hans Eysenck dans deux études célèbres en 1952 puis en 1960 établit les résultats
suivants :
1. 2 patients sur 3 que l’on appelle « névrosés », montrent une rémission de leurs
symptômes en deux ans et en l’absence de traitement.
2. On observe une corrélation inverse entre la rémission et la psychothérapie
Un effet clinique important (enquêtes et études de cas) avec une certaine indifférenciation
des types de thérapies. (Lambert et Bergin, 1994)
Ce sont des facteurs indépendants des obédiences qui expliquent les améliorations ou
les détériorations observées. Par exemple l’expression chaleureuse du thérapeute, le type
d’alliance, la capacité autoréflexive du thérapeute, l’espoir de guérir du patient, etc.
Les psychothérapies sont-elles des pratiques sociales anciennes, traditionnelles,
«relookées» à la mode occidentale ou bien sont-elles d’authentiques techniques
modernes fondées sur des principes psychologiques nouveaux et explicitables ? Si
cette dernière proposition est vraie, alors comment peut-on expliquer que les quelques
350 types de psychothérapie recensés dans le monde proposent des théories
psychopathologiques et des modus operandi différents voire contradictoires.
Question complexe a laquelle nous souhaitons donner des éléments de réponse en
décrivant les processus thérapeutiques et en nous referant a des recherches
diverses effectuées dans ce domaine : ethnopsychiatrie, pragmatique de la
communication, études cliniques.
Une psychothérapie est une conversation très spéciale
Il s’agit, en effet, par ce biais de l’échange verbal, d’optimiser certains effets psychologiques
produits spontanément dans des conversations banales.
L’enjeu de ce type de pratique est le changement de l’état mental du patient et
conséquemment de son ajustement au monde.
Les formes de l’interaction sont diverses : shamanisme, guérison, divination, maraboutage,
exorcisme, hypnose, psychothérapies (psychanalytique, émotionnelle, humaniste, corporelle,
cognitivo-comportementale, systémique, etc.)
Les ingrédients du système thérapeutique surdéterminent la chimie de l’interaction, ce sont :
1. L’usage spécifique d’un langage du thérapeute à l’égard de son patient
2. L’instauration d’un lien affectif entre le thérapeute et le patient
3. L’établissement d’une croyance (partagée) à des entités cachées
4. La transmission d’un pouvoir qui modifie les croyances et l’identité du patient
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
L’interaction verbale semble banale, conversationnelle.
En fait, les psychothérapeutes travaillent sur les matériaux discursifs du patient, ils
commentent et indirectement ils mettent en question : ils savent
Patient : j'ai l'impression de de vivre quelque part et en même temps j'ai l'impression que
j'étais mort un certain temps quoi ; vous voyez c'est-à-dire
Clinicien : Mort
Patient : oui oui mort parce que je ne vivais pas ; ça n'était pas moi qui vivait ; je vivais à
travers l'héroïne quoi ; ça n'était pas moi qui m'exprimait quoi.
Clinicien : Vous dites mort ; vous ne dites pas en hibernation
Patient : Non , je ne peux pas dire que j'étais en hibernation parce que quelque part à travers
l'héroïne , j'ai recherché une certaine mort aussi .
Clinicien : Vous croyez
Patient : ben oui , quelque part , c'était je ...
Clinicien : Vous avez pensé ça
Patient : Ben oui c'était quelque part de l'autodestruction quoi ; au départ , c'était ....
Clinicien: Vous pensez ça réellement
Patient : ben oui , franchement , oui , franchement oui ; et puis bon au départ l'héroïne me
permettait un certain bien-être , une certaine façon de m'exprimer.
Clinicien : Alors
Patient : Et à la suite elle me dérangeait quoi
Clinicien : La destruction si
Patient : oui non mais par la suite , par la suite , j'ai trouvé que l'héroïne m'amenait à la
destruction. Je ne la supportais plus ; je la vivais mal en moi , elle me dérangeait quoi hein
mais malheureusement j'avais besoin d'elle pour être .
Clinicien : Pour être
Patient : oui , pour être et en même temps je paraissais.
Le lien
Il s’établit par une représentation interne de l’autre (le thérapeute ou le patient) dont
la valeur positive ou négative peut varier en intensité.
Un lien positif est décrit comme « intérêt, attachement, affiliation, parentalisation,
transfert, idéalisation, etc. »
Un lien négatif est décrit comme « défense, transfert négatif, résistance, passage à
l’acte, etc. »
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
FABRICATION D’UN LIEN
1. La fabrication et la maintenance d’un lieu de croyance, de crédibilité (voire
de foi ou de crédulité).
Ce premier élément est d’ordre anthropologique et social. Il est déterminant. Il définit
le statut social particulier du psychothérapeute ainsi que l’ordre de crédibilité des
modèles qu’il utilise.
Souvent, l’usager perçoit le thérapeute comme susceptible de voir et penser ce que lui
même (patient) ne peut ni voir ni penser.
Le thérapeute est donc affecté de dons surnaturels dans certaines cultures
(divination, relation avec les ancêtres, etc.) ou de savoirs énigmatiques (en particulier
savoirs sur les autres et sur eux-mêmes) dans des cultures plus proches.
2. La construction d’une relation interpersonnelle forte, fondée sur la
demande et l’espoir du patient.
Cette relation particulière au thérapeute s’instaure avec un phénomène que l’on a
appelé « Alliance » ou encore « Transfert » selon le modèle thérapeutique choisi.
Une partie de la capacité à se penser soi-même est ainsi dérivée sur la personne du
thérapeute. Aux yeux du patient, ces pouvoirs confèrent au thérapeute un statut
idéalisé qui instaure un lieu d’affiliation.
L’invisible
Les psychothérapies, traditionnelles et occidentales partagent le même modèle
psychopathologique.
La souffrance psychique du sujet est la conséquence d’une conscience diminuée.
Cette état est attribué à la présence d’un invisible qui hante le sujet.
Cet invisible réduit à néant les efforts que ce dernier fait pour lutter contre ses
symptômes
La plupart des modèles thérapeutiques supposent tous que le « mal être » des patients peut
être expliqué par la présence sournoise d’un « invisible ».
Cet invisible commande « momentanément ou en permanence » une partie des pensées,
sentiments ou comportements du patient.
Cette croyance sera communiquée au patient qui l’intégrera comme étant vraie parce que
cette croyance correspond à son expérience dans la thérapie.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
Il s’agit selon les modèles et les obédiences de :
Djin
Système de communication familiale
Inconscient
Schéma dépressogène
Cuirasse corporelle
Ancêtre
Emotion réprimée
Souvenir enseveli, etc.
La transmission
Elle rend compte d’un effet d’influence et de modification du patient voire du
thérapeute.
Cette transmission s’effectue pour l’essentiel par apprentissage implicite3.
« Il n’y a pas d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la
liberté ». (J.J. Rousseau, l’Emile)
LA PSYCHOTHÉRAPIE POURSUIT UN BUT PARADOXAL
Le paradoxe thérapeutique
Les psychothérapies poursuivent un but paradoxal qui consiste à vouloir modifier la
pensée du patient de sorte qu’il gagne en autonomie.
Ce faisant elles se distinguent des sectes ou des groupes d’affiliation qui au contraire
tendent à maintenir la dépendance du patient au maître, au dogme ou au groupe
restreint.
Nous pourrions résumer ce paradoxe par la formule suivante :
Comment aider quelqu’un à ne plus avoir besoin d’aide ? »
3
Rappelons que l’apprentissage implicite renvoie au fait que le sujet est amené à ne pas établir consciemment de liens
entre l’apprentissage qu’il a subit et le comportement qu’il adopte dans une situation donnée.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 6
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
LES THÉRAPEUTES TRANSMETTENT UN POUVOIR AU PATIENT
Le pouvoir transmis
Pour résoudre ce paradoxe thérapeutique, nul besoin de magie, la recette est connue
depuis la nuit des temps : « Au paysan qui a faim, ne lui donne pas de riz, apprend lui à
planter le riz ! »
Ainsi plutôt que de transmettre un savoir, un conseil, un contenu ou un dogme, le
thérapeute transmet un pouvoir, c’est-à-dire une capacité à penser l’autre et donc à se
penser.
Ce qui est transmis du thérapeute au patient n’est autre qu’une expertise, une façon de
penser un ordre, c’est-à-dire une cohérence susceptible de rendre compte du monde.
L’initiation, la conversion et le soin
Les thérapeutes traditionnels transmettent une fonction cosmogonique : celle de pouvoir
incarner la pensée du groupe, des ancêtres et des esprits. Cette transmission modifie l’être
social, elle conduit à une forme majeure d’initiation.
Les thérapeutes religieux transmettent une capacité d’intégrer le texte religieux : celle de
pouvoir incarner une parole sacré, d’en assurer la crédibilité, de pouvoir la déployer dans
l’univers profane et politique. Elle conduit à une forme majeure de conversion.
Les thérapeutes modernes transmettent une capacité de comprendre le fonctionnement de
l’esprit : celle de rendre cohérent sa pensée avec l’expérience du monde profane. Elle conduit
à une forme majeure d’autoréflexion.
En conclusion
L’interaction thérapeutique a pris des formes qui ont évolué au cours de l’histoire, mais
l’ancrage de la tradition reste prégnant dans les thérapies modernes. Ces thérapies
ont substitué à la figure du sorcier ou du prêtre, la figure avenante d’un scientifique
de l’âme.
Pourtant il reste de large zones d’ombre dans ces techniques et dans les théories
censées les valider. La psychothérapie reste encore un art et non l’application d’une
technique scientifique.
Pourquoi s’en plaindre ? Après tout une activité poétique vaut bien une activité
scientifique. Mais alors, ne nions pas ses composantes initiatiques et d’affiliation
groupale.
Sinon, et c’est ce que nous souhaitons pour que les techniques progressent, pour que
les personnes en bénéficient davantage et pour que la formation ait un statut
universitaire, développons la recherche en France sur les psychothérapies
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C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Chantal GROLLEAU-VALLET
Direction des soins, Centre Hospitalier Spécialisé Ainay le Château
De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Quelles évolutions ?
Des évolutions : Il y en eut quelques-unes. En effet, nous abordons là, pratiquement, un siècle
d’histoire.
Tout d’abord quelques dates :
1892 : Création de la première Colonie familiale à Dun sur Auron.
1992 : Ainay le Château se lance dans la mise en application des textes
sur l’Accueil Familial Thérapeutique.
1900 : Ainay le château, annexe de la Colonie Familiale de Dun, devient
Colonie autonome.
2000 : Le Centre Hospitalier d’Ainay fête son centenaire. Il termine son
premier projet d’établissement et se prépare pour l’accréditation.
De la Colonie Familiale à l’accueil familial thérapeutique, quelles évolutions ?
De la Colonie Familiale, institution ancienne et lourde, il aura fallu passer par la mise en
conformité, c’est à dire, par l’application de la nouvelle réglementation, pour arriver à la
définition d’un accueil familial thérapeutique.
Mon propos s’articulera donc autour de ces trois axes :
La Colonie Familiale : En parler, c’est faire un point d’histoire, situer le contexte,
planter en quelque sorte le décor.
La mise en conformité : C’est raconter l’histoire d’une démarche active, programmée,
inscrite dans un temps donné. Un scénario précis pour que soit respecter la
réglementation.
L’accueil familial thérapeutique : C’est voir, comment on peut jouer la pièce
autrement. Et pour ce faire, redéfinir les places et rôles de chacun des acteurs.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
1. La colonie familiale
C’est en 1892 que le conseil Général de la Seine, soucieux de désengorger les hôpitaux
parisiens, demande au Dr Auguste Marie de créer à Dun sur Auron dans le département du
Cher, la première Colonie Familiale.
Nous ne reviendrons pas sur les débats de l’époque et les polémiques entre médecins
aliénistes, les partisans de «l’open door» s’opposant, à ceux qui pensaient, alors,
que « traitement et liberté » ne sauraient aller ensemble.
Trois raisons furent mises en avant et plaidèrent en faveur du projet :
Raisons humanitaires : les bienfaits de la campagne opposés aux méfaits de la ville et la
possibilité pour le malade d’y retrouver une moralité.
Raisons économiques : le placement dans les familles est un moyen beaucoup plus
économique que le traitement à l’asile
Raisons médicales : le surpeuplement des asiles ne permet pas de soigner efficacement les
malades curables,
Cette idée qui a permis la création des colonies familiales, l’idée de séparation des aigus et
des chroniques, chroniques qui paralysent l’instrument de soin, est d’une actualité
permanente. Pourquoi pas ! à condition que l’on continue de donner aussi des soins aux
chroniques. Différents sans doute, mais toujours des soins.
1892 donc, création de la première colonie familiale en France : Au départ les placements
étaient concentrés sur Dun, mais très vite devant le nombre croissant de transferts venant
de Paris on décida de créer des annexes distantes de 5 à 25 kilomètres. Ainsi Ainay le
Château, dans le département de l’Allier, qui, ouverte en 1898 connut une extension rapide.
En raison de son développement et de son éloignement, elle devient Colonie Familiale
autonome en juin 1900 Le docteur LWOFF nommé médecin-directeur va procéder à la mise
en place d’une colonie pour hommes. Dun sur Auron recevant uniquement des femmes.
On note, cependant l’exception d’un pourcentage infime de patients hommes à Dun,
travailleurs recrutés pour le jardin et les travaux de force et de femmes à Ainay pour la
couture et le repassage.
Les deux institutions s’étendent sur des communes avoisinantes avec cependant à
équidistance, de l’une et de l’autre, une zone neutre, ne recevant aucun patient de l’une ou
l’autre colonie. Comme une espèce de barrière entre les hommes d’Ainay et les femmes de
Dun.
Beaucoup plus sérieusement, il semblerait que ce soit les maires successifs de la commune en
question, tous issus de la même famille, qui aient opposé leur veto, à l’installation des patients,
ainsi qu’il leur en a été fait droit par les différents règlements intérieurs des deux colonies.
On se rappellera qu’à cette époque le seul mode de traitement était l’enfermement.
Confier des malades à des paysans berrichons ou bourbonnais, alors que n’existait aucun
traitement médicamenteux, apparaît comme une idée «osée»
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Même si l’on sait qu’Auguste Marie parlait «de petits mentaux», c’est à dire de personnes
présentant peu ou pas de troubles du comportement.
Même si l’on sait que le premier règlement intérieur de Dun parle de «Colonies Familiales de
vieillards de la Seine».
Les deux colonies familiales ont le statut d’établissement public départemental. La tutelle
appartient au Préfet de la Seine, puis au Préfet de Paris après l’éclatement du département.
Souvent placés dans des fermes, ces malades sont bien accueillis, et fournissent, parfois, une
main d’œuvre bon marché. On parle alors des «pensionnaires». Le travail des «nourrices» se
limite à l’hébergement, leur tâche s’apparente à du «gardiennage», accompagné en cela par
des «surveillants».
La terminologie situe bien la conception du placement, à cette époque.
Mais les colonies familiales ne se sont pas situées en dehors de l’évolution de la société en
générale, ni de celle de la psychiatrie en particulier.
L’avènement des psychotropes, l’apparition des psychothérapies institutionnelles ont amené
des changements :
En terme de prise en charge, bien sûr : Médicaments, Ergothérapie, Clubs de
patients .
Mais également en terme de patients accueillis :
En effet, si les transferts viennent toujours de la région parisienne, les diagnostics sont
différents. Psychotiques, et délirants traités ont remplacé les arriérations mentales, et ces
débilités qui se sont souvent révélées, dans le contexte d’Ainay, être des psychoses
infantiles.
Mais ce qu’on retrouve pour ces malades, comme pour ceux qui les ont précédés, c’est
l’absence de projets réels, et l’échec des institutions qui les adressent.
Dans les années 1970, on note encore à Ainay une capacité d’accueil de 1200 places,
disséminées dans un rayon de 20 kilomètres. Chaque famille peut encore accueillir 4
malades.
En 1973, devenu depuis Centre Psychothérapeutique interdépartemental, Ainay se voit
confié la responsabilité d’un tout petit secteur de l’Allier, 20 000 adultes. C’est également
le début de la mixité dans l’établissement, tant au niveau patients qu’au niveau des personnels.
L’intégration au dispositif sectoriel est apparue nécessaire et obligatoire pour la survie de
l’établissement. Avec en même temps la conscience implicite que la doctrine du secteur,
s’opposait à la formule du placement familial,
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
En effet, s’agissant de soigner le patient dans son milieu d’origine ou à défaut dans des lieux
proches :
La contradiction, secteur / placement familial, pour des malades de la région parisienne,
est manifeste.
A Dun, comme à Ainay ces ex-colonies familiales, le placement et sa valeur thérapeutique,
est au cœur des débats et des polémiques.
Opposé de façon antinomique au secteur, il divise les fermement «pour» et les
farouchement «contre».
Il fait réfléchir ceux, qui moins manichéens, le pensent en termes :
d’indications thérapeutiques précises,
de suivi,
d’encadrement suffisant,
d’évaluation permanente,
Bref, en terme d’un système à revoir.
L’expérience du placement familial à grande échelle, telle que réalisée à Dun et Ainay est
demeurée unique en France.
Il faudra attendre les années 1970 /1980 pour voir ressurgir un nouvel intérêt pour le
placement familial.
En 1985, selon des études réalisées alors, 28 structures en France, l’organisent. En
opposition aux «colonies familiales» toujours évoquées de façons négatives, comme exemple
à contrario. Les critiques venant d’ailleurs, parfois, de ceux-là même, qui ont adressé leurs
échecs à Dun et à Ainay ..
Il s’inscrit alors dans le cadre du secteur et est présenté, comme une alternative à
l’hospitalisation.
L’absence de cadre légal a amené des pratiques très différentes, chacun de son coté
essayant de «bricoler» ses solutions et de faire au mieux.
La nécessité de textes réglementaires s’impose.
Les deux colonies familiales, devenues depuis Centres Hospitaliers Spécialisés, avec leurs
dispositifs importants de placements familiaux. Placements familiaux sans existence
statutaire définie, sans réelle référence réglementaire, les attendent et les appréhendent.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Depuis plusieurs années se mènent à Ainay, réflexions et débats, discussions entre
personnels, familles d’accueil, élus. En 1985, on a limité à 3 patients l’accueil par famille.
Cela facilitera la tâche pour le passage en chambre individuelle.
Chez le voisin Dunois, par contre, en 1992, on trouve toujours, une majorité d’accueil à 4
patients ( deux chambres à deux lits).
La loi du 10 juillet 1989, puis la publication de l’arrêté du 1er octobre 1990, les notes qui
suivirent, fournissent des outils juridiques. Ils mettent fin à une longue période d’absence de
cadre légal, dont ont souffert les deux institutions.
Mais, même, s’il est clair que ces textes ne sont pas conçus pour elles,
Il va pourtant falloir, aux deux « Colonies Familiales », s’y conformer, afin de pouvoir,
légalement, continuer d’exister.
2. La mise en conformite
Dès leurs publications, Ainay, qui les attend, confronte sa réalité institutionnelle aux
exigences des textes. Mais c’est janvier 1992 qui voit, se formaliser la volonté très
affirmée de mise aux normes.
De février en avril, le nouveau directeur, accompagné des soignants référents, effectue une
visite systématique de tous les placements.
Le bilan de ces visites, repris avec l’ensemble de l’équipe soignante, permet de déterminer le
devenir de chaque placement :
Ainsi des 911 lits visités :
55 reçoivent d’emblée l’agrément. Ils présentent les conditions de confort requises,
sont en chambre individuelle. La prise en charge est valable, La responsable n’exerce pas
d’autre activité salariée.
Ceux pour lesquels des modifications sont nécessaires et possibles, c’est à dire 211,
reçoivent un agrément provisoire. Les responsables signent un contrat qui leur donne
accès au nouveau statut et prennent l’engagement d’effectuer des améliorations. Ces
prescriptions modificatives peuvent concerner les locaux, les conditions d’hébergement ou
la prise en charge.
95 lits présentent des situations criantes d’inconfort et de prise en charge
défectueuse et sont fermés d’urgence.
Les autres lits sont maintenus en fonctionnement pour une période limitée à deux
ans. Les familles gardent l’ancien statut. Si cependant, elles souhaitent l’intégration dans
le dispositif réglementaire, elles passent par la nouvelle procédure de recrutement mise
en place.
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C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
La campagne d’agrément commencée en août 1992 a duré 3 ans. La capacité en accueil familial
est passée de 911 lits au départ, à 540 en 1997. Et pour 40% d’entres elles, ces places sont
offertes par des familles d’accueil nouvellement recrutées.
S’appuyant sur les textes, Ainay le Château, conduit donc sa politique de changement.
Auprès des unités d’accueil, en diminuant la capacité, en améliorant la qualité, tant
au niveau matériel qu’au niveau relationnel.
Auprès des patients :
en menant avec ceux qui peuvent en bénéficier, des projets individuels de
sorties,
en accueillant de nouveaux patients :
*que porteurs de projets thérapeutiques.
*et pour des durées de séjours déterminées.
Au-delà d’une sélection plus rigoureuse, «la requalification» des familles d’accueil passe
également par une formation . Celle-ci fait intervenir des personnels soignants et
administratifs de l’établissement et deux organismes spécialisés. Sont abordés : Législation
et droit du travail, connaissance de l’institution, économie sociale et familiale.
Mais surtout la formation aborde les notions de projet thérapeutique. Elle définit la
collaboration équipe, famille, et situe la démarche d’accueil des patients dans un processus
évolutif d’accompagnement et d’autonomisation.
Elle s’applique à faire comprendre qu’il faut donner une certaine dimension affective et
sécurisante aux relations, tout en admettant que si elles font progresser l’accueilli, il partira
vers une autre structure.
La formation mise en place en janvier 1993, se déroule par petits groupes de douze personnes,
mélangeant les anciennes et nouvelles recrues. Par demi-journées, elle dure six semaines.
Elle est un temps d’expression. Elle s’est complétée depuis par des groupes d’échanges, à
thème, ou sur la pratique, animés par les soignants.
L’ouverture d’unités d’accueil dans les villes et les bourgs a été privilégiée, l’espace
géographique d’implantation étendu . Les Unités se repartissent actuellement dans un rayon
de 30 à 40 kilomètres, sur les départements de l’Allier et du Cher.
L’éloignement des structures pré-établies à l’usage des patients : Cafétérias, annexes,
ateliers . Cette distance mise avec l’institution, l’absence de concentration, demandent et
favorisent une plus grande prise en charge par les familles, et par là même, une meilleure
intégration des patients .
Bien entendu, le profil des familles d’accueil évolue. Le nouveau recrutement voit arriver des
femmes plus jeunes, ayant souvent une expérience professionnelle. Elles considèrent l’accueil
des patients comme un réel travail et non plus comme un simple appoint financier. Des
hommes également en «recherche d’emploi», s’avèrent de bons accueillants.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 7
C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Dans cette démarche de mise en conformité, les personnels se sont sentis partie prenante.
Des groupes de réflexion ont été constitués, le travail de deux de ces groupes a débouché,
pour l’un , sur un document de liaison : Familles d’accueil / équipe soignante;
pour l’autre, sur une réflexion élaborée dont a pu largement s’inspirer le programme
de formation évoqué ci-dessus.
C’est dans ce climat d’effervescence que commence le travail d’élaboration du projet
d’établissement. Pris entre le désir d’évolution, et la peur du changement, les agents
expriment des craintes :
Craintes de ne pouvoir bouger un dispositif aussi lourd .
Craintes, devant la nécessaire diminution du nombre de places en accueil .
Craintes de voir avec ces places, disparaître des postes.
Des réticences aussi, plus ou moins clairement exprimées, par rapport aux projets de sorties
de certains patients. Le propos des soignants rejoignant alors celui des familles d’accueil : « il
est là depuis si longtemps, il ne pose pas de problème, il est bien ».
Mais la «machine à avancer» est en route, et les plus réservés sont entraînés par les plus
motivés.
3. L’accueil familial thérapeutique
Quand il faut passer de la mise en conformité du dispositif d’accueil familial à son adaptation
à des modes de prises en charge nouveaux, les personnels s’engagent avec le médecin
responsable dans un travail de recherche, de réflexions :
Ainay a un rôle à jouer pour les patients qui ne sont pas de son
secteur,
Mais ce rôle ne peut pas être celui que le système psychiatrique lui
a fait jouer.
Ce rôle qu’il a accepté de jouer pendant trop longtemps.
Eliminer les mauvaises raisons de venir à Ainay, en trouver des bonnes.
Sont définies alors, les modalités de l’Accueil Familial Thérapeutique Temporaire. L’intitulé
est essentiel, il dit en clair : Ainay ne prend pas vos malades de façon définitive. Il ne vous
libère plus de vos échecs !
En fait la contradiction entre Accueil à Ainay et secteur, n’est peut-être pas si évidente.
Entre une nécessaire proximité souvent, et un indispensable recul, parfois. Tout est
affaire de distance, d’appréciation de la bonne distance.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 8
C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Plusieurs raisons, en effet, peuvent justifier l’éloignement d’un patient de son secteur
d’origine :
Ce secteur n’offre pas la structure, le mode de prise en charge qui répond aux besoins
du patient.
Il faut rompre provisoirement ou définitivement avec un milieu qui s’avère pathogène;
La proximité du lieu d’émergence de la maladie rend certaines difficultés
insurmontables..
L’accueil d’Ainay se situe donc à ce niveau. Sa structure se présente en quelque sorte comme
un prestataire de services pour d’autres institutions. Il offre une parenthèse dans la
trajectoire du patient, une prise en charge spécifique et définie pour un temps précis.
La durée de l’accueil, six mois à un an, posée à l’avance avec l’équipe d’origine, est proposée
pour des objectifs précis : Ce peut être :
Evaluation : par la mise en situation du patient, cet accueil permet de recueillir des
éléments pour l’élaboration d’un projet. L’évaluation porte sur le degré d’autonomie, les
possibilités d’insertion sociale, les capacités d’intégration dans un réseau affectif de type
familial.
Stimulation : L’accueil est alors associé à une prise en charge stimulante, de type
ergothérapique qui impose des éléments contraignants de réalité dans un but structurant.
Cela a pu être également :
Rupture : un séjour de 15 jours minimum, pouvant se répéter, permet de faire la
coupure avec un milieu habituel, soit qu’il soit provisoirement défavorable au patient, soit
que ce lieu ait besoin d’un relais.
Ainsi, dès lors qu’il y a un projet pour le patient, que l’accueil le relaie un temps donné. Il n’y a
pas rupture avec le secteur d’origine. Le lien avec la famille, quand, il existe, et n’est pas
pathogène, est maintenu.
L’A.F.T d’Ainay se trouve inclus dans un réseau de soins coordonnés.
Il ne se situe pas en opposition avec l’Accueil Familial de proximité, mais comme une autre
possibilité, un outil de soins supplémentaire, complémentaire.
Les changements ont amené une nouvelle organisation. S’impose une nouvelle définition des
places et rôles de chacun.
La fonction d’hébergement que se contentaient d’exercer auparavant les familles d’accueil
est dépassée. Elles réalisent dorénavant un accueil et un accompagnement des patients.
Leur action se situe sur le plan des actes de la vie quotidienne. Elles participent ainsi à la
mise en œuvre du projet thérapeutique et prennent de plus en plus en charge, ces tâches
dites « matérielles ». Tâches dénoncées précédemment par les infirmiers, comme n’étant pas
de leur fonction.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 9
C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Certains infirmiers, auraient, effectivement, souhaité voir lister les tâches relevant du rôle
des familles d’accueil et celles leur revenant.
D’autre parfois, les mêmes, après s’être plaints de voir leur temps «mangé» par des tâches
jugées annexes, appréhendaient en les perdant, de se retrouver dans une fonction soignante
libérée, mais non organisée.
Le positionnement par rapport au patient est essentiel: quitter les « rôles » infirmier ou
famille pour se demander ensemble ce qui est préférable pour le patient.
Ce patient, pas un autre et, ce patient dans ce temps précis.
Pas de règle de répartition donc, mais un questionnement systématique.
Accompagner un patient pour un achat de vêtement n’est pas en soi, du domaine infirmier, ni
du domaine famille d’accueil. C’est le patient, son autonomie, ses besoins propres, ses
difficultés, son degré d’évolution au moment donné qui détermine.
Ce nouvel accueil familial voit arriver des patients présentant des pathologies plus actives et
demandant des prises en charge plus élaborées. Venant des départements proches, ils sont
prioritaires, ou de la région Ile de France, c’est chaque année depuis 1995, entre 20 et 50
patients qui ont été accueillis à ce titre.
Chaque admission répond à un protocole défini, comprenant, notamment, une consultation
préalable, avec rencontre des équipes
Dans l’accueil familial thérapeutique, la partition se joue toujours à trois. Chaque acteur
jouant un rôle qui lui est propre :
Le patient avec son histoire, son vécu familial, sa pathologie. Mais également ses
attentes, ses projets.
La famille d’accueil, dans sa composition, son environnement social, géographique, sa
manière d’être.
L’équipe soignante avec derrière elle l’institution hospitalière, sa culture, son projet.
Equipe dont le maillon avancé est l’infirmier.
Différents types de relation vont s’établir :
Entre le patient et l’équipe, relation de soignant à soigné dans le cadre d’une prise en
charge thérapeutique. Relation d’aide et de soutien, d’encadrement d’activités spécifiques.
Entre le patient et la famille d’accueil, relation structurante qui s’établit au
quotidien en utilisant l’entourage et le milieu.
Entre l’équipe et la famille d’accueil. Relation, par et pour le patient. Relation qui
tourne autour de lui dans l’échange d’informations, d’impressions, de ressentis. Relation
d’aide, d’explication, de soutien.
Dans cette relation triangulaire, un certain nombre de choses peuvent être programmées,
organisées dans le cadre du projet thérapeutique.
Des fonctionnements pressentis, envisagés.
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C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Mais une part échappe toujours à l’équipe de ce qui va se jouer entre le patient et la famille
d’accueil :
De ce qui va se jouer pour le patient.
De ce qui va se jouer pour la famille d’accueil.
Certains éléments parfois pourront être «récupérés», «réinjectés».
L’équipe, cependant, pour jouer le jeu de l’accueil familial thérapeutique doit accepter de se
départir d’un certain savoir.
Tout en accompagnant, elle doit accepter qu’un certain nombre de choses se passent :
Qui la dépassent.
Ce qui est thérapeutique dans l’accueil familial, ce n’est ni la famille, ni l’équipe, mais
l’ensemble constitué avec le patient.
Ainay le Château possédait les éléments mais semblait ne pouvoir réaliser la synergie.
De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique, il aura fallu passer par la mise
en conformité.
Cet apport de la réglementation fut essentiel. Il permit d’opposer, et parfois imposer des
références à un système particulièrement lourd.
Cependant les textes à eux seul n’auraient pu suffire, s’il n’y avait eu un désir et une volonté
convergente à l’intérieur de l’institution, des différents acteurs : Médecins, administratifs,
personnels.
Sur des bases clarifiées, le Centre Hospitalier d’Ainay continue de mettre en œuvre une
réelle politique de soins. Il sait qu’au-delà de l’accès à la légalité que lui a conféré le respect
des textes, sa légitimité repose sur la place qui doit lui être reconnue dans le dispositif de
Santé Mentale en raison des prises en charge originales et de qualité qu’il peut offrir.
Je vous remercie.
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C. Grolleau-Vallet. De la colonie familiale à l’accueil familial thérapeutique
Les difficultés à envisager seul les actes
nécessaires à la survie sociale,
L’inhibition, la passivité, le ressenti d’incohérence
rendent les initiatives rares et
les apports sociaux difficiles
PATIENT
Son histoire, son itinéraire
Son passé institutionnel
La pathologie
Les troubles
C.H.S. AINAY le CHATEAU
Le soin, la prise
en charge
thérapeutique
réduit les symptômes.
RELATION
THERAPEUTIQUE
EQUIPE SOIGNANTE
Equipe au sens lar
FAMILLE D’ACCUEIL
Actions simultanées et
coordonnées
Evolution avec des prédominances à
un moment donné de l’un ou de l’autre
Travail
clinique
adapté à
chaque patient
Accompagnement attentif
composante sociale de
la prise en charge
Vers un mode de vie à la
mesure des possibilités
évolutives
Aide à être moins passif
Moins dépendant
Conserver ou retrouver un
potentiel d’autonomie,
de vie sociale
RELATION
STRUCTURANTE
REHABILITANTE
La réadaptation, la réhabilitation
améliore les capacités du patient
dans les actes et les gestes de la
vie quotidienne .
La seule approche clinique est impuissante à aborder les questions matérielles et à fournir l’étayage qui
permette de progresser vers une dépendance moindre.
A l’inverse se préoccuper seulement d’accompagnement social en négligeant la pathologie peut conduire à
une chronicisation en accueil familial.
ACTIONS ET RELATIONS EN ACCUEIL FAMILIAL THERAPEUTIQUE
La conjugaison des deux est essentielle.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
Gianfranco ALUFFI
Psychologue clinicien
Coordinateur du service d’AFT du DSM 5 b ASL 5 Région Piémont
Université de Turin
Placement familial et soins en Italie
La loi 180 du 1978, a sanctionné la clôture des hôpitaux psychiatriques en Italie et la
naissance renforcée des agences territoriales d’une psychiatrie du territoire.
Le Département de Santé Mentale Universitaire 5 B Hôpital San Luigi Gonzaga/ ASL 5 de
Collegno ( Région Piémont), a réalisé le franchissement et la fermeture définitive de l’Hôpital
La Certosa de Collegno, considéré l’un des plus grands hôpitaux psychiatriques d’Italie et
probablement d’Europe.
Aujourd’hui, après des années d’expérimentation et attentive vérification, le DSM 5B peut
compter sur un réseau complet de services et d’offres résidentielles alternatives aux
résidences hospitalières, parmi lesquels on signale le Service IESA pour l’Accueil Familial
Thérapeutique.
1. Un peu d’histoire
Après la loi du 14-02-1904 sur les asiles et les aliénés qui mentionnait la possibilité de soin
dans une maison privée, c’est le décret n. 615 de 1909 qui réglementa ce qui, pour la
psychiatrie italienne de l’époque, sur la vague d’enthousiasme suscitée par les expériences
belges, françaises, écossaises et allemandes, représenta un pari intéressant: l’accueil familial
thérapeutique d’adultes. L’exigence de fonder un tel service avait pour origine la situation
extrême dans la quelle se trouvaient les asiles italiens, réduits à des récipients prêts à
éclater en raison de la surpopulation. De plus, les coûts de gestion des établissements
représentaient pour les provinces une charge excessive souvent insoutenable.
Serafino Biffi, pionnier du patronage hétérofamilialen Italie, le désignait en 1854 comme
adapte pour les aliénés qui ne pouvaient pas jouir des habitudes monotones caractérisant les
journées des reclus dans les asiles. Impressionné par une visite à Geel, Biffi y voyait un lieu
où pouvait être mise efficacement en place la vraie cure morale qui consistait à tolérer
avec patience l’agitation du maniaque, et a éduquer avec amour le pauvre idiot, en entourant
tous les malades de calme et d’affectueux ménagements, en leur montrant des exemples
d’ordre et de diligence, en leur assurant une tutelle paternelle, sachant se taire à temps et à
temps s’adressant à leur coeur, parfois en les distrayant ou alors en les laissant en paix
éclater de chagrin.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
Il souligna qu’une visite à Geel aurait modifié grandement l’opinion des gens qui croyaient qu’il
n’y avait rien de mieux à offrir à un fou que l’asile, et que, si les progrès scientifiques avaient
élevé les aliénés à la dignité d’infirmes, la colonie belge lui semblait destinée, avec les
réformes adéquates, à les rapprocher des conditions sociales ordinaires.
En 1878, le professeur Verga, même s’il pensait que le meilleur soin relevait d’un asile bien
organisé, voyait des bénéfices possibles à confier certains malades à la garde de familles. Le
modèle d’accueil familial qu’il soutenait, et qu’il exhortait ses collègues à appliquer comme
élargissement du système asilaire, s’inspirait de Geel, avec de légères modifications.
Le ferrarrais Cappelletti soutenait un modèle proche du système écossais, appliqué à cette
époque en Allemagne à Dalldorf et à Herzberg, sur les bases suivantes:
ne pas confier les malades traversant une phase aiguë ( l’avantage de la liberté en
famille sera bien plus profitable si le malade a déjà senti le malaise de l’internement dans
l’asile);
les colonies comme Geel sont trop éloignées du lieu de provenance. Il faut de petites
colonies à proximité des asiles, alimentées seulement par les malades déplacés par chaque
institution. Selon lui, les critiques au traitement en famille étaient émises par des
médecins travaillant dans les asiles publics ou privés, au nom de leur intérêt et de leur
éducation.
Giulio Cesare Ferrari, directeur de l’asile d’Imola et pionnier de la psychologie italienne,
soutenait le patronage hétérofamilial car l’aliéné doit retourner à la famille pour reconquérir
la dignité de l’Homme puisque bien que modérée, la limitation de la liberté n’en reste pas
moins une limitation du Moi conscient, qui en a toujours à souffrir. Fin 1800, son attitude
peut être considérée comme révolutionnaire. In effet, il écrivit que l’existence des asiles
détermina fatalement l’idée de la dangerosité des aliénés, et que on arriva très tôt à
l’impossibilité de séparer l’idée de l’aliéné de l’idée de l’asile, provoquant l’abondance
excessive d’asiles dont l’existence réclame les malades qui, autrement, pourraient être
tolérés libres.
S’inspirant du modèle français (Dun-sur-Auron, Ainay-le-Château), il proposait les régions
abandonnées pour l’installation des futures colonies. Des couples d’infirmiers expressément
envoyés sur place étaient engagés pour l’assistance aux malades, et la colonie devait se
détacher, sur le plan sanitaire et administratif, de l’asile qui l’avait engendrée.
Contrairement aux pratiques de Geel, il excluait les paralytiques, sales, impotents,
alcooliques, impulsifs, agités, mélancoliques. Quant aux autres pathologies, il ne se basait pas
sur le contenu des délires mais sur le comportement du malade face à ceux-ci. Enfin, il situait
la limite de développement d’une colonie à 400 accueils familiaux.
Bien que le débat portait sur l’assistance familiale appelée patronage hétérofamilial et ses
différents modèles, en Italie, la pratique la plus répandue était la garde privée
homofamiliale. Presque à l’unisson, les spécialistes se rangèrent contre cette forme de
résidence pour les malades pour les raisons suivantes:
la famille n’a pas l’autorité sur le malade pour le contenir et lui donner une discipline;
les familles biologiques ne sont pas sélectionnées;
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G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
les familles concernées étant pauvres, le subside versé pour l’assistance constitue leur
seule source de gain. Le monnayage de la pathologie peut indirectement provoquer la
chronicisation du trouble en transformant les disgrâces en ressource économique. De son
côté, la famille d’accueil peut toujours compter, à la fin d’un accueil, sur l’arrivée d’un
nouvel hôte.
Le professeur Augusto Tamburini, directeur de l’asile de Reggio d’Emilie, père du patronage
hétérofamilial italien, définit la garde privée homofamiliale comme un système utile seulement
à de déplorables spéculations. Au contraire, il plaida la cause de l’accueil familial
thérapeutique, proposa une loi destinée à sa réglementation, engagea et conduisit le service le
plus structuré et le plus durable de Patronage Hétérofamilial d’Italie: celui de Reggio d’Emilie.
2. La diffusion d’antan
Selon les sources ministérielles, le tableau suivant (nombre d’aliénés assistés en famille)
montre le degré du développement de l’accueil familial (homo/hétéro) en Italie, à l’époque.
Ville 1898
homo+hétéro
familial
1902
homofamilial
1902
hétérofamilial
1902
total
Florence 450 800 150 950
Reggio d’Emilie 57 48 150 68
Modène
Lucques 92 140 31 171
Arezzo 50 65 - 65
Pérouse 102 107 12 119
Pise 50 55 - 55
Ancône 28 35 21 56
Pesaro 14 30 - 30
Ascoli-Fermo 4 4 1 5
Milan-Mombello 5 2 - 2
Bergamo 38 36 - 36
Cremone 41 1 - 1
Naples - 50 - 50
Forli 1 15 - 15
Gênes - 2 - 2
Turin - 5 - 5
Sienne 80 47 33 80
Total partiel 1012 1142 268 1710
Aversa-Caserta 56 - - 56?
Autres provinces 349 - - 349?
Total 1417 - - 2115?
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G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
En 1898, il y avait en Italie 1417 patients en famille, c’est à dire 4% des aliénés recensés. La
plupart résidait donc chez leur propre famille dans le cadre de la garde privée homofamiliale.
Les familles qui voulaient recevoir le subside pour la garde de leurs malades effectuaient une
demande accompagnée de certificats médicaux à la direction de l’asile qui favorisait ou non
l’assistance à domicile et la contribution économique de la Province. Dans la plupart des cas,
l’asile ne s’occupait plus du malade, tandis que la Province continuait à supporter la charge
financière. A Reggio d’Emilie, ce système comptait sur une surveillance par les institutions.
Même le système de garde privée hétérofamiliale qui, à Florence en 1902, comptait 150
accueils réussis, n’était pas réglé par des normes précises. Mis à part le fait qu’il s’agissait
d’une famille différente de la famille d’origine, le fonctionnement était le même que dans la
version homofamiliale. Ce type d’expériences existait aussi à Ancône et à Pérouse.
La littérature désigne le modèle de Reggio d’Emilie comme le système de patronage
hétérofamilial le plus fonctionnel et le plus efficace:
les accueillants recevaient un infirmier de l’asile pour garantir une expérience dans la
relation avec les gens atteints de troubles mentaux. Ce système est qualifié de semi-
professionnel;
le domicile des familles devait être à proximité de l’asile, pour faciliter les visites à
domicile du personnel et favoriser la surveillance;
avant de placer un malade, on vérifiait les conditions d’hygiène de l’habitation;
des normes de logement, de couvert, de traitement moral et physique du patient
étaient imposées. Le chef de famille signait une déclaration de prise de responsabilité.
Chez chaque famille, un registre mentionnait les frais engagés pour l’hôte et les contrôles
à domicile réalisés;
la famille recevait un trousseau, au besoin, un lit et du linge, logeait au plus deux
patients;
la somme journalière affectée par les provinces à l’asile, et attribuée par celui-ci à la
famille, était de 1,25 lire en 1902 (presque le double de celle accordée pour la garde
domestique);
les patients accueillis dans les familles pouvaient compter sur une vigilance médicale
assidue, et étaient invités à participer aux activités récréatives de l’asile (fêtes,
spectacles ).
Les premiers bénéficiaires étaient des femmes chroniques, tranquilles et propres, d’âge mûr.
Puis, le système a été étendu aux hommes et à d’autres pathologies.
Les malades étaient satisfaits. Entre eux et les familles s’établissaient de bonnes relations
affectives; ils se sentaient utiles puisqu’ils collaboraient aux travaux et recevaient une
rétribution.
Pour Tamburini, les postulats de travail étaient une attention maximale dans la sélection des
patients et des familles, une surveillance étroite par le personnel de l’asile, un règlement
précis et détaillé. Il avait pensé appeler le système de Reggio d’Emile: Système Village Extra
Asilaire ou Extension Coloniale de l’Asile.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
En quatre ans, le service est parvenu à 33 accueils. Six ont abouti au retour chez eux des
patients améliorés considérablement; six à l’internement dans un asile. Fin 1917, il atteignait
le chiffre considérable de 90 hôtes (71 femmes et 19 hommes). En 1929, il était encore
considéré comme une solution d’hébergement pour des déplacés tranquilles et inoffensifs. Il
s’est éteint début 1970 pour des raisons liées au bouleversement social de la seconde moitié
du siècle (clivage de la culture paysanne, forte urbanisation, évolution de l’institution
familiale).
L’expérience de Lucques, pilotée par le docteur Cristiani, présentait beaucoup d’analogies avec
celle de Reggio, et dans les trois premières années, elle totalisa 31 accueils. Se posèrent alors
des problèmes avec l’Oeuvre Pieuse qui gérait l’asile car, à mesure que les déplacements
augmentaient, elle voyait diminuer le nombre des pensions sur lesquelles elle pouvait compter.
Le modèle d’Imola, mise en oeuvre par Ferrari, utilisait le patronage hétérofamilial, non pour
évacuer les asiles, mais comme instrument de soin et de réhabilitation du patient.
Généralement, un membre de la famille devait être infirmier professionnel.
Par contre, à Nocera, selon le docteur Ventra, l’expérience se révéla ruineuse puisque les
familles, en l’absence de contrôle, abandonnaient le fou et encaissaient seulement le subside.
3. La situation actuelle
Actuellement, l’accueil familial pour des personnes suivies par les services psychiatriques
existe dans des situations particulières, rares, de manière éparse sur le territoire, non
quantifiées, souvent improvisées et non référées à un modèle spécifique.
Dans ces dernières années, comme on peut le voir sur les tableaux, les services qui travaillent
selon cette modalité se sont multipliés en passant de 11 du 1999 aux 24 du fin 2002. Les
raisons de cette expansion nous parlent d’un travaille minutieux de divulgation et de
formation mené par le service IESA en Italie et couronné par la réalisation de deux congrès
nationaux (Turin - Lucques), non seulement d’un livre mais de beaucoup de publications.
Situation 1999
Asl 5 Dsm 5b Collegno Piemonte
Asl 8 Chieri Piemonte
Asl est Brunico Trentino Alto Adige
Asl 2 Lucca Toscana
Asl 5 Jesi Marche
Asl 9 Trapani Sicilia
Asl 1 Sassari Sardegna
Asl 3 Nuoro Sardegna
Asl 4 Nouro Sardegna
Asl 6 Cagliari Sardegna
Asl 8 Cagliari Sardegna
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 6
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
Situation 2002
De 1999 à 2002 les services suivants vont s’ajouter aux précédents.
Dsm 5a Asl 5 Rivoli Piemonte
Dsm Asl 7 Settimo Piemonte
Dsm Asl 10 Pinerolo Piemonte
Dsm Asl 19 Asti Piemonte priv. Soc.
Dsm Asl 10 Firenze Toscana
Dsm Asl Pisa Toscana
Asl Livorno Toscana
Asl 20 Verona Veneto
Asl 29 Monza Lombardia
Asl 33 Rho Lombardia
Asl 9 Treviso Veneto
Asl Parma Emilia Romagna
Asl Ravenna Emilia Romagna
4. Qu’est ce que c’est le IESA?
Par IESA, il faut entendre « insertion en accueil familial pour adultes souffrant de troubles
psychiques », à savoir l’intégration d’une personne suivie par un service psychiatrique dans une
famille volontaire, sélectionnée et formée sur un plan plus pratique que théorique.
La cohabitation qui se crée ainsi pourra compter, pendant toute sa durée, sur le soutien des
acteurs du IESA.
Le milieu d’accueil peut être composé d’un seul membre; l’essentiel étant que l’accueillant
dispose d’un espace suffisant, occupe un rôle clair pour remplir ses fonctions envers l’accueilli,
ceci avec le soutien de l’équipe.
L’objectif du IESA est de restituer à la société ces personnes qui, par une mésaventure
clinico-existentielle, se sont trouvées en grande souffrance, souvent dans des conditions de
solitude intense ou dans des contextes d’enfermement inadéquats et aliénants.
L’insertion en famille d’accueil peut être répartie en trois catégories : à court, à moyen et à
long terme.
À court terme, l’intervention est focalisée sur la période de crise qui touche le patient ou son
environnement habituel. La durée de placement varie de quelques jours à un ou deux mois
selon qu’il s’agit de faire face à une phase aigu symptomatologique ou à un simple besoin de
décontextualisation. Parfois, des personnes sont hospitalisées en psychiatrie alors que leur
état ne présente pas de caractéristiques propres à justifier une telle orientation. Le motif du
recours à l’hospitalisation relève objectivement de la faiblesse ou même de la crise du
système dans lequel vit le patient, laquelle se répercute ponctuellement sur le plus fragile,
autrement dit le bouc émissaire. Actuellement, très peu d’expériences d’accueil familial à
court terme sont opérantes. Les plus significatives sont le « Crisis Home Programm » du
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 7
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
comté de Dane aux Etats-Unis créé en 1987, et les « Crisis Farm » éparpillées sur le
territoire piémontais et gérées par la coopérative sociale « Alice nello specchio » de Turin et
il y a quelques mois j’ai connu la situation de Lille. Depuis quelques mois, en collaboration avec
l’Université de Turin et la coopérative sociale « Progest », nous travaillons aussi à un projet
d’accueil familial à court terme et à temps partiel qui viendrait compléter l’accueil familial à
moyen et à long terme existent depuis 1999.
La particularité de ce type d’interventions réside dans le processus de décontextualisation
environnementale souvent très utile pour surmonter les moments difficiles. Réaliser le
placement dans un cadre familial et familier, et non dans un cadre hospitalier, facilite et rend
moins dramatique la période de crise pour le sujet. Ce point est confirmé par Russel Bennet,
responsable du «Crisis Home Programm » qui soutient que de nombreux patients ainsi pris en
charge se rendent spontanément au service pour demander à être accueillis dans une famille
lors d’une période de crise. On est loin des drames qui caractérisent nombreux de placements
en hôpital psychiatrique, en particulier lors des hospitalisations à la demande d’un tiers.
Le traitement des périodes de crises par l’accueil familial à court terme nécessite une
excellente communication entre les médecins, les infirmiers, les intervenants médico-sociaux,
l’équipe IESA et les accueillants.
À moyen terme, l’intervention consiste en une phase utilitaire dans l’objectif d’une
réhabilitation. On présume que le sujet est capable, dans un délai inférieur à deux ans, de
retrouver une autonomie suffisante pour vivre dans un logement protégé ou dans sa propre
maison. Ces programmes s’adressent généralement à des personnes jeunes et employées dans
des activités professionnelles de réinsertion, ou réhabilitées dans ou en dehors des circuits
psychiatriques. Cette formule demande un travail de synergie entre les agences, c’est-à-dire
entre les diverses équipes du département de santé mentale sur le territoire : par exemple,
assistants sociaux, psychiatres, groupes thérapeutiques que le patient continue à fréquenter.
Elle se pose en alternative aux structures fermées dans lesquelles la réhabilitation est
souvent compromise, ne serait-ce qu’au niveau structurel. Avec l’accueil familial à moyen
terme, le sujet expérimente des relations sociales « normales » et s’émancipe de son rôle de
patient. La famille d’accueil joue le rôle de nid protecteur lors des phases critiques du
parcours d’autonomisation. Son travail exige une grande souplesse afin de moduler le niveau
de protection assurée en fonction des besoins de l’accueilli. En ce sens, l’intervenant du IESA
assume un rôle déterminant de soutien et de supervision quant à la dynamique de la relation
famille d’accueil accueilli.
L’accueil familial à long terme est d’une durée supérieure à 2 ans. Il vise davantage des
personnes dont l’âge, les difficultés psychiques et physiques et les besoins d’assistance, ne
permettent pas d’envisager le retour à la société dans un lieu moins protégé. Or, les familles
d’accueil se révèlent parfois des espaces dans lesquels une fonction significative s’acquiert à
nouveau : des personnes âgées retrouvent le rôle de grands-parents « adoptifs » avec tous les
effets affectifs et relationnels ainsi engendrés, d’autres récupèrent sur le plan social et sur
celui des gestes du quotidien. De telles relations sont préservées jusqu’au décès de la
personne afin de lui éviter d’inopportunes et dommageables, voire de fatales successions
d’hospitalisations.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 8
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
Ces dernières années, l’intérêt pour l’insertion en famille d’accueil s’est développé, en
particulier dans les services psychiatriques et gériatriques. On doit ce développement à
l’efficacité thérapeutico-réhabilitative offerte à moindre coût. Pourtant, l’expérience nous
enseigne qu’un accueil familial fondé sur la seule dimension économique est une mauvaise
solution, et que cette pratique exige une grande vigilance quant à la sélection et à la
formation des futurs accueillants.
Mais c’est en fait la compétence de l’intervenant qui rend possible l’alchimie transformant le
social de lieu d’exclusions en espace thérapeutique. L’élément central est la famille d’accueil,
véritable creuset de vie, d’expérience et de croissance protégée au sein d’un environnement
social de plus en plus complexe. L’accueil familial, avec ses relations dynamiques et ses figures
d’identification et d’attachement, est un lieu d’intégration et d’affection qui rend possible le
retour à la vie sociale, à un rôle et à une identité nouvelle. Le patient du service de
psychiatrie, le résidant de la clinique redevient un citoyen avec une vie privée, son nom sur
une boîte aux lettres et sur la sonnette d’une maison, des personnes de référence qui ne sont
plus des professionnels de la psychiatrie inévitablement vecteurs de relations asymétriques
et artificielles.
Parallèlement à cette conquête des libertés et droits bafoués dans les institutions
totalitaires, se produisent des retrouvailles avec des mécanismes de développement
psychologique dont les familles d’accueil sont le support idéal. S’expérimente pour la seconde
fois (et l’on espère ne pas faillir cette fois) la séparation d’avec les images parentales
permettant l’individuation. À ce propos, je trouve approprié le terme « nachreifung », « post-
maturation » en français, du Dr Konrad, de Ravensburg, pour illustrer le processus de l’accueil
familial comme seconde chance pour que le sujet puisse se retrouver, se « frotter » de
nouveau à la vie, penser que tout n’est pas perdu, soustraire son destin à la catégorie des
patients chroniques, mesure assez fidèle de l’inadéquation thérapeutique de l’approche
psychiatrique classique au regard du malaise psychique.
Au moins au niveau théorique, la référence dominante est le modèle socio-psycho-biologique,
ou en changeant l’ordre des mots mais pas leur prégnance, bio-psycho-sociale. Un tel modèle
indique très clairement les circuits dans lesquels se manifestent les changements dans l’action
d’un processus de guérison.
L’attention portée à une seule de ces trois composantes caractérise les institutions
psychiatriques, lesquelles entendent la thérapeutique comme une intervention exclusivement
axée sur le malaise biologique du patient. Sans vouloir aucunement éliminer les hospitalisations
longues, il faut reconnaître que ces solutions, caractérisées par des coûts de gestion élevés et
des résultats modestes, portent en elles les traces de la culture asilaire incarnée par la
concentration massive des sujets en souffrance et par leur mise à l’écart du monde et des
soi-disant sains d’esprit.
La personne souffrante se trouve donc souvent être l’objet de thérapies exclusivement
médicamenteuses, sans effets ou inhibantes, dans des contextes aliénés et aliénants qui ne
prennent pas en considération, ou alors de manière inadaptée ou improductive, le versant
psychologique et social de l’intervention thérapeutique de réhabilitation.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 9
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
Il serait intéressant d’ouvrir le débat sur les raisons de cette dérive en faveur du versant
biologique, sur le dogmatisme avec laquelle la psychiatrie regarde cet inefficace déséquilibre
d’approche, et sur les coûts sociaux ainsi engendrés. Qui en tire avantage ? Certes pas les
patients ! On notera que la formation des professionnels est validée par la diffusion des
résultats d’une recherche scientifique toujours plus au service de qui la finance, toujours
moins objective, s’attachant encore moins au bien-être des sujets traités. Une recherche en
priorité orientée vers des objets d’étude commercialisables à grande échelle, avant tout en
mesure de générer des profits. Du reste, il est désormais évident que l’espace réservé à la
dignité et au respect de la personne humaine se restreint dans un système dominé par l’argent
dans lequel, si l’on est atteint d’une maladie rare, on risque de ne pas trouver le traitement
car l’entreprise a interrompu la production en raison des faibles ventes réalisées.
4. Le service IESA du département de santé mentale 5b du Piemont
On va parler maintenant du fonctionnement concret de notre programme pour l’accueil familial
thérapeutique. Le service IESA, projet préparé pendant un an avant de devenir opérationnel
en décembre 1998, est une expérience pilote aux niveaux national et international étant
donné le cadre à partir duquel il fonctionne, à savoir le Département de Santé Mentale, et non
un hôpital psychiatrique comme dans la plupart des pays. Cette différence substantielle fait
contrepoids entre un modèle centré sur les hôpitaux, les cliniques ou les asiles et un modèle
déconstitutionnaliser qui prend en compte le malaise psychique dans le cadre de l’intervention
territoriale. D’où l’originalité et la valeur innovante de l’expérience.
L’activité est encadrée par des lois « guides » et par un contrat signé au début de la période
d’essai par la famille d’accueil, le patient et le Département de Santé Mentale (DSM). Un
règlement définit les bénéficiaires du programme, les organisateurs, le personnel, les
prestations du DSM, les modalités de remboursement des frais d’accueil et les assurances.
La famille reçoit 930 euros par mois par l’accueilli. Le DSM, lorsque c’est nécessaire, aide
l’accueilli afin qu’il dispose d’environ 150 euros par mois pour ses dépenses personnelles et de
930 euros (comme rembourse pour la famille).
L’accueil familial d’une personne revient donc à environ 1 080 euros par mois, auxquels il
convient d’ajouter les coûts d’organisation administrative et de suivi thérapeutique. Au total,
le coût mensuel maximum d’un accueil familial s’élève à 2 300 euros.
Le service IESA est composé d’un coordinateur et d’un certain nombre d’intervenants
(counsellors) variant selon le nombre d’accueils familiaux suivis, sur la base d’un intervenant
pour 10 accueillis. L’équipe doit, par ailleurs, compter sur l’indispensable instrument de
supervision hebdomadaire des dynamiques relationnelles familiales. Concernant l’activité
ambulatoire des infirmiers ou éducateurs auprès de l’accueilli, elle est progressivement
reprise par l’intervenant IESA chargé de l’accueilli et de la famille d’accueil pour toute la
durée de leur cohabitation. L’accueilli peut continuer à bénéficier de structures (telles que le
centre de jour, l’intervention des assistants sociaux départementaux et autres) ceux-ci
travaillant en synergie avec le coordinateur et l’intervenant du IESA tout comme les services
territoriaux, psychiatriques ou non.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 10
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
Les familles, après avoir suivi le parcours de sélection et de formation, sont rentrées dans
une banque de données dans laquelle elles peuvent rester longtemps, parfois plus de 2 ans,
avant d’accueillir un patient. Cette longue période d’attente s’inscrit dans la philosophie du
IESA qui tend à éviter la systématisation pour privilégier la « bonne famille » pour le « bon
patient » afin de favoriser une « bonne cohabitation». Il arrive que cette période d’attente se
transforme en désistement pour des familles dont les conditions de vie ont évolué, les
rendant moins favorables à l’accueil à domicile.
Les motivations des candidats sont fortement déterminées par un besoin d’intégration
économique. Il est rare d’avoir affaire à des familles d’accueil en grandes difficultés
financières même si, ces derniers temps, on constate une augmentation de l’intérêt de
familles au chômage, sans chambre pour le patient, voire sans autorisation de séjour sur le
territoire. L’existence d’une chambre à usage exclusif de l’accueilli étant la condition sine qua
non pour poser sa candidature, nous sommes amenés à cesser le travail de sélection de
familles qui présentent pourtant de bonnes dispositions.
La famille du patient, lorsqu’elle est présente, n’est pas a priori exclue du projet
thérapeutique. Mieux, elle est l’objet d’une attente particulière afin qu’elle se transforme en
ressource et non en obstacle. À travers l’information quant à l’existence du service et quant
au projet que l’on souhaite actualiser avec la famille du patient, il arrive souvent que celle-ci
rétablisse un contact avec lui et communique des informations utiles sur son passé.
La famille d’accueil, de son côté, n’étant pas impliquée émotionnellement dans l’histoire de
l’accueilli et par ses comportements, interagit avec lui de manière spontanée. L’ambiance
familiale type, représentée par les familles sélectionnées et habilitées à accueillir, est
ouverte, souple, et exprime une chaleur et une affection qui ne sont pas relayées par un rôle
professionnel. Elle est en mesure d’offrir soutien et assistance liés aux besoins de l’accueilli,
de l’aide à programmer une journée aux conseils pour affronter les vicissitudes de la vie. Elle
est par ailleurs insérée dans un système de relations ancré dans le tissu social.
En fait, la famille d’accueil du IESA est un exemple de reconnaissance et de valorisation de
l’intervention non-professionnelle en psychiatrie. Au vu des écrits scientifiques, de notre
expérience et des échanges avec les autres services d’accueil familial existants, et au-delà de
la dimension économique retenue par l’administration, le IESA se distingue des autres modes
de placements psychiatriques par la meilleure qualité de vie offerte. L’accueil familial est une
solution transitoire, basée sur une assistance permanente et non-professionnelle, en vue d’un
parcours ultérieur non institutionnalisé. Il a en outre été constaté que les comportements
asociaux du patient diminuent et que ses capacités relationnelles s’améliorent. Le bon
« monitorage » et la réduction conséquente des doses de médicaments atténuent la
symptomatologie, diminuent les rechutes, et favorisent l’intégration de handicapés psychiques
dans la société avec réduction de la stigmatisation et des préjugés.
Sur un autre plan, l’application du programme IESA à grande échelle aurait un effet positif
sur le niveau économique de familles et de célibataires.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 11
G. Aluffi. Placement familial et soins en Italie
De plus, il répond véritablement aux objectifs de la loi Basaglia (n° 180 ; 1978) qui préconisait
la fermeture des institutions asilaires et confiait aux services territoriaux le devoir de
trouver des solutions pour garantir aux patients déshospitalisés un hébergement et un mode
de vie à valeur thérapeutique et réhabilitative.
Accueils réalisés du 1/1/1999 au 1/4/2003
Les patients envoyés au projet d’accueil familial thérapeutique sont 32.
Les patients pas aptes à l’accueil sont 10 (dont 6 pour raisons cliniques et 4 pour raisons
administratives).
Les accueils réalisés sont de 14 et 4 en préparation.
Les renoncements sont au nombre de 4 (3 par le psychiatre et 1 par le patient).
Les situations terminées sont encore 4 (1 patient est mort et 3 habitent maintenant des
appartements supportés par les opérateurs du département de santé mentale).
Les familles agrées et formées sont 54 (dont 17 ont abandonné le projet avant de devenir
accueillantes à cause des longues temps d’attente).
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
I. Leblic. D’une famille à l’autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
Isabelle LEBLIC
Ethnologue, LACITO-CNRS, Paris
D'une famille a l'autre :
Circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
1. Différentes conceptions de la parenté
Avant toutes choses, il est nécessaire de rappeler quelques notions de base en matière de
parenté, couramment utilisées en anthropologie. Les éléments nécessaires de toute structure de
parenté1 sont la consanguinité, la filiation et l’alliance, avec une universalité de la prohibition de
l’inceste. Si les prohibitions de l'inceste touchent partout des parents différents, l’interdit sur
l'inceste existe dans toutes les sociétés.
L'étude de la parenté exige l'analyse de cinq champs d'intérêt : la terminologie, le mariage, la
résidence, la filiation et l'héritage. Je ne parlerai ici rapidement que de la terminologie, du
mariage et de la filiation.
A- La terminologie
Les critères principaux qui servent à distinguer entre eux les termes d'un paradigme de parenté
sont l'âge, le sexe, la génération, la collatéralité et l'alliance. Un terme de parenté est
descriptif lorsqu'il ne peut être appliqué qu'à un seul parent, à l'exclusion de tout autre, et
classificatoire lorsqu'il peut désigner des individus se situant en des lieux différents d'un
paradigme.
B- Deux types de règles de mariage
Les règles de mariage correspondent à un type négatif, quand on interdit la recherche d'un
conjoint possible parmi certaines catégories de parents ; à l’inverse, le type est positif, quand
on ajoute aux prohibitions la désignation d'une certaine catégorie de parents comme conjoint
désirable (préférentiel), voire nécessaire (prescriptif).
1
cf. Cl. Lévi-Strauss : l’atome élémentaire de parenté. C'est la structure de parenté qui existe la plus simple qu'on puisse
concevoir, qui consiste en quatre éléments : frère, sœur, père, fils, unis entre eux par deux couples d'oppositions
correlatives.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
C- La filiation
Il existe différents systèmes de filiation. Celle-ci peut être unilinéaire, soit patrilinéaire
(appartenance au groupe de père en fils), soit matrilinéaire (appartenance au groupe de mère en
fille) ;ou bien elle peut être bilinéaire (appartenance aussi bien à un groupe patrilinéaire qu'à un
groupe matrilinéaire) ou encore indifférenciée ou cognatique (appartenance à une quelconque
des quatre lignées issues de PP, MP, MM, PM2).
Dans ce cadre général, on peut trouver différentes types de familles, qui peuvent être : la
famille élémentaire qui regroupe les parents et leurs enfants ; la famille étendue qui voit la
coexistence sous un même toit et une même tutelle de multiples cellules conjugales apparentées,
avec plusieurs générations et/ou divers collatéraux ; le lignage qui est un groupe d'individus
descendant d'un ancêtre commun selon une filiation unilinéaire ; ou encore le clan qui est un
groupe plus vaste formé de plusieurs lignages, se réclamant d'un ancêtre éponyme sans pouvoir
retracer les liens généalogiques.
Je vais vous présenter maintenant rapidement les grandes caractériques de la parenté kanak
paicî3.
2. Conception kanak de la parenté
A- Une parenté patrilinéaire
Les lignages paicî sont patrilinéaires et exogames, c’est-à-dire qu’on appartient au lignage de son
père4, à vie pour un fils, jusqu'à son mariage pour une fille qui deviendra alors membre du
lignage de son mari. Cela signifie, entre autres, qu’il y a transmission du nom de lignage, des
totems, des droits et des terres de père en fils. Cela signifie également qu'un homme5 devient
ancêtre dans son lignage alors qu'une femme mariée sera ancêtre dans le lignage de son mari.
B- Une alliance préférentielle
Ches les Kanaks paicî, on se marie avec quelqu'un qui appartient à un autre lignage et qui est
idéalement en position de cousin croisé, dans le cadre d’un dualisme matrimonial qui répartit les
lignages en deux moitiés exogames, les Dui et les Bai. Cela signifie qu’un homme dui épouse une
femme bai et qu’un homme bai épouse une femme dui, les Dui et les Bai étant donc idéalement en
position de cousins croisés.
L'univers de la parenté paicî répartit donc les individus en deux groupes nommés les "gens de
mon côté" et les "gens de mon oncle maternel", que l'on peut appeler aussi les "maîtres de la
demeure" et les "utérins, invités". Dans toute rencontre, les Kanaks se répartissent entre ses
deux groupes.
2
Avec P = père et M = mère ; soit par exemple MP = mère de père. Par la suite nous aurons également Fr = frère, Sr =
sœur, C = cousins dont CX = cousins croisés et C// = cousins parallèles (cf. schéma 1 pour la distinction CX / C//).
3
J’ai travaillé dans la région de Ponérihouen, côte est de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie qui apaprtient à l’aire
linguistique paicî. Il faut se garder de généraliser cesd onnées à l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie kanak, qui comprend
vingt-huit langues et une grande diversité de systèmes de parenté dans une trame d’organisation sociale commune à
l’ensemble de ces sociétés kanak.
4
Sauf si adoption dans un autre lignage.
5
Sauf si adoption dans un autre lignage.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
C- Les chemins de l'alliance
À ces considérations générales s'ajoutent des considérations particulières liées, entre autre
chose, à l'histoire des lignages, et qui induisent des interdits supplémentaires pour l'alliance,
comme les lignages dits frères (création de liens de parenté entre lignages par le fait d'avoir
cheminé ensemble, d'avoir partagé le même habitat, la même marmite sacrée et les mêmes
rituels, d'avoir mélangé leur sang ).
D- Une parenté classificatoire
La terminologie de parenté paicî est dite Iroquois6 et possède des grandes caractéristiques
suivantes :
- Les pères = père + frères de père
- Les mères = mère + sœurs de mère
- Les oncles maternels = frères de mère
- Les tantes paternelles = sœurs de père
- Une distinction entre cousins croisés (CX) = cousins et cousins parallèles (C//) = frères
et sœurs
Elle se distingue de la terminologie de parenté dite Eskimo7 (qui est la nôtre) par le fait que :
Terminologie eskimo Terminologie iroquoise
C// = CX C// ≠ CX
C ≠ Frères et sœurs C// = frères et sœurs
P ≠ [FrP = FrM] [P = FrP] ≠ FrM
M ≠ [SrM = SrP] [M = SrM] ≠ SrP
Schéma 1 : Distinction entre cousins croisés et cousins parallèles :
Ego
C// C//
CX CX
Fr Sr
P M
FrP
SrP SrM FrM
6
Dans la typologie des systèmes de parenté établie par Murdock en 1949 à la suite de Morgan qui avait réalisé une
importante monographie sur les Iroquois et une première étude des systèmes de parenté en 1870 , on distingue donc le
système dit Iroquois.
7
Le système de parenté dit Eskimo a été aussi établi dans la typologie de Murdock.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
3. Le chronotope kanak ou la notion de "temps-espace" dans la parenté kanak
A-Les généalogies, itinéraires et successions des générations
Les généalogies kanak représentent autant le temps que l'espace puisqu'elles sont à la fois un
itinéraire (succession d'anciens habitats) et une succession d'ancêtres et de parents. Dans ce
cadre, les patronymes sont aussi des toponymes (en tant que lieux d'émergence des clans ou de
séparation en différents lignages). Divers autres choses peuvent induire de la parenté dite
rituelle , comme cheminer ensemble ou manger ensemble la même marmite (sacrée).
B-Spirale du temps sur quatre générations
Les termes d'appellation de parenté, qui tournent sur quatre générations, nous donne l'image
d'un temps cyclique "en spirale" (voir schéma 2).
niveau généalogique : +3 +2 +1 0 -1 -2 -3
H
om
m
e
s
Ego dit ciè "aîné" à x x
Ego dit ao "grand-père" à x x
Ego dit caa "papa" à x x
Ego dit ciè "aîné" / aajii "cadet"
à
x x
F
em
m
e
s
Ego dit ciè "aîné" à x x
Ego dit gèè "grand-mère" à x x
Ego dit nyââ "maman" à x x
Ego dit ciè "aîné" / aajii "cadet"
à
x x
C- Homonymie
Le lien d'homonymie vient redoubler l'assimilation des générations donnée par les termes
d'adresse. En général, on reprend le nom de quelqu'un qui se trouve en position d'aîné, c'est-à-
dire d'arrière-grand-parent. Ce qui provoque une assimilation quasi complète du jeune à son
ancêtre dont il reprend le nom ; on lui parle souvent en utilisant le duel "vous deux" (sous-
entendu lui et son ancêtre éponyme).
De façon générale, le fait de reprendre le nom de quelqu'un crée un lien particulier entre les
deux personnes.
D- Mythe d’origine et intemporalité, continuum êtres surnaturels/esprits/ancêtres
et hommes
Le mythe paicî d'origine des hommes et de la terre de Nouvelle-Calédonie sert aussi de
justification à la création des moitiés matrimoniales. Dans le mythe, des esprits commencent à
peupler la terre qui vient d'émerger de l'eau après un déluge, puis ils donnent naissance à un
être mi-homme/mi-esprit avant que n'apparaissent les hommes. On se trouve là dans le
continuum esprits / êtres humains.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
Le monde des esprits et des ancêtres (la surnature) est dit "choses d'ailleurs" en opposition à
celui des êtres vivants qui est dit "sur terre". De même, les hommes vivants sont dits les "vrais
hommes" en opposition aux hommes décédés qui deviennent les ancêtres.
E- Rapports aux ancêtres
Chez les Kanaks, le rapport à la mort et aux ancêtres est complètement différent de chez
nous : les morts, devenus ancêtres, sont toujours présents aux côtés des vivants pour les
soutenir dans toutes leurs actions par l'intermédiaire de diverses pratiques rituelles dont les
rites propitiatoires
Cet intérêt accordé aux défunts se manifeste notamment dans l'importance accordée aux
cérémonies de deuil et de levée de deuil qui regroupe chez le défunt ses parents paternels qui
reçoivent les parents maternels afin de leur rendre les affaires du défunt et permettre que
celui-ci deviennent un ancêtre dans son groupe paternel.
4. Notions de parentalité
A- La notion de parents varie d'une société à une autre
En Occident, le principe d'exclusivité fait qu'on n'a qu'un père et une mère ; ailleurs, un enfant
peut avoir de multiples pères et mères classificatoires (comme c'est le cas pour les Paicî), d’où
la répartition possible des droits et devoirs parentaux à un groupe de parents, ce qui n’est pas
sans influence sur la circulation enfantine.
B- Les six composantes de la parentalité (d'après Esther Goody 1982 et Mireille Corbier
1999)
Dans de nombreuses sociétés, le fait de concevoir et de donner naissance à un enfant n'est pas
une condition nécessaire et suffisante pour en être les parents. Il faut en ajouter au moins cinq
autres :
(1.Conception et gestation)
2. Nourrissement
3. Éducation
4. Soutien et garantie
5. Identité juridique
6. Obligation réciproque d'aide et d'entretien
C- Liens sur l’adoption
On peut donc ainsi opposer une délégation partielle de certaines de ces composantes au
transfert institutionnalisé de l'ensemble (hormis la première) que constitue l'adoption plénière ;
l’adoption peut être exclusive (substitution totale des droits des parents par ceux des tuteurs)
ou inclusive (coexistence des droits des géniteurs et des éducateurs) ; elle peut être aussi
ouverte (conservation de liens avec les géniteurs de l’enfant).
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 6
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
D- Nourrir et éduquer :
Dans de nombreuses sociétés, il existe un parallèle fort entre adoption-fosterage et mise en
nourriture, en éducation, en apprentissage soit entre nourrir et éduquer (latin alo = "nourrir,
élever" > alumnus = "nourrisson, enfant" ; la même chose chez les Paicî où un même mot èrù
désigne à la fois le fait de d’élever, de soigner et de réserver un enfant pour l'adopter).
5. L'adoption : pourquoi faire ?
En Europe occidentale, l'adoption a eu trois fonctions principales qui ne s'excluent pas
mutuellement :
Procurer une famille aux orphelins et enfants trouvés. Procurer une progéniture sociale aux
couples sans enfants. Procurer à un couple ou à un individu un héritier à sa propriété,
transmission des biens et des statuts.
Notons que, dans nos sociétés, le lien entre adoption et orphelins est très contemporain et date
d'après la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, on parle surtout de "l’intérêt de l’enfant".
Si pour les historiens de l'Europe médiévale, l'adoption, est conçue comme une manipulation de
la parenté, pour les ethnologues, elle fabriquent de la parenté.
Dans les sociétés dites traditionnelles, les études sur l'adoption insistent beaucoup sur la notion
de circulation des enfants (en parallèle souvent à celle des femmes par les mariages). L’adoption
y a les fonctions principales suivantes :
donner des parents à des enfants qui n’en ont pas et vice versa
les nécessités de la survie et de la reproduction du groupe
aider des individus à acquérir de meilleures positions
la balance des sexes
"tirer" l’enfant (le soustraire à une mauvaise influence, souvent de l’ordre de la
sorcellerie pour le protéger)
intérêt économique : enfants mis en gage, en apprentissage, en placement pour travail
domestique
donner un soutien à des parents âgés et isolés
créer des relations nouvelles entre groupes ou en entretenir des anciennes (en parallèle
avec l’alliance)
remplacement de l’infanticide, etc.
Notons enfin que les enfants et adultes déplacés peuvent l’être en tant que fils/fille mais aussi
en tant que gendre/bru, ou dans toute autre relation de parenté, notamment petit-fils/petite-
fille
On peut résumer ainsi les quatre causes principales des transferts juvéniles en société dite
traditionnelles (Suzanne Lallemand, 1993) :
1 2 3 4
survie
reproduction
nécessité convenance
sociale
commodité
(enfants orphelins)
(tuteurs stériles)
(excès de descendance)
(divorce)
(balance
des sexes)
(tirer l’enfant)
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 7
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
Enfin, notons que dans le cas d’adoptions répétitives entre deux groupes ou plus, ces transferts
peuvent se faire selon :
un échange direct (un enfant contre un enfant) un échange différé (un enfant qui sera
rendu ultérieurement)
ou encore un échange asymétrique (c’est toujours le même groupe qui reçoit et le même
qui donne)
6. L’adoption kanak
Deux types principaux de transferts kanak qui sous-entendent le transferts des droits et
obligations parentales des parents biologiques à des parents adoptifs :
le prêt, gardiennage temporaire, que l'on appelle fosterage : l'enfant est élevé ailleurs,
jusque vers ses 12 ans
le don, adoption proprement dite, avec changement d'identité si changement de lignage
Entre ces deux pôles de la circulation enfantine kanak, il faut noter aussi :
l’attribution de tel enfant à un parent donné sans changement de domicile ni d’identité,
ou encore l’assimilation de deux personnes par le lien d’homonymie (généralement un arrière-
grand-père(/mère) et son arrière-petit-fils(/fille)
A- Cumul des filiations et des interdits
En Nouvelle-Calédonie, il n'y a pas de secret adoptif, c'est-à-dire que les enfants transférés
savent qui sont leurs parents biologiques et le plus souvent conservent des relations avec eux : il
y a donc cumul des filiations (adoption simple) et non pas remplacement de l'une par l'autre
(adoption plénière). Ce qui induit un cumul des parentés et des prohibitions de l'inceste
B- Parallèle entre la circulation enfantine et la circulation des femmes par les
alliances
Chez les Kanaks paicî, on fait les mêmes présents et cérémonies coutumières dans les deux cas
(on "prend" et on "pose" une femme comme un enfant) pour les installer dans leur nouveau
lignage (donc en cas d’adoption en dehors de son lignage de naissance).
Notons que je ne parle ci-dessous que des dons d'enfants, les seuls repérables de manière
fiable sur les généalogies.
Les fosterages, qui n'interviennent pas de façon définitive sur les généalogies, n'étaient
souvent pas mentionnés.
Disons simplement qu'ils se produisent le plus souvent pour conforter les liens d'alliance :
autrement dit, un enfant sera confié momentanément à son oncle maternel direct ou à quelqu'un
du lignage de son oncle.
Six raisons principales président aux transferts juvéniles qui influent sur le sexe de l’enfant
donné :
On donne une fille pour :
- le règlement d’une dette - la réconciliation de deux lignages
- l’arrêt d’une guerre
- le remplacement d’une femme qu’on n’a pas pu rendre dans le cycle des alliances
matrimoniales ou le rappel d’une alliance passée
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 8
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
On donne un garçon pour :
- le remerciement d’un geste ou service rendu - éviter l’extinction d’un lignage (dans ce
cas-là l’oncle maternel prend son neveu, fils d’une sœur)
On donne un enfant de l’un ou l’autre sexe pour :
- combler l’absence d’enfant d’un couple
- rétablir l’équilibre des sexes dans une fratrie (un garçon qui n’a pas de sœur peut avoir
des difficultés à obtenir une femme ! car la règle veut que l’échange des femmes soit
équilibré)
C- Transferts d'adultes
Intégration d'adulte "étranger" dans un lignage et même d'un lignage nouveau-venu en son
entier dans un autre qui l'accueille selon le même processus d'adoption
D- Nature des transferts constatés
Un quart des enfants recensés dans les généalogies a fait l’objet d’un transfert (soit 341 sur
1374).
La moitié des enfants transférés provient d’une mère célibataire (nécessité d’avoir une filiation
officielle) ; mais tous les enfants non reconnus par leur père ne sont pas adoptés (20 % ne l’ont
pas été).
La moitié des enfants transférés reste dans leur lignage de naissance ou dans un lignage frère
42 % des enfants transférés le sont dans un lignage allié matrimonial
E- Qui sont les parents adoptifs
Pour les enfants nés d’une mère célibataire :
- 58 % des enfants non reconnu par leur père sont adoptés dans leur lignage de
naissance, essentiellement par un frère de la mère (29 %) et par le père de la
mère (27 %)
- 42 % des enfants "sans père" sont adoptés dans un autre lignage que celui de la
mère (patronyme différent) : 9 % par le grand-père maternel de la mère, 10 % par
des beaux-frères classificatoires de la mère, 5 % par le mari ultérieur de la
mère, 12 % par des alliés plus lointains
Pour les enfants nés d’un couple :
- 66 % sont donnés dans un autre lignage que celui du père biologique,
essentiellement dans celui de la mère, dont 7 % à des oncles utérins, 4 % à des
grands-pères maternels et 4 % à des mères classificatoires
- 34 % sont donnés à l’intérieur de leur lignage de naissance, dont les deux tiers
(26 %) à un père classificatoire (FrP)
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 9
I. Leblic. D'une famille à l'autre : circulation enfantine kanak en Nouvelle-Calédonie
Conclusions
Ma participation aux travaux de ce sixième colloque du GREPFA-France m’a suggéré quelques
réflexions, comprenant mieux en quoi mon intervention pouvait cadrer dans les préoccupations
des participants. En effet, une des interrogations en pratique dans l’accueil familial
thérapeutique m’a semblé être la place respective de la famille naturelle et de la famille
d’accueil face à l’enfant ou à l’adulte placé. Vu de l’extérieur, on a le sentiment que l’on ne veut
placer les liens affectifs et « familiaux » que du seul côté des premiers alors que les seconds
doivent n’être considérés que comme des « professionnels » intervenant dans un processus
thérapeutiques et que cela ne doit pas laisser place aux sentiments. Aussi, pourquoi parler de
famille d’accueil, surtout quand il s’agit du placement d’enfant ? Cette réaction un peu naïve de
quelqu’un peu au fait de ces pratiques me confortent dans l’idée que la parentalité n’est pas
seulement une affaire de conception et de gestation, ce que les ethnologues, à la suite d’Esther
Goody affirment depuis de nombreuses années.
Références bibliographiques
CORBIER Mireille (éd.)
1999 Adoption et fosterage. Paris, éd. De Boccard, coll. De l'archéologie à l'histoire, 392 p.
CORBIER Mireille
1999 "Introduction : Adoptés et nourris", Adoption et fosterage. Paris, éd. De Boccard, coll. De
l'archéologie à l'histoire : 5-41.
GOODY Esther
1982 Parenthood and Social Reproduction : Fostering and Occupational Roles in West Africa.
Cambridge.
LALLEMAND Suzanne
1993 La circulation des enfants en société traditionnelle. Prêt, don, échange. Paris,
L'Harmattan, coll. Connaissance des hommes, 224 p.
LEBLIC Isabelle
2000 "Adoptions et transferts d'enfants dans la région de Ponérihouen", En pays kanak. Alban
Bensa et Isabelle Leblic (éds), Paris, éd. de la MSH, coll. Ethnologie de la France 14 : 49-
67.
LEBLIC Isabelle (éd.)
2003 De l'adoption. des pratiques de filiations différentes. Clermont-Ferrant, Presses
universitaires Blaise Pascal, coll. Anthropologie (sous presse).
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003)
INTRODUCTION AU CONGRES D’ANNECY
Dr Madeleine Bernard
Psychiatre, Chef de service
Responsable de l’unité d’ AFT d’Annecy
L’accueil familial existe à Annecy depuis la mise en place des secteurs de
psychiatrie en 1975. Les patients hauts savoyards étaient, antérieurement à cette
date, hospitalisés en Savoie au centre hospitalier spécialisé de Bassens. Ceux qui
étaient en accueil familial au moment de ce transfert sont restés dans les familles qui
les accueillaient mais sous la responsabilité de l’hôpital d’Annecy et non plus du CHS
de la Savoie. Quelques infirmières des unités d’hospitalisation temps plein dont
dépendaient ces patients assuraient le suivi dans les familles d’accueil. Cette situation
à perduré jusqu’au début des années 1990 puis avec la publication des textes
réglementant l’accueil familial, sous l’impulsion de C. Chabert, assistante sociale, et du
Dr Guy Solier, ce mode de prise en charge s’est un peu mieux organisé ce qui a permis
l’attribution d’un budget spécifique pour la rémunération des familles et la création de
temps infirmier, d’assistante sociale et de psychologue.
Depuis 1997 après avoir structuré le fonctionnement de l’AFT au sein de
l’ensemble du dispositif de soin psychiatrique du Bassin d’Annecy par l’élaboration d’un
règlement intérieur, nous nous sommes attachés à améliorer, dans la mesure de nos
possibilités, les conditions de travail et de rémunération des familles d’accueil.
Actuellement nous travaillons avec accueillants familiaux et patients sont ainsi
pris en charge. Notre mode de fonctionnement implique au minimum 4 partenaires,
parfois 5 :
le patient bien sûr
son équipe de soin de secteur (1 psychiatre référents et 1 ou plusieurs
infirmiers référents également)
la famille d’accueil
l’équipe d’AFT
parfois la famille d’origine du patient quand elle existe sur le plan relationnel
s’entend
Il nous a, ici ou là, été souligné la complication d’une telle manière de faire. Sans
minimiser le bien fondé d’une telle objection, cette organisation nous apparaît encore
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003)
pertinente et féconde dans un projet de soin. Chacun des intervenants de ce
dispositif y tient une place bien spécifique :
à l’équipe de secteur celle d’assurer les soins individualisés du patient. Elle
rencontre le patient le plus souvent seul, dans les conditions définies dans un petit
document écrit, rédigé au bout de quelques semaines de placement et nommé
«contrat personnalisé de placement». Les modalités de ce suivi sont donc
extrêmement variables, à la carte en quelque sorte et évolutives au cours de la
prise en charge du patient
à la famille d’accueil ce que nous appellerons «l’art d’être une famille» et dont
nous parlerons demain en atelier,
à l’équipe d’AFT l’obligation d’accompagner les familles d’accueil et de garantir
le respect de l’éthique qui s’impose dans la prise en charge de patients, surtout hors
du cadre hospitalier. Chaque famille est suivie par 2 infirmières référentes qui
effectuent au moins une visite mensuelle dans la famille, plus souvent si nécessaire.
Ces infirmières, particulièrement à l’écoute du fonctionnement familial, requièrent
éventuellement l’aide du psychologue de notre équipe
Cette organisation pour compliquée qu’elle soit (et peut-être d’ailleurs à cause de
cela !) nous paraît de nature à provoquer des «interstices» entre les différents
partenaires obligés, interstices générateurs de relation, relation potentiellement
conflictuelle certes mais relation comme matériau de base de notre travail commun.
Nous avions fait de notre réflexion à ce sujet, l’objet d’une communication au congrès
de Marseille il y a 2 ans. Au fil des années il nous semble que c’est dans les
articulations, dans les espaces interrelationnels, là où les échanges ne sont pas
«grippés» que se joue l’essentiel d’un processus potentiellement thérapeutique. Nous
appartiendrait-il alors de faire jouer au mieux ces articulations dans la mesure où
elles existent ?
En proposant la candidature d’Annecy au bureau national du GREPFA pour le
congrès de cette année, c’est assez naturellement que s’imposait aussi l’idée
d’approfondir, à cette occasion, la question du «thérapeutique» A travailler
régulièrement avec les familles d’accueil on ne peut éviter de se poser la question :
pourquoi «ça marche» ? «Ça marche» c'est-à-dire que les patients vont mieux.
Qu’est ce qui permet qu’un effet thérapeutique advienne ?
Au cours de ce congrès à Annecy, la petite équipe que nous sommes avait envie de
partager ce questionnement avec vous tous, envie aussi de tenter d’en éclairer les
grands axes. Pour autant, nulle illusion scientiste de notre part car, fondé sur la
mystérieuse alchimie qu’est la vie familiale, l’accueil familial thérapeutique résistera,
n’en doutons pas, à nous livrer ses ultimes secrets et personnellement je m’en réjouis.
Je nous souhaite à tous ici présents, mus par la pulsion épistémophilique, grand plaisir
à la réflexion, à des échanges de points de vue libres et nourris, grand plaisir à
l’expression d’idées nouvelles, originales et pourquoi pas dérangeantes.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
P. Perrot. SAFT et SISMLA en Loire-Atlantique
Pascal PERROT
Psychologue, SISMLA, Nantes
S.A.F.T. et S.I.S.M.L.A. en Loire-Atlantique
1. Historique
A - Etat des lieux
Accueil familial thérapeutique adultes
Il existait avant la création du SJ.S.M.L.A, 3 entités d'accueil adultes distinctes :
2 dépendantes de services publics hospitaliers :
1 sous la direction du centre hospitalier spécialisé de Blain au Nord du
département pour une capacité de 14 places.
1 sous la direction du centre hospitalier régional de Nantes de même
capacité.
1 purement associative mais à fonds publics appelée "association CONTADOUR" d'une
capacité de 80 places et dirigée depuis sa création par le Dr SANS bien connu dans le
monde de l'accueil familial.
Il est à noter que cette association avait d'autres activités telles que l'accueil spécialisé pour
adolescents et la gérance de tutelles mais nous y reviendrons.
Accueil familial thérapeutique enfants
Il existe à cette époque 2 unités d'accueil familial thérapeutique enfants sur le département
toutes deux attachées à des secteurs de pédopsychiatrie d'hôpitaux publics :
1 d'une capacité de 12 places dirigée par ie centre hospitalier de St Nazaire
1 d'une capacité de 10 places diriges par le centre hospitalier spécialisé de Montbert
au sud du département
Toutes ces entités avaient des pratiques différentes, des modes de rémunérations des
familles d'accueil différents, des histoires différentes, ...
Malgré tout, nous savions déjà à cette époque qu'il était important, voire indispensable de se
rencontrer, de mettre en commun ce qui pouvait l'être, de réfléchir ensemble à nos pratiques,
sous peine de se voir rapidement isolé, dépassé et disparaître.
Ceci fut fait par la participation à des congrès comme celui du G.R.E.P.F.A. ou par des
rencontres régulières comme celles des accueils familiaux enfants du grand ouest.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
P. Perrot. SAFT et SISMLA en Loire-Atlantique
Mais de là à se voir réunis sous la même bannière d'un syndicat inter-hospitalier qui allait
devenir un établissement public de santé à part entière, il y avait bien loin...
B- Mise en place du syndicat inter-hospitalier
Né d'une décision politique tout à fait louable, celle de redéfinir la carte sanitaire de
l'hexagone pour plus de cohérence en vue d'un meilleur service aux usagers et d'économies
substantielles, les agences régionales de l'hospitalisation créées en 1996 furent bien souvent
accueillies avec froideur (au mieux) par les professionnels qui voyaient poindre à l'horizon :
restructuration, mutualisation, fermetures, abolition de la sectorisation en psychiatrie.
En bref, le diable allait rentrer dans notre maison !
C'est dans ce contexte que l'histoire du syndicat en santé mentale de Loire-Atlantique allait
commencer.
Les premiers contacts entre le personnel et le directeur de l'agence régionale de
l'hospitalisation furent explosifs. Notamment au niveau du centre hospitalier spécialisé de
Montbert.
Dès que furent rendus publics les projets de rapprochement du CHS de Montbert de la
couronne nantaise et de l’entrée du service d’hospitalisation complète et de l'accueil familial
enfants dans le syndicat inter-hospitalier, le personnel non médical fit grève et séquestra le
directeur de l’A.R.H., persuadé que cette décision sonnait le glas de l’établissement, et les
médecins crièrent à la trahison et au démantèlement de la pratique sectorielle en psychiatrie.
Mais le processus était sur rails. Déjà la direction de l’activité « Accueil Familial Adultes » de
l'association CONTADOUR avait été confiée par l’A.R.H. à Mme JOUANNIS, directrice du
C.H.S. de Montbert.
Des tracatations entre les établissements fondateurs (pour mémoire le C.H.U. de Nantes, le
C.H. de St Nazaire, les C.H.S. de Blain et Montbert) avaient lieu pour déterminer la
participation de chacun à la corbeille des mariés : pour qui des locaux, pour d'autres du
personnel ou d’autres l’organisation administrative et matérielle.
Ce fut une bonne grosse bagarre d'intérêt financier comme il se doit, ou les équipes de base
et les familles d'accueil (concertées et informées malgré tout) souffrirent pendant pas mal
de temps.
2. La construction du S.I.S.M.L.A.
A- Période transitoire difficile
Le syndicat inter-hospitalier en santé mentale de Loire-Atlantique a officiellement été créé
le 29 Octobre 1999 pour une entrée effective en activité le 1er Février 2000.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 3
P. Perrot. SAFT et SISMLA en Loire-Atlantique
Ce syndicat est autorisé à exercer les missions d'un établissement de santé et a la vocation à
assurer la coordination départementale de certaines activités de soin. Il a une fonction
logistique qui doit principalement promouvoir un rôle d'expertise en santé mentale et
optimiser les modes de prise en charge à un échelon départemental. Il a également une
fonction politique dans ce qui est la promotion des actions de coopération entre les différents
acteurs départementaux.
Le S.I.S.M.L.A. n'est pas à ce moment-là, un établissement public de santé puisqu'il n'est pas
habilité à gérer lits et place, mais il est doté des mêmes instances légales propres : un conseil
d'administration, un comité technique d'établissement, une commission médicale
d'établissement. Il est également doté d'un conseil des familles d'accueil, celles-ci n'ayant
aucune autre représentation officielle étant encore employées sous contrat de droit privé.
Pour signifier les liens toujours existant, il existe également un conseil de direction des
établissements fondateurs.
Cette période fut particulièrement difficile pour les équipes. Je vais vous en énumérer les
principales raisons, mais j'ai choisi de vous présenter l'exemple et le vécu du personnel de
l'unité que je connais le mieux : l'unité d'accueil familial enfants Sud Loire.
Au niveau du quota de personnel
Toutes les équipes eurent à subir une compression de leur personnel ; peut-être à un moindre
niveau l'ex-association CONTADOUR dont la majorité de l'activité était l'accueil familial.
Malgré tout, l'activité tutelle et accueil adolescents étant restée associative, un "partage" du
personnel administratif avait été effectué pas obligatoirement à l'avantage de l'accueil
familial adultes.
Pour les unités hospitalières d'accueil créées au niveau de services de psychiatrie, c'était une
autre histoire. Elles n'avaient fait l'objet de peu de créations de postes (à part les postes
d'assistantes maternelles et familles d'accueil) et partageaient des petits bouts de temps de
divers professionnels travaillant sur d'autres unités plus conséquentes, au gré des
disponibilités.
Tous ces temps estimés (à la louche) de moins de 50 % ne furent pas comptabilisés.
Voici l'exemple de l'accueil familial thérapeutique du C.H.S. de Montbert.
C'est une unité de 10 places pour laquelle il a été transféré au S.I.S.M.L.A., un temps plein
d'infirmier, un mi-temps d'éducateur et quart de temps médical.
Mais cette unité bénéficiait également :
D'un temps de chef de service responsable de l'U.F de rattachement de 1 à 4 heures,
D'environ 6 heures de secrétariat (bien peu quantifiables car la secrétaire prenait
tous les messages),
D'environ 6 heures d'assistante sociale,
D'environ 6 heures de psychologue et d'autant de cadre infirmier.
Au niveau du vécu des équipes
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 4
P. Perrot. SAFT et SISMLA en Loire-Atlantique
Toutes ces équipes se sentirent souvent abandonnées, parfois malmenées et maltraitées ; les
familles d'accueil s'inquiétèrent elles aussi de la déliquescence des équipes, du flou
administratif et fantasmèrent sur la fermeture éventuelle des services.
Voici l'exemple de notre unité.
Notre désormais ex-médecin chef décida aussitôt que les employés ayant ces petits temps
non reconnus n'avaient plus à assurer leur service auprès de l'accueil familial (heureusement
la secrétaire s'autorisa à prendre nos messages et à taper quelques courriers) mais n'ayant
pas de points de chute, nous étions toujours hébergés dans le même C,M.P.
Je ferais maintenant le seul aparté clinico-institutionnel de cette intervention.
Nous étions hébergés par une famille, contrainte et forcée puisqu'elle voulait nous
abandonner.
Nous savions qu'une famille d'accueil nous attendait mais elle ne pouvait pas encore nous
recevoir : elle n'avait pas tout à fait son agrément et les travaux de notre chambre n'étaient
pas finis !
Voici là le premier point positif de cette expérience : nous avons pu personnellement
expérimenter le vécu douloureux de l'enfant abandonné en quête d'une famille d'accueil !
Deuxième point positif : nous pouvons maintenant analyser les relations difficiles de cette
famille en rupture et les mécanismes de renforcement des défenses de chaque membre et
l'escalade symétrique du conflit.
Je dis "maintenant" car nous étions à cette époque acteurs extrêmement actifs dans le
renforcement et l'escalade, incapables de prendre le recul nécessaire et surtout n'ayant pas
sous la main le thérapeute familio-institutionnel compétent.
3. La phase de construction
Il est clair que nous avons essuyé les plâtres d'une nouvelle organisation. Maintenant, nous
enfants abandonnés, nous devions participer à la construction d'une nouvelle famille.
Une petite famille pour le moment où nous étions et devions être moteurs. En bref où nous
avions tout à gagner dans la participation active pour la prospérité des activités auxquelles
nous croyons.
Ainsi, tous les acteurs se sont investis dans les grands projets initiés par la secrétaire
général du S.I.S.M.L.A. ou proposés par les partenaires (syndicats, médecins, équipes
soignantes...).
L'approbation de ces actions et la reconnaissance d'utilité publique de nos activités par
l'A.R.H. est notre récompense même si bien sûr beaucoup reste encore à faire.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 5
P. Perrot. SAFT et SISMLA en Loire-Atlantique
Les travaux actuellement réalisés et en cours
L'harmonisation du statut et des rémunérations des familles d'accueil
Il est à noter que l'harmonisation des salaires s'est faite au niveau le plus haut des
différentes unités.
L'harmonisation des statuts et des rémunérations des assistantes maternelles
L'harmonisation des statuts s'est faite ici autour des textes gérant l'activité des assistantes
maternelles. Quant aux rémunérations l'objectif était d'atteindre le niveau du salaire de
base du conseil général tout en tenant compte des spécificités de notre activité.
La recherche de locaux suffisamment spacieux pour recevoir les activités d'accueil adultes
et enfants dans un souci d'efficacité, d'unité d'équipe.
L'élaboration d'un projet d'établissement contenant les éléments cités plus haut, une mise à
niveau des moyens et des projets peut-être ambitieux mais répondant à une demande certaine
sur le département.
Je citerai notamment la création d'une troisième unité d'accueil familial enfants desservant
le nord du département et la mise en place d'une unité centrale de coordination pour les trois
unités accueil enfants.
Ce projet d'établissement fera bien sûr l'objet d'un contrat d'objectifs et de moyens et
sera soumis aux tutelles : croisons les doigts !!!
Deux éléments importants :
- La décision du conseil d'administration de considérer les contrats des familles d'accueil et
assistantes maternelles de droit public ;
- La décision des tutelles d'autoriser au S.I.S.M.L.A. la gestion de lits et places.
Conclusion
Après avoir traîné les pieds, bataillé, souffert (nous souffrons encore un peu !), nous avons
accepté l'inévitable. Et ma fois, nous devons admettre que notre petit artisanat, menacé
parfois de disparition, a sans doute tout à gagner en reconnaissance et en efficacité dans ce
genre de mutualisation.


7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
1
Sandrine LOEB,
Psychologue, AFT de Lagny-Marne-la-Vallée
AXE n°1 « CONTINUITE-DISCONTINUITE »
L’histoire d’Adelaïde :
Du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
Je voudrais par ce cas clinique illustrer comment un dispositif de soins composé de plusieurs
structures complémentaires peut être à un moment donné de l’histoire d’un sujet un outil pour
permettre une reconstruction ou une relance de sa vie psychique dans un contexte de liens
aux autres et à l’environnement, et montrer comment la reconstruction passe par le tissage
de multiples enveloppes qui vont permettre au sujet de retrouver des éprouvés, des
sensations, renouant ainsi avec le fil d’une histoire arrêtée.
Il s’agit de voir en quoi et comment une famille d’accueil intégrée dans un dispositif peut aider
à retisser le fil d’une histoire meurtrie, tenter d’en recoudre les trous, d’avancer l’œuvre de
la croissance psychique.
Comme le dit R. Scelles « se constituer comme sujet procède d’une perpétuelle relation
dialectique entre réalité interne et réalité externe et implique le tissage de multiples
enveloppes, la construction de multiples frontières et la création d’espaces de transition. »
Adelaïde a 15 ans quand nous la rencontrons à l’hôpital de la Salpétrière où elle est
hospitalisée en psychiatrie.
Notre rencontre avec Adelaïde est d’abord une rencontre avec un parcours de vie très
impressionnant pour cet âge.
Adelaïde est née d’une relation de passage de sa mère avec un homme qu’elle n’a jamais connu.
Pendant la grossesse, la mère d’Adelaïde est entourée de sa mère et de ses deux sœurs. Ce
bébé est l’unique petit-enfant de cette lignée maternelle. Adelaïde vit seule avec sa mère,
souvent confiée à sa grand-mère, jusqu’à l’âge de 4 ans. A cet âge, sa mère se marie avec un
homme plus âgé qu’elle, haut fonctionnaire, qui l’adopte rapidement.
A l’âge de 9 ans, lors d’une promenade d’Adelaïde avec ses parents, elle et sa mère sont
fauchées sur un trottoir par une automobiliste. Sa mère en meurt et Adelaïde est rescapée
malgré de nombreuses fractures qui lui ont valu plusieurs mois d’hospitalisation.
A sa sortie d’hôpital, le père d’Adelaïde élève seul sa fille près du domicile grand-maternel.
Celui-ci développe un délire paranoïaque, devient fou, déplace l’amour pour sa femme sur sa
fille et abuse d’elle. Adelaïde occupe la place de femme et d’épouse au domicile. Le couple vit
dans des conditions d’insalubrité extrêmes. Adelaïde est brillante en musique et en sport,
entrainée par son père « tout ce que je sais c’est lui qui me l’a apporté ».
La révélation des abus sexuels se fait dans le contexte scolaire où elle dit à l’infirmière qu’elle
est enceinte. Elle avoue les abus sexuels. Le père est incarcéré.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 2
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
2
C’est là qu’elle est confiée à sa grand-mère maternelle. Va s’ensuivre une période de grande
agitation d’Adelaïde qui va en s’amplifiant. Elle se met à développer un délire érotomaniaque
sur un professeur et devient agressive à son égard. La vie quotidienne est complètement
déstructurée et devient invivable pour sa grand-mère et sa tante qui partagent le même
domicile.
Adelaïde refuse tout soin, elle est hospitalisée en pédiatrie et c’est là que le psychiatre de
notre service fait sa connaissance et va tenter de lui faire accepter un accueil dans un lieu de
soins. Sa grand-mère n’arrive pas à signer l’hospitalisation d’office. Un signalement au juge va
permettre qu’elle soit hospitalisée en urgence et contre son gré à la Salpétrière.
Après quelques semaines d’hospitalisation, le psychiatre de notre service mise sur une sortie
d’Adelaïde pour qu’elle soit accueillie au sein de l’AFT, accueil couplé d’un hôpital de jour.
Adelaïde est accueillie chez un couple dont chacun d’eux a l’agrément et ils se partagent
l’accueil de 6 jeunes filles à leur domicile.
Ce passage vers une famille d’accueil est un pari.
Dans cette situation, la référence théorique au concept d’enveloppe psychique et d’enveloppe
groupale va nous aider à comprendre à quel niveau ce qu’elle a vécu au sein d’une famille
d’accueil lui aura servi. Nous le comprendrons à travers cette réplique d’Adelaïde, qui, alors
qu’elle se met à l’épreuve de se séparer de notre dispositif, nous lance « est-ce-que j’aurais
un mari ? », nous signifiant la sécurité, l’assurance de ne pas être seule que nous représentons
pour elle. Avoir un mari, n’est-ce-pas le désir d’être entourée de quelqu’un pour la vie ?
Nous allons donc travailler avec Adelaïde sur la reconstitution d’une enveloppe psychique en
tissant autour d’elle des couches successives d’enveloppe de soins.
1- Le tissage des liens et la constitution de l’enveloppe institutionnelle :
En premier chef, il nous faut décrire le dispositif de soins car comme le formule D. Houzel
« le tissage de l’enveloppe institutionnelle est la condition pour que des processus
thérapeutiques puissent y prendre place ».
C’est le renforcement mutuel des enveloppes qui semble le plus important et qui permettra
une continuité de la prise en charge, quand dans l’un des lieux Adelaïde se sentait mal, le
recours à l’autre lieu était ressource.
Quelques mois après son entrée en famille d’accueil, Adelaïde obtient son admission à l’hôpital
de jour même si, elle ne considère pas comme malade et refuse de se soigner.
C’est le couplage AFT-HdJ qui va être porteur. Nous avons imposé dans nos premiers
échanges avec l’hôpital de jour la présence des assistants familiaux et axer notre travail sur
le lien entre vie quotidienne, la vie institutionnelle et la vie psychique d’Adelaïde. Par la suite,
les assistants familiaux étaient l’un et l’autre invités chaque mois à des réunions avec le
psychiatre de l’hôpital de jour. C’est cette intrication entre ces deux lieux de vie d’Adelaïde
et cet intérêt porté dans un va-et-vient entre l’intrapsychique et l’intersubjectif, autant
visible au sein d’une institution de soins qu’au sein du domicile familial. Cette conjonction a été
très propice à son évolution.
Au moment où Adelaïde sort de l’AFT, elle poursuit sa prise en charge et sa scolarité au sein
de l’hôpital de jour.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 3
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
3
De plus, une psychothérapie au CMP est engagée 4 mois après son accueil.
Concernant le travail entre les membres de l’équipe de l’AFT et les familles d’accueil, les
relations reposent sur un maillage des liens entre les assistants familiaux et les membres du
service. C’est dans cette confiance qui se développe, dans cette connaissance que l’on partage
de ce qui se joue dans les interrelations, dans ces bribes de savoirs théoriques dont ils
entendent parler, dans ce questionnement constant entre ce qui se passe et ce qui retentit en
chacun de nous, que ces familles peuvent devenir des acteurs soignants. Nous cultivons des
valeurs communes et une perception commune du sens de la réalité psychique. Cette
expérience est nouvelle et enrichissante pour les familles d’accueil.
Dernier élément du dispositif, ce qui se passe entre la famille d’accueil et l’enfant accueilli.
L’assistant familial et l’enfant sont en même temps dans une telle proximité de vie commune,
de partage et dans une certaine distance et dépendance découlant du dispositif, que nous
pouvons parler d’un véritable lien psychique qui se tisse entre eux au fur et à mesure de
l’accueil. De fins et subtils liens se tricotent entre l’assistant familial et l’enfant au cours de
l’accueil.
Cet entremaillage entre soi et l’autre donne un sens à l’accueil pour l’assistant familial. Pour
J.Puget (2), le lien est une condition indispensable pour qu’advienne un sujet.
Nous pouvons nous représenter ce travail de lien comme un emboîtement d’enveloppes AFT-
HdJ, service-familles d’accueil-enfant, liées entre elles par des membranes poreuses qui
délimitent mais aussi relient soi et l’autre et soi et l’équipe.
Ma collègue et moi fixons des rencontres avec Adelaïde chaque semaine à son domicile en
présence des assistants familiaux. Adelaïde est confiée toute la semaine et rentre chaque
week-end chez sa grand-mère. Les week-end sont difficiles, sa grand-mère ayant du mal à
supporter ses conduites et à les cadrer. Le temps de week-end subira des modifications en
fonction de ce qui s’y passe.
Nous avons des rendez-vous réguliers avec la grand-mère et Adelaïde ou avec sa grand-mère
seule.
L’enveloppe qui se tricote entre la famille d’accueil, l’enfant, ses parents et les membres de
l’équipe est soumise à des élargissements ou des rétrécissements et doit tout le temps de
l’accueil penser ses limites comme des fils élastiques, en même temps souples et continus.
2- Adelaïde : une enveloppe psychique décousue :
Adelaïde est une belle jeune fille, soignée, les cheveux tirés en arrière et ralentie par le
traitement médicamenteux, qui lui sera diminué progressivement. Elle marque par sa vivacité
d’esprit, sa lucidité, sa pertinence et sa qualité d’énonciation. Nous aurons, malgré les hauts et
les bas de l’accueil, toujours un vif intérêt à travailler avec elle.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 4
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
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Il a été pensé nécessaire le recours à une famille d’accueil dans sa dimension groupale et
contenante pour tenter de restaurer auprès de cette jeune fille quelque chose de son
enveloppe psychique abîmée par les traumatismes vécus. Sa croissance s’est trouvée bloquée,
distordue du fait des traumatismes subis qui ont porté atteinte à son corps. Son enveloppe
psychique s’est trouvée déchirée, trouée et elle a fait des tentatives limites, désespérées
pour rattraper, récupérer son unité corporelle et sa relation aux autres.
Je cite D. Anzieu « toute atteinte de l’enveloppe risque d’entraîner une confusion entre
monde interne et monde externe et monde psychique et monde naturel ».
C’est dans ce sens là que j’entends les intenses préoccupations hypocondriaques d’Adelaïde et
ses angoisses corporelles dont elle nous fait part rapidement.
Adelaïde ne délire pas mais est dans une grande incohérence dont témoignent des bizarreries
et des troubles somato-psychiques.
Elle souffre d’obsessions massives et d’angoisses qui invalident toute pensée. Cela prend la
forme de « questions » qu’elle répète inlassablement et indifféremment à propos de son corps
particulièrement : l’écoulement de l’urine (elle affirme ne pas aller aux toilettes, fait dans des
récipients), ce qui s’écoule dans ses veines (dit avoir du sang bleu), son poids (elle se pèse
plusieurs fois par jour), Elle se sent menacée de perdre son identité.
Son enveloppe psychique a perdue sa fonction première qui est selon D. Houzel «d’éviter
l’éparpillement de ses objets internes dans un espace sans frontières et la capacité à lier
entre eux les objets internes dans un ensemble cohérent ».
Adelaïde nous plonge de suite dans un ressenti d’absences de limites corporelles. La peau
comme surface ne délimite plus l’intérieur de son corps de l’extérieur et ne peut plus contenir
ses éléments (sang, urine..) avec cette angoisse de les perdre. Elle veut vérifier ce qu’il en est
de l’intérieur et de l’extérieur de son corps, ce qui en sort comme le tout-petit dans ses
premières expériences de défécation. Elle montrera qu’elle a besoin de déposer ses contenus
corporels dans des récipients, de trouver des contenants adéquats.
Elle parle d’étrangeté (elle dira aussi qu’elle est une extra-terrestre), c’est sa façon à elle de
se voir, cette inadéquation entre son psychisme et son corps qu’elle ne reconnaît pas comme
valide et normal.
Ces questions sont une recherche d’intégrité corporelle et psychique.
Le miroir et le pèse-personne lui sont des objets indispensables. Ce sont des témoins
révélateurs de possibles modifications où elle n’y voit que monstruosité (dans son reflet, elle
se trouve énorme, elle trouve que son menton tombe ). Mais en même temps, c’est une
recherche de sensations unifiantes. Elle se regarde dans le miroir non pas pour s’admirer mais
pour avoir la certitude qu’elle existe, comme si cette image spéculaire lui renvoyait une
sensation d’unité, d’intégrité.
Selon le postulat de D. Anzieu, « ce qui est premier c’est la construction d’une limite dans
l’appareil psychique » et on voit là combien il en a fallu passer par l’écoute des préoccupations
d’Adelaïde et une attitude de réassurance permanente pour que peu à peu elle récupère une
sensation de continuité corporelle qui lui a fait par la suite rire de ses premières angoisses
par lesquelles nous avons commencé à travailler avec elle.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 5
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
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Les entretiens à plusieurs ont une grande valeur et vont aider à reconstruire une limite qui
servira de support à la signification de son fonctionnement psychique. Les sensations
corporelles impensables ressenties par Adelaïde peuvent être contenues dans une activité de
pensée groupale (selon Bion) et ont quitté leur caractère étrange, quasi-hallucinatoire, pour
être intégrées dans une articulation entre le pensé et le perçu.
Il s’agira chez elle de ce point de vue d’une véritable métamorphose.
Peu à peu, son monde intérieur dont elle parle lui semble étrange. Peu à peu, ces angoisses
liées à des vécus profondément cahotiques et qui font référence à des images kinesthésiques,
proprioceptives vont céder la place à des représentations mentales plus organisées.
3- La problématique d’Adelaïde : le besoin d’être entourée en permanence,
le besoin de se sentir aimée : une enveloppe sans failles
Adelaïde nous dit en début d’accueil : « je suis fragile » et « j’en serais pas là si ma mère
était là », elle nous dit là comment notre travail se situe au regard de ce défaut d’absence de
la mère.
Dès les premières visites à domicile, Adelaïde fait appel à l’amour de l’autre et la peur de le
perdre.
Je comprends qu’Adelaïde, comme le dit D. Anzieu, « lutte pour construire ou réaménager la
relation avec le monde extérieur ».
Nous allons tous devenir « des mères potentielles » pour Adelaïde.
Lors du passage de l’hôpital à la famille d’accueil, Adelaïde envoye clandestinement des
courriers ou des appels téléphoniques au médecin chef du service dans lequel elle était
hospitalisée, qui l’inquiète par leur contenu. Dans ses courriers, Adelaïde dit qu’elle l’aime,
qu’elle voudrait qu’elle la reprenne Le contenu et la façon de procéder ressemblant à ce
qu’elle avait fait avec son professeur au temps où elle était encore scolarisée.
Ce médecin destinataire de ces courriers parle de réhospitalisation d’Adelaïde mais notre
service résiste à un retour en arrière.
Adelaïde est dans une quête affective incommensurable et toujours insatisfaite. Elle ne peut
supporter qu’une personne qui l’aime lui pose des limites et toute remarque à son encontre
remet en question les sentiments qu’elle peut avoir pour cette personne ou ceux même qu’elle
projette sur celle-ci. Pour elle, ses sentiments ne peuvent être nuancés et s’expriment par
« je t’aime ou je te déteste ». Et si elle aime, cet amour est inconditionnel.
Adelaïde développe également sur ma collègue une fixation d’un amour de type maternel, qui
l’entraîne à écrire des lettres, faire des demandes d’être prise dans les bras et des appels
téléphoniques anonymes. Mais ces demandes ne restaient pas sans réponse, réponse qui
signifiait à Adelaïde que ses demandes existaient.
Adelaïde recherche cette limite perdue dans l’expérience affective du contact corporel
(demande d’être prise dans les bras), cette demande n’est pas à entendre comme celle d’un
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 6
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
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être sexué et situé mais comme une demande d’une expérience émotionnelle de se sentir
enveloppée, portée, au sens du holding de Winnicott. Ce qui insécurisait Adelaïde c’est qu’on
puisse entendre le contenu de ses demandes comme réel et qu’on y oppose de la distance.
L’amour, elle ne sait pas ce que c’est ou il y a longtemps. C’est une question bien floue pour elle
et qu’elle ne cesse de nous poser : l’amour de qui pour qui ? l’amour ou l’abus ? l’amour ou
l’adoption ? Aimer, c’est se perdre, c’est mourir Elle dit ou écrit « j’ai envie de me suicider
tellement je vous aime », « c’est normal de souffrir quand on aime ».
Puis d’autres personnes vont être l’objet de ses demandes répétées Elle trouve toujours une
personne qui incarne cette figure obsédante qu’est pour elle la mère.
Une nouvelle figure d’attachement s’installe durablement pour Adelaïde : une jeune fille qui
vient de quitter l’hôpital de jour. Elle fixe toute son attention sur elle depuis qu’elle en est
partie. Leur histoire va la mettre très mal. Cette jeune fille devient un objet d’amour convoité
et interdit ; elle va la voir en cachette, prétextant qu’elle va en voir une autre et va
développer des conduites de harcèlement. Elle en est comme hypnotisée.
Nous voyons là, comme ça l’a été pour le médecin de l’hôpital, la nécessité pour Adelaïde de
garder un lien vivant, aimant avec la personne qu’elle quitte et de garder quelque chose de bon
en elle ; on peut dire que ce n’est que parce qu’elle l’a quitté que celle-ci devient un objet
d’investissement narcissique. Comme si il s’agissait d’annuler la séparation.
Cette mère tant recherchée va être trouvée à travers plusieurs figures et représentations
féminines rencontrées.
Il y a aussi la mère de la réalité qui, dans la prise en charge dans la famille d’accueil,
confronte Adelaïde aux limites d’une mère aimante, celle qui protège, qui interdit, qui frustre.
C’est cette conjoncture qui va tenter de construire en elle une représentation d’une image
maternelle bonne, aimante et continue. Elle fait ainsi l’expérience qu’elle est reliée en continu
à un autre aimant.
Maintenant, elle nous parle de ses rêves, où il est question d’un contenant mal ajusté au
contenu ou d’un contenu ne pouvant pas être contenu, en témoignent ces rêves « l’assistante
familiale la retient dans son lit », « qu’on la serre dans ses bras », « qu’elle pèse 90 kg » ou
encore « de fourmis dans son lit ».
La question centrale d’Adelaïde est celle de la vérification, elle a besoin que lui soit renvoyé
quelque chose de ce qu’elle est ou fait, qu’elle existe pour quelqu’un.
Ainsi, la façon de procéder pour ne pas être dévoilée passe par l’élaboration de plans dans
lesquels toute son énergie est absorbée pour arriver à son but. Adelaïde est toujours étonnée
que ses plans soient déjoués et ne comprend pas comment les autres découvrent qu’elle en est
l’auteur. Elle veut qu’on lui prouve par des faits que c’est elle qui agit. Elle a besoin d’en passer
par des éléments tangibles, palpables pour croire en la réalité.
Le téléphone portable, qui devient aussi un objet de fixation, est celui par qui elle attend
qu’on lui témoigne de l’amour. Elle passe son temps à attendre un éventuel appel.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 7
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
7
Elle nous dira qu’elle a peur qu’on l’oublie ; peut-être est-ce une peur qu’elle s’oublie elle-
même ?
4- Les premiers liens d’Adelaïde : l’enveloppe résiste aux tentatives de
déchirement :
Ainsi solidement entourée, Adelaïde va faire des liens entre sa vie actuelle, les actes posés
par la famille d’accueil et ses expériences du passé qui lui reviennent sous formes d’images, de
souvenirs et qui vont peu à peu se lier entre eux et lui permettre une certaine position
régressive.
Dans le même temps où elle évoque avec insistance ses angoisses, elle commence à évoquer son
passé et sa vie de petite fille, ce qu’elle fera avec toujours une grande finesse du détail. On
découvre alors qu’Adelaïde petite fille avait déjà des manies, que c’était une enfant agitée,
difficile à frustrer, vivant sans règles.
Nous découvrons que tout dans la vie quotidienne est à apprendre. Adelaïde est très
négligente, ne range rien, tout est mélangé, le sale avec le propre. Au niveau de l’alimentation,
elle mélange tout, le sucré, le salé, l’entrée, le plat, commence et ne finit pas Tel un tout-
petit qui ne sait apprécier par lui-même l’ordre et le choix.
Sa grand-mère peut décrire Adelaïde comme une petite fille exigeante, possessive qui pouvait
déborder sa mère. Adelaïde se souvient des coups de martinet qu’elle recevait quand elle
faisait des bêtises ou quand elle avait de mauvaises notes à l’école.
En lien avec sa relation à ses figures parentales, Adelaïde a besoin de faire l’expérience de la
solidité du lien qui l’unit aux assistants familiaux.
La relation à l’assistante maternelle est particulièrement empreinte des projections
ambivalentes d’Adelaïde. Elle teste sa capacité à l’aimer et à résister à ces réminiscences de
son passé.
La famille d’accueil la cadre très fermement, y compris physiquement. Elle provoque des
discussions vives dans le couple qu’ils n’ont jamais connues auparavant.
L’accueil va osciller entre des périodes d’angoisse et des périodes de sérénité
successivement, et par des moments de grand abattement et des moments de grande
excitation, sans que l’on puisse le relier avec des éléments de la vie quotidienne.
Les week-end chez sa grand-mère sont sources d’angoisse (Adelaïde dort avec elle, se pèse
toute la journée ) Nous décidons de réduire le temps chez sa grand-mère, ce à quoi Adelaïde
va réagir vivement, elle devient agressive, ne respecte plus les règles, régresse (salit ses
culottes), fait des colères de petite fille et cherche une limite contenante, même
physiquement. Elle élabore un plan pour mettre en péril le placement. Avec un peu de recul,
elle associe avec sa peur qu’elle avait à 8-9 ans à rentrer chez elle après avoir eu une mauvaise
note et aux coups de martinet donnés par sa mère.
Après cette période de remous, elle évolue favorablement et peut devenir confiante dans le
dispositif qu’elle trouve très soignant pour elle. Elle éprouve des moments de bien-être qu’elle
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 8
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
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associe aux moments de retrouvailles avec sa mère quand elle en était séparée après une
journée.
Dans les périodes très difficiles au domicile, où elle est en prise avec ses angoisses, Adelaïde
ne respecte plus aucune règle. Elle refuse de prendre son traitement, de quitter son portable
qui est porteur d’angoisse pour elle Mais en même temps, ces questionnements sont
pertinents, elle veut voir les choses bouger et a peur de revenir en arrière
L’assistante maternelle est prioritairement attaquée dans sa fonction maternelle, Adelaïde
l’accuse de ne pas vouloir son bien, de ne pas l’aimer au point où l’accueil est menacé, la
famille d’accueil pourrait envisager de remettre en cause l’accueil.
Peu à peu les relations au sein de la famille s’apaisent. L’un et l’autre assistant familial se
relient dans leur tâche et s’épaulent mutuellement.
Le travail de la famille d’accueil passe par l’énonciation de limites, faisant signifier à l’enfant
que l’assistant familial ne peut plus le suivre sans se perdre lui-même dans un état ou une
situation non maîtrisable, d’incompréhension, de peur ou de souffrance. La limite est donnée
par le principe de réalité qui s’applique au sein de la vie familiale plus qu’ailleurs, les familles
devant composer avec les données de la vie quotidienne concrète. L’externalisation du monde
interne de l’enfant se trouve ainsi limité et confronté au principe de réalité.
Les entretiens prennent une autre tournure. Elle devient très lucide sur ses préoccupations et
se questionne sur son état de souffrance. Les choses qui ne se déroulent pas comme elle le
souhaite sont l’objet de surenchère anxieuse. Ses relations sont toujours dans le tout ou rien,
oscillant entre le collage et le rejet agressif. Elle va même jusqu’à harceler pour reprendre un
contact.
Nous réalisons que son lien premier à sa mère a dû probablement être défaillant ou
insécurisant.
C’est par leur résistance que les assistants familiaux, figures attaquées et critiquées,
permettent à Adelaïde de s’apaiser et de pouvoir compter sur la solidité de leur couple. Le
lien se vérifie continu.
Tout en même temps que se maintient l’idéalisation d’une mère forte et cultivée, elle peut
critiquer sa mère, notamment de lui avoir donné un père si rapidement. Elle nous dit s’être
toujours sentie privée de sa mère et exprime son vécu de déception d’une mère qu’elle
attendait toujours.
5- Adelaïde se met à l’épreuve de la séparation : l’enveloppe va disparaître
Adelaïde peut parler de sa souffrance non plus à travers ses plaintes hypocondriaques mais à
travers ce qu’elle interroge de son lien à ses parents.
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S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
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Adelaïde va traverser toute une période où parallèlement au travail de séparation psychique
d’avec la figure maternelle, elle est confrontée à la présence insistante de la jeune fille en
elle.
L’aspect ambivalent de la relation à l’autre fait jour, les affects agressifs peuvent s’exprimer.
Adelaïde devient critique envers sa mère, dit s’être toujours sentie révoltée par sa mère dont
elle juge l’investissement comme insuffisant.
Elle peut exprimer de la colère dans l’actualité de la situation face à sa grand-mère qui lui
refuse quelque chose, autant que dans la reviviscence de situations avec ses parents. Elle sait
aussi que sa mère avait demandé à sa propre mère de garder sa fille si elle devait partir en
province, à l’issu d’un concours.
Elle nous dit que jusqu’au dernier moment avec sa mère, juste avant l’accident, elle a voulu
savoir quel intérêt celle-ci lui portait. L’histoire s’est arrêtée sur cette question pour elle :
suis-je aimée de ma mère et l’attente d’une réponse à cette question existentielle qu’elle ne
fait que répéter à d’autres. Le traumatisme est là contenu dans l’attente de cette réponse.
Elle focalise toute son attention sur sa copine qui pourrait physiquement avoir certains traits
communs avec sa mère et qui est une enfant adoptée. Elle attend d’elle quelque chose que
celle-ci ne peut lui apporter. Quand ses angoisses sont là, elle repense obsessionnellement à
sa copine.
L’image d’une mère bonne et inaccessible revient pour l’aider à élaborer la relation
ambivalente à son objet d’attachement et pour lutter contre son angoisse d’être confrontée à
la réalité. Cette image d’une mère bonne et inaccessible revient pour colmater une faille,
quand elle anticipe la douleur de la séparation.
Adelaïde se met à l’épreuve de quitter ce qui l’entoure.
Elle se lance des défis, des mises à l’épreuve qui l’insécurisent (par ex. de ne plus poursuivre
l’HdJ). Elle ne peut pas les tenir et se sent mieux dès qu’elle accepte qu’elle ne puisse pas les
tenir.
Avec ses copines, elle craint toujours de perdre leur amitié. Elle projette la rupture, ce
qu’elle redoute et provoque par ces comportements harcelants. Comme si les conflits
rendaient les ruptures définitives. Elle exprime sa peur de s’engager affectivement par peur
de perdre ceux qu’elle aime.
Un fait va engager Adelaïde sur la voie de la sortie. Une jeune fille qu’elle apprécie beaucoup
part de la famille dans des conditions non préparées et non adaptées à sa situation. A travers
le départ de cette jeune fille, elle va revivre les sentiments jusqu’à bloqués relatifs à la perte
de ses parents.
Adelaïde pleure à en être inconsolable, au point d’en demander l’hospitalisation (la perte est si
douloureuse qu’il faut être hospitalisée). Elle nous dit souffrir comme pour la mort de sa mère
et quand elle était tapée par son père.
La séparation est vécue à travers son aspect traumatique.
S’amorce une période de changement qui doit la conduire à quitter la famille.
Elle se fâche et dit qu’elle veut partir. Une colère explose démesurément avec l’assistante
familiale quand celle-ci se montre trop bonne mère.
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S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
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Peut-elle quitter quelqu’un qu’elle aime sans conflit, sans rupture ? La séparation ne peut avoir
lieu en reconnaissant son désir à elle de se séparer. Elle projette sur l’assistante maternelle
cette image de mauvaise mère pour pouvoir la quitter, préférant penser qu’elle en soit rejetée
plutôt que de prendre l’initiative de quitter.
Cette démarche est d’autant plus compliquée qu’elle découvre dans le même temps des
carnets intimes écrits par sa mère où des aspects cachés de sa mère lui sont dévoilés et
notamment ses difficultés à être mère. Elle découvre une mère déprimée qui cache beaucoup
de ses sentiments. Ces carnets restent secrets et il n’est pas possible d’accompagner
Adelaïde dans sa lecture.
Adelaïde va se sentir seule, perdue, pas comprise
Elle s’en prend à l’assistante familiale, tout ce qui vient d’elle est interprété comme mauvais,
elle l’insulte, devient menaçante, lui répète qu’elle lui dise qu’elle veut qu’elle parte ; celle-ci
hésite à lui parler et tend à s’éloigner pour ne pas attiser sa haine.
Et en même temps, Adelaïde a besoin de toucher affectueusement L’assistante familiale en
l’appelant « petit bout de choux », la sentant fragile. Les gestes physiques de toucher, de
caresser les cheveux sont presque automatiques et deviennent pour ceux qui les subissent
déplaisants, la limite avec l’autre n’étant plus reconnue.
Elle lutte contre la présence maternante de l’assistante familiale à son égard qui est jugée
comme trop bonne et de laquelle elle doit pouvoir se défaire. Adelaïde dit « qu’elle doit être
autonome », elle ne dit plus qu’elle est malade, bien qu’elle retrouve des sensations d’éprouvés
de souffrance dans son corps.
Elle se rappelle combien se quitter fait mal dans le corps.
Adelaïde risque à tout moment de rompre l’accueil.
Elle nous dit vouloir retourner vivre chez sa grand-mère. Elle fait l’économie de l’élaboration
du lien à sa grand-mère, dont nous ne pouvons à peine parler, pour pouvoir retourner vivre
chez elle, son unique famille comme elle nous le dit bien souvent.
« Est-ce-que j’aurais un mari ? » nous dit Adelaïde, voulant nous demander si elle peut trouver
ailleurs ce qu’elle a eu là, disant qu’elle aura toujours des problèmes d’ordre psychologique..
Nous pouvons l’entendre dans le transfert comme une nécessité encore actuelle pour elle
d’être entourée, soutenue et de son incapacité encore actuelle à se séparer psychiquement de
son objet interne.
Elle répète qu’on ne l’aime pas, qu’elle est seule, sans famille.
Ses peurs sont réactualisées dans la perspective de ne plus être ni portée, ni protégée par
notre dispositif. Qui va prendre soin d’elle ?
Elle dit son désir de redevenir petite fille, de retrouver des liens sensoriels, les sensations de
l’état mère-bébé (corps câliné) et en même temps lui reviennent deux scènes où elle est à la
montagne avec son père et où son corps est maltraité : elle se rappelle la pluie sur son corps
quand épuisée de fatigue, elle fait une crise de spasmophilie et la gifle reçue de son père
quand très inquiète de ne pas le voir revenir, elle appelle les secours et ce qui s’en suit, sa
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 11
S. LOEB L’histoire d’Adelaïde : du traumatisme à la restauration de sa vie psychique
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demande qu’elle aille dans son lit et la première fois où elle refuse ; c’est après cet épisode
qu’elle alertera le collège.
Sa relation à son père dans laquelle elle va jusqu’à l’insupportable, jusqu’aux menaces de mort,
rappelle la façon dont elle va jusqu’à épuiser l’autre dans sa demande. Elle va jusqu’à entendre
dire qu’on ne l’aime pas.
Il faudrait lui prouver qu’elle est aimée, ce qui n’est pas possible. Sa logique nous pousse à ce
qu’à la fin, elle trouve de quoi alimenter le fait de ne pas se sentir aimée. Là, elle reçoit la
preuve qu’elle n’est pas aimée.
C’est dans l’absence qu’elle n’est pas un objet aimable, elle ne se représente pas avoir eu une
mère aimante, et donc pas d’avoir été un bébé aimable.
Adelaïde nous adresse « Mais vous, vous n’étiez pas là quand j’ai vécu avec mon beau-père, j’ai
supporté », ce qui peut tout autant signifier qu’on aurait dû être là avant pour la protéger et
qu’en même temps elle a pu survivre avant qu’on ne soit là.
Partir de la famille d’accueil est un défi.
« Serais-je heureuse un jour ? » nous dit Adelaïde.
Elle nous interroge sur ce qu’on ressentira en son absence « est-ce-que vous vous ennuyez de
moi ? » Est-ce qu’elle peut continuer d’exister pour l’autre dans la séparation, dans l’absence ?
Sa dernière question d’une longue série de questions, « Où allez-vous me mettre ? » nous
montre qu’elle n’est pas affranchie de l’aide et de la dépendance à notre dispositif. C’est aussi
comme si elle ne pouvait pas prendre la responsabilité de son choix de retourner vivre chez sa
grand-mère.
Le travail d’élaboration psychique n’est pas fini pour elle et se poursuit encore dans sa
psychothérapie. Mais une première étape essentielle a été franchie, celle de pouvoir, à
travers les éprouvés qu’elle a retrouvé dans la vie en famille et dans une dynamique de va-et-
vient entre corps et psyché, retisser la toile de fond sur laquelle elle a à continuer d’évoluer.
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M. DUFOUR, M. GENNHAM, C. BOSONETTO, Dr M. BERNARD
L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeaux à un patchworkrevitalisant
1
Muriel DUFOUR,
Infirmière, Equipe hospitalisation G01, Centre Hospitalier de la Région d’Annecy
Marie GENNHAM,
Infirmière, Equipe CMP G01, Centre Hospitalier de la Région d’Annecy
Chantal BOSONETTO,
Infirmière, Equipe AFT, Centre Hospitalier de la Région d’Annecy
Dr Madeleine BERNARD
Psychiatre, Annecy
AXE n°2 « DIVERSITE DES ENVELOPPES »
L’alchimie d’une rencontre :
D’une vie en lambeaux à un patchwork revitalisant1
(Une typographie différenciée a été choisie afin de rendre à chacun des intervenants
leurs propos et leur forme, ainsi que le récit singulier de leur rencontre avec Patrick)
Description physique
Patient trapu de taille moyenne
Allure décontractée
Visage rond, accueillant
Interpellant l’autre par le regard, par des regards et non une verbalisation
Histoire de vie
Patient âgé de 49 ans, originaire du Loire et Cher. Est issu d’une fratrie de 9 enfants (5
frères et 4 sœurs).
Enfance marquée par différents placements en famille d’accueils avec 3 autres frères et
sœurs. Semble avoir été pris en charge très tôt (2 ans) par les services de la DASS suite à
une précarité et déficience du milieu familial.
Au moment de l’adolescence, accueil par un frère aîné ainsi que 2 de ses frères et sœurs. De
nouveau séparation, lorsqu’il débute un apprentissage de cuisine et orienté sur un autre
département (Haute-Savoie.
Actuellement, sans aucun lien avec sa famille d’origine bien que Patrick pense que ses parents
soient toujours en vie.
1
Le travail que présente l’équipe d’Annecy est le fruit de 9 mois de rencontres pluridisciplinaires et « inter-unités » (CMP,
Hospitalisation, AFT) encadrées par Sylvain Lecoin, psychologue de l’unité d’AFT d’Annecy, et le Dr Madeleine Bernard. Au-delà
des intervenants, nous souhaitons également associer Mmes Nadine Vaccari, Sylvie Martin, Chantal Bordon, Michèle Ciosi et
Roselyne Allain, infirmières à l’hôpital d’Annecy, à cette contributiuon. Elle relate le parcours de vie et de soin de Patrick, accueilli
depuis 2 ans en famille par Mme D.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 2
M. DUFOUR, M. GENNHAM, C. BOSONETTO, Dr M. BERNARD
L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeaux à un patchworkrevitalisant
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Pas de diplôme professionnel mais une formation de CAP de cuisine. IL semble avoir travaillé
quelques années dans ce domaine (dernier emploi de Janvier 96 à Septembre 97 commis de
cuisine.
Il reste difficile d’obtenir des dates précises de ces périodes de travail.
Marié pendant 15 ans à une femme réunionnaise : 3 filles issues de cette union :
Christine âgée actuellement de 19 ans
Angélique : 16 ans
Mélanie : 12 ans.
Divorce en 98, plus de droits de visites suite à des violences verbales.
Perte des droits parentaux ?
On peut noter beaucoup de trous, d’incertitude dans son parcours de vie :
Oubli ?
Déni ?
Problèmes cognitifs ?
Séquelles liées à son problème d’alcool ?
Patrick semble avoir beaucoup de mal à mettre en mots sa vie « d’avant ». Le
« questionnement » et discours « soignant » étant vite perçu comme intrusif et persécutoire.
Histoire de la maladie
Patrick est connu depuis 2001 en psy. Première hospitalisation en HL, suite à un syndrome
dépressif avec alcoolisation massive.
Patrick vit seul en foyer Sonacotra et sans emploi depuis son divorce. Puis vont suivre de
nombreux allers-retours entre l’hôpital et le foyer : les alcoolisations et les épisodes
dépressifs s’amplifient de plus en plus.
Lors des différentes hospitalisations, Patrick est très rapidement asymptomatique sur le
plan éthylisme et comportement ; cependant la problématique dépressive et des conduites
addictives n’a pas été résolue.
Fin 2003, malgré des soins et un accompagnement permanent, une psychothérapie de soutien
et des psychotropes, Patrick n’arrive plus à gérer son quotidien. Il souhaite un éloignement
du Foyer Sonacotra et révèle qu’il est victime de RACKET et semble être dépossédé depuis
de nombreux mois de son compte bancaire.
Nous rencontrons Patrick pour la 1ère fois en Mai 2001 dans la chambre qu’il occupe alors au
Foyer. Nous notons un contraste saisissant entre la décoration très personnalisée et
chaleureuse de son intérieur et son apathie.
L’entretien est laborieux, il s’exprime peu, nos questions sur son histoire le dérangent et
rapidement il devient évasif « je ne sais plus » voir réticent « je n’ai pas envie d’en parler ça
fait trop mal ». Nous lui proposons des activités qu’il refuse, puis trouvant toujours porte
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M. DUFOUR, M. GENNHAM, C. BOSONETTO, Dr M. BERNARD
L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeaux à un patchworkrevitalisant
3
close, nous interrompons nos visites. Nous les reprenons en Juin 2002 à la demande de la
responsable du Foyer qui s’inquiète de ses fréquents passages aux Urgences, de ses plaintes
multiples et de ses alcoolisations massives.
Notre intervention sera désormais hebdomadaire et visera à aider Patrick dans la gestion du
quotidien :
- préparation d’un pilulier ;
- accompagnement chez le psychiatre ;
- mise en place de livraison de repas à domicile.
Pendant plusieurs mois, Patrick nous attend chaque semaine toujours aussi peu communiquant
mais moins souffrant : pas d’hospitalisation, moins de passages aux Urgences, des
alcoolisations « modérées ».
En fin d’année il participe à nos sorties et y prend grand plaisir. Mais, début 2003, Patrick
s’alcoolise davantage et n’arrive plus à entretenir sa chambre.
Après une cure de désintoxication en avril, ses plaintes sont centrées sur un sentiment de
solitude pesante et douloureuse.
Patrick participe maintenant à différentes activités mais a souvent besoin de s’alcooliser
avant.
Puis la situation se dégrade. Patrick n’ose plus sortir car il est de nouveau persécuté par un
résident. Il s’ensuit un isolement important avec des alcoolisations plus fréquentes et plus
massives accompagné d’un désinvestissement important de sa chambre (incurie) qui le met en
danger.
Il est alors hospitalisé à plusieurs reprises et son maintien au Foyer devient de plus en plus
problématique.
Mais quel projet de vie lui conviendrait ?
C’est en visitant une patiente placée en famille d’accueil dans une ferme que ce mode de prise
en charge pourrait correspondre aux besoins de Patrick.
C’est à cette période que sont élaborés 2 projets pour lui :
- l’appartement associatif ;
- l’accueil familial thérapeutique ;
L’orientation vers un appartement associatif n’a pas été retenue. Il ne semblait pas judicieux
de replacer Patrick dans ces conditions proches du Foyer :
- manque d’aide et d’étayage personnel au quotidien ;
- risque majeur d’isolement affectif et social avec rechute alcoolique.
L’accueil familial thérapeutique semblait plus approprié :
- étayage au quotidien ;
- permettre à Patrick de restaurer, vivre des expériences familiales autres que celles
connues dans l’enfance et sa vie maritale.
L’équipe espérait également trouver une famille d’accueil maternante, chaleureuse et
protectrice contre les tentations d’alcool.
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M. DUFOUR, M. GENNHAM, C. BOSONETTO, Dr M. BERNARD
L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeaux à un patchworkrevitalisant
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Cependant flottaient quelques inquiétudes au sein de l’équipe :
- reviviscences liées à l’accueil familial de son enfance ;
- violences possibles que Patrick pourrait exercer sur des enfants et la situation
potentiellement régressive qu’il vivrait alors.
Fin janvier 2004, l’équipe d’AFT reçoit le dossier de candidature de Patrick. Après lecture et
évocation des points à approfondir (ses alcoolisations encore d’actualité et la perte de ses
droits parentaux avaient alimentées quelques fantasmes dans notre équipe), nous partons à
sa rencontre.
Très rapidement, sa bonhomie, son perpétuel sourire qui accompagne des propos, soit
tristounets quand il évoque sa solitude, soit pleins d’espoir quand il parle de ce projet de
vivre dans une famille, soit de craintes du non-aboutissement possible, relèguent nos
réticences dans un coin de notre tête. Notre équipe adhère avec un entrain certain à ce
projet et cherche parmi les places disponibles laquelle est la plus en adéquation.
Tout aussi rapidement, le choix de la famille d’accueil est unanime : ce sera celle de Mme D.
Elle se compose de la mère de famille et de ses 4 enfants (18,15, 9, 7) , élargie à ce moment
là, à une grand-mère et un grand-père habitant à proximité. Mme D et ses enfants vivent
dans un lieu-dit au dessus du village de Thorens, une maison fort isolée au bout d’un chemin
malaisé. Depuis avril 1999, Maria, une patiente de 49 ans est déjà accueillie dans cette
famille, et de forts liens d’attachement se sont noués. Mme D. fait de l’élevage de chiens,
possède des chevaux et en prend d’autres en pension, la ferme abrite également lapins et
volailles diverses et variées.
A cette époque là, la famille D. vit des moments difficiles avec une succession d’arrivées, de
départs, de retours et de re-départs définitifs cette fois. La grand- mère qui habitait un
appartement dans le logement familial, était repartie en région parisienne s’occuper de son
mari (dont elle était séparée depuis plusieurs années) souffrant d’Alzheimer. Ils sont
revenus quelques mois après s’installer à Thorens. Le mari de Mme D., parti peu de temps
après la naissance de sa dernière fille, est revenu s’installer dans sa famille, le temps de
faire des projets et de disparaître à nouveau, laissant les siens en plein désarroi. Nous avions
fait le choix de continuer de collaborer avec cette famille, il était important que tout ne
s’écroule pas en même temps et Mme D. par sa façon de gérer ces crises, nous avait rassurés
sur ses capacités d’accueil. Mme D. malgré cette période douloureuse parvient à maintenir
une cohésion familiale chaleureuse et ouverte, et un repère stable dans les allers-retours de
Maria, la patiente accueillie
La première rencontre entre Patrick et Mme D. à lieu dans le service hospitalier. Ils ont le
choix des places, mais entourées des représentants de l’A.F.T. et des soignants de Patrick,
ils s’installent l’un à coté de l’autre. Ils font connaissance doucement, n’ayant pas l’air d’avoir
besoin de nous pour cela. Mme D. protége déjà Patrick des interventions soignantes
déstabilisantes et un peu trop harcelantes à son goût.
Une première visite chez Mme D. donne encore plus de consistance à ce projet. Il a hâte de
commencer.
Dans la foulée, une période d’essai de 15 jours est décidée. Au terme de celle-ci, le bilan est
positif, et les 2 jours qu’il doit passer à l’hôpital pour faire le point avec son médecin lui
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L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeaux à un patchworkrevitalisant
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semble déjà fort longs. Mme D. attend également sa venue, ainsi que sa petite famille qui le
trouve très sympathique, gentil
Très rapidement Patrick a emménagé. Il est passé d’un espace contenant (l’unité psy) à un
autre (la famille d’accueil).
Le séjour commence véritablement. Celui-ci n’est pas un long fleuve tranquille du fait des
aléas familiaux de Mme D. et des siens, mais Patrick vit toutefois des expériences
heureuses : il a la responsabilité des lapins, observe et participe à une vie familiale remuante
avec ses joies et ses peines. D’autres expériences sont plus douloureuses : le décès brutal de
Maria (la patiente accueillie) qui a eu lieu au domicile de Mme D. a beaucoup affligé la famille
et Patrick a pu mesurer l’attachement qui existait entre tous. Plus tard, une courte absence
de Mme D le confronte à une angoisse d’abandon et le fait céder à un vieux démon : l’alcool.
Mme D. en toute occasion reste présente pour lui, ne juge pas, explique, écoute, mais ne
change pas ses occupations, ni ses projets, est simplement plus vigilante, plus attentive à ses
réactions. Ainsi, les vacances de Noël que prend la famille, bien qu’étant une séparation
douloureuse pour lui, n’est pas destructrice.
Cela va petit à petit l’amener à faire des projets également : aller seul à Anneçy, prendre lui
aussi des vacances. Même si ces démarches ne se font pas sans inquiétudes (surtout au
début..), il se sent accompagné par l’attitude bienveillante de Mme D. et sa confiance
l’encourage. Ainsi à une époque où Mme D . a été souffrante, il a été un soutien pour elle dans
les tâches quotidiennes et auprès d’un autre patient accueilli entre temps. Le fait également
de partager une vie familiale avec une mère et ses enfants déçus par un mari et un père, il
s’interroge sur la sienne et sur le devenir de ses enfants. Il leur écrit
Ce lieu de vie correspond à son univers, il y trouve sa place, s’occupant des animaux et du
bois. « Je revis », nous dit-il et nous le constations à chaque nouvelle visite.
La famille est accueillante et reçoit souvent des amis ce qui contribue à élargir
l’environnement social de Patrick.
Il se charge avec plaisir d’un nouvel accueilli.
Très peu de temps après son placement, Patrick va vivre une crise aiguë d’angoisse avec
alcoolisation ; Ceci à l’occasion de l’absence de Mme D. pour la soirée : sentiment très fort
d’abandon : peut être Patrick a-t-il fait un transfert amoureux sur Mme D. en tant que
femme et mère ?
La dédramatisation, la consultation rapide après l’évènement, les VAD, les échanges avec
Mme D. (qui ne considérait pas cet évènement comme quelque chose de dramatique) ont
permis à Patrick de prendre encore plus confiance en ce projet, ressentant l’étayage et le
soutien des soignants ainsi que de la famille.
7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 6
M. DUFOUR, M. GENNHAM, C. BOSONETTO, Dr M. BERNARD
L’alchimie d’une rencontre : d’une vie en lambeaux à un patchworkrevitalisant
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Autre fait marquant ; lorsque Mme D. est tombée malade et a due restée alitée, Patrick a
assumé seul et de façon très adaptée certaines responsabilités (travaux de la ferme). Il
semble avoir trouvé une véritable place dans la famille.
Lors du décès d’une résidente, il peut constater à travers le deuil douloureux de la famille,
l’attachement durable être réel qu’elle éprouve pour ses « accueillis ».
Souhaitant reprendre contact avec ses filles, il profite des fêtes de fin d’année pour leur
écrire, nous sollicite pour l’aider à rédiger ce premier courrier et malgré l’absence de
réponse persévère maintenant seul dans cette démarche.
Après une année, Patrick s’autonomise, prend seul le car et le bus pour participer à nos
activités puis juste pour son plaisir.
Il fait l’acquisition d’un téléphone portable pour pouvoir joindre son accueillante et décide de
partir en voyage durant les vacances de la famille.
Pour ses dernières vacances il choisit de découvrir la mer et à notre surprise nous envoie une
carte postale.
A son retour, très fier de nous montrer son album photos, il nous dit s’être senti en décalage
vis à vis des autres vacanciers qu’il trouvait « pas très dégourdis » mais souhaite malgré tout
renouveler cette expérience.
Depuis, poursuivant son processus d’émancipation, Patrick nous surprend en annonçant lors
d’un entretien avec son psychiatre « je ne resterai pas toute ma vie dans cette famille, je
veux retravailler ».
L’accrochage s’est réalisé, hors de toute rivalité, grâce à l’adhésion du plus grand nombre au
projet, par l’absence de désir d’emprise de soignants envers Patrick, le positionnement de la
famille qui a autorisé Patrick à prendre sa place et qui ne s’est pas placée en rivale des
équipes.
L’accueil de Patrick dans une famille malmenée par la vie, suffisamment éloignée de la famille
idéale, lui offre un terrain d’expérimentation qui lui permet de vivre ses émotions, d’émettre
des désirs, d’être à son tour un soutien, de faire des allers-retours constructifs entre ses
expériences passées et présentes.
Malgré les difficiles aléas de la vie qui secouent la famille D., Mme D. offre un cadre
rassurant à Patrick pour que ses blessures ne soient pas destructives, mais deviennent des
points d’ancrage positifs dans une reconstruction narcissique.
Notre travail de soignants en A.F.T. a été d’accompagner cet accueil. Le bon sens de Mme D.,
son empathie, ses questionnements, la vie chaleureuse de son foyer nous a permis de voir
l’évolution de Patrick, il prend de la consistance, s’affirme, se projette dans l’avenir.
Je peux dire aujourd’hui au travers de ce travail, que les bénéfices n’étaient pas à sens
unique, ainsi la famille a pu se mobiliser autour de cet accueil évitant ainsi de se refermer
autour de son chagrin. Patrick a permis que Mme D. retrouve une confiance en elle, et il a
contribué à la stabilité familiale. Aujourd’hui, la vie continue, et chacun peut faire des
projets, même de départ et sans danger.
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Les enveloppes psychiques et l'histoire de Patrick
Par le Dr Madeleine Bernard
Cette tentative de théorisation d'une situation clinique est entièrement redevable à la
conceptualisation que D. HOUZEL donne des enveloppes psychiques.
Didier HOUZEL définit l'enveloppe psychique comme une structure à 3 feuillets :
1. la pellicule qui tient compte des aspects préétablis de manière innée du psychisme et
qu'il décrit comme «l'effet de tension superficielle de la dynamique pulsionnelle elle-
même». C'est un feuillet instable et «on peut supposer que sous l'effet de la poussée
pulsionnelle la pellicule se rompe, se déchire, explose»
2. la membrane : la pellicule doit être lestée de représentations pour être stabilisée,
représentations qui s'organisent lors des rencontres avec «l'objet» (au sens
métapsychologique du terme), elle se transforme alors en membrane. La membrane
est constituée par l'inscription sur la pellicule des traces des rencontres avec
l'objet. Ce feuillet est en quelque sorte le témoin de l'histoire individuelle du sujet
3. l'habitat : c'est l'aspect de l'enveloppe psychique qui peut se décrire en terme de
théorie de construction, théorie qui introduit l'observateur dans le champ
d'observation, l'observateur et l'observé s'influencent l'un l'autre. Ce feuillet de
l'enveloppe psychique a pour fonction de délimiter la réalité psychique de la réalité
extérieure, ces 2 réalités entretenant entre elles des relations dialectiques
complexes.
Cette position diffère un peu de celle de Didier ANZIEU, dans la description que celui-ci fait
du Moi-Peau, qu'il décrit comme une structure à 2 feuillets. Selon J.Doron le Moi-peau serait
un concept introduisant une notion de limite fermée, le concept d'enveloppe psychique serait
lui un concept plus modulable ayant une fonction d'interface.
Quelles interfaces dans l'histoire de Patrick ?
L'histoire qui vient de vous être rapportée permet, nous a-t-il semblé, dans retenir 3 : la
famille, l'institution et l'accueil familial thérapeutique. Chacune de ces interfaces peut être
corrélée à l'un ou plusieurs des feuillets de l'enveloppe psychique telle que l'a conceptualisée
Didier HOUZEL.
C'est ce que je vais tenter de vous montrer maintenant.
La famille
Dans l'histoire de Patrick, la famille c'est :
la famille d'origine avec son cortège de bruit, de violence, d'alcool, d'abandon.
la famille qu'il construit avec son épouse où l'on retrouve de nouveau le bruit, la
violence, l'alcool, l'abandon.
Nous faisons l'hypothèse que cette expérience initiale et sa répétition traduisent ce qu'il en
est pour ce patient de «la pellicule», feuillet au plus près des forces pulsionnelles et
particulièrement instable dans ce cas clinique. D. HOUZEL souligne d'ailleurs que lorsque
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«cette partie de l'enveloppe psychique est déchirée, déhiscente, défaillante ... la
construction de la réalité psychique des enfants est sous la dépendance de répétition
transgénérationnelle responsables de graves distorsions de la personnalité et de sévères
dysfonctionnements psychiques».
Mais la famille c'est aussi les familles successives qui l'accueillent :
la 1ère famille d'accueil dans l'enfance : «expérience plutôt positive» où il se retrouve
avec 3 frères et sœurs, famille qui va permettre, à travers le vécu rassurant qu'elle
procure et les rencontres avec des «objets» la stabilisation (certes momentanée) de la
pellicule qui va ainsi amorcer sa transformation en membrane
la famille du frère aîné chez lequel il va habiter quand il a 14 ans où il est également
accueilli avec 2 frères et 1 sœur, expérience qui renforce sans doute la stabilisation
amorcée par la famille d'accueil de l'enfance.
La famille peut donc fonctionner pour Patrick sous ces 2 aspects accolés : une pellicule de
vécu chaotique, une membrane stabilisante. HOUZEL donne d'ailleurs au concept d'enveloppe
psychique une extension : le concept d'enveloppe familiale, je cite : «l'enveloppe psychique
individuelle est nécessairement incluse dans une enveloppe familiale, elle-même pouvant être
incluse dans une enveloppe groupale plus large. J'entends par enveloppe familiale une
structure groupale commune aux membres d'une famille, qui assure la succession des
générations et leur différenciation, qui permet la complémentarité des rôles parentaux
paternel et maternel, qui garantit la constitution de l'identité de base et de l'identité
sexuée de chacun des enfants, qui enfin contient dans une même filiation tous les membres
de la famille et leur fait partager un même sentiment d'appartenance.»
Institution/Soins/Cadre thérapeutique
Nous devons à José BLEGER. (psychanalyste argentin qui a travaillé sur les groupes) les 1er
travaux théoriques sur le cadre qu'il différencie, dans la situation psychanalytique, du
processus : le cadre apporte les constantes grâce auxquelles l'évolution d'un processus peut
être déclenchée, contrôlée et achevée.
BLEGER a donné plusieurs séries d'équivalence du cadre psychanalytique dont l'une est
l'institution : un cadre fournissant une relation si bien structurée au long cours ne peut être
qu'une institution, dit-il.
Il faut remarquer que dans l'histoire de Patrick nous retrouvons dans ce domaine de
l'institutionnel la même dualité qu'en ce qui concerne la famille. En effet, l'institution c'est :
le foyer Sonacotra dans lequel il se retrouve après son divorce, qui présente certes un
cadre institutionnel mais non protecteur réactivant probablement les vécus
archaïques de l'enfance, vécus que nous avons repérés comme constitutifs de la
pellicule.
mais l'institution c'est aussi l'hôpital qui lui fournit protection, mise en dépôt/accueil
de ses besoins somatiques et relationnels.
à la jonction entre les 2, faisant lien, les infirmières du CMP porteuses à la fois du
cadre institutionnel hospitalier soignant mais aussi se déplaçant au foyer Sonacotra.
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Voici ce que Houzel écrit à propos de l'institution, je cite :
«pour avoir une fonction thérapeutique, l'institution doit tisser au fil de son histoire une
enveloppe, comparable à l'enveloppe familiale et douée des propriétés suivantes :
1. l'étanchéité : ce qui se passe, ce qui se dit, ce qui se vit dans l'institution, gardé à
l'intérieur et qui ne doit jamais diffuser au dehors
2. la perméabilité, pas incompatible avec l'étanchéité mais qui doit régir les échanges
entre l'institution et l'extérieur
3. la consistance : capacité à résister aux pressions extérieures et intérieures de sorte
que l'institution ne soit ni désintégrée sous leurs effets, ni malléable à l'envi
4. l'élasticité : capacité à se déformer sans se rompre sous l'effet de pressions internes
ou externes. C'est de cette élasticité que dépend la capacité de l'institution à
accueillir et à contenir la souffrance psychique des patients et de leur famille »
Ainsi l'expérience institutionnelle de Patrick réifie les expériences familiales mais par les
implications du CMP à la fois dans l'hôpital et à l'extérieur il semble que s'amorce ce 3ème
feuillet, l'habitat, dont la fonction, nous enseigne HOUZEL, est de régir les liens complexes
entre réalité psychiques et réalité extérieure.
Famille d'accueil thérapeutique
L'indication d'Accueil Familial Thérapeutique implique, dans le fonctionnement qui est celui
choisi à l'hôpital d'Annecy, un certain nombre d'échanges obligés et de réflexions communes
entre de multiples intervenants : les équipes de soins hospitalières et de soins ambulatoires
mais aussi l'équipe d'AFT et la famille d'accueil elle-même.
Nous espérons vous avoir rendu sensibles les échanges subtils fait autant de proximité que
de différences qui ont pu s'instaurer entre Patrick et cette famille. Nous espérons tout
autant vous avoir fait percevoir que, par une alchimie aussi heureuse qu'inattendue dont les
institutions ont parfois le secret, les relations entre les différents partenaires
institutionnels ne se sont pas, pour une fois, établies sur le mode la rivalité, de
l'appropriation mais sur celui du respect réciproque, de la complémentarité et de l'échange
véritable. Ce faisant, l'AFT contribue au renforcement de ce 3ème feuillet régulateur entre
réalité psychique et monde extérieur et procure un nouvel enveloppement, variante de
l'enveloppement institutionnel : l'enveloppe élargie.
Encore Houzel : «c'est ce travail d'élaboration en commun que j'appelle enveloppe élargie.
Tout se passe, alors, comme si la souffrance familiale et les turbulences qui en sont l'origine
se trouvaient contenues dans une néo-enveloppe constituée par ceux qui sont chargés d'aider
la famille à un titre ou à un autre, et qui font ensemble ce travail d'élaboration».
Conclusion
Nous avons tenté de vous montrer comment cette séquence prolongée de prise en charge de
ce patient a permis la restauration de la capacité à établir des relations et à faire des
projets, à partir des expériences chaotiques de la vie et à travers les différentes modalités
de soins intriquées qui lui ont été proposées.
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La théorisation, dans l'après-coup, en termes d'enveloppes psychiques, des différents
emboîtements que nous avons pu repérer, nous semble particulièrement féconde tant dans la
compréhension de l'histoire clinique de Patrick que dans l'exigence d'analyse de notre
fonctionnement à laquelle nous sommes tenus.
Toujours Houzel : «Le tissage de l'enveloppe institutionnelle est la condition, pour que des
processus thérapeutiques puissent y prendre place. Ces processus échappent à la maîtrise
des soignants, et il faut qu'il en soit ainsi. La tache des soignants n'est pas de les diriger
mais de créer les conditions qui les rendent possible et qui les favorisent en tissant cette
enveloppe et en la retissant au fur et à mesure que l'expérience acquise l'exige».
Entre les lambeaux famille d'accueil de l'enfance et celle de l'âge mûr, foyer Sonacotra et
hôpital, soins ambulatoires et équipe d'AFT, puissent les liens ténus établis fonctionner, pour
Patrick, comme le beau et enveloppant patchwork de sa vie.